Pour raisons rituelles, le sacre de la Reine de l'Air et des Ténèbres ne pouvait se tenir que le jour du Solstice d'Hiver, lors de la nuit la plus longue de l'année, afin d'assurer le pouvoir et la légitimité de la princesse ascendante.

En d'autres termes, ça ne laissait guère que quelques mois à Liam pour se préparer à ses noces et son déménagement imminent à la Cour d'Hiver. À part ça, pas de pression ni rien, pourquoi demandez-vous ?

Il ne se sentait certainement pas prêt maintenant, et il doutait franchement qu'il le serait davantage une fois le soir fatidique sur lui. Le Clairvoyant pouvait dégoiser fertilité et impartialité autant qu'il le voulait, des mois de préparation et d'entraînement à la royauté rassuraient nettement moins que des années consacrées à la même tâche.

Pas étonnant que les sidhes jettent principalement leur dévolu sur les enfants quand ils cherchaient à créer des changelins, un enfant prenait du temps à grandir. Alors qu'un adulte était immédiatement présumé capable de se débrouiller tout seul et jeté sans pitié aucune aux loups.

D'accord, il noircissait exprès le tableau, mais c'était les faits tout nus, en dépit de l'insistance de Deirdre et Owyn qu'il disposait de leur aide et de celle du Clairvoyant.

En fait d'aide, il utilisait principalement celle du sidhe aux trois yeux – après tout, c'était lui qui était le plus impliqué dans les cercles les plus élevés de la Court, tandis que Deirdre et Owyn pour toute leur bonne volonté restaient de simples domestiques – consistant principalement en chroniques et livres d'étiquette.

« Des tuteurs pour t'apprendre le combat et l'usage de tes nouveaux pouvoirs seront arrangés après ton ascension en tant que consort de son Altesse, mais tu ne peux absolument pas te présenter parmi les Unseelie ignorant des courtisans qui voudraient te jouer un vilain tour ! Ou des usages qui pourraient t'aliéner un possible obligé ! »

Le raisonnement se tenait, et avait résonné de manière bizarrement familière aux oreilles de Liam, comme s'il l'avait déjà entendu auparavant – se l'était fait rabâcher au point que ça s'était gravé dans son être. Un souvenir persistant de son existence humaine ?

Le soir dans son lit, le changelin de fraîche date fouillait le tréfonds de sa mémoire vidée, s'efforçant de retrouver des bribes de son passé, n'importe quoi en dehors de vagues impressions et regrets. Inévitablement, l'épuisement venait le prendre sans qu'il eût débusqué ses objectifs, mais il refusait de baisser les bras. Il ne le pouvait pas.

C'était dur, cependant, de se concentrer sur son ancienne identité alors que son entourage faisait des pieds et des mains pour qu'il se prépare à en endosser une nouvelle, même pas celle qu'il utilisait actuellement.

Selon la tradition, le parèdre de la Reine de l'Air et des Ténèbres se devait d'équilibrer la souveraine – si elle était pacifique, il se devait d'être martial, si elle était cruelle, il avait l'obligation de se montrer généreux. Néanmoins, une constante demeurait, et c'était la dominance. Que ce soit par les armes ou l'esprit, ou encore la tromperie, le prince consort aspirant ne pouvait aucunement céder en influence et en pouvoir à qui que ce soit.

Sa Majesté constituait la seule et logique exception – bien sûr que l'époux ne pouvait primer sur sa souveraine, celle de qui il dérivait son pouvoir et son rang.

Liam ne se connaissait plus très bien, ou bien était-ce pas encore, mais dans tous les cas, l'obligation lui répugnait déjà. La dominance ne l'intéressait pas. Un combat politique brutal, incessant, quelle existence était-ce donc là ? Pourquoi Damoclès voudrait-il s'asseoir sur le trône et y demeurer, alors que l'épée suspendue au dessus du siège menaçait de s'abattre sans prévenir pour le décapiter ?

