Parfois, la vie aimait vous laisser croire que tout se déroulerait comme vous l'entendez, mais c'était oublier que la pensée cosmique gouvernant l'Univers était affligée d'un sens de l'humour assez déplorable qui considérait que vous tirer le tapis sous les pieds au moment où vous vous apprêtiez à rafler le trophée suprême était le summum du gag.
Cassiopeia pouvait comprendre l'attrait, mais en tant qu'être humain et donc encline à l'hypocrisie, elle ne goûtait pas du tout la situation lorsque celle-ci la voyait dans le rôle de l'actrice principale plutôt que de la laisser en spectatrice.
Après une longue discussion au point de laquelle elle était parvenue à convaincre ce cher Artie trop prudent pour son propre bien – enfin, peut-être valait-il mieux pour un politicien de faire montre d'un excès de zèle sur le sujet afin d'avoir une longue carrière – la sorcière âgée s'était rendue à Gringotts afin de discuter de son projet de boussole pour fragments d'âme, et c'était là qu'elle était tombée sur un os des plus fâcheux.
Tout de même, consolation dans son malheur, elle avait pu en apprendre un peu plus sur le rituel purificateur des gobelins : celui-ci traitait la corruption imprégnant les métaux tels des impuretés à consumer dans les flammes de la forge – et Cassiopeia se rappelait Artie employant le Feudeymon afin de détruire une fois pour toutes le médaillon de Serpentard, n'était-ce pas une coïncidence intéressante, elle devrait l'étudier dès qu'elle aurait un moment de libre et les matériaux de recherche sous la main – et employait la magie des orfèvres chargés de l'effectuer sous une forme ignée déterminée par l'infrastructure du sort jouant le rôle de la forge.
C'était vraiment fascinant, mais ça ne laissait aucune place pour la survie du fragment d'âme corrompu : non seulement la flamme était trop contraire à la perversité inhérente du phylactère pour que leurs natures respectives tolèrent toute interaction paisible telle qu'une simple séparation du contenant et du contenu, le rituel rendait les orfèvres extrêmement vulnérables puisqu'ils utilisaient leur magie sans filtre ni protection contre l'objet sur lequel ils agissaient, et un Horcruxe ne laisserait jamais passer une opportunité qu'il jugerait une faiblesse, menant à la mort ou à la possession des officiants.
La destruction pure ou rien, pas d'autre alternative. Quelle déception, surtout avec les trois rouleaux de notes et de diagrammes déjà rédigés par Cassiopeia en vue d'adapter la divination de localisation pour fonctionner avec une âme au lieu de sang rouge et frais. Enfin, elle ne jetterait pas le fruit de ses efforts, la Maison de Black avait détruit trois Horcruxes mais le soi-disant Lord Voldemort en avait certainement créé au moins deux autres – il était suffisamment fou et stupide pour cela – elle l'aurait tôt ou tard, son opportunité, et ce jour-là, elle ne se priverait pas de ricaner aussi diaboliquement que possible.
Cassiopeia avait toujours eu tendance à effrayer ses condisciples quand elle était hilare, et elle avait soigneusement pratiqué en face de la vanité dans sa chambre pour perfectionner l'effet. Elle était fière de son ricanement, elle avait travaillé dessus – c'était naturel d'être fier de votre travail acharné, surtout quand vous pouviez admirer l'effet que cela laissait sur autrui.
Cependant, la sorcière âgée n'avait guère envie de rire alors que les gobelins lui présentaient la bague des Peverell, purgée des ambitions d'un sot sans aucun respect pour la culture ancestrale de ses ancêtres maternels.
On aurait pu croire que les cupides nabots bondiraient à pieds joints sur l'occasion de s'emparer de l'artefact, puisqu'il n'existait plus de Maison Peverell en état de réclamer le retour de leur bien, le nom éteint et les descendants si éparpillés et absorbés par d'autres lignées qu'ils ignoraient entièrement leurs propres droits. Mais apparemment, les gobelins avaient leurs limites.
