Come away, o human child !

To the waters and the wild,

With a faery, hand in hand,

For the world's more full of weeping than you can understand

The Stolen Child, William Butler Yeats


Ce n'était pas souvent que Grimalkin pensait à faire volontairement échouer une mission, mais franchement, qui voudrait plonger dans un lac d'eau glacée pour y affronter une centaine de morts-vivants désireux d'étriper son objectif ?

De l'eau froide. Beurk. Il n'avait pas signé pour ça. Le bon sens et la dignité que tout Cat Sith se devait de conserver le pressaient de rebrousser chemin, de déclarer son échec à ses maîtresses et d'accepter le châtiment qui ne manquerait pas de s'abattre sur sa tête.

A la place, il sauta dans l'infâme étendue liquide infestée de cadavres et de magie noire.

Quelques unes des charognes tentèrent bien de l'agresser, mais les jouets mal dégrossis d'un nécromancien de bas étage n'étaient pas de taille à se mesurer aux griffes d'un Cat Sith. En l'espace de trois secondes, des morceaux de viande gâtée s'éparpillaient dans l'eau sombre et le restant des pantins de chair fuyait dans les profondeurs, tentant d'emporter avec eux l'objectif de la mission.

Oh que non !

Grimalkin fondit sur son objectif, le saisit par son col de chemise tout en lacérant à profusion les non-morts s'agrippant à lui puis remonta en chandelle, crevant la surface du lac dans une gerbe d'éclaboussures.

Son objectif ne remuait plus. Mauvais, très mauvais signe, ça. S'il mourait sous la garde du Cat Sith, celui-ci ne voulait même pas imaginer ce qui lui serait infligé. Sa Majesté n'avait guère d'indulgence pour les incompétents, et son Altesse prendrait certainement très mal la perte de son Un.

Il se hâta de nager vers l'îlot et d'y prendre pied, scannant les lieux pour repérer l'ombre la plus proche. Dans son dos, des remous agitaient l'eau du lac, preuve de l'agitation de ses immondes locataires. Ceux-ci remontaient alors que Grimalkin chargé de son objectif bondissait dans une flaque de ténèbres.

L'instant d'après, plus un être vivant ne se trouvait dans la grotte.


Un gloussement incontrôlable chatouillait la gorge de Deirdre depuis le départ de Grimalkin. D'accord, elle aurait dû mieux se tenir, elle savait que son mari lui faisait les gros yeux, elle savait que sa Majesté se trouvait juste à côté

Mais c'était de son fils qu'il s'agissait ! Son merveilleux, son splendide garçon, qui allait bientôt arriver, qu'elle pourrait embrasser et rassurer et cajoler autant qu'elle voulait…

Non, comment aurait-elle pu se contenir ?

Pour cette raison, elle manqua pousser un miaulement suraigu lorsque se forma un portail d'ombres dans la pièce, et oui, ce fut bien le Cat Sith qui en jaillit d'un bond souple, trempé comme une soupe, les dents bien refermées sur le col de chemise d'un adolescent humain visiblement en piteux état.

Son bientôt fils.

« Grimalkin » se contenta d'articuler sa Majesté, le regard aussi froid qu'à son accoutumée.

Le Cat Sith relâcha sa prise sur le jeune humain et se recula, permettant à Deirdre et Owyn d'approcher.

Leur futur enfant semblait presque adulte, dans les environs de vingt ans pour un rejeton de sa race, peut-être un peu moins. La noirceur de sa chevelure ondulée contrastait superbement avec son teint de porcelaine, sa taille devait avoisiner un mètre quatre-vingts et les traits de son visage détenaient un charme des plus aristocratiques.

Deirdre sentit son cœur fondre. D'accord, elle savait que ces traits appartenaient à un humain, que celui-ci les perdrait en devenant son fils, mais il était si beau ! Il n'était pas encore à elle, mais elle se sentait déjà capable de ravager toute la Grande Bretagne pour lui.

« Deirdre » gronda Owyn, la ramenant à la réalité. « Viens m'aider. »

Bien sûr, le pauvre chéri devait passer par la Purification avant de renaître. Saisissant le garçon par les jambes tandis que son mari s'emparait du torse, ils entreprirent de le porter jusqu'à l'étang opaque creusé dans le sol de la pièce, et sans plus de manières, le jetèrent dedans.

