Cette main. Hermione la regarde. À 7h20, elle est déjà là, calée entre Remus et Severus à la grande table, subissant le monologue passionné de Remus sur les bateaux. Ça fait un bon quart d'heure que ça dure, mais elle, elle pense à autre chose. Au fil des années, côtoyant hommes, amis ou amants, Hermione a développé une petite théorie : enfant, ils rêvaient tous d'être pirates, paléontologues, ou cowboys. Elle peut presque les classer comme ça, instinctivement. Remus et Severus, avec leurs airs de ne pas y toucher, des pirates sans aucun doute. Ron et Harry, avec leur besoin constant d'action et de justice, cowboys jusqu'au bout des bottes. Théodore et John, eux, sont du genre à fouiller dans le passé, à chercher des os de dragon dans le jardin, des paléontologues dans l'âme.
Cette classification un peu loufoque, c'est son petit jeu à elle. Elle se demande parfois si elle tient la route ou si c'est juste une de ses idées farfelues. Peut-être qu'elle devrait mener une enquête, lancer un sondage pour voir si sa théorie se vérifie. Après tout, qui ne voudrait pas savoir s'il est un pirate, un paléontologue ou un cowboy ? C'est presque comme lire dans les étoiles, sauf que là, c'est encore plus scientifique.
Mais bon, pour l'instant, elle écoute Remus débattre seul sur la découverte d'une épave dans la manche, elle se demande s'il a déjà envisagé de hisser la voile plutôt que d'enseigner la Défense contre les Forces du Mal. Ou alors de partir sur son navire et de traquer les créature dont les marins parlent. Elle voit bien Remus tout plaquer pour partir à la recherche du kraken ou Léviathan.
Et puis, à sa droite, il y a cette main, d'une blancheur presque irréelle. Des doigts fins, sur lesquels, étrangement, elle n'avait jamais vraiment posé les yeux. Elle se rappelle avoir pensé que les observer manœuvrer des potions était d'un calme absolu. Mais reconnaître leur beauté ? Jamais vraiment. Pas comme Remus, non. Lui, avec ses ongles rongés et les callosités marquant la paume de ses mains.
Ses pensées dérivent, imaginant ce que ces mains pourraient accomplir sur un navire. Elle les voit, lancées dans une quête épique vers l'Atlantide, ou peut-être dans la peau d'un corsaire infatigable au service de la couronne, arraisonnant navires français, espagnols, portugais et hollandais.
Mais, clairement, ces mains ne porteraient pas de perroquet. Ça, c'est plutôt le style de Remus. Qui, soit dit en passant, peut être incroyablement bavard une fois lancé.
« ... et tu savais que tu avais un navire à ton nom ? Et que tu peux le visiter en France ? » Là, Remus attend clairement une réponse, son ton trahissant une pointe d'excitation. Signal d'alarme pour Hermione, qui s'était un peu perdue dans ses réflexions. Elle se ressaisit, se replongeant dans la conversation.
« Hum, oui, il me semble que c'est un bateau français, utilisé pendant la guerre d'indépendance américaine, non ? » Elle répond, essayant de paraître aussi enthousiaste que possible.
« Exactement, il est presque aussi ancien que le HMS Victory. Tu imagines ? J'ai prévu d'emmener Teddy le voir cet été. Ça te dirait de venir avec nous ? » Remus lance l'invitation avec un sourire.
« Oh, bien sûr, pourquoi pas. Je n'ai pas encore prévu quoi que ce soit pour cet été. » Ce qui est vrai. Habituellement, elle passe ses vacances avec ses parents, une tradition instaurée après la guerre et le retour de ses parents d'Australie. C'est leur façon de rattraper le temps perdu, et cela lui permet d'économiser le loyer pendant les deux mois d'été. Techniquement, elle pourrait rester à Poudlard, mais le château, vidé de ses élèves, a un côté mélancolique qu'elle préfère éviter. Et puis, s'échapper de l'enceinte de l'école pendant un temps lui fait le plus grand bien. Dix mois sur douze à Poudlard, c'est déjà bien assez ; changer d'air lui est nécessaire.
