Malheureusement, tout l'or du monde n'aurait pas suffi à convaincre les gobelins de laisser une étrangère à leur clan – pire qu'une étrangère, une porteuse de baguette – assister au rituel qui leur permettrait de purger la coupe de Poufsouffle du fragment d'âme corrompue incrusté dedans. C'était de bonne guerre, même les lignées sorcières antiques avaient leurs secrets qu'elles conservaient jalousement, mais ça irritait un chouïa néanmoins.

À la place, Cassiopeia avait humblement sollicité l'autorisation de rester dans l'antichambre menant à la salle où serait accomplie la procédure. Elle avait présenté cela comme un désir d'être informée dès que possible que tout s'était déroulé comme prévu ; sous-entendre qu'elle voulait pouvoir intervenir si jamais l'Horcruxe décidait de se défendre serait revenu à insulter mortellement les gobelins, et adieu les bonnes relations entre Gringotts et la maison de Black. Elle était une preneuse de risques, mais elle n'était pas une imbécile.

Et puis, ce n'était pas comme si les gobelins n'étaient pas conscients du danger : dans la chambre rituelle, en plus de la coupe cérémonieusement apportée par une troupe de onze orfèvres vêtus de simples tuniques de lin sans teinture ni couture, étaient entrés vingt-cinq guerriers armés de lances et de haches dont le tranchant dégageait un éclat curieux, insinuant que le métal avait été enchanté d'une manière quelconque.

Ces affreux petits nabots cupides connaissaient le métal, que ce fusse pour entasser l'or dans leurs coffres ou pour conférer à l'argent le tranchant de l'acier et la résistance du mithril, il fallait le leur accorder.

Cassiopeia avait apporté une petite pile de livres dans son sac à main afin de se distraire et de patienter, mais elle ne parvenait pas à se concentrer, croisant et décroisant les jambes, son regard quittant sans cesse la page pour s'égarer du côté des grandes portes de marbre sombre aux veinules blanches.

« Cessez de gigoter, sorcière » finit par la tancer un gobelin, un des cinq en armure et brandissant une lance présents avec elle dans l'antichambre. « Les orfèvres savent ce qu'ils font. »

En d'autres circonstances, Cassiopeia aurait adressé une riposte aussi cinglante que preste à son insolent interlocuteur, mais dans le cas présent, c'était elle l'invitée qui se prélassait sur ses fesses tandis que ses hôtes effectuaient une tâche cruciale. Elle soupira et courba l'échine sous la réprimande, douloureusement consciente que d'ici une dizaine de minutes recommencerait le manège anxieux.

Trois heures s'écoulèrent avant que les portes ne se rouvrent : l'orfèvre qui en émergea avait le pas chancelant et l'expression éreintée de qui vient de fuir une horde de nundus affamés pendant une semaine complète, sa tunique maculée de traces noirâtres. Lui et le chef des gardes en attente échangèrent une poignée de phrases dans leur langue crissante et raclante : Cassiopeia n'entendait rien du tout au gobelbabil, mais vu le ton du dialogue, elle devinait facilement qu'il ne s'agissait pas de bonnes nouvelles.

Aussi ne fut-elle pas surprise quand l'orfèvre se tourna vers elle, et dévoila que l'Horcruxe avait mal pris l'exorcisme à peine celui-ci entamé.

« Un de nos guerriers était faible par l'esprit et a permis à la corruption de l'infester. Il a abattu six de ses compagnons d'armes et blessé deux orfèvres avant d'être abattu. »

Cassiopeia pinça les lèvres. Elle n'offrit pas de condoléances ; les gobelins n'appréciaient guère, surtout pas dans le cadre d'une mort qu'ils estimaient justifiée par incompétence du défunt.

« Ces sacrifices ont-ils été futiles ? » voulut-elle savoir à la place.

L'orfèvre se détendit imperceptiblement.

« L'ouvrage est sauf et purgé de toutes souillures. Son métal a souffert de l'exposition à une âme pervertie, les enchantements imprégnant la coupe ont définitivement faibli, mais demeurent présents et leur matrice intacte. La famille Smith récupérera son héritage. »

Et bien, au moins une excellente nouvelle. Cassiopeia s'autorisa un soupir et un petit sourire satisfait, mais le gobelin n'en avait pas fini.

