Le premier anniversaire de Talitha et Astérion Black, derniers rejetons en date de la lignée directe de la Noble et Très Ancienne Maison de Black, se déroula en comité strictement intime. Cela signifiait qu'en dehors des parents et des enfants, vinrent les grand-tantes (un peu obligé, vu que c'était sous le toit de tante Lulu qu'ils habitaient, et que tante Melania vivait dans le même pays et pouvait facilement utiliser la poudre de Cheminette), Arcturus Black qui tenait à suivre le développement de ses héritiers de près pour éviter toute surprise désagréable, Cassiopeia Black parce qu'elle voulait tourmenter sa nièce par alliance même si elle ne l'appellerait pas comme ça, et Walburga Black parce qu'il s'agissait de ses petit-enfants même si elle s'abstint d'interagir avec eux pour passer la majeure partie de la journée dans un petit salon à l'écart.
Les Bones n'avaient pas pu se déplacer en raison des exigences toujours plus déraisonnables réclamées par la guerre actuelle du département dirigé par tante Amélia, et oncle Benjy tenait à rester à proximité pour la soutenir. Les divers amis des jeunes parents avaient également été empêchés, trop occupés à soutenir un camp ou l'autre, à s'inquiéter de leur propre santé ou famille, ou à ne pas vouloir effectuer le déplacement.
Avec seulement deux bébés en bas âge et une assemblée d'adultes tous membres de la même famille, ça ne ressemblait pas du tout aux anniversaires que Bethany avait fêté lorsqu'elle était toute jeune, avant et pendant Poudlard. Pas de gâteau, pas de cris stridents remplissant la maison, pas de ballons ni de guirlandes en papier, c'était sinistre.
Lorsqu'elle avait voulu faire part de son désarroi à Regulus, celui-ci avait froncé le nez.
« Ça me paraît pas mal désordonné, ce que tu me décris là. »
Parce que chez les sang-pur d'une certaine persuasion politique, les enfants apprenaient très tôt à se conduire en adultes modèles réduits et ça signifiait ne pas courir de la cave au grenier ou boire de jus de pomme pétillant quand bien même il s'agissait d'une opportunité particulière. En son for intérieur, Bethany était déterminée à permettre à ses enfants une vraie fête d'anniversaire, avec tout le bazar et le chaos nécessaires. Tant pis pour l'opinion des Black !
En attendant, elle était coincée en plein milieu d'une réunion de famille improvisée, où tout le monde demandait comment grandissaient les enfants (Terry était un vrai moulin à paroles en dépit de ne maîtriser que mama, papa et dodo, alors que Tally semblait fascinée par le bruit que faisaient les pages d'un livre lorsqu'on les tournait) et râlait parce que le mauvais dos leur donnait mal au dos et aux chevilles, pendant que Casimir remplissait discrètement la carafe de cognac.
Elle avait presque été soulagée lorsque Cassiopeia l'avait entraînée à part dans la petite bibliothèque du premier étage pour lui annoncer la destruction du médaillon de Serpentard et l'exorcisme de la coupe de Poufsouffle.
Bethany n'allait pas prétendre que la perte du médaillon était une tragédie : en ce qui la concernait, ce satané bijou avait failli la voir veuve à peine mariée et ses petits orphelins de père avant leur propre naissance, et Salazar n'avait été qu'un vieux raciste dont le descendant s'amusait à massacrer tous ceux dont la tête ne lui revenait pas. Si la coupe avait été détruite, elle aurait été nettement affligée (elle avait fait partie de la maison des blaireaux, et elle s'obstinait à ne pas l'oublier dans le nid de serpents qu'était sa belle-famille), mais cela n'avait pas été le cas.
« Et les Smith n'ont pas trouvé ça étrange, que vous leur rendiez un héritage de famille trouvé dans les coffres du mari de votre nièce ? » ne put-elle s'empêcher de demander.
Cassiopeia renifla.
