« Parfois, Cassie, je me demande si tu ne vas pas me placer délibérément en face de choix impossibles pour causer ma mort par excès de pression artérielle » laissa tomber Arcturus.
Assise en face de lui, la digne représentante de la Noble et Très Ancienne Maison de Black arbora une expression soigneusement outrée. C'était si artificiel que cela devenait comique, mais le patriarche ne se sentait pas du tout l'humeur à rire.
« Comment oses-tu m'accuser de chercher à tuer mon propre chef de famille ? » s'écria-t-elle théâtralement, levant la main pour la porter à son front dans un froufrou de manche noire bordée de dentelle.
« C'est vrai, tu préfères me tourmenter et si je meurs, tu perdras ce plaisir » reconnut le vieil homme en foudroyant du regard sa cousine qui rayonna.
« Artie, quelle fine analyse ! On dirait presque que tu me connais ! »
Entre les deux Black âgés, une table faisait barrage et sur cette table avait été étendue une nappe de soie sur laquelle des hiéroglyphes avaient été brodés en cercles concentriques afin d'établir une bulle isolée, empêchant la magie de tout objet placé au centre du tissu de se répandre et de contaminer l'atmosphère.
Sur ce centre se dressait un modeste coffret au couvercle relevé, laissant visible une bague d'or sertie d'une pierre noire gravée aux armoiries des Peverell, luisant de son éclat le plus innocent – un éclat dont Arcturus n'était pas dupe, non seulement Cassie avait refusé d'ouvrir la cassette sans prendre des précautions, elle venait tout juste de revenir de la masure Gaunt où il l'avait envoyée afin de récupérer un phylactère.
Il devrait détruire cette bague, il le savait. Et pourtant, il ne s'était pas aussitôt enfermé dans la salle rituelle avant d'utiliser le Feudeymon au mépris de sa santé, parce qu'il ne pouvait contenir l'historien en lui et Cassiopeia en était parfaitement consciente, la maudite.
Les Peverell étaient si voilés de mystère, si inscrits dans la légende que plus d'un sorcier dans la génération du patriarche Black croyait sincèrement que la famille était plus mythique que réelle, un vulgaire conte à ne plus prendre au sérieux, et il savait que les enfants à naître du monde sorcier seraient encore plus nombreux à le croire. Mais voilà qu'une relique de cette lignée venait de lui tomber dans les bras, et peut-être que ce n'était pas une preuve irréfutable mais il s'agissait en tout cas d'une très forte indication que les gens vivant à l'époque avaient eu une bonne raison d'associer le nom Peverell à une famille particulière.
Il fallait aussi prendre en compte la possibilité de recourir à une méthode autre que le Feudeymon qui permettrait de pulvériser le fragment d'âme en épargnant son réceptacle, une méthode qui ne nécessitait pas l'intervention d'Arcturus et lui permettrait de conserver une vitalité précieuse pour continuer à faire front à ses adversaires politiques et mettre en ordre ses affaires pour permettre une transition peu houleuse quand son petit-fils serait appelé à reprendre le flambeau de patriarche.
D'un autre côté, ladite méthode réclamait l'intervention des gobelins. Arcturus avait beau être reconnaissant à ces créatures pour avoir restauré la coupe de Poufsouffle à sa gloire première, mais cela ne signifiait pas qu'il voulait leur mettre un autre objet antique sous les yeux. À tous les coups, les cupides petits nabots chercheraient à faire main basse dessus sous prétexte que les Black ne pouvaient pas y prétendre, et que les descendants des Peverell étaient bien trop éparpillés et désorganisés pour désigner un Héritier en bonne et due forme qui pourrait justement réclamer l'ouvrage de son ancêtre.
Et cela, c'était si le rituel se passait bien. Qui savait comment l'Horcruxe s'était incrusté dans un artefact vraisemblablement imbibé de sorcellerie nécromantique ? Si ça se trouvait, la bague avait absorbé des pouvoirs néfastes de l'âme dépravée afin de se renforcer – dès qu'il s'agissait de flux vital, un nécromancien était capable de toutes les abominations imaginables et quelques unes qui vaudraient sans doute mieux ne pas l'être si le rêveur voulait continuer à dormir paisiblement la nuit. Même si ce n'était pas le cas, ne vaudrait-il pas mieux anéantir la bague pour ne pas tenter le sort ?
