Le réveil fut assez inconfortable. Une fois les effets de l'hydromel et de l'aphrodisiaque retombés, un vague mais insistant mal au crâne était venu prendre ses aises entre les tempes de Liam, ses reins et son dos criaient d'outrage sous la tyrannie des courbatures présentes dans des muscles dont il avait jusque très récemment ignoré l'existence, et une large partie des runes peintes sur la peau de sa femme avait déteint sur lui, le couvrant de traces un brin dégoûtantes qui démangeaient.

Question lendemain de nuit de noces, on pouvait probablement trouver pire, mais on ne manquerait certainement pas de dégoter nettement mieux.

Liam avait failli pleurer de joie lorsqu'un domestique s'en était venu gratter à la porte de la chambre rituelle pour annoncer que leurs Majestés pouvaient prendre leurs ablutions matinales, le bain venait d'être préparé. Il s'était abstenu, parce que Deirdre et Owyn lui avaient martelé qu'un Consort ne se laissait aucunement aller à un débordement d'émotion hors de la sphère privée. Qui se réduisait aux moments où il n'était pas en présence des courtisans ou de la valetaille ou de sa femme.

Sa femme. Il était marié, à présent. Repenser à l'expérience, rien qu'essayer d'y repenser lui procurait un frisson d'appréhension dans la moelle osseuse. Il ne savait pas s'il voudrait jamais entrer à nouveau en contact avec la pure magie du monde, surtout dans le rôle du filtre.

Pour sa part, la nouvelle Reine de l'Air et des Ténèbres semblait tout aussi ébranlée et pas particulièrement royale malgré ses efforts louables pour donner le change. Difficile de sembler digne et respectable avec une tignasse complètement décoiffée et diverses substances plus ou moins appétissantes tartinées sur le bas-ventre et la face interne des cuisses.

Pas étonnant qu'elle soit si vite partie de la chambre rituelle, n'importe qui voudrait se rectifier la tenue après avoir pris conscience de l'ampleur du désastre. Liam allait l'imiter, tiens.

La nouvelle salle de bains était séparée en deux parties par un large rideau blanc, histoire de conserver l'intimité entre les baigneurs. Ignorant les faibles clapotis de l'autre côté du drap, Liam s'empressa de s'immerger dans le baquet libre pour se rincer et se récurer furieusement à grands renforts de poudre savonneuse et d'eau froide.

Ce fut au bout d'une quinzaine de minutes, alors qu'il commençait à se sentir à peu près décent, que trois valets pénétrèrent dans la pièce, chargés de divers cassettes ainsi que de piles de tissu.

« Majesté » murmura le chef de file, les yeux rivés au sol, « il faut vous habiller. »

Ah. Bien sûr, pourquoi avait-il oublié ? C'était le jour de l'intronisation de la nouvelle Reine, avec un nouveau Consort pour siéger à ses côtés. Un nouveau Consort qui devait être habillé et apprêté selon son rang prestigieux, surtout en cette occasion cruciale.

Liam déglutit avant de figer au mieux l'expression de son visage et de sortir du bain. Du calme. Il n'avait qu'à prétendre être une poupée, et ça passerait avant même qu'il ne s'en rende compte.

Soit il avait un talent fou pour jouer la comédie, soit les trois valets avaient suffisamment de tact pour ne pas remarquer sa nervosité, et la séance d'habillage débuta. Enfin, pas tout à fait, car il fallut d'abord sécher Liam avant de lui passer de l'huile subtilement odorante sur la nuque et les épaules, lui examiner les ongles et les polir à l'aide d'une huile différente, et démêler ses cheveux à l'aide d'une troisième huile encore. Puis on passa à l'habillage proprement dit.

Les vêtements étaient bien entendu blanc, couverts de fines broderies en fil d'argent et diverses tonalités de blanc – ivoire, laiteux, albâtre et autres céruses si finement nuancées et tissées ensemble de telle sorte que lorsqu'on ne se concentrait pas, les teintes se fondaient l'une dans l'autre afin de produire un chatoiement hypnotique. Rien que d'imaginer le travail nécessaire pour concevoir un habit pareil, Liam en attrapait des vertiges.