« Madame Black, au nom de mes confrères, il me faut demander si d'autres ouvrages présentant le même type de corruption nous seront présentés dans un avenir proche. »

La sorcière prit son air le plus nonchalant, celui qui ne manquait jamais de rendre nerveux ou d'exaspérer les trois quarts de la haute société magique d'Angleterre et d'Irlande.

« A vous entendre, Maître Orfèvre, on vous soupçonnerait d'avoir des raisons de croire que cette corruption n'était pas limitée à la coupe de Poufsouffle. »

Un visage gobelin était prédisposé aux expressions lugubres, mais l'orfèvre semblait véritablement décidé à battre tous les records en matière de mine sinistre. C'était presque grandiose, à la façon d'un village post-inondation dans toute sa gloire ravagée.

« La corruption encastrée dans l'ouvrage était puissante, mais instable. Précaire à la manière d'un organisme déjà éprouvé, forcé d'enchaîner une épreuve plusieurs fois sans répit. Si l'épreuve en question était la création de la corruption elle-même... »

Le gobelin n'acheva pas sa phrase, la laissant en suspens pour permettre à son interrogation de peser lourdement dans l'atmosphère confinée, vaguement rancie de l'antichambre souterraine. Cassiopeia n'hésita qu'un bref instant.

« Le patriarche de la Noble et Très Ancienne Maison des Black a neutralisé par lui-même un autre ouvrage de ce type. Croyez bien que si nous avions été informés de l'existence d'un rituel permettant de purger le métal de toute magie noire, nous serions immédiatement venus consulter Gringotts. Mais nous ne savions pas, et maintenant l'objet est détruit avec l'infection dont il était porteur. »

L'orfèvre grimaça ouvertement, comme s'il venait d'entendre qu'un vandale avait déféqué sur les joyaux de la couronne avant de les lancer dans une fosse septique. Il se reprit vite, ses yeux noirs étincelant.

« Et vous pensez qu'il en existe d'autres, sinon vous ne seriez pas venue nous accuser de dissimuler pareil artefact dans nos cryptes. »

« La Maison de Black soupçonne fortement qu'il y en a quatre, les deux que nous venons de mentionner inclus » confessa Cassiopeia. « Peut-être un peu plus, c'est difficile à déterminer. Nous espérons que l'esprit détraqué responsable de les avoir créés n'en a pas réalisé plus de six, mais soyons francs, un homme ayant perdu la raison à ce point ne verrait aucun intérêt à ne pas aller plus loin, même si ça signifie sa perte. »

L'orfèvre paraissait sonné, et il y avait de quoi. La sorcière le laissa digérer la douloureuse perspective pendant une bonne demi-douzaine de minutes, jusqu'à ce qu'ils fussent interrompus par la procession quittant la chambre rituelle : au moins trois des gobelins boitaient, la moitié était couverte de sang, tous sans exception nécessitaient un bain prolongé pour se débarrasser de l'immondice sur leurs habits et leurs visages.

Enveloppée dans une écharpe de pure soie blanche, la coupe de Poufsouffle paraissait plus brillante qu'auparavant, le blaireau sculpté sur l'or avec un tel art qu'il vous donnait l'impression de pouvoir bouger d'une minute à l'autre.

Un nœud se dénoua dans la cage thoracique de Cassiopeia. Maintenant, comment allait-elle présenter cela à la famille Smith ? Même si elle laissait de côté tout ce qui concernait l'exorcisme d'un morceau d'âme appartenant à l'actuelle menace terroriste sévissant au Royaume-Uni, ils se poseraient forcément des questions sur la découverte de leur héritage ancestral dans les affaires de la lignée Lestrange.

Peut-être que ce serait une bonne idée de monter les deux familles l'une contre l'autre ? Ça mettrait la pression sur Bella et son mari… mais d'un autre côté, ça signalerait que la coupe n'était plus dans le compte Lestrange, et mettrait potentiellement la puce à l'oreille de ce parvenu Jedusor. Or, la stratégie consistait à le priver de ses phylactères sans qu'il se doute de rien, pour le rendre vulnérable à un assaut définitif.

Finalement, peut-être devrait-elle simplement se décharger de la corvée sur Artie. Il avait toujours su se débrouiller sur le champ de bataille diplomatique et politique, et cela beaucoup mieux qu'elle.

Cassiopeia ne voyait toujours pas pourquoi pulvériser les rotules d'un idiot devrait vous attirer des ennuis. Ça envoyait un tel message !