Aussitôt, la surface sombre de l'eau vira à un blanc resplendissant et commença à bouillonner. Des lueurs verdâtres et noires luirent brièvement avant de s'évanouir dans un faible cri. Le processus dura presque cinq minutes avant que le bouillonnement se cesse et que la lumière ne s'atténue.

Pendant ce temps, son Altesse et sa Majesté avaient dressé un autel de pierre, sur lequel trônait un long cocon dont la consistance présentait une ressemblance des plus perturbantes avec de la chair. Sur une petite table à côté reposait un flacon remplie d'un fluide visqueux et un couteau à la lame de pierre et au manche d'os.

« Amenez-le » ordonna la voix glaciale de sa Majesté.

Repêcher son fils fut une affaire vaguement compliquée pour Deirdre, il était tout glissant à cause de l'eau, après tout. Il grelottait aussi, et elle éprouvait un pincement de remords tandis qu'elle et Owyn le déshabillaient entièrement, mais c'était nécessaire pour le rituel.

Elle frissonna à son tour alors que sa Majesté tendait le couteau à Owyn qui s'entailla la paume avant de faire couler plusieurs gouttes de son sang dans la fiole et sur le cocon, lesquels prirent aussitôt une intense couleur rouge sombre. Lorsque la lame lui fut présentée à son tour, elle grimaça mais fit ce qui était attendu d'elle.

« Bien. Qu'il boive » exigea sa Majesté en déposant la fiole dans les mains de son Altesse.

Celle-ci se pencha presque timidement au-dessus du garçon, détaillant soigneusement chaque trait de son visage – sa curiosité se comprenait, il s'agissait de son Un après tout. Puis elle lui saisit le menton, le contraignant à ouvrir la bouche, et renversa la potion additionnée de sang dans sa gorge.

La réaction fut immédiate : le garçon se tendit violemment, ouvrant des yeux gris paniqués, s'étranglant presque alors que le réflexe de déglutir s'enclenchait. Son Altesse s'écarta prestement, laissant Deirdre et Owyn soulever à nouveau le jeune humain – malgré les convulsions agitant sa charpente – pour le déposer dans le cocon ouvert.

Dès qu'ils eurent lâché prise, le cocon se referma dans un bruit mouillé. Un immense sourire retroussait les lèvres de Deirdre.

Bientôt. Bientôt, elle aurait un fils.


Regulus Black arrivait à peine à aligner deux pensées cohérentes sous l'effet de la panique.

Il avait été entraîné sous le lac par des Inferi – pourquoi n'était-il pas mort ? Pourquoi tout son corps l'élançait-il comme il était tombé dans une cheminée ? Pourquoi sa gorge le brûlait-elle autant, la sensation descendant inéluctablement vers son estomac ?

Il tremblait violemment, il n'y voyait plus rien, il n'arrivait plus à remuer ne serait-ce que le petit doigt. Que lui arrivait-il ?

Et puis la brûlure effleura le centre de sa poitrine, l'emplacement de son cœur, et le monde ne fut plus que souffrance.

SIRI ! AIDE-MOI !


Owyn considéra avec un chouïa d'accablement son épouse occupée à roucouler au-dessus du cocon.

Il savait que la perspective d'avoir un enfant, enfin, la mettait en joie – comme elle le devait. Lui-même se sentait comblé à la perspective d'avoir un héritier, et promis à quel destin ! Mais vraiment, fallait-il qu'elle s'exhibe ainsi, et ce devant la Reine de l'Air et des Ténèbres, et de l'unique fille et futur successeur de cette dernière ?

Il aimait Deirdre, vraiment, mais parfois elle le fatiguait tant

« Votre épouse ne fait pas mystère de ses émotions » souffla une voix semblable à de la neige fraîche coulant le long de son dos.

Il ne se retourna pas. Il préférait ne pas croiser le regard de son Altesse. Plus élevé que lui avait péri pour moins.

« Un de ses charmes comme un de ses défauts » reconnut-il de son ton le plus neutre.

Un rire tintant comme des stalactites qui s'entrechoquent se faufila dans son oreille.

« Je me demande si mon futur mari héritera cela d'elle… Cela pourrait être amusant, ne trouvez-vous pas ? »

Owyn réprima un frisson. Les Sidhes ne mentaient jamais directement, ce qui en faisait des maîtres dans l'art du non-dit et de la dissimulation, mais porter son cœur sur la manche n'était guère conseillé au sein de la Cour. Qui plus est pour le Consort de la Reine.

Pour le bien de son futur fils, il espérait que le garçon ne prendrait pas trop de Deirdre…