Liam l'avouerait franchement, il n'y connaissait pas grand-chose en survivalisme, mais il avait écouté Owyn lorsque celui-ci revenait de la pêche. L'homme-fauve, de par sa nature plus qu'à moitié bestiale et son statut de piqueux, était bien versé dans l'art et la manière de chasser son dîner – ou d'échapper au dîner quand celui-ci décidait d'inverser les rôles et de mettre le chasseur dans son assiette au lieu de jouer le ragoût.

Le changelin s'efforça d'étouffer le pincement de nostalgie et le désir irrationnel de voir son kidnappeur, préférant se concerner sur le souvenir d'une voix rauque occupée à égrener les préoccupations majeures pour qui était perdu dans la nature : la soif, la faim, le climat, le terrain, la santé, le stress et la peur.

Domine ta peur, ou la peur te dominera. C'était le Clairvoyant qui lui avait dit ça, et sur le coup ça sonnait comme une recommandation d'illuminé, le genre qui arnaquait les mères désœuvrées et les gamins naïfs, mais face à la perspective de se retrouver livré à lui-même en Faerie, le pays où rien ni personne n'avait jamais la certitude de se réveiller dans le même état qu'au moment du coucher, les mots prenaient une saveur entièrement différente.

Domine ta peur, ou la peur te dominera. Facile à dire mais pas tellement à appliquer. Seulement, il faudrait bien : Liam ne pouvait pas perdre son sang-froid s'il voulait narguer le Tylwyth Teg et conserver son titre de Consort plus d'un an et un jour. S'il laissait la panique l'envahir, il ne durerait même pas un jour avant de s'empoisonner avec le mauvais champignon, de se faire dépecer par une horde de molosses enragés ou d'être démembré lentement par une troupe de sauvages hirsutes.

Il avait peur, et il devait continuer à réfléchir – il devait bâtir une stratégie qui le verrait revenir à Caer Sidi pour que sa Majesté lui présente la morveuse qu'ils avaient conçu ensemble.

Après la quantité de magie utilisée dans le rituel nuptial, impossible que la nuit de noces royale ne résulte pas en la conception d'une héritière pour la Reine. Liam était assez heureux de rester à l'écart pendant toute la grossesse, l'accouchement et les premiers mois – aucune envie de subir les sautes d'humeurs hormonales d'une souveraine féerique ni de se faire agonir d'injures et de malédictions pendant qu'elle poussait le têtard hors de sa matrice ni d'endurer les braillements d'un marmot refusant de faire ses nuits.

Finalement, quand il l'envisageait sous cet angle, la perspective d'avoir à se débrouiller seul dans la contrée d'Annwn n'avait pas que du négatif…

Pour en revenir à ses plans de survie, il lui faudrait se rappeler quelles herbes et quels fruits pouvaient être consommés sans effets négatifs sur sa santé – il n'avait peut-être pas les instincts d'un chasseur émérite, mais il pouvait certainement s'occuper du potager sans faire crever la maisonnée. Bien sûr, une étincelle de magie errante pouvait toujours transformer une châtaigne parfaitement innocente en marron – seuls les idiots pensaient que le fruit du marronnier était aussi comestible que son cousin poussant sur les châtaigniers, avaler des marrons ne parviendrait qu'à ruiner les intestins du gourmand et dans les cas les plus graves son système nerveux – alors il lui faudrait demeurer en permanence sur le qui-vive.

La question de l'abri était tout aussi délicate – il ne pouvait pas compter sur la présence d'une grotte ou d'un arbre creux, ça n'arrivait que dans des circonstances précises, et dormir à la belle étoile inviterait les intempéries et les prédateurs à s'abattre sur lui. Il lui faudrait apprendre à se confectionner des cabanes à l'aide de trois branchages suffisamment épais, des refuges temporaires où il pourrait souffler avant de se remettre en route.

Parce que lorsque vous étiez perdu en milieu hostile, il n'était pas du tout conseillé de rester fixé dans un endroit déterminé si vous ne vouliez pas finir victime d'un siège – à moins de trouver un lieu qu'on puisse transformer en forteresse naturelle ou qu'on se trouve au sommet incontestable de la chaîne alimentaire, et Liam avait de sérieux doutes sur la possibilité que l'un ou l'autre cas s'applique à sa petite personne.

Quand il considérait l'absence criante de chance l'ayant conduit à se faire enlever, transformer en changelin, marié en dépit de ses vœux et à présent largué en pleine nature, il considérait qu'il valait mieux s'attendre au pire en ce qui le concernait. Le pire, c'était la mort, alors s'il commençait à la voir partout, il esquiverait forcément deux ou trois tentatives d'achever sa vie prématurément alors que s'il décidait d'être optimiste et de se fier sottement à la bonne fortune, il ne verrait pas venir le coup qui finirait sans pitié sa lamentable existence.

Ce qui l'amenait à la santé. Hors de question qu'il se laisse tremper par la pluie ou une glissade dans la mare, hors de question qu'il se fasse griffer par une épine ou une bestiole enragée, hors de question qu'il se torde la cheville en marchant dans un trou. Liam parvenait à peine à différencier la pommade contre les brûlures de l'alcool à désinfecter, il n'aurait aucun moyen de s'occuper de lui-même en cas de maladie ou de blessure, et ce serait la garantie de son décès imminent dans la cambrousse.

Rien que la pensée de crever affaibli par la mauvaise santé lui conférait une brutale envie de vomir, un rejet viscéral qui lui semblait trop profondément enraciné dans son être pour provenir exclusivement de sa nouvelle nature si attachée à la force et au désir de survivre. Avait-il connu quelqu'un de malade, pendant son existence humaine ? Avait-il été malade, peut-être au point de vouloir en finir plutôt que de s'étioler et de s'éteindre piteusement en chiant sous lui, incapable de se souvenir de son propre nom ?

Liam aurait vraiment voulu se souvenir de son nom humain. Qu'est-ce que c'était, déjà ? Une histoire d'étoile, il en était certain – ou de lion ? Quelque chose comme Richard ? Ça sonnait presque correctement, mais ce n'était pas exactement cela, les syllabes le gênaient aux entournures à la manière d'une chemise mal taillée. Alors c'était quoi ?

Il ne savait plus, et la pensée le fuyait jusqu'à ce qu'il en revienne à son départ prochain pour Annwn. De toute façon, c'était si bête de gaspiller son temps et son énergie avec des questions d'identité alors que sa survie était actuellement en jeu.

Hm, peut-être qu'il pouvait se constituer une trousse de secours ? Avec des étiquettes détaillées sur les flacons, quelque chose qu'il pourrait cacher dans sa manche afin de ne pas le perdre s'il lui fallait courir ? Serait-il autorisé à emporter des affaires, d'ailleurs ? Vu la dégaine de Gwyn ap Nudd, Liam songeait qu'il serait affreusement possible que la Bonne Famille insiste pour que son séjour dans la nature soit effectué dans le plus simple appareil, autrement personne ne pouvait être certain qu'il ne tricherait pas pour survivre !

Ah, dès qu'il s'agissait de survivre, Liam refusait d'appeler quoi que ce soit de la triche. Du moyen que vous parveniez au résultat espéré – si vous tentiez une manière vilaine et que vous vous faisiez prendre et que vous vous ratiez lamentablement, alors vous méritiez d'être traité de tous les noms et méprisé par vos pairs.

On pouvait pardonner à peu près n'importe quoi au succès, mais l'échec ne trouverait grâce aux yeux de personne.