Le faire-part de naissance concernant la venue au monde de l'Héritier Lestrange ne fut envoyé qu'une fois le Nouvel An passé. Ce n'était pas si remarquable que cela, quand la mère avait connu un accouchement difficile ou que le contexte politique ne se prêtait pas à ce genre d'annonce. Vu les histoires que Bethany avait entendu raconter sur la santé et l'énergie de Bellatrix Black, désormais Lestrange, elle pencherait davantage vers la seconde option.

Rigel Corvus Lestrange avait vu le jour le premier décembre 1980, dans le Manoir Lestrange – respectant parfaitement la tradition sang-pure des accouchements à la maison. En tant que mâle premier-né, il se retrouvait catapulté d'office dans la position d'Héritier ; visiblement, Bellatrix estimait que tomber enceinte une fois lui suffisait amplement et s'était empressée de fournir un fils pour que son mari lui fiche la paix à l'avenir.

Et voilà donc comment était pliée la future génération de la famille Black, Tally et Terry naissant au début de l'année, le fils de Narcissa Malefoy au milieu, et maintenant le fils de Bellatrix Lestrange à la toute fin. Si Bethany croyait encore aux coïncidences (et ces temps-ci, elle avait du mal à ça), elle se serait ébahie devant une si parfaite régularité.

Elle préférait de loin se demander ce qu'il adviendrait de ce pauvre gosse. Né pour permettre de contrecarrer les plans d'un terroriste, oui c'était louable sur le papier, mais il n'en avait pas moins à se traîner Bellatrix Lestrange pour mère et Cassiopeia Black pour marraine – et la jeune diplômée de Poufsouffle se demandait carrément si ce n'était pas la seconde de ces femmes qui était la pire.

Question marraines, elle-même avait opté pour Mary Macdonald et Agatha Smith. Des choix on ne pouvait plus scandaleux aux yeux d'un puriste – si la famille Smith n'avait plus à prouver son pedigree, ils n'en soutenaient pas moins de tout cœur les rapprochements entre sorciers et sorcières quelle que soit leurs origines, et Mary était une Gryffondor née-moldue dont les parents vendaient des fruits et légumes, de quoi dégoûter un Serpentard aristocratique.

Tante Lulu avait explosé de rire devant la pure déconfiture de Bethany, lorsque le patriarche Black avait accepté les deux noms sans sourciller et lui avait recommandé d'écrire au plus tôt à ses amies pour leur signifier leur nouvelle responsabilité.

« Chérie, tu utilises tes connaissances pour porter sur les nerfs de gens que tu n'aimes pas » avait résumé joyeusement l'ancienne épouse de diplomate. « Si ça, ce n'est pas une attitude de Serpentard, je veux bien déguster mon plus beau chapeau sans poivre ni sel ! »

Vu la collection de chapeaux de tante Lulu, déterminer le plus beau prendrait vraisemblablement un bon bout de temps, et il arborerait sans doute des plumes. Bethany jugea plus indiqué pour la santé de la vieille dame de battre en retraite, tant pis si elle l'avait insulté en croyant lui faire un compliment.

Par comparaison, le choix de parrains effectué par Regulus était presque ennuyeux tant il était prévisible : Hector Greengrass, qui réussissait à rester à l'écart des plus virulents remous de la vie politique en mettant l'accent sur sa santé fragile, et Andrew Selwyn, considéré comme le mouton noir de sa famille en raison de sa passion pour l'escrime, tous deux appartenant aux vingt-huit familles en mesure de se proclamer la fine fleur de Grande-Bretagne sorcière.

Bien sûr, c'était si l'on accordait foi aux élucubrations de Cantankerus Nott, telles qu'il les avait rédigées dans son Directoire du Sang Pur. Connaissant la chance de Bethany, ce torchon servait de livre de chevet aux Mange-Morts.

Elle avait poliment informé son cher et tendre époux que si jamais un des amis de celui-ci commençait à prêcher classicisme et discrimination en face des enfants, elle lui arracherait les yeux et la langue pour l'obliger à les manger. Regulus avait gracieusement accepté la menace, avant de mentionner que Hector Greengrass était bien trop occupé à gagatiser devant sa petite fille pour penser à un autre sujet.

