Domine ta peur, ou la peur te dominera. Les mots tournaient et retournaient dans l'esprit de Liam, vrombissant à la manière d'un essaim de guêpes affolées par l'orage inondant leur nid et piquant tout ce qui se trouvait à proximité en conséquence de leur panique.
Domine ta peur, ou la peur te dominera. Facile à dire, nettement moins simple à appliquer quand votre destin se tenait en face de vous, souriant de sa large dentition et se demandant visiblement si vous auriez meilleur goût à la sauce blanche ou au beurre.
D'accord, personne ne souriait dans la procession venue l'escorter dehors, là où attendait sa monture et ses guides pour l'accompagner à la frontière d'Annwn – sourire sous-entendait toujours quelque chose, après tout, et quand votre vie se résumait à une constante lutte politique, les sous-entendus pouvaient vous jouer un vilain tour quand vous ne les contrôliez pas.
Sa belle-sœur ouvrait la marche – l'héritière de sa Majesté tendait à occuper le rôle de Maîtresse des Cérémonies, surtout quand cela concernait les petits détails trop insignifiants pour mériter l'attention de la souveraine en personne. Ladite souveraine n'avait même pas pris la peine de faire ses adieux à son époux de fraîche date, ou encore de lui souhaiter bonne chance, probablement trop occupée à consolider son nouveau statut dans les pensées de ses sujets.
Cela valait probablement mieux. Si elle avait fait des simagrées, exprimé une forme de sympathie pour le calvaire imminent de Liam, cela aurait sonné faux. Ils avaient été contraints de s'unir par la force des circonstances, sur la décision du devin principal de la Cour, pour engendrer une future princesse – il n'existait aucune affection sincère entre eux, et peut-être ne serait-ce jamais le cas, s'ils s'en tenaient à suivre l'étiquette pour le restant de leur existence commune.
Tout au plus, la Reine espérerait qu'il revienne intact et en mesure d'assumer ses fonctions royales, au lieu de la forcer à chercher un nouveau Consort et de voir triompher le Tylwyth Teg ravi d'avoir humilié et rabaissé Caer Sidi. Cela devrait suffire.
Du moins, c'était ce que Liam s'efforçait de se répéter intérieurement afin de ne pas se lamenter que le temps avait coulé beaucoup trop vite, lui laissant à peine l'opportunité de déterminer une stratégie de survie pas mal grossière, et alors qu'il traversait les couloirs et descendait les escaliers, il s'efforçait furieusement de ne pas oublier celle-ci au prix d'un violent effort de concentration qui lui semblait perdre en efficacité à chaque pas.
Bon sang, que personne dans son escorte ne s'en aperçoive. Est-ce qu'il existait une catégorie de fae en mesure de renifler la peur ? Vu la nature fluide de la biologie et du réel dans ces terres, et vu la malchance que se coltinait Liam depuis qu'il s'était réveillé pour la première fois sous le toit de ses ravisseurs devenus parents adoptifs, c'était vraisemblablement le cas.
Pendant qu'il se débattait avec son propre cerveau, la procession poursuivait son chemin, et bientôt, bien trop tôt à son goût, ils furent devant les portes du château, et Liam éprouva une furieuse impression de déjà vu.
Une troupe d'hommes verts patientait dehors, un grand cerf blanc attendant avec eux – et Liam n'était pas sûr de les reconnaître, mais d'un autre côté, il ne pouvait se défaire de l'insaisissable et tenace impression que plusieurs de ces visages couverts d'écorces plus ou moins grises et brunes, plus ou moins enfouis sous la mousse leur tenant lieu de coiffure et de barbe, l'avaient déjà croisé auparavant.
Le cerf blanc tourna vers lui un regard impérialement dédaigneux et souffla bruyamment par une narine. Définitivement sa monture de la fois précédente – au moins avait-il meilleure idée de l'inconfort qui l'attendait, après une journée entière de monte à cru.