Oui, Cassie avait décidément un don pour le plonger tête la première dans le fumier tandis qu'elle s'installait confortablement et riait aux éclats devant ses efforts piteux pour s'extirper de l'immondice. Si seulement elle n'était pas tellement douée pour ce qui était de se battre en duel, il l'aurait étranglée avec bonheur.
« Très sérieusement, Artie » déclara la sorcière en question une fois qu'elle eut recouvré sa gravité et arrêté de le tourner en dérision, « j'aimerais ton accord pour apporter cette bague aux gobelins. »
« Ce qui nous plongera dans des complications non négligeables » lui rappela le chef de la famille Black.
« Certes, mais j'ai une idée, et pour qu'elle soit réalisable, il me faudrait le fragment plus ou moins intact. Si tu emploies le Feudeymon, tu attaques directement le réceptacle, alors que le rituel à Gringotts permet la séparation de la corruption de l'objet infecté, à ce que j'ai réussi à discerner. C'est plutôt fascinant, d'ailleurs, les Briseurs de Maléfices n'ont jamais exactement caché que leur travail consistait à dénicher des trésors antiques afin que ceux-ci puissent être exorcisés, mais de là à imaginer que le rituel était efficace au point de pouvoir agir sur l'âme elle-même, ça me donne envie d'écrire un article sur le sujet… heu, où en étais-je ? »
« Ton besoin d'un fragment d'âme intact » indiqua machinalement Arcturus, regrettant vaguement d'avoir à ramener la conversation sur le sujet précédent – mine de rien, l'actuel s'annonçait assez prenant, comme toujours lorsque la discussion impliquait des rituels et le patriarche ne comprenait pas comment les sang-de-bourbe pouvaient insister que ceux-ci n'étaient plus qu'obsolescence et méritaient de demeurer entre les pages de grimoires que leurs propriétaires ne consultaient plus.
« Ah oui ! Tu sais qu'il est possible de localiser un individu du moment que tu disposes du sang de son parent, sa sœur ou son engeance ? Je pensais modifier un tantinet la divination, mais au lieu du sang, ce serait le fragment qui indiquerait où trouver les autres de son acabit. Parce que je ne sais pas si ça t'amuse, la perspective de fouiller l'Angleterre et l'Irlande de fond en comble dans l'espoir de mettre la main sur les phylactères restants de ce détraqué alors que nous ignorons combien il en existe, mais je t'affirme que ce n'est pas mon cas. »
Heureusement qu'Arcturus était assis, ou la déclaration de sa cousine l'aurait fait tomber à la renverse.
« Cassiopeia » gronda-t-il, « on ne joue pas avec les âmes. Imagine que tu te fasses posséder ! »
La sorcière âgée renifla.
« Je souhaite bonne chance à Jedusor s'il veut tenter le sort, mais dans l'état mutilé de son âme, il est plus susceptible de se rater magnifiquement, si tu veux mon avis. Tout ce que j'ai à craindre, c'est d'imploser accidentellement le fragment – et oui, c'est légalement un crime de pulvériser une âme, mais le fou a déjà renoncé à l'au-delà avec ses abominations contre la sorcellerie. »
Arcturus était né un Black, et cela sous-entendait un certain mépris pour les normes et les règles auxquelles se raccrochait le reste de l'humanité. Il avait cependant hérité une certaine dose de prudence de feue sa génitrice, Hesper Gamp, à quoi venait s'ajouter plusieurs décennies de mariage à sa chère Melania si désespérément raisonnable et morale – ça laissait forcément des traces sur un homme, et il était probablement le patriarche le plus ordinaire que la Maison des Black ait enregistré dans les temps modernes.
Parfois, il se disait que c'était aussi car sa satanée cousine avait monopolisé toute la démence, comme Bellatrix dans la génération de ses petit-enfants. Il en fallait toujours une dans la famille, apparemment.
C'était bien déplorable qu'on ne puisse pas les identifier à la naissance, ça empêchait de les noyer avant qu'elles ne grandissent assez pour vous ruiner la santé et le quotidien.