Il y eut tout d'abord une longue tunique sans manches, qui tombait jusqu'aux chevilles. Après cela vint une chemise à longues manches qui enserraient ses bras, à peine plus courte que la tunique. Ces deux habits une fois suffisamment ajustés pour éliminer tout faux pli inconvenant furent ensuite recouverts d'un bliaud étroit jusqu'à la taille et aux coudes, retombant après coup jusqu'au sol en larges manches et jupe ample. Cette superposition de trois couches de tissu fut serrée sur ses hanches par une large ceinture brodée de motifs runiques en fil d'argent.

Lorsque le manteau fut déposé sur ses épaules et agrafés à l'aide d'épingles d'argent en forme de cerfs courants, Liam crut que c'en était fini seulement pour que le troisième des valets ouvre la boîte à bijoux. Parce qu'un Consort devait arborer des amulettes et talismans de protection et bonne fortune, et c'était infiniment plus facile de placer ce type de sortilèges sur des objets aisément portés comme les bagues, les bracelets et les boucles d'oreille.

Étonnamment, il remarqua à peine le perçage de ses lobes, tout juste conscient d'une vague démangeaison alors que l'un des valets lui posait d'abord une paire de pendeloques en argent et ivoire, puis une paire de puces en perles et argent. Une bague taillée de runes fut glissée à trois doigts de chacune de ses mains, et un torque d'ivoire orné de chevaux et de chiens fut placé autour de son cou.

Alors qu'il enfilait les souliers de cuir blanc qu'on lui présentait, Liam se fit la réflexion que ces habits étaient curieusement confortables, en plus de lui aller sur mesure. À tous les coups, le Clairvoyant avait transmis ses mesures aux couturiers royaux pour s'assurer qu'il ne ferait pas piètre figure lors de sa présentation à la cour.

Et sur ces entrefaites apparut la personne aux côtés de laquelle il serait présentée, la Reine de l'Air et des Ténèbres dans toute sa gloire souveraine.

Tout comme lui, elle portait du blanc brodé d'argent, et tout comme lui elle était vêtue d'un bliaud en-dessous d'un manteau de couronnement. Cependant, ses manches, sa robe et son manteau chutaient au sol pour lui constituer trois différentes traînes de courte taille, sa taille était ceinturée d'une chaîne constituée de larges maillons d'ivoire et d'os, ses dix doigts portaient chacun une bague, deux rangs de perles laiteuses ornaient son cou et un diadème d'argent fin serti de diamants brillait à son front.

« Mon Prince » fit-elle, d'une voix parfaitement inexpressive.

« Ma Reine » lui répondit-il dans le même registre.

De leur côté, les valets s'inclinèrent jusque par terre avant de ranger hâtivement et discrètement derrière eux pour s'éclipser.

Face à elle, l'impression de n'être qu'une poupée refusait de se dissiper. Pire que cela, il la sentait s'amplifier, lui figeant les traits en un masque de porcelaine et diluant ses émotions au point de les rendre incolores et privées de relief.

Elle pencha la tête sur le côté, faisant tinter les pendeloques de cristal et d'argent suspendues à ses lobes d'oreille.

« Mh » souffla-t-elle, « tu as l'air convenable. »

« Ma Reine me fait honneur » répondit-il, une phrase polie qui s'adaptait bien aux circonstances et ne laissait rien deviner du fonds de sa pensée.

Un éclat argenté scintilla fugacement dans les prunelles noires. Agacement ? Soulagement ? Approbation ? Il ne la connaissait pas suffisamment pour parvenir à discerner.

Elle lui tendit le bras, faisant bruisser la soie de ses manches interminables.

« Le banquet nous attend, mon Prince. Ainsi que la cour. »

L'intronisation d'une nouvelle souveraine féerique n'incluait ni trône ni couronne : une vraie Reine se contentait de paraître devant ses sujets, parée des atours de la Reine, accompagnée du Consort de la Reine, et cela sans avoir besoin de se justifier par une inutile cérémonie. À quoi bon ? Elle détenait déjà le pouvoir.

Liam soupçonnait également que le manque de cérémonie visait à créer l'illusion que la Reine était véritablement immortelle, créant une aura mystique et intimidante autour de sa personne – ou plutôt autour de sa fonction. L'immortalité impressionnait toujours les esprits étroits.

Il posa sa main au creux du coude de sa nouvelle épouse.

« Si ma Reine voulait bien me montrer le chemin. »

Et maintenant commençait le plus dur.