« Cassie » laissa platement tomber le patriarche Black. « Qu'est-ce que c'est que ça ? »

« Quel manque d'égards » lança la vieille sorcière d'un ton léger. « Tu vois bien que c'est un bébé, pas un objet ou un elfe de maison. À moins qu'il ne te faille un pince-nez pour plus que la lecture ? »

« Je le vois bien que c'est un bébé ! Ce que je te demande, c'est pourquoi le fils nouveau-né de l'Héritier Lestrange se trouve actuellement sous mon toit ! »

Arcturus aurait nettement préféré hurler ces deux phrases mais s'abstint. Premièrement parce que hurler était un signe de vulgarité et de perte de contrôle ; personne ne respecte quelqu'un qui braille, tandis que tout le monde tend l'oreille afin d'écouter un murmure. Deuxièmement parce que le bambin somnolait, allongé sur le sofa et soigneusement emmitouflé pour ne pas gigoter et dégringoler par terre, et il était hors de question de le réveiller – un marmot privé de son content de sommeil ne se gênait pas pour exprimer vocalement son mécontentement, et un marmot occupé à faire la sieste ne cassait rien ni ne harcelait les adultes présents dans la maison.

Le patriarche Black ne détestait pas les enfants, mais il abominait le bruit et le désordre. De fait, il préférait rencontrer des enfants assez vieux ou intelligents pour rester assis sans se tortiller comme s'ils avaient des vers dans le croupion – hélas, certains n'arrivaient jamais à ce stade même une fois passé le cap des trente ans.

Cassiopeia tapota l'extrémité de son porte-cigarette en ivoire du bout de sa baguette avant de le porter à ses lèvres et d'inspirer une longue bouffée qu'elle autorisa à s'échapper par ses narines, en un filet bleuâtre à peine perceptible à l'œil nu.

« Tu dois avoir conscience que notre chère Bella, son mari et son beau-frère n'ont plus guère de temps à passer en liberté » déclara-t-elle.

Arcturus haussa un sourcil, comme si sa cousine lui apprenait quoi que ce soit. C'était basiquement placer le nez au milieu de la figure : Bellatrix n'avait jamais été discrète, et maintenant des témoins traumatisés et avides de revanche se bousculaient devant les portes du Ministère afin de réclamer justice pour leurs mutilations et leurs proches traumatisés ou assassinés.

Personne ne la croirait si elle tentait de suivre l'exemple de Lucius Malefoy et de se prétendre une malheureuse victime de l'Imperium – comme si une fille de la Maison Black serait assez faible par le mental et la volonté pour permettre à un étranger de lui dicter ses actions. Non, Bellatrix avait commis des atrocités parce qu'elle l'avait voulu, et à présent venait la facture sous la forme des Aurors et la promesse d'une cellule à Azkaban.

Rien ni personne ne la sauverait, même pas sa parenté avec les Black. Elle avait prouvé qu'elle était un danger pour sa propre famille quand elle avait attenté à la vie du petit-fils d'Arcturus et de sa jeune épouse enceinte, qu'elle avait été complice dans la mort du fils d'Arcturus. Elle ne recevrait aucune aide du patriarche Black.

« Bon débarras » se borna-t-il à proférer.

Cassiopeia émit un reniflement amusé, son index tapotant son fume-cigarette.

« Ce n'est pas moi qui dirait le contraire. Mais cela prive le petit Rigel de ses éducateurs, à moins que tu ne souhaites voir un enfant grandir dans une cellule de prison, entouré de Détraqueurs. J'ai ce curieux pressentiment que cela ne produirait pas un être humain entièrement équilibré et apte à la vie en société, mais je peux me tromper... »

« Et son grand-père paternel ? » la coupa Arcturus. « Aux dernières nouvelles, Romulus Lestrange était loin d'être mort. A-t-il seulement consenti à ce que tu dérobes le marmot supposé lui succéder, surtout maintenant qu'il va perdre son Héritier direct ? »

« Romulus Lestrange n'a même pas remarqué que ses fils s'adonnaient au terrorisme sous son propre toit, ce vieil imbécile bouffi de suffisance » rétorqua la sorcière qui ne s'était jamais mariée parce qu'elle avait traumatisé chaque prétendant assez courageux ou idiot pour lui conter fleurette. « Puisqu'il souffre de gâtisme, il ne se rappellera probablement même pas qu'il a un petit-fils ! »

« Cassie » feula le patriarche Black, une migraine menaçant jovialement de s'installer derrière son sourcil gauche.

