La masure où avait périclité et finalement crevé la famille Gaunt faisait immanquablement figure de répulsion, le genre de taudis dont la simple proximité vous refourguait des puces et poussait vos poils de nez à tomber tant ça puait. C'était l'incarnation de toutes les mises en garde sur l'excès d'orgueil menant à une chute ignoble, quand on se rappelait l'impeccable pedigree de la lignée Gaunt si fière d'avoir été les descendants de Salazar Serpentard.
Bien sûr, n'importe quel généalogiste digne du titre signalerait qu'après plus de mille ans, plus des trois quarts du Royaume-Uni magique descendait d'un fondateur ou d'un autre. Helga Poufsouffle était la plus fréquemment citée en exemple à cause de sa dizaine de rejetons qui s'en étaient allés procréer à qui mieux mieux également, et les Smith ne pouvaient se targuer que d'être issus de la branche aînée, de premier-né en premier-né. Cassiopeia était prête à jurer que les Gaunt étaient un cas similaire.
Bien sûr, c'était impossible à vérifier désormais : si documentation il y avait jamais eu, celle-ci n'avait jamais figuré dans les archives du Ministère – excepté dans le compte-rendu du procès d'Elvis Marvolo Gaunt qui avait abondamment protesté que son sang pur signifiait qu'il ne méritait rien de ce qui lui arrivait, ce pour quoi Serpentard l'aurait aussitôt renié vu qu'un vrai membre de la maison des serpents ne se conduirait jamais de manière aussi bête et mal élevée, traduisant son incapacité à se faire respecter par son intelligence ou sa distinction en se reposant uniquement sur la réputation d'un ancêtre très lointain.
Très sincèrement, la sorcière âgée comprenait parfaitement pourquoi le soi-disant Lord Voldemort avait refusé de fournir davantage que les plus vagues précisions concernant ses antécédents. Qui voudrait être lié à pareil trou, franchement ?
De l'autre côté, c'était l'endroit parfait pour y dissimuler un de ses phylactères. Après tout, pourquoi donc imaginer que quelqu'un reviendrait à l'endroit de sa plus grande honte afin d'y cacher délibérément un de ses plus grands trésors ? Surtout quand on prenait en compte la proximité du village moldu de Little Hangleton – Jedusor avait basiquement fondé l'intégralité de sa plateforme politique sur le rejet complet de tout ce qui n'était pas magique.
Little Hangleton était aussi une bonne cachette vu qu'il ne s'y produisait rien d'exceptionnel – si on oubliait le meurtre du châtelain local avec son épouse et son fils, un crime qui continuait de mystifier les autorités moldues plusieurs décennies après le fait mais dont la solution crevait les yeux pour un sorcier déterminé à collecter toutes les miettes d'information possibles sur un fou furieux qui avait été le bâtard d'une des victimes – et la masure tombait tellement en ruines que même les adolescents les plus aventureux se bornaient à inscrire des graffitis obscènes sur la porte, n'osant pas y pénétrer afin de fumer, boire ou s'embrasser loin des regards désapprobateurs de leurs parents.
Pour sa part, Cassiopeia refusa d'entrer immédiatement – après la mésaventure de Regulus avec le médaillon, mieux valait se méfier. Elle lança plusieurs sorts d'identification et contre-maléfices pendant un bon quart d'heure avant de juger qu'elle pouvait enfin franchir le seuil pourri d'humidité sans que son sang ne se change en vapeur dans ses veines, inventif comme défense mais elle n'était pas née d'hier.
L'intérieur était aussi lugubre et répugnant que l'extérieur. Cassiopeia renifla de dégoût devant les multiples bouteilles vides, encore une preuve de dégénérescence, sombrer dans l'alcoolisme au lieu d'échafauder un plan pour échapper à ce trou à rats. Enfin, elle n'était pas venue pour reprocher aux mânes des Gaunt tout ce qu'ils avaient fait de travers, elle était là pour ruiner les projets d'immortalité pervertie de leur ultime rejeton survivant.