L'idée de visiter un navire historique en France pique sa curiosité. Ce serait l'occasion de découvrir un pan de l'histoire, de marcher sur les planches qui ont résisté au temps, d'imaginer les batailles, les voyages. Un détail historique à explorer, un peu de poussière du passé à faire voler. Et puis, partager ce moment avec Remus et Teddy, ça, c'est la cerise sur le gâteau. Pour une fois, les vacances d'été promettent quelque chose de différent. Elle est sûre d'être une paléontologue. Mais peut-être qu'un peu de piraterie lui ferait du bien.
Hermione, paléontologue de cœur, fouille dans le passé. Mais voilà que l'appel du large lui chatouille l'esprit. Un soupçon de piraterie, pourquoi pas ?
Elle malaxe une miette de pain, le regard noyé dans son jus de citrouille, sans le voir. À côté, Remus et John débattent sur la navigation, mais elle, elle flotte ailleurs. Sa tête mixe pirates et citrouille, sans oublier ces doigts fantômes qui dansent dans ses pensées.
Quittant le Ministère, a-t-elle échangé sa pelle contre une épée ? Reste-t-elle chercheuse de fossiles, ou navigue-t-elle vers l'inconnu ? Et cette miette, abandonnée près de sa fourchette, quel drame.
Chaque décision, chaque pas, c'est une nouvelle couche dans son récit. Comme les paléontologues, elle creuse sa propre histoire, couche par couche.
Par moments, Hermione rêve de troquer sa truelle contre une longue vue ou un lasso. Être pirate ou cowboy, juste pour le frisson. La routine de paléontologue, avec ses fossiles et ses théories, ça lasse. Elle s'ennuie de sa propre prévisibilité, de cette constance un peu trop studieuse. Un peu de désordre, d'imprévu, ne lui ferait pas de mal. Oui, un jour chasser des trésors perdus, le lendemain galoper dans les vastes prairies, pourquoi pas ? Un vent d'aventure soufflerait sur sa vie, dispersant la poussière des siècles accumulée.
Là, juste quand elle s'y attend le moins, un effleurement la surprend. C'est le contact d'un doigt, celui de la main pâle, qui vient frôler sa main droite. Un geste accidentel ? Peut-être pas. Son regard balaie la grande salle, où quelques élèves commencent déjà à s'éclipser. Elle-même devrait songer à faire de même; pas de cours avant 10 heures, mais sa salle de classe ne va pas se préparer toute seule.
Cependant, cette main continue son manège sur son petit doigt. Un geste délibéré, sans doute. Severus en mode séducteur, est-ce que ça ressemble à ça ? Une caresse discrète sur l'auriculaire, voilà qui est pour le moins original. Elle n'ose pas croiser son regard, préférant feindre l'ignorance. Et pourtant, quelque part, elle trouve ça mignon, presque puéril. Elle résiste à l'envie de le regarder, fixant plutôt son verre de jus de citrouille, où sa boulette de mie de pain fait désormais naufrage. Le temps semble suspendu, comme arrêté.
Sauf que ce geste, d'abord perçu comme une caresse, prend une autre dimension. On dirait que Severus utilise son doigt pour lui parler en morse. C'est étrange, inattendu, mais inexplicablement intrigant.
Hermione, armée de bases en morse, essaie de décrypter le message que Severus tente apparemment de lui transmettre avec son doigt. Mais rien à faire, c'est du charabia. Puis, cette voix qui la ramène à la réalité.
« Hermione ? » Merde, il lui parle directement maintenant.
« Hum ? » Elle marmonne, son regard cloué sur cette miette de pain devenue soudainement l'objet le plus fascinant du monde. C'est ridicule. Elle a fréquenté des hommes, bon sang.
Mais c'est comme si d'un coup elle n'avait vu que le profil droit de Severus. Elle découvre le gauche. Et elle a peur du gauche. Pourtant rien n'a changé, il a le même œil de l'autre côté, tout est pareil. Ou presque. Mais c'est le presque qui fait peur. Son profil gauche, c'est la terra incognita, et franchement, ça l'effraie un peu. C'est le sentiment de déjà-vu sans pouvoir se rappeler du dénouement. Tout est brumeux.
Pourquoi diable tout le monde les imagine-t-il en couple ? Elle se souvient des rumeurs la liant à Harry pendant leur adolescence, mais jamais ça ne l'a fait flipper comme ça. Pourquoi a-t-elle l'impression de se réveiller avec un sentiment en trop, bousculant tout sur son passage ? On dirait l'effet d'un placebo – ou presque. Est-ce qu'ils flirtent depuis des mois, ou est-ce qu'elle croit le voir à cause de la rumeur ? Ça fausse tout. L'idée même de flirter avec Severus lui traverse l'esprit. Est-ce réel, ou juste un mélange toxique de fatigue, d'hormones, de neurones en surchauffe et de rumeurs qui embrouillent tout ?
