Lorsque vint le 31 octobre 1981, personne dans la famille Black, que ce fusse en Grande-Bretagne ou de l'autre côté de la Manche, ne se doutait de l'importance que prendrait cette journée particulière à l'avenir.

Bien entendu, ils avaient tous conscience que ce serait une journée à ne pas prendre à la légère, mais pour des raisons nettement plus traditionnelles, pour le pouvoir attaché à la nuit qui séparait octobre de novembre depuis l'époque des anciens Celtes avant les invasions romaines.

Les Moldus n'en avaient aucunement conscience, bien entendu – pour eux, il s'agissait tout bêtement d'Halloween, l'opportunité de déguiser les enfants avec du maquillage vert ou des ailes de papillons roses avant d'aller frapper à la porte du voisin pour réclamer des chocolats et autres bonbons.

« Veux-tu que je te dise ? » avait soupiré tant Lulu, arborant sa mine la plus consternée. « Quand on voit ce que l'Amérique a fait de Samhain, je pense que ce n'est pas une si mauvaise chose pour la France de refuser de se prêter au jeu sous prétexte qu'il s'agit d'impérialisme culturel. Absolument aucun respect pour le vrai sens des festivités ! »

Pour sa part, Bethany se considérait nettement échaudée en ce qui concernait les jours sacrés rythmant les saisons et l'année, mais elle devait donner raison à la vieille dame : quand vous saviez ce que les costumes, le porte-à-porte et les espiègleries symbolisaient, et bien ça causait une sacrée dissonance cognitive de voir quelqu'un d'autre prétendre que ce n'était là que pour s'amuser.

Enfin, ça ne concernait pas tellement la jeune femme blonde, vu que la France ne célébrait pas Samhain ou plutôt Halloween afin de préserver leur propre identité culturelle – en passant, les Français continueraient sans doute de refuser s'ils apprenaient que Samhain était d'origine britannique et non américaine, à ce stade de l'Histoire l'hostilité entre le continent et les îles était une tradition en soi – et ses propres enfants étaient trop jeunes pour vouloir participer, tante Lulu et Melania étaient trop vieilles et de santé trop délicate, et Reggie partageait son opinion quant à la chose.

Certes, Samhain était la nuit où le voile séparant les vivants des morts se levait, mais pourquoi ses parents et ses petits frères chercheraient-ils à visiter Bethany ? Les connaissant, ils étaient en paix, et la perspective de les revoir seulement pour être contrainte de les laisser repartir une fois l'aube venue… la diplômée de Poufsouffle n'était pas assez forte pour affronter cette épreuve.

Elle ne pensait pas qu'elle le deviendrait un jour, peu importe combien d'années elle verrait défiler.

Dans le Royaume-Uni, le 31 octobre s'annonçait une journée tendue, apparemment – le détraqué qui voulait renverser le gouvernement afin de s'imposer comme l'autorité suprême tendait à organiser des rituels afin de renforcer son pouvoir. C'était aussi une question de prestige et de politique, avait confessé Reggie, beaucoup de ses fidèles appartenaient à des lignées très attachées à leurs traditions et s'il n'avait même pas essayé de respecter les coutumes qu'il prétendait vouloir sauver de l'anéantissement, cela aurait porté un coup non-négligeable à sa crédibilité.

En conséquence, les festivités usuelles – pas juste Samhain, il y avait également Imbolc, Lammas, Beltane et le reste – commençaient à gagner une réputation assez négative parmi la populace sorcière en générale, en grande partie constituée de sang-mêlés et de nés-Moldus, lesquels se faisaient pourchasser et torturer, voire carrément sacrifier par les Mangemorts à ces occasions. S'il y avait une bonne raison de détester une fête, c'était indiscutablement celle-là, il aurait fallu être désespérément obtus pour prétendre autre chose.

Arcturus Black, en sa qualité de patriarche de l'une des plus anciennes et des plus profondément Sombres familles qui avaient survécu jusque dans les temps modernes, n'appréciait mais alors pas du tout la direction dans laquelle soufflait le vent et avait décidé de passer le 31 octobre et le 1er novembre dans les chambres du Magenmagot afin de pouvoir exprimer son opinion quand quelqu'un se déciderait à commettre une sottise qui pousserait la piétaille à prendre un parti extrême, selon ses propres termes.