Une journée entière de trajet, et après cela il lui faudrait trouver refuge avant que les tribus et la faune locale ne se rendent compte de sa présence sur leurs terres, en dépit d'être perclus de courbatures. Voilà qui s'annonçait follement amusant, et Liam voulait partir d'un rire amer.
Sa belle-sœur s'avança afin de s'adresser à la joyeuse troupe d'êtres autant bois que personnages.
« Hommes verts, fils des forêts, pourquoi donc venir sous nos murs ? » interrogea-t-elle rituellement, puisque tout le monde savait la raison de leur arrivée. « Pourquoi quitter la quiétude de vos arbres ? »
L'un des hommes verts se détacha de ses congénères et sourit, une expression réjouie infestée de dents de travers.
« L'heure des noces est passée, l'heure de l'épreuve est venue. Le prétendant au trône est-il prêt à relever le défi ? »
Liam se sentait surtout prêt à vomir, et pas mal irrité – un énervement incapable de se dissiper dans l'environnement où il se trouvait désormais coincé, un énervement qui puisait sa source dans sa panique et quelle source c'était – si bien que les mots qui jaillirent de sa bouche prirent l'assemblée par surprise :
« Prêt ou pas, qu'est-ce que cela change ? L'épreuve n'en attend pas moins, et je suis là. »
Silence pesant. Le porte-parole darda sur Liam les deux ouvertures taillées dans l'épaisse écorce de son faciès qui lui servaient d'yeux, une expérience aussi déconcertante que de considérer un regard aveuglé par les cataractes.
Quelque chose d'infime frémit dans le sourire de la créature arborescente – toujours aussi large, mais désormais imbibé d'un poids étrange, la contemplation attentive des troncs centenaires lorsqu'un visiteur se hasardait en-dessous de leurs cimes.
« L'épreuve attend » répéta l'homme vert, « et le Prince est là. Mais reviendras-tu en Roi ? Ou en autre chose ? »
« Comment puis-je savoir, tant que je n'ai pas subi l'épreuve ? » riposta le changelin.
Il n'était pas le Clairvoyant. Il n'avait aucun don pour la prophétie. Lui poser des questions de cet acabit ne mènerait à rien, et il se fatiguait de cette farce protocolaire – certes, il n'avait aucune envie d'accourir plus rapidement à sa mort, mais l'attente était en soi un supplice dès qu'elle durait et s'étirait plus que prévu, peu importe sur quoi elle débouchait.
Le porte-parole s'ébroua, et son corps craqua et grinça furieusement sous la pression des mouvements.
« C'est bien répondu » décréta l'être avant de proclamer d'une voix puissante : « Que le cortège se prépare ! »
Dans un état presque second, Liam se détacha de la procession l'ayant accompagné dehors pour se diriger vers le grand cerf, lequel remua une oreille à son approche.
« Suis-je toujours autorisé à monter ? » demanda le changelin. « Ou bien ma performance de cavalier était-elle trop piètre la dernière fois ? »
Le majestueux animal renifla hautainement avant de s'agenouiller pour permettre à Liam de s'installer sur son dos. Vu qu'il portait un pantalon au lieu d'une tunique longue, il se sentait un peu moins en danger de dégringoler et de se briser un os, ce qui n'aurait certes pas amélioré ses chances de survie dans la contrée d'Annwn.
Il sentait le poids de regards sur sa nuque – mais l'attention des hommes verts différait grandement de l'attention habituellement accordée entre les murs de Caer Sidi. Elle ne guettait pas de faiblesse à exploiter, pas de faille par laquelle s'engouffrer, elle se contentait d'attendre et d'observer, que ce fusse un écureuil, un sanglier ou un promeneur égaré.
« Nous partons ! » annonça le porte-parole. « Vers l'épreuve ! »
« Vers l'épreuve ! » reprirent ses congénères en un chœur retentissant, avant que leur troupe ne s'élance vigoureusement dans la direction opposée au lever du soleil.
Trop occupé à se balancer en équilibre sur le dos de sa monture afin de minimiser ses futures courbatures sans se casser la figure, Liam ne regarda même pas en arrière.