Elle pense qu'en l'absence de vérité tangible, elle ne serait pas là, à agir comme une ado de seize ans sous l'effet d'une simple effleurement de Severus sur son petit doigt. Mais elle refuse de mélanger causes et conséquences. Hermione Granger, censée être l'esprit le plus vif de sa génération, future ministre de la Magie selon certains, est-elle en train de perdre la tête à cause d'une stupide rumeur sur une relation inexistante ?
Cette réflexion la tourmente. Elle, habituellement si logique, si maîtresse de ses émotions, se trouve déstabilisée par un geste si mineur. C'est absurde, presque hilarant. Hermione Granger, déconcertée par un effleurement et une rumeur. Quelle ironie ! Elle se prend à rêver d'un univers parallèle où ces considérations seraient aussi simples à résoudre que les énigmes d'Arithmancie. Mais non, les affaires du cœur, ou même les pseudo-vraie-fausse-vrai-peut-être-qui-sait-affaires-de-cœur, c'est apparemment un tout autre niveau de complication.
« Tout va bien ? » Sa voix, bizarrement plus suave qu'à l'accoutumée, fait écho dans la tête d'Hermione. MAUDITE RUMEUR DE MERDE ! Elle perd la boule, et voilà qu'elle va devoir en plus affronter son regard. Génial, mentir à Severus. Et vu qu'il est légilimens, mission impossible de lui cacher son trouble sans éveiller ses soupçons. Heureusement, ses collègues sont plongés dans leurs discussions, pas de public pour ce moment gênant.
Puis, cette sensation, sa main glissant sur son bras, frôlant presque l'intérieur de son avant-bras. C'est intime, non ? Enfin, peut-être pas tant que ça. C'est juste un bras. Mais c'est pas l'épaule non plus. Et bizarrement, elle ne veut pas qu'il retire sa main. Elle ne l'a presque pas vu de toute la semaine, et apparemment, il lui a manqué plus qu'elle ne le croyait. Le contact de sa main sur son bras est étrangement réconfortant.
Elle devrait peut-être s'interroger sur tout ça, parce que Ron et Harry sont souvent tactiles avec elle, et finalement, Severus l'est autant qu'eux. Mais depuis quand Severus est tactile ? Son esprit s'emballe, essayant de trouver une logique là où il n'y en a peut-être pas. Elle peut presque entendre les rouages de son cerveau travailler à plein régime.
C'est un vrai casse-tête. Hermione, habituée à résoudre les problèmes les plus complexes, se retrouve déroutée par la simplicité d'un geste. Un bras touché, et voilà son monde qui bascule. Ridicule, non ? Et pourtant, elle ne peut s'empêcher de se demander pourquoi ce geste de Severus la touche autant. C'est comme si, en son absence, elle avait oublié l'effet que sa simple présence pouvait avoir sur elle.
Voilà où la mène cette foutue rumeur : à douter de tout, même d'un contact qui, dans d'autres circonstances, aurait été anodin. Severus, le pragmatique, le réservé, devenant tactile ? Le monde a dû se renverser. Hermione se retrouve à naviguer en eaux troubles, sans boussole, essayant de discerner le vrai du faux, le réel de l'imaginé. Elle ne veut plus être une pirate !
Elle tourne la tête vers lui et ça recommence elle esquisse, s'immisce, fixe ses iris. S'assure, murmure, mesure ses désirs. Saisit-elle ses secrets, ses soupirs ? Suspendue, elle scrute, suspecte le silence, ses signes. Sens-t-il ses soupçons, ses serments ? Silencieusement, elle s'interroge, se surprend. Sa science des sentiments se heurte, s'éparpille, s'effrite. Sa conscience s'agite, s'interdit de saisir si Severus subit, suggère ou simule.
Plongée dans l'abîme de ses yeux noirs, Hermione tente de déchiffrer l'indéchiffrable. Severus, avec ses prunelles sombres, a toujours été un livre fermé, ses pensées une énigme enveloppée dans le mystère. Avant, cette distance ne la touchait pas directement, ne la concernait pas. Mais maintenant, pour la première fois depuis qu'elle est redevenue une simple adolescente en quête de réponses, elle désire ardemment comprendre ce qui se cache derrière son regard. Elle veut sa validation, et ça la rend incroyablement vulnérable.