Bethany l'avait remarqué, ce quand employé à la place d'un si, l'indicateur formel que la situation s'était dégradée à tel point qu'il se produirait forcément une catastrophe pendant ces deux jours et cette nuit. Elle priait seulement pour que la catastrophe en question épargne ce qui restait des Bones et les rares Black qu'elle jugeait suffisamment tolérables pour ne pas mériter d'être pendus haut et court sans aucun procès.

Sa prière devait s'exaucer de manière assez inattendue. En fait, jamais la jeune femme n'aurait pu deviner la solution de l'énigme si on lui avait demandé ce qui allait arriver de douloureusement mémorable, la nuit d'Halloween 1981.

Lorsque ça se produisit, Bethany n'en sut rien. Comment aurait-elle pu, alors qu'elle dormait à poings fermés de l'autre côté de la Manche, sur les rives de la Méditerranée ? Ce ne fut qu'au moment où elle descendit prendre le petit-déjeuner, un gamin sous chaque bras, qu'elle se rendit compte que son mari tirait une mine indéfinissable et que tante Lulu paraissait, pour une fois, avoir perdu les mots sous l'effet de la sidération absolue.

« Y aurait-il un problème ? »

Reggie tourna vers sa femme des yeux gris, un gris de tempête qui hésitait à se dissiper ou à permettre à ses lourds nuages de répandre des gouttes drues et lourdes sur la terre en-dessous.

« Le Seigneur des Ténèbres a été anéanti » lâcha-t-il et d'accord, en fait d'information, c'était réellement déroutant, surtout parce que ça tombait sans prévenir.

Un cheveu dans la soupe, ou serait-ce un cadavre ? Pensée des plus morbides et certainement pas indiquée quand on venait à peine de se lever et qu'on tenait ses deux bambins sur les hanches, aussi Bethany s'empressa-t-elle de confier Terry et Tally aux bons soins de Casimir et de s'asseoir.

« Qui ? » interrogea-t-elle sans perdre de temps.

Rien de plus brûlant que cela, apprendre qui avait déniché l'opportunité ou le pouvoir de tuer un homme qui, bien que complètement cinglé, n'en restait pas moins terriblement doué pour ce qui était de se défendre et de massacrer n'importe qui en travers de sa route.

Tante Lulu fronça le nez.

« Le bébé des Potter » dit-elle, vaguement confuse, n'en croyant de toute évidence pas ses propres oreilles et s'attirant un roulement d'yeux exaspéré de la part de Reggie.

« Parie plutôt sur Evans » déclara le jeune homme, « elle n'a jamais voulu se laisser faire à l'école, pourquoi elle n'irait pas dire merde au dernier mage noir ayant opté pour la conquête du Royaume-Uni en date ? »

« Evans » répéta Bethany. « Lily Evans. Rousse ? Née-Moldue ? Mariée à ce fanfaron de James Potter ? »

Reggie se mordilla la lèvre inférieure.

« … Elle et Potter sont morts, maintenant. Le Seigneur des Ténèbres a dû vouloir faire un exemple, il s'est rendu chez eux… Seulement, rien n'a tourné comme il devait s'y attendre, le gamin Potter a été retrouvé plus ou moins intact dans les ruines de la maison, lui semble avoir été désintégré sans laisser de traces en dehors de ses robes et de ses chaussures, et tout le monde en Angleterre et en Irlande est en train de courir dans tous les sens, à chercher des explications. »

Tante Lulu poussa un petit gloussement qui sonnait comme un sanglot, lorgnant l'intérieur de sa tasse de thé avec l'œil d'un ivrogne en quête de vodka ou de whisky si puissant que les vapeurs suffiraient à décoller le papier peint.

Bethany songea à lui demander de partager un doigt de liqueur avec elle. Tant pis si c'était le petit matin, quand le monde décidait de marcher à l'envers, vous ne pouviez pas demander aux gens de s'y adapter sans un remontant.

Même si c'était pour marcher droit, enfin.