Et la bague des Peverell les poussaient presque à mouiller de terreur leurs pantalons.
« Cette bague est tout aussi pervertie que l'abomination dont nous l'avons purgée » insistait le plus vieux des gobelins présents, une créature encore plus décharnée, fripée et blême que le reste de ses semblables, un de leurs plus grand experts bijoutiers d'après ce qu'elle avait compris.
Vu les expressions des autres gobelins, plus d'un approuvait le point de vue. Mais la nécromancie n'avait jamais été populaire, après tout, et cela car cette branche particulière de la magie allait à l'encontre même de la nature du vivant. Et que les gens fussent moldus, sorciers, gobelins, elfes de maison ou centaures, ils étaient tous vivants.
Ce n'était pas un hasard si le nom des Peverell faisait quasi figure de croque mitaine pour les très rares qui l'avaient entendu, et ce n'était sans doute pas un hasard non plus que la famille se fusse éteinte avec une telle rapidité – personne ne voudrait leur permettre de survivre, et pour cela n'importe quel moyen était bon.
Si les gobelins n'étaient pas convaincus que les objets étaient plus dignes de préservation que les vies, ils auraient vraisemblablement jeté la bague dans l'un de leurs propres fourneaux. Et si Cassiopeia avait été une personne rationnelle et raisonnable, elle aurait demandé à ce que la bague fusse abandonnée dans l'un des coffres les plus oubliés, les plus surveillés de Gringotts.
Mais Cassiopeia appartenait à la Noble et Très Ancienne Maison de Black, ce qui signifiait que le bon sens n'était pas fort en elle – ce qui ne la souciait nullement. Elle se serait sans doute ennuyée à mourir si elle était née dans une autre famille, privée de tant d'instants irremplaçables de son existence.
Un jour, elle serait forcée de ralentir, mais ce n'était pas ce jour alors qu'elle quittait Gringotts pour sa demeure, dans son sac une boîte où reposait la bague des Peverell prête à être examinée dans son laboratoire privé. Elle se sentait encore trop curieuse, elle avait encore trop de travail à accomplir.
Et puis, elle avait toujours juré qu'elle ne mourrait pas avant Artie, rien que pour le faire enrager – dans leur jeunesse, son cher cousin avait constamment proclamé que les tendances casse-cou de Cassiopeia la tueraient précocement, et qu'il ferait un discours bien humiliant lors de son enterrement, ce à quoi la sorcière avait riposté que ce serait elle qui ne manquerait pas de trinquer lorsque le cercueil de son exaspérant chef de famille serait couvert de terre.
Bon, elle le suivrait sans doute très vite – un mélange de vieillesse et de frustration d'avoir perdu sa meilleure cible pour ce qui était d'enquiquiner quelqu'un, elle parierait gros là-dessus – mais elle aurait gagné et c'était l'important.
Un vrai Serpentard n'avait honte de rien dès qu'il s'agissait de remporter la victoire. Et s'il ne pouvait pas gagner, au moins n'aurait-il pas honte de ne pas avoir perdu – tout pouvait être pardonné, mais pas de perdre.
Ce misérable Jedusor allait perdre, et perdre spectaculairement, il n'y avait pas d'autre issue pour lui. Il avait perdu dès l'instant où il avait décidé de recourir à des rituels si monstrueux que n'importe qui se rebellerait d'apprendre leur existence, peu importe à quel point il les terrorisait avant ou après. Il avait perdu dès l'instant où il avait décidé que ce serait une excellente idée de faire de la Maison de Black ses ennemis.
Un Black n'avait aucun remords, aucune hésitation quand il fallait pulvériser l'ennemi en si petits morceaux que les fragments avoisinaient la taille de grains de sable.
Bien entendu, un Black n'avait pas non plus de remords ou d'hésitation quand il s'agissait d'exploiter sa famille, et Cassiopeia avait une idée pour ce qui était d'explorer les pouvoirs de la bague des Peverell.
Ça tombait bien, elle prévoyait de visiter la charmante Bethany ce week-end.