Depuis qu'elle est adulte, leur relation a évolué bien au-delà du cadre prof-élève. Ils ont toujours interagi d'égal à égal. Mais là, à cet instant, elle ne se sent pas comme lorsqu'elle était son élève. Ce n'est plus son approbation qu'elle cherche dans le labyrinthe de son regard. Ce qu'elle veut, c'est une confirmation, un signe que la rumeur pourrait avoir un fond de vérité. Hermione, qui pensait être au-dessus de ces considérations futiles, se retrouve à espérer un indice, une preuve dans les yeux de son voisin.
Elle veut s'accrocher à quelque chose, trouver un repère dans ce chaos émotionnel. L'ironie de la situation ne lui échappe pas. Elle, l'esprit logique et rationnel, se retrouve à naviguer dans les eaux troubles des sentiments et des non-dits. La rumeur, qu'elle aurait normalement balayée d'un revers de main, s'est insinuée dans son esprit, créant un tourbillon de questions et de doutes. Elle cherche la vérité dans les yeux de Severus, espérant y trouver les réponses à ses questions, un ancrage dans la tempête. Ô vraiment elle n'espère que ce n'est pas les hormones.
Les yeux de Severus, ne trahissent aucune réponse claire. Ils semblent plutôt refléter une quête, une interrogation non similaire à la sienne. Hermione ressent cette attente comme une éternité, un moment suspendu dans le temps, alors qu'en vérité, depuis sa question, moins d'une minute s'est écoulée. Ce court laps de temps lui paraît étiré, dense et désagréable.
Hermione, malgré l'étrange confort qu'elle trouve dans le contact de Severus, ne peut s'empêcher de maudire son ignorance. Ne pas savoir, pour elle, c'est comme naviguer sans boussole en pleine tempête.
« As-tu de la fièvre ? Le marmot de Lupin était malade hier, tu n'as rien ? » Severus s'inquiète pour sa santé, pensant qu'elle pourrait être malade. Dans un sens, elle l'est, pourrie par ses propres conjectures.
« J'ai juste eu un week-end épuisant, ne t'en fais pas. » Pas un mensonge. Elle détache son regard du sien, fuyant une possible folie dans ses yeux. Les tables se vidant autour d'eux lui offrent une échappatoire parfaite.
Elle se lève, son assiette à peine touchée. L'appétit lui manque.
« Es-tu certaine que tu ne veux pas aller voir Ruby ? » Severus suggère, peut-être est-elle au bord d'une paranoïa aiguë.
Elle s'interroge sur ce changement. Depuis quand Severus, d'habitude si réservé, se montre-t-il si prévenant ? Depuis quelques mois au moins. Est-ce l'effet de la rumeur qui altère son comportement, ou y a-t-il quelque chose de plus profond, quelque chose qu'elle a manqué ? Hermione, l'esprit vif et analytique, se sent désemparée face à ce puzzle émotionnel.
« Je vais passer la voir avant d'aller faire cours, pour être sure » sa propre voix est incertaine. C'est vrai que si elle était effectivement malade ça expliquerait sans doute quelques trucs…
La marche d'Hermione vers la sortie lui paraît interminable. Malgré la tempête intérieure, elle tente de garder la tête haute, de masquer son trouble sous une façade de dignité. Mais alors que des regards curieux d'élèves croisent le sien, son irritation monte d'un cran. Elle se retourne brusquement, constatant que Severus la suit. Ses sourcils se froncent, instinctivement sur la défensive.
« Qu'est-ce que tu veux ? » lance-t-elle, sur la défensive, dès qu'ils sont hors de portée des oreilles indiscrètes.
« Je t'accompagne, tu as l'air... perturbée.
— Mais je t'assure que je vais bien ! » Son déni est presque trop rapide, teinté d'une nervosité palpable.
Severus l'observe comme s'il faisait une autopsie « Tu es agressive, tu regardes dans le vide, tes pupilles sont dilatées, et ces cernes... On dirait que quelqu'un t'a droguée. As-tu prix volontairement quelque chose ?