« Nous sommes les Unseelie, la Cour de l'Hiver » avait riposté Owyn à ses récriminations. « Bien sûr que nous vivons en conflit permanent. La vie est un conflit du début à la fin. »

C'était sinistre et absolument pas consolant, mais vraiment, il aurait dû s'y attendre. Et ça ne le persuadait toujours pas d'assumer le rôle qu'ils insistaient pour le voir accomplir.

Il s'était demandé si la précognition du Clairvoyant n'avait pas recraché un faux résultat – ce qui serait vraiment un comble, mais la prophétie constituait un champ de la magie si trouble et complexe que rien ne s'opposait vraiment à cette hypothèse.

« J'apprécie ton estimation des difficultés de mon devoir » avait fait le changelin plus âgé après avoir écouté sa suggestion, « mais je ne pense pas m'être trompé sur ton compte. Tu ne seras peut-être pas le prince consort auquel la Cour s'attendait, mais tu seras celui dont elle a besoin. »

« Qu'est-ce qui vous pousse à affirmer cela, au juste ? Parce que j'ai beau m'interroger, je ne vois réellement pas pourquoi une reine de Faerie me confierait la moindre responsabilité. »

Un sourire exaspérant lui avait été adressé.

« On n'est jamais autant surpris que par soi-même. Donne-toi donc le temps et tu verras de quoi tu es capable. »

En dehors de ces paroles assez anxiogènes, le bougre avait refusé de s'expliquer, et Liam en était demeuré Gros Jean comme devant.

Il avait décidé de prendre cette conduite comme un avant-coureur de ce qui l'attendait une fois marié à sa chère et tendre future reine. Le laisserait-elle mariner dans sa confusion, elle aussi, ou tenterait-elle de l'aider au moins pour qu'il ne la couvre pas de honte ? Difficile à estimer mais dans le doute, autant se préparer au pire et n'attendre aucune aide. Il ne pourrait compter que sur lui-même.

Dans ce fouillis de leçons et de conseils, un sujet avait été soigneusement évité, et il s'agissait pourtant du plus crucial, à bien y réfléchir. Après tout, Liam avait été transformé en changelin et le sacre boostait la fertilité, précisément pour permettre à la princesse ascendante de concevoir un héritier facilement.

Personne n'abordait ce fait en particulier. Deirdre et Owyn s'imaginaient probablement qu'il saurait se débrouiller une fois coincé dans la chambre à coucher, le Clairvoyant se concentrait sur des préoccupations autrement plus cruciales que le coït, et Liam… et bien, Liam ne voulait pas toucher à ce nid de guêpes aussi longtemps que possible.

Qu'était-il sensé faire d'un enfant ? Lui qui ne se rappelait aucunement en avoir été un, qui peinait déjà pour s'intégrer dans ce monde où il avait été plongé contre son gré, comment pouvait-il éduquer un bambin qui serait partie prenante de Faerie ? Une progéniture qu'il serait forcé de concevoir, qu'il le veuille ou non ?

C'était encore plus terrifiant que d'apprendre sa nouvelle nature. Dans la découverte de son statut changelin, Liam avait été la victime, incontestablement. Dans son rôle de prince consort, s'apprêtait-il à devenir le bourreau d'un enfant qui ne lui avait rien demandé, dont le seul péché était d'être né de lui ?

Il ne voulait pas ça, et pourtant la perspective de s'unir à sa future femme dans un but de procréation lui soulevait le cœur – car elle le désirait principalement pour cela, et s'il l'acceptait alors il ne serait rien de plus que son outil. Impossible de se résoudre à cela, c'était trop répugnant.

Impossible également de s'y soustraire, et Liam réalisait douloureusement que chaque seconde écoulée le rapprochait du moment fatidique où il lui faudrait quitter la place de la victime pour celle du tourmenteur.

Peu importe à quel point il ne le voulait pas.