Arcturus s'était préparé à ce que le Samhain de l'année 1981 s'avère épuisant pour ses nerfs, mais il ne s'attendait certes pas au pur chaos qui se déchaînerait une fois la nuit passée.
Remarque, le patriarche Black doutait furieusement que qui que ce soit en Grande-Bretagne, sorcier ou moldu ou même cracmol, d'affiliation Claire ou Sombre ou Grise, membre du Magenmagot ou humble employé de boutique, se soit attendu à une pareille déconfiture.
C'était surtout les partisans de ce soi-disant Lord Voldemort qui tiraient la plus triste mine, évidemment. Le problème des mouvements centrés sur un leader charismatique était leur tendance à s'effondrer tel un château de cartes une fois la personnalité imposante neutralisée, le cerveau des fidèles ayant perdu l'habitude de penser par lui-même et se retrouvant piteusement à la dérive alors qu'il s'efforçait de reprendre pied et d'éviter la noyade.
Lucius Malefoy avait d'ores et déjà proclamé qu'il avait agi sous le coup du Sortilège de l'Imperium – un alibi qui se tenait à peu près, cette famille préférait se montrer discrète dans ses opinions politiques et évitait les actions risquant de les compromettre ouvertement. Si un témoin ne venait pas se présenter et accuser carrément Malefoy d'avoir joui de son libre-arbitre pour le torturer ou massacrer sa famille, les charges contre l'homme blond se borneraient probablement à l'accuser de servir de soutien financier et d'abri pour un groupe terroriste. Peu glorieux mais rien qu'une lourde amende ne pouvait compenser, peut-être accompagnée d'un zeste d'ostracisme social pendant une demi-douzaine d'années.
Évidemment, d'autres n'avaient pas eu cette sagacité et prudence, et Arcturus ne vouait pas sa nièce aux Enfers seulement parce qu'il était trop épuisé par sa journée passée au Ministère, entouré d'une foule courant dans tous les sens et braillant sur tous les tons, pour ce faire. Certes, Bellatrix n'était plus officiellement une Black depuis son mariage dans la famille Lestrange, mais cela n'empêcherait pas les roturiers de pointer la Noble et Très Ancienne Maison dirigée par Arcturus du doigt et de murmurer qu'il fallait s'y attendre, cette lignée produisait un sorcier ou une sorcière problématique à chaque génération, quand les fondations sont pourries inutile de se donner la peine de dissimuler les dégâts en repeignant la maison à neuf.
Le vieil homme pouvait déjà les entendre, et cela n'arrangeait en rien son état de fatigue et d'accablement actuel.
Et puis, parce que la situation pouvait dégringoler toujours plus bas en dépit de vos attentes et de votre consternation, Sirius avait décidé de commettre un massacre dans une rue Moldue. Arcturus aurait voulu pouvoir être surpris, mais… il ne l'était pas. Loin de là.
Le jeune ingrat qui autrefois avait été l'aîné de ses petit-fils avait démontré dès seize ans qu'il était capable de tuer quelqu'un. Un meurtre parfaitement stupide, commis sous le coup d'une impulsion, sans couvrir ses bases et se demander comment s'en sortir après coup, un crime conçu par un cerveau Gryffondor en vérité. Si le garçon Rogue avait été dévoré par le loup-garou, la créature aurait aussitôt été abattue par le Ministère pour avoir goûté au sang humain et Sirius aurait perdu son jouet, sans compter l'attention très négative que cela aurait attiré sur Poudlard et Dumbledore – personnellement, Arcturus aurait considéré ce dernier point comme un argument en faveur de la mort du garçon Rogue, mais son jeune nigaud de petit-fils avait des affiliations politiques très différentes des siennes et l'aurait indiscutablement vécu comme une tragédie.
En plus du sang chaud et imprudent de Sirius, le jeune nigaud avait passé plusieurs années à mener une guérilla – Arcturus avait entendu Cassiopeia lui raconter ses voyages en Europe où elle avait croisé des vétérans de la guerre contre Grindelwald, il avait entendu Lucretia lui raconter qu'elle avait suivi son mari ambassadeur en Asie et en Afrique et au Proche-Orient où des conflits éclataient régulièrement pour des motifs plus ou moins ridicules, et il était familier avec plusieurs Aurors et briseurs de maléfices qui avaient vu tant d'horreurs pendant leurs carrières et failli perdre la vie tant de fois qu'ils avaient pris l'habitude de lancer un maléfice d'abord et de poser les questions ensuite.