Son exaspérante cousine lui adressa un regard candide, auquel il ne manquait que la bouteille vide en main et les lèvres rougies par le vin spécialement exporté de Bordeaux.

« Sérieusement, Artie. Il aura bien assez à faire d'ici quelques jours, je n'ai pas exactement croisé Bella quand je suis allé récupérer mon cher filleul, mais son beau-frère était tellement nerveux qu'elle s'apprête sans doute à commettre une bêtise faramineuse très prochainement... »

« Tu es sûre que ce n'était pas simplement ta proximité ? »

Cassiopeia pouffa – un son étonnamment jeune, très étrange à entendre sortir des lèvres flétries d'une femme ayant des petit-neveux et habillée en veuve de la période Victorienne.

« Je l'aurais su, voyons. Une femme remarque l'effet qu'elle impose aux mâles alentours, et laisse-moi te le dire, c'est tellement plus flatteur qu'un bouquet de roses ou des chocolats fourrés. »

Le patriarche Black voulait signaler à sa cousine qu'il existait une différence marquée entre éros et thanatos, et qu'inspirer à autrui l'envie de s'enfuir en hurlant n'était généralement pas bon signe. Au bout du compte, il décida d'abandonner l'entreprise – il avait perdu le fil du nombre de fois où il avait déjà essayé, mais il soupçonnait que celui-ci se trouvait quelque part dans les sept cents.

Un soupir s'éleva du canapé, le bambin plissant le front sous ses frisettes noires héritées de sa mère comme s'il allait se réveiller, seulement pour se calmer et replonger dans les eaux profondes du sommeil.

« Cassie. »

« Oui ? »

« Tu n'as pas l'intention de t'occuper de cet enfant, n'est-ce pas ? »

Arcturus ne savait toujours pas comment il avait survécu à sa cousine plus ou moins sain d'esprit, et il avait coupablement apprécié de la voir demeurer vieille fille puisque cela signifiait qu'elle ne pouvait pas engendrer un rejeton potentiellement pire qu'elle. La perspective de Cassiopeia élevant le fils de Bellatrix, qui était presque aussi folle que Cassie mais ne l'exprimait pas exactement pareil…

Non. Il ne voulait pas penser à cela. Le Royaume-Uni serait rayé de la carte dans une quinzaine d'années – voire un morceau notable de l'Europe.

Par bonheur pour ses artères – à son âge, les anévrismes se formaient facilement – Cassiopeia grimaça dès qu'elle entendit la question.

« Moi, changer des couches et essuyer le vomi alors que notre neveu se chargera joyeusement de la besogne ? »

« Nous avons des elfes de maison pour les corvées ménagères » pointa Arcturus qui ne pouvait pas s'empêcher de la corriger. « Et as-tu seulement demandé à Regulus ce qu'il pensait de se retrouver avec l'enfant de Bellatrix sur les bras ? »

« Pas besoin » décréta sa cousine en agitant théâtralement son fume-cigarette, dessinant des zigzags bleutés dans l'air. « Sa petite femme avait toujours la mine si scandalisée quand je parlais de la grossesse de Bella devant elle, elle s'émiettera comme du pain dans la soupe dès que je lui mettrais le gosse sous le nez. Et puis, ses propres enfants auront un petit frère sans qu'elle soit obligée de retomber enceinte ! Crois-moi, c'est un argument imparable. »

« Tu n'es jamais tombée enceinte, qu'en sais-tu ? » interrogea le patriarche Black.

« Je sais que j'étais dans la pièce à côté pour la naissance de mes neveux, petit-neveux et nièces. Enfin, sauf pour Narcissa, vu que Druella visitait la Dordogne à l'époque… Alors en dépit de mon manque d'expérience personnelle, je te garantis que l'accouchement est loin d'être agréable. D'ailleurs tu étais là aussi, alors tu n'as aucune excuse, Artie. »

« J'étais présent pour l'accouchement de femmes de ma famille. Pardonne-moi si je n'ai rien entendu, les femmes Black pourraient se briser bras et jambes et elles refuseraient de crier pour ne pas donner au responsable la satisfaction de leur souffrance. »

Cassiopeia tapota l'épaule de son cousin.

« Tu es un amour de reconnaître la faute des hommes dans l'histoire de la reproduction. »