— Je ne suis pas agressive, et je ne me drogue pas, tu... tu... » Hermione trébuche sur ses mots, la confusion et la frustration s'entremêlant.
« Alors quoi ? Depuis mardi, je ne t'ai pas vue dans ton état normal.
— Eh bien, tu aurais dû être là. Je... Tu ne peux pas comprendre, je réfléchis à autre chose, je...
— Tu t'es remise avec Nott ? Tu deviens sur la défensive, comme cet été. » Severus lance cette question comme une flèche. Pourquoi diable mentionne-t-il Théodore ? Est-ce un signal, une piste à suivre dans ce labyrinthe de non-dits ? Hermione s'interroge, les rouages de son esprit tournant à plein régime. Est-ce possible qu'il soit jaloux ? Non, ridicule. La jalousie et Severus Snape, ça sonne comme un oxymore. En fait non. Elle devient barge. Severus est quelqu'un de très jaloux. C'est un redflag ça. NON MAIS C'EST PAS LE SUJET LÀ ! On se re-concentre. La voix du Serpentard avait une pointe de mécontentement. Mais d'où vient-elle exactement ? De leur échange tendu ou de l'idée qu'elle puisse se remettre avec Théo ? Elle secoue la tête, intérieurement. L'idée de renouer avec Théodore est aussi probable que celle de voir Dumbledore revenir pour un tour de piste. Et puis, Théo est à Prague, loin de Poudlard. Mais cette enquête la mène-t-elle quelque part, ou tourne-t-elle en rond, prisonnière de ses propres suppositions ? En fait est ce que cette rumeur ne serait pas une prophétie auto-réalisatrice ?
« Pourquoi tu parles de Théodore ? » le pouce-t-elle. Elle se retourne vers lui alors qu'il marchait et elle le fixe dans les yeux. Il a vraiment de jolis yeux. Hermione se déteste et enfonce ses ongles dans ses paumes.
Il est insondable comme toujours. Mais il a l'air plus froids que d'habitude. A-t-elle touché quelque chose ou est-elle allée trop loin ? Ils sont à deux pas de l'infirmerie et merlin merci il n'y a personne.
« Tu peux arrêter de m'agresser ? Va voir Ruby, soigne-toi. » grogne-t-il
« Mais je suis calme, bordel de merde ! » Elle explose, hors d'elle, une rareté chez Hermione, surtout envers lui. Severus, surpris, arque un sourcil. Elle ne s'emporte jamais ainsi, du moins pas avec lui. Leur regard se croise, intense. Tout à l'heure, écoutant d'une oreille Lupin et ses histoires de navires, il l'avait vue, perdue dans ses pensées, loin, très loin. Pas juste fatiguée ou distante, mais comme engloutie par une panique silencieuse. Il avait tenté de la ramener à la réalité. D'habitude, leurs matinées sont marquées par le calme, confortable. Mais là, c'était différent. Il aurait cru à l'apparition soudaine de Quirrell et de son troll dans les cachots, vu son air absent.
Elle semblait rêver éveillée, absorbée par quelque chose d'invisible et d'insaisissable. Severus, dans sa tentative de la distraire, avait échoué. Rien à faire, Hermione était ailleurs, complètement perdue. À tel point que même sa magie semblait erratique, animant des miettes de pain et une boule de mie de pain qu'elle malmenait depuis un bon quart d'heure.
Son comportement le déroute. Severus, habitué à lire entre les lignes, à décoder les silences, se trouve désemparé face à cette Hermione qu'il ne reconnaît pas. Qu'est-ce qui peut bien la tourmenter à ce point ? L'idée qu'elle puisse souffrir en silence le pousse à l'inquiétude, une émotion qu'il garde d'ordinaire bien enfouie.
Il voudrait l'aider, trouver les mots justes, ceux qui apaiseraient ses tourments sans jamais lui avouer ce qu'il ressent. Il sait trop bien que ses sentiments ne sont pas partagés. Hermione, femme, brillante, et belle est hors de portée. La leçon apprise avec Lily est gravée dans sa tête: certains rêves sont faits pour rester des chimères.
Mais voir Hermione ainsi le bouleverse plus qu'il ne l'admettrait. Son impulsivité matinale, cette explosion de colère, n'est pas dans ses habitudes. C'est un signal d'alarme pour Severus, une indication que quelque chose ne va vraiment pas. Dans son esprit, un plan se forme, une tentative désespérée de percer le mystère de son agitation sans franchir la ligne invisible qui les sépare. Cette ligne qui semble craqueler.