Elle trouva le coffret caché sous le plancher, plutôt un choix périlleux vu que les lattes finiraient tôt ou tard dévorées par les termites et risqueraient d'exposer le trésor au grand jour, neutralisa non sans difficulté les runes gravées sur le couvercle et les côtés – elle la payait, sa spécialisation en Ogham et en hiéroglyphes, elle qui avait jugé que le Futhark était trop répandu et qu'elle voulait s'atteler à des runes moins populaires afin de démontrer son intelligence – et ouvrit la cassette pour détailler l'Horcruxe d'un œil critique.
Le phylactère se présentait sous la forme d'une bague simple, un humble jonc d'or serti d'une large pierre noire qui n'avait pas l'air d'être du jais ou de l'obsidienne, et quels étaient ces armoiries gravées dessus ? La sorcière âgée eut besoin de fouiller les tréfonds de sa mémoire avant de produire une réponse.
Décidément, ses souvenirs n'étaient plus ce qu'ils étaient si elle pouvait voir la marque de Grindelwald et ne pas se remémorer aussitôt la guerre qui avait ravagé le continent. Cela avait causé un certain scandale dans les milieux de la bonne société, lorsque le mage noir avait choisi de détourner l'emblème d'une de leurs plus anciennes familles, bien que celle-ci fusse éteinte et ses descendants si peu informés de leur héritage ou ayant si peu droit à celui-ci qu'ils n'avaient pas été en mesure de se plaindre trop bruyamment.
Peverell. C'était un nom qui n'appartenait plus qu'aux pages jaunies de vieilles généalogies et journaux de famille, qui n'était plus entendu que lorsque le patriarche racontait diverses légendes sur les grands mages et les puissantes enchanteresses des temps enfuis. Un nom que la Lumière souhaitait voir entièrement oublier et auquel les Ténèbres n'aimaient guère penser, car peu importe l'affiliation morale ou magique, personne n'aimait songer à la Mort et à ceux qui la fréquentaient un peu trop.
Peverell était un nom perdu dans les brumes du conte et du mythe, mais toutes les histoires s'accordaient sur le même point, et c'était que la famille avait un don pour la nécromancie. Comment l'avait-elle acquis, aucun sorcier vivant n'en avait la moindre idée et aucun ne tenait à l'apprendre.
Maintenant, la grande question était : pourquoi un détraqué terrifié par la perspective de sa fin au point qu'il en mutilerait son âme irait-il volontairement toucher une relique de nécromancien ? Si on oubliait la pure ironie de la situation, bien entendue. En toute vraisemblance, il ne savait rien de la nature véritable de l'objet – Tom Elvis Jedusor avait grandi en Moldu, après tout, et n'avait aucune envie d'étudier sincèrement et en profondeur la culture qu'il prétendait porter aux nues, il devait ignorer jusqu'à l'existence du nom Peverell.
Cassiopeia était partagée entre la révulsion et la curiosité. Normalement, elle devrait ramener la bague aussi vite que possible à son cousin et chef de famille afin que celui-ci la détruise sans pitié, un Horcruxe méritait l'annihilation abjecte et une relique nécromantique se devait de partager le même sort, alors combiner les deux en un seul artefact, la décision devrait être évidente !
Et pourtant… pourtant, l'insatiable désir de fouiner montrait le bout pointu de son nez dans l'esprit de la sorcière. Les gens en savaient si peu sur les Peverell, après tout… serait-ce si mal d'étudier un de leurs héritages de manière assidue ? Cassiopeia ne demandait pas la lune, rien qu'une toute petite anecdote…
Elle cligna des yeux alors que ses barrières d'Occlumencie se refermaient dans un fracas retentissant autour de sa psyché, et elle se rendit compte qu'elle avait posé le coffret sur ses genoux, la main levée comme pour retirer le bijou de son écrin.
Oh, le petit malin. Finalement, le soi-disant lord avait été envoyé à Serpentard pour une raison, il semblait – poser un piège sur son phylactère, un qui incitait le curieux à s'emparer de l'objet pour lui-même, avec des conséquences qui promettaient d'être désastreuses pour la santé physique et mentale ?
Cassiopeia Black était presque impressionnée, et c'était difficile de l'impressionner à présent qu'elle était devenue une vieille bique.