Quand un sorcier habitué au combat craquait, ce n'était jamais beau. En fin de compte, Sirius s'était montré étonnamment rationné en ne massacrant que treize personnes – parmi lesquelles douze Moldus, qui comptaient à peine, comment voulez-vous qu'un Moldu se défende correctement, surtout maintenant que le port d'armes avait été interdit ? Quand le propre père d'Arcturus était jeune, même les paysans savaient utiliser un couteau ou une dague sans fondre en larmes parce qu'ils venaient de s'entamer la paume ! Ce n'était pourtant pas compliqué, de fourrer le bout pointu de la lame dans votre adversaire !
Enfin, inutile de se lamenter maintenant que le chat s'était glissé dans la cage aux lutins, il s'agissait de nettoyer le sang de son mieux et de flanquer une raclée au matou dans le vain espoir que celui-ci s'abstienne de rejouer l'aventure à l'avenir, allez donc apprendre à un félin à ne pas en faire selon son bon plaisir. C'était pour cela qu'Arcturus préférait les chiens, ils incarnaient la loyauté dotée de quatre pattes et d'un manteau de fourrure, suivant les ordres de leur maître par-dessus tout et cela sans jamais se plaindre. Quand on y réfléchissait, le chien était l'esclave parfait, en vérité.
Arcturus n'avait pas demandé à savoir où la brigade d'élite des tireurs de baguette magique avait emporté Sirius. Et d'une, il avait déjà trop à faire, et de deux, le jeune gueux avait signifié très clairement qu'il ne désirait plus aucune affiliation avec la Noble et Très Ancienne Maison de Black alors le patriarche n'allait certainement pas venir le tirer du pétrin où il s'était fourré tout seul. Peut-être bien que ça lui collerait un peu de plomb dans la cervelle et lui apprendrait que les actions mal préméditées revenaient vous rentrer dans les dents.
Enfin, c'était si Dumbledore ne venait pas récupérer Sirius des cellules de détention provisoire ou de Sainte Mangouste – vu les antécédents familiaux et le possible traumatisme causé par les combats prolongés, il était tout à fait possible que le garçon soit traîné dans l'aile de haute sécurité de l'hôpital – le grand défenseur de la Lumière tenait à ses pions politiques en partie parce qu'il était indécrottablement sentimental, en partie parce qu'il aimait à se présenter comme un homme tolérant et miséricordieux et sa réputation l'empêcherait donc de permettre à son subordonné de recevoir un châtiment justement mérité.
Non, Arcturus n'avait aucunement besoin de se préoccuper du devenir de Sirius, le jeune gueux qui avait entièrement renoncé à ses liens de sang au point qu'il avait refusé d'assister à l'enterrement d'Orion, ce fils ingrat. La Lumière pouvait crier au scandale tant qu'elle voulait, le patriarche Black serait pleinement satisfait de se concentrer sur le second de ses petit-fils et sur ses arrière-petit-enfants.
La famille de Regulus devrait pouvoir revenir en Grande-Bretagne une fois le chaos apaisé, maintenant qu'il n'y avait plus de risque qu'un mage noir assez dément pour mutiler son âme vienne les pourchasser en personne. Enfin, il faudrait que Lucretia accepte de les laisser partir – c'était qu'elle adorait gâter les nouveaux petits ajoutés à la famille, la pauvre chérie, et qu'elle adorait le fait que tout le monde utilise les petits comme prétexte afin de visiter sa demeure sur la Côte d'Azur. Elle avait toujours été un papillon social.
Peut-être devrait-il attendre qu'elle soit morte avant de rappeler Regulus, sa femme et ses enfants en Angleterre ? Si Arcturus parvenait à survivre à Lucretia, et ce n'était pas du tout garanti – vu l'emploi récent qu'il avait fait de la magie noire afin de détruire le médaillon de Serpentard, tandis que les excès de sa fille remontaient à sa jeunesse.
Tel était le défaut de la passion, elle vous consumait vite.
