Le deuxième été de Bethany sur la Côte d'Azur s'annonçait tout aussi odieusement, insoutenablement chaud et étouffant que le précédent, pour son plus grand désarroi et énervement – rien de tel que la chaleur pour vous faire bouillir le tempérament et transformer la plus tolérante des âmes en diablesse, et l'ancienne diplômée de Poufsouffle ne se voilait certainement pas la face, elle était loin d'être une sainte même avant de finir mariée à un Black et de permettre à sa belle-famille de lui déteindre dessus.

Histoire d'empirer encore davantage le désastre, les bébés – plus si petits que cela à bientôt un an et demi, babillant au point de saouler quiconque leur gardait l'œil dessus et courant dans la pièce à côté d'une démarche trébuchante dès qu'ils croyaient leurs parents occupés ailleurs – avaient également pris le thermostat en grippe. Les jumeaux disposaient à présent de plusieurs moyens pour manifester bruyamment et furieusement combien ils détestaient les gouttes de sueur s'obstinant à perler sous leurs habits de lin – supposé être plus aéré mais va te faire fiche, Bethany persistait à cuire à petit feu peu importe la façon dont elle s'habillait et pareil pour ses gosses, Reggie ne voulait rien dire quand à lui parce qu'il avait la dignité chevillée au corps et croyait que se plaindre pour une raison grande ou petite serait une faute de goût irréparable, tant pis s'il n'y avait que sa famille dans les parages pour lui reprocher l'écart.

L'ennui avec les bambins d'un an et demi environ, c'était qu'ils n' avaient pas encore atteint le stade où ils prenaient conscience de la douloureuse vérité concernant le monde, à savoir que celui-ci ne tournait pas autour de leur adorable petite bouille. Bon, ça les poussait à piquer des crises et des caprices abominables, mais leur cerveau et leur psyché demeurait suffisamment développé pour intégrer le traumatisme et leur permettre plus tard de cultiver un zeste minimum de patience et de fatalisme.

Terry et Tally n'aimaient pas, mais alors pas du tout le climat estival de la Côte d'Azur, ils voulaient que le climat en question se fasse plus frais et supportable, et comme le climat susmentionné ne daignait même pas entendre leurs exigences, les jumeaux avaient décidé de se décharger de leur mauvaise humeur sur leur entourage.

Si Terry était le plus ouvertement destructeur, probablement parce qu'il était un garçon et donc naturellement enclin à déchirer les rideaux, pousser les pots de fleurs du balcon et se planter au beau milieu du salon pour faire profiter la pauvre tante Lulu de ses hurlements de goret se vidant de son sang alors qu'il pend au dessus de la cuve à boudin, Tally se montrait plus retorse en se vautrant de tout son poids sur les pieds de son père pour l'empêcher de se lever du canapé, buvant les verres de limonade froide préparée par Casimir à l'intention de sa mère et répandant son vomi sur les murs et les tapis quand la moiteur s'avérait trop pour son petit corps, ce qui était hélas trop fréquent pour la maisonnée.

D'accord, il aurait été possible d'empêcher ces débordements en lançant des sorts de climatisation sur la chambre d'enfants avant d'enfermer les jumeaux à l'intérieur, mais Bethany ne pouvait pas s'empêcher de considérer que ça risquait d'encourager des habitudes frôlant la maltraitance sur mineur à l'avenir, quand on avait le pied dans la porte, c'était facile de dégringoler toujours plus bas, elle avait entendu trop de bribes et d'indices sur les déboires au boulot de tante Amélia pour croire que les gens naissaient mauvais ; à de très rares exceptions, il s'agissait d'une lente progression et pour empêcher cela, de saines habitudes étaient absolument incontournables.

Aussi, la seule fois où tante Lulu avait craqué et tenté le coup, l'un des jumeaux avait eu un accès de magie accidentelle et réussi à déverrouiller la porte. Il avait fallu un quart d'heure pour apprendre l'évasion et rattraper les bambins n'avait pas été une partie de plaisir, vexés comme ils l'étaient d'avoir été mis au coin pour des raisons qui leur échappaient.

