Une bonne semaine avant le premier anniversaire de ses arrière-petit-neveux, Cassiopeia Black se rendit à Gringotts afin de procéder à deux opérations bancaires, la première étant d'effectuer un versement de dix galions dans le compte ouvert par Arcturus pour les jumeaux une fois ceux-ci venus au monde. C'était une vieille tradition de la famille, assurant à tout rejeton de leur lignée un petit bas de laine accessible à leur majorité et leur permettant de profiter un peu de la vie, ou de se lancer directement dans le monde des affaires et de l'entreprise.
La seconde opération consistait à réclamer une inspection du compte Lestrange. Maintenant qu'un Héritier avait été conçu et semblait assez bien portant pour survivre jusqu'à l'âge adulte, la dot de Bellatrix jusque là entreposée dans le coffre de son époux avec interdiction formelle d'y toucher avait enfin été débloquée. Et cela signifiait qu'un représentant de la famille Black pouvait aller se plaindre aux gobelins d'une possible interférence avec l'or de l'une ou l'autre famille.
Forcément, les gobelins n'avaient guère apprécié la critique sous-jacente de leur façon de tenir les comptes. Cassiopeia était quasi certaine que plusieurs d'entre eux lui avaient montré les dents dans son dos, mais qu'en avait-elle à faire ? Elle se trouvait en mission critique pour sa famille ! Bon, pour la Grande-Bretagne en générale, mais majoritairement pour sa famille. Il ne fallait jamais perdre de vue l'essentiel.
« Rien qu'une inspection de routine, ça ne devrait pas porter à mal » avait insisté la sorcière âgée, arborant son sourire le plus carnassier. « Si vraiment, c'est une perte de temps, il y aura bien sûr matière à dédommagement. »
Cupides comme ils l'étaient, les gobelins avaient aussitôt saisi l'opportunité de la dépouiller de son or, et elle avait patiemment attendu dans une petite salle à l'écart les résultats de l'inspection des comptes Lestrange. C'était un jeu dangereux, de laisser miroiter à ces créatures la possibilité de dérober le contenu de sa bourse, mais Cassiopeia était bien assez riche – en tant que membre de la Noble et Très Ancienne Maison des Black et à titre personnel – pour prendre le risque.
Malheureusement pour les gobelins qui s'imaginaient déjà lui prendre son argent, elle avait eu raison. Oh, l'expression déconfite et furieuse du conseiller financier assigné aux coffres Black était un souvenir digne d'être préservé dans une Pensine, elle s'empresserait de le faire une fois toute cette affaire close !
Son hilarité se calma alors qu'une petite coupe d'or finement ouvrée était apportée devant elle, enveloppée dans une écharpe de soie afin de neutraliser les effets délétères de la magie noire incrustée dans le métal.
« Ceci m'a tout l'air d'être la coupe de Helga Poufsouffle » remarqua-t-elle d'un ton songeur, à la vue du blaireau ornant l'objet. « Qui devrait se trouver en possession de la famille Smith, si je ne m'abuse – et pas entre les mains de la famille Lestrange. »
Intérieurement, elle voyait déjà Artie obligé de s'excuser auprès de la branche Smith principale – cette famille rivalisait avec les Weasley pour ce qui était d'engendrer des rejetons – pour les compenser de la perte irrémédiable de leur héritage ancestral. Les Smith descendant de Helga Poufsouffle et étudiant pour la majeure partie dans la maison fondée par leur ancêtre, cela constituait un nombre non-négligeable de sorciers et de sorcières que ce parvenu de Jedusor venait de se mettre à dos.
Quel dommage que cela vienne à ce prix.
Les gobelins également paraissaient conscients de la gravité du crime, leurs yeux brillants dardés sur la coupe alors que l'un de leurs experts en bijouterie était convoqué afin d'examiner l'objet et de décréter sa destruction impérative.
Et ce fut à ce moment que Cassiopeia Black se vit rappeler que les gobelins ne pratiquaient pas le même type de magie que les humains.
L'orfèvre appelé sur les lieux ressemblait furieusement à Ollivander : même détachement de tout ce qui n'était pas son travail, même regard qui semblait voir ce qui échappait au reste du monde, même apparence maladive à force de rester cloîtré entre quatre murs. Fredonnant délicatement, il tapota la coupe au moyen de ses ongles (Cassiopeia faillit sursauter de voir la créature toucher à mains nues un artefact clairement maudit), de délicats instruments d'argents et de cristaux multicolores, écoutant les tintements produits par l'or en remuant ses oreilles pointues.