« Artie a préféré dénicher une branche secondaire de leur famille, qui est allée s'enterrer au Pays de Galles suite à je ne sais plus désaccord avec l'actuel patriarche, et leur a remis le paquet. Apparemment, la branche en question est ravie de prétendre qu'ils ont toujours eu la coupe en leur possession, une question de prestige entre cousins, ma petite. Ce qui ne les ravit pas, c'est de ne pas pouvoir le crier sur tous les toits, mais vu le climat actuel, ils ont conscience que c'est la survie qui doit prendre la priorité et pas les querelles notariales. Ça peut attendre la fin de la guerre. »
Bethany n'était pas naïve au point de croire que tous les diplômés de Poufsouffle étaient des anges : d'autant que le porteur du nom Smith à faire le plus de remous ces derniers temps, Ezra Smith, était désespérément imbu de lui-même et prompt à enquiquiner le reste du monde, vu le nombre de fois où Papa s'était plaint du type. Pas étonnant qu'il se soit mis à dos ses propres cousins – et que les cousins en question désirent lui faire perdre la face en laissant croire que la branche Smith la plus importante du clan n'était pas celle de laquelle provenait Ezra, en fin de compte.
C'était mesquin, mais ça dissimulerait la tâche à laquelle les Black s'étaient attelés : la chute du soi-disant Seigneur des Ténèbres.
Bethany n'en revenait toujours pas que le détraqué ait décidé de devenir une liche. C'était tellement rare, tellement maléfique, le seul exemple qu'elle pouvait citer provenait des légendes russes, Koschei l'Immortal cachant son âme dans une aiguille et transformant sa fille Vassilissa la Très-Sage en grenouille visqueuse pour avoir eu l'audace de naître plus intelligente que lui. Elle se remémorait l'illustration dans le livre de contes, un vieux magicien à la barbe de ténèbres et aux yeux si fous qu'elle en avait fait des cauchemars pendant un mois.
En y réfléchissant bien, Lord Voldemort avec son titre grandiloquent et ses aspirations de conquérant ne valait guère mieux que la monstruosité russe. Sauf que ce dingue-là ne trouverait pas de prince Ivan Tsarévitch sur sa route, jeune et galant et déterminé à sauver sa belle et douce Vassilissa d'une vie piégée dans la peau d'une bête. À la place, il aurait les Black.
Tout comme Koschei, Bethany ne pleurerait pas la chute de Voldemort. Tout ce qui l'intéressait, c'était d'apprendre quand sa tante Amélia cesserait enfin de passer les trois quarts de ses nuits enfermée derrière les plus puissantes protections qu'elle pouvait lancer, quand Regulus arrêterait enfin de se demander si sa cousine viendrait en France terminer la besogne de le tuer et leur petite famille avec, quand elle pourrait enfin visiter les tombes de ses parents et de ses frères pour leur annoncer que plus personne ne partagerait leur sort.
Tout ce qu'elle voulait, c'était apprendre quand ce serait fini.
Là-dessus, Cassiopeia ne se montra que peu rassurante.
« On enquête, ma choute, on enquête. Artie m'a recommandé d'aller fouiner du côté Gaunt, je ne sais plus si ta tante t'a raconté cette histoire, un pouilleux qui vivait dans sa masure et s'amusait à torturer les moldus locaux jusqu'à ce qu'il aille trop loin et finisse par tuer toute une famille ? Décidément, une fois la branche gâtée, il n'y vient plus que des fruits pourris ! Il fait honneur à ses ancêtres, ce Jedusor, quand il ne les renie pas pour se donner l'air plus impressionnant. »
Tout ce qu'entendait Bethany, c'était l'obligation d'attendre. Encore et encore. Lorsque les gens et manuels d'histoire évoquaient batailles et conflits, ils ne précisaient jamais à quel point ça pouvait être lassant.
Sans doute parce que ça formerait une image trop démoralisante, sinon.