Bethany s'efforçait réellement de faire montre de patience et de compassion, elle était une maman désormais, c'était supposé lui venir naturellement mais si la maternité venait avec un mode d'emploi et un assortiment de conseils, le facteur avait dû se perdre en route parce que la jeune femme blonde se surprenait à se demander machinalement combien de force pouvait être appliquée dans une gifle avant de commettre des dégâts irréversibles, ou pendant combien de temps il fallait secouer son marmot pour l'assommer sans le rendre crétin pour le restant de ses jours.

C'était horrible, et Reggie était incapable de la consoler en dépit d'être coincé dans le même bateau qu'elle.

« Je me rappelle mon père utiliser la cravache sur mon frère quand Sirius poussait le bouchon un peu trop loin avec ses insultes envers l'idéologie familiale » déclara-t-il non sans morosité et nostalgie, mélange pour le moins décapant. « Et tu sais quoi ? Je me demande si le type qui lui a vendu la cravache livre par hibou, parce que je lui passerais bien commande. »

« Ils n'ont pas encore deux ans » gémit Bethany au bord des larmes. « On ne peut pas les fouetter, ce serait monstrueux ! Et on les tuerait ! »

« Au rythme où vont les événements, c'est nous qui allons mourir » décréta lugubrement le jeune homme, arborant le regard vide des damnés. « Si ce n'est maintenant, ce sera quand ils feront leur crise d'adolescence. »

La perspective de jumeaux presque adultes, en mesure d'utiliser leur magie et leur vocabulaire de manière rationnelle afin de ruiner complètement la vie de leurs géniteurs, avait suffi à faire éclater Bethany en sanglots convulsifs pendant trois bons quarts d'heure, et ce en dépit des efforts louables de son mari et de Melania pour la consoler.

Décidément, grand-maman Melania était un trésor, il aurait fallu inventer la femme si celle-ci n'était pas venue au monde de la manière usuelle. Elle ne râlait jamais quand sa fille ou son petit-fils la contactait via la cheminée pour une nouvelle crise, et peut-être qu'elle ne tenait pas toujours de solution adéquate au problème du moment mais dans tous les cas elle venait, et elle tenait compagnie jusqu'à ce que le bazar crève de sa belle mort.

« Je suis trop vieille pour me plaindre quand on me dérange » clamait-elle chaque fois qu'on cherchait à s'excuser de l'avoir incommodée. « Et puis, c'est gentil de me faire tellement confiance, je me sens tellement moins gâteuse. »

« Le jour où tu deviendras gâteuse, Maman, je n'aurais plus qu'à entrer comme pensionnaire permanente dans l'aile gériatrique de Saint Lazare » avait soupiré tante Lulu la première fois. « Ou peut-être que j'irais à l'Institut Perenelle Flamel ? Vu leur illustre mécène, ils s'y connaissent pour ce qui est de traiter les affections du vieillissement... »

« Mon doudou, je t'ai dit mille fois que les traitements médicaux, ce n'est pas comme les salons de mode. Si tu persistes à ne pas prendre soin de toi correctement, tu t'en mordras les doigts plus que tu ne le fais déjà. »

« Je suis l'âme personnifiée du ménagement ! » s'était récriée l'ancienne épouse de diplomate. « Je prends toutes mes potions et mes pilules, et je ne m'agite pas dans tous les sens alors qu'il fait une chaleur à tomber ! »

Il était vrai que Lucretia laissait le soin de discipliner les jumeaux à l'elfe de maison et à leurs parents, sous prétexte que sa santé n'était plus assez bonne pour qu'elle se permette ce type de stress. Prétexte tout à fait véridique et excellent.

Ce qui n'empêchait pas Bethany de lui en vouloir un tout petit peu quand même.