Le matin tranquille vole en éclats, Hermione craque. Severus, paumé, navigue en plein brouillard. Les larmes qui brouillent le regard d'Hermione ajoutent à son désarroi, un chaos s'amplifie alors qu'ils approchent de l'infirmerie. Il la surplombe, désemparé, cherchant désespérément un indice dans ce cerveau d'habitude si clair.
Elle pleure, et son monde à lui vacille. Severus n'a jamais été doué pour les crises, surtout pas celles d'Hermione. Son souvenir à l'infirmerie, où en deuxième année, elle s'était elle-même transformée en une espèce de chat mutant, avec du polynectar. Il l'avait vue pleurer de loin, mais il ne savait pas si elle l'avait vu. Il ne savait même pas si elle savait que c'était lui qui avait fabriqué l'antidote, sans doute que non. Puisque quelques mois plus tard, lorsqu'elle avait été pétrifiée, et qu'il avait fabriqué la potion pour les réanimer, elle avait été la seule à le remercier. Et ça lui semble soudain lointain. Il réalise que jamais auparavant il n'avait dû affronter ses larmes de front. L'indifférence feinte qu'il avait pour la douleur des autres se fissure face à celle d'Hermione.
Le souvenir revient le hanter. La mort de Black. Il se souvient très bien de cette soirée. Il était arrivé après tout le monde à l'infirmerie. Il a appris sur le tas la mort de Black. Il avait fait semblant pour tout le monde alors qu'il était heureux. Il se dégoûtait d'être aussi heureux. Puis, il avait dû soigner Hermione de la blessure de Dolohov. Et elle lui avait simplement dit que ça ne servait à rien de faire semblant. Elle savait ce que Black lui avait fait subir adolescent, et qu'elle était désolée. À ce moment-là, elle avait été la seule à le considérer. Lui, dont la vie ne valait finalement pas grand-chose selon Dumbledore. Cette phrase n'était rien, mais elle l'avait touché.
Maintenant, elle pleure à chaudes larmes, et il est là, incertain de la marche à suivre. Severus Snape, habituellement si sûr de ses actions, se retrouve paralysé par l'incertitude. L'idée qu'elle puisse retourner avec Nott le révolte, réveillant une jalousie qu'il refuse d'admettre. Pourquoi cela le touche-t-il autant ? Il se l'interdit. Après tout, Hermione est libre de ses choix, même si l'idée de la voir avec un autre le fou en rogne.
Sa question sur Nott était un test, une tentative maladroite, mais la réaction d'Hermione le laisse encore plus perdu. Elle se défend avec une agressivité qui le surprend.
"Tends tes bras, Severus. Agis comme un humain." C'est le conseil qu'il se donne à lui-même, un effort désespéré pour briser le mur de glace qu'il a construit. Mais elle se blottit contre lui, cherchant du réconfort dans son étreinte.
Severus se sent partagé, tiraillé. D'un côté, il se déteste pour exploiter ainsi la vulnérabilité d'Hermione. Mais de l'autre, il ne peut ignorer cette pulsion serpentarde qui lui murmure de tirer avantage de la situation. Son cœur se serre à l'idée de manipuler ses émotions, mais son esprit lui trouve des justifications. Il se penche légèrement vers elle, leurs visages à quelques centimètres l'un de l'autre. La proximité lui semble dangereuse. Il sent son souffle sur sa peau, une sensation à la fois troublante et enivrante.
« Tu ne veux vraiment pas me dire ce qu'il se passe ? » chuchote-t-il, sa voix à peine audible dans le silence du couloir. Il y a une tension électrique entre eux, palpable comme une charge statique dans l'air. Chaque fibre de son être est tendue vers elle, captivée par son regard, ses lèvres entre-ouvertes dans l'attente de sa réponse. Il se demande si elle ressent la même chose, ou si lui aussi devient complètement fou. Entend-t-elle les battements précipités de son cœur, tambourinant dans sa poitrine.
Mais malgré toutes ses réserves, une part de lui brûle d'entendre sa voix, et l'autre prie pour qu'elle traverse ces tout petits centimètres. Et elle relève la tête, encore un peu plus proche.
« Je ne veux pas être un pirate », gémit-elle, et ses pleurs repartent de plus belle.