L'existence de Daphné Greengrass avait plongé Bethany dans un abîme de contemplation. En tant que fille du parrain de Tally, la petite Daphné pouvait naturellement se considérer comme une sorte de cousine des enfants Black. Et tout naturellement, les familles Black et Greengrass s'attendraient à voir leurs filles grandir ensemble, comme si elles étaient cousines par le sang – comme la petite Susan d'oncle Benjy avait naturellement le droit de rencontrer Tally et Terry.

Tally ne manquerait pas de compagnie féminine, en matière de cousins, mais pour ce qui concernait Terry, Bethany avouait être beaucoup moins certaine. Parce que les cousins masculins de ses enfants n'étaient autre que la progéniture de détraqués notoires.

D'accord, elle se montrait injuste envers les enfants eux-mêmes, mais ça demeurait la vérité et elle ne savait pas pour Lucius Malefoy, mais elle imaginait atrocement bien Bellatrix Lestrange lever la main contre son propre fils pour avoir osé fréquenter la progéniture de quelqu'un qu'elle estimait valoir moins que la lie trouvée dans le caniveau.

Bethany n'attendait pas grand-chose non plus du côté Lestrange, vu les rumeurs persistantes selon lesquelles le frère de l'actuel patriarche s'était sauvé au fin fond des Balkans parce qu'il se serait fait assassiner s'il était parti moins loin d'Angleterre. Bon, Rodolphus et Rabastan Lestrange ne semblaient pas vouloir s'écharper mutuellement, mais ils ne paraissaient pas non plus tenir follement l'un à l'autre.

En d'autres termes, ce gosse venait à peine de voir le jour qu'il partait déjà mal. Et la seule personne potentiellement capable de l'extirper de cette situation toxique était aussi la personne ayant mijoté sa conception dans le seul but de l'utiliser froidement pour mettre la main sur ce qu'elle voulait.

Mais que pouvait faire Bethany, déjà encombrée de ses propres marmots, vivant dans un pays entièrement différent, et se rongeant les sangs pour sa tante et son oncle et sa petite cousine ?

C'est bien de penser aux autres, mais si tu ne t'occupes pas de toi-même, tu ne pourras aider personne du tout, lui soufflait la voix de sa mère, un murmure qu'elle imaginait à moitié, se rappelait à moitié, mais fantasme ou souvenir, l'envie de pleurer ne l'en submergeait pas moins.

Et puis, la campagne de terrorisme qui menace de dévorer la Grande-Bretagne magique avait commencé par des regards indifférents, n'est-ce pas ? La conviction des gens que peu importe ce qu'il advenait, ce qui se passait dans la rue, ça ne les affecterait pas dans leurs maisons ou leurs appartements – que c'était le problème de quelqu'un d'autre.

Seulement voilà, le problème avait bouffi et pris de l'ampleur, au point de devenir le problème de tout le monde.

Si Bethany fermait les yeux sur l'existence de Rigel Lestrange, qui sait ce que deviendrait le petit d'ici vingt ans, ou trente ? Un fanatique déterminé à suivre dans les traces de ses parents, ou une tombe minuscule sur laquelle personne ne viendrait se recueillir ? Aucune de ces perspectives ne lui allégeait la conscience, ne l'empêchait de penser qu'elle devrait intervenir. Faire n'importe quoi, du moment qu'elle faisait quelque chose.

Sauf qu'elle ne pouvait rien, à part attendre et voir comment évoluait la situation. Bon sang, elle ramassait des gadins en Potions à cause de son incapacité à remarquer les petits détails qui ne manquaient jamais de tout gâcher, et ce malgré les encouragements de ce bon vieux Slughorn. Elle n'était pas faite pour se ronger les sangs.

Peut-être qu'en fin de compte, elle était morte avec ses parents et ses petits frères et que c'était ceci, l'Enfer.