« Deux enchantements se combattent au sein de ce métal » annonça-t-il enfin. « Un enchantement appliqué dans la forge, et un enchantement imposé par la suite. Un naturel, un contre l'ordre des choses. »
Cassiopeia crut entendre un sanglot parmi les gobelins, comme si l'un des leurs venait de recevoir un diagnostic de maladie en phase terminale. Le gestionnaire des coffres Lestrange paraissait sur le point de rendre l'âme ou de s'évanouir, voire de s'ouvrir la gorge en expiation de ses péchés réels comme imaginaires.
« L'ouvrage peut-il être sauvé ? » interrogea sombrement le conseiller financier des comptes Black.
L'orfèvre plissa le front.
« L'ouvrage désire être sauvé, et son enchantement primaire est puissant, mais l'enchantement parasite est solidement incrusté dans sa structure » se lamenta-il. « Sans aide extérieure, le parasite ne saurait être détruit et l'enchantement primaire restauré dans sa splendeur initiale. »
Une minute, les gobelins parlaient-ils sérieusement d'extirper un Horcruxe de son réceptacle ? Cela voulait-il dire que le médaillon de Serpentard aurait pu être épargné, en fin de compte ?
Après cinq secondes de réflexion affolée, Cassiopeia décida que rien n'aurait pu sauver le médaillon des flammes ensorcelées du Feudeymon. Helga Poufsouffle avait été fermement affiliée à la Lumière, bien sûr que sa magie combattrait instinctivement un sort relevant de la catégorie plus noire. Pour sa part, Serpentard avait été un Mage Noir de premier calibre, et son héritage avait été perverti par son propre descendant – démêler deux signatures magiques semblables était toujours un calvaire.
Néanmoins, elle savait qu'Artie allait être inconsolable, et que ce serait à elle de le consoler en sortant le bon vin – au rythme où allait la guerre, les caves de son cher cousin se retrouveraient à sec dans quelques années.
Mais pour en revenir à la coupe, elle en perdait la voix, pour la première fois de sa longue existence. Finalement, peut-être que ces exaspérants sang-de-bourbe du Département de Régulation des Gobelins tenaient une bonne idée, lorsqu'ils prêchaient davantage de coopération entre les deux espèces… alors que les sorciers et les gobelins ne comprenaient pas ce que l'autre avait dans la tête.
Cassiopeia ne prétendrait certainement pas comprendre la conviction des gobelins que la coupe devait être traitée en grand malade. Mais comme ils étaient les experts, elle s'abstiendrait de toute remarque qui pourrait attirer leur hostilité et risquer de faire capoter la récupération de l'artefact.
« Je suis certaine que la famille Smith appréciera la restitution de leur héritage ancestral purgé de toute magie noire » se borna-t-elle à glisser, prenant un ton désinvolte.
Le conseiller financier des comptes Black lui adressa un regard méfiant, légèrement hostile.
« Madame Black se montre bien généreuse envers les Smith » lança-t-il, et quelle insulte subtile, sous-entendre que les Black n'hésiteraient pas à faire main basse sur le bien d'autrui.
Les Black n'hésiteraient aucunement, mais déclarer qu'ils le faisaient constamment, sans même réfléchir aux conséquences ni envisager que ce soit plus avantageux de s'abstenir ? Quelle audace !
La sorcière âgée décocha son sourire le plus béat – c'est à dire, celui qui dévoilait le mieux ses dents.
« Pourquoi ne serais-je pas généreuse envers le clan de ma nouvelle nièce ? Nous devons tous prendre soin de notre famille, proche comme éloignée. »
Elle poussait un peu loin, faire ainsi référence à l'arrière-grand-mère Smith de feu Edgar Bones, mais les gobelins poussaient l'art de la généalogie encore plus loin que les plus enragés des puristes, et ne réfléchissaient pas tant en terme de famille qu'en terme de clan, ce qui rendait les vendettas plutôt compliquées et assez meurtrières au sein de la nation gobeline. Et l'argument fit mouche, car le conseiller financier fronça les sourcils mais s'abstint de tout commentaire ultérieur.
Promettre de payer les orfèvres chargés de purifier la coupe avait vraisemblablement aidé, aussi.
