ACTE 1

King will reign forever and ever.

Lords will lead in righteousness and purity.

Pastors will help their neighbors.

Sinners will punish the outlaws.

Dogs will offer their hands to the Crown.

And Freaks will always soil the King's green grass.

Le Roi règnera pour toujours.

Les Lords dirigeront dans la justice et la pureté.

Les Pasteurs aideront leurs prochains.

Les Sinners puniront les hors la loi.

Les Dogs offriront leurs mains à la Couronne.

Et les Freaks souilleront toujours l'herbe verte du Roi.


— Ce qu'on va faire… c'est de la triche ?

La rue était déserte. La nuit s'était déjà bien installée dans le ciel nuageux et une légère brise poussait les flammes dans les tonnelles en fer qui éclairaient la zone. Il ne faisait pas froid mais Ichigo, le petit garçon rouquin qui venait de parler, sentait sa peau frissonner depuis qu'ils avaient quitté la maison. C'était sans doute la peur qui le faisait ainsi trembler.

Il rencontra alors le regard bleuté de Grimmjow, son frère de cœur. Il semblait bien plus déterminé que lui à sortir de la ruelle dans laquelle ils se cachaient pour accomplir le plan qui avait été tant préparé par ses soins les jours précédents.

Il ouvrit la bouche pour lui répondre mais le troisième garçon aux cheveux noirs et aux yeux verts le prit de vitesse :

— C'est absolument de la triche. Et c'est dangereux.

Ulquiorra c'est ainsi qu'il s'appelait paraissait plus calme et réfléchi mais son ton neutre et froid finit d'inquiéter le rouquin tremblant :

— Grimm'… On devrait peut-être… repartir et tenter une autre fois...

Tous trois étaient accroupis dans le coin d'une ruelle, bien loin de leur foyer. Dans moins d'une heure, le couvre-feu allait être annoncé par le tintement des cloches de la Cité.

— Tenter une autre fois ? Mais il nous faudra combien de défaites pour qu'on se décide à agir ? Le jeu se déroule demain alors c'est ce soir ou jamais !

Ils s'apprêtaient à entrer dans les Forges de la ville pour tenter d'y trouver quelque chose. Il fallait absolument éviter les derniers travailleurs et rentrer aussitôt après sans se faire repérer par la milice. Ulquiorra trouvait ce plan, imaginé par Grimmjow, bien trop périlleux, mais l'instigateur avait au moins le mérite de ne pas manquer de courage ni de détermination. Ulquiorra avait donc fini par le suivre « pour mieux le surveiller ».

— Tu avoueras tout de même que c'est insensé répliqua ce dernier des enfants n'ont rien à faire dans la rue à cette heure.

La réplique d'Ulquiorra était juste. Les trois garçons étaient des Dogs et comme tous les enfants de cette caste, orphelins comme eux ou non, il n'était pas bien vu de gambader le soir après l'heure du dîner. Ichigo repensa aux draps de leur futon qu'ils avaient rembourrés avec des coussins avant de partir, au cas où leur tuteur, Zaraki Kenpachi, jetterait un coup d'œil dans leur chambre. Maintenant, il avait bien envie de s'y glisser dedans.

— C'est la Sourdine, pas encore le couvre-feu. Suffit de rester discrets ; expliqua Grimmjow ; Si des Sinners nous chopent, ils ne feront que nous rappeler à l'ordre.

— C'est faux ; reprit Ulquiorra ; L'Heure Sourde précède le couvre-feu pour laisser le temps aux travailleurs de se restaurer et de rentrer chez eux. Si des Sinners nous voient, ils vont juste penser qu'on prépare un mauvais coup et nous punir ! Renji a dit qu'ils pouvaient frapper les…

— Tu veux lui faire encore plus peur ou quoi ?! chuchota lourdement Grimmjow en pointant le rouquin du doigt ; Et depuis quand tu crois tout ce que dit Renji ? S'il raconte ça, c'est pour dissuader tout le monde de faire ce qu'on est en train de faire. Il ne se gêne pas lui ! Et comme par hasard, demain, il trouvera la poupée en premier. Et ça sera la troisième fois qu'il gagne le jeu !

Ichigo se mordit la lèvre inférieure en acquiesçant et Ulquiorra soupira de lassitude.

— Écoutez-moi vous deux ; reprit Grimmjow en chuchotant ; Je suis sûr que la poupée est là-dedans. Si on la trouve ce soir, on sera sacrés Rois demain les doigts dans le nez !

— Et si on ne la trouve pas ?

Ichigo semblait avoir posé la question fatale. Le silence de la brise leur répondit et Grimmjow serra les dents en fuyant le regard. Bien sûr, il n'avait à aucun moment prévu ce détail. Selon lui, en cherchant en avance la Poupée, ils gagneraient le jeu le lendemain, seraient sacrés Rois et seraient enfin reconnus à leur juste valeur. Il n'y avait pas d'échec possible dans son plan.

— Si on ne la trouve pas, on se sera mis en danger pour rien ! jugea Ulquiorra d'un ton critique.

— On aura au moins essayé !

— Et plus jamais je ne suivrai tes plans ridicules !

— Très bien, très bien ! En attendant, moi au moins je propose quelque chose !

Ulquiorra et Ichigo restèrent interdits. Grimmjow profita de leur silence :

— C'est vrai, vous ne pensez qu'à vous plaindre ! Et pendant ce temps, on continue de perdre le Sacre mois après mois. Vous n'en avez pas marre ? C'est toi, Ulquiorra, qui m'a dit que tu voulais détrôner Renji une bonne fois pour toutes ! Demain, on gagnera, on sera Rois pendant un mois et on prendra notre revanche. Point barre. Mais si vous êtes de trop grosses poules mouillées pour accomplir le plan, je pars tout seul !

Ichigo savait à quel point c'était important pour Grimmjow de gagner ce jeu. Ce n'était pas forcément pour se moquer des perdants ni pour faire le fier auprès des filles. Il avait cette envie de réussir au creux du ventre, « dans les tripes », comme disait Zaraki. Et si cette envie n'était pas enfin assouvie, Ichigo imaginait à quel point cela pourrait le faire souffrir.

Ulquiorra, quant à lui, devait avouer que Grimmjow avait raison. Il en avait aussi assez des victoires de Renji. D'abord parce qu'il faisait le fier un mois entier comme si tout lui était dû – ce qui n'était pas si faux selon les règles – mais aussi et surtout parce qu'il s'amusait bien à les ridiculiser en sous-fifres à chaque fois.

— Alors, vous me suivez ?!

Ichigo mesura ses tremblements et inspira un grand coup :

— Oui, Grimm' !

Ulquiorra se releva de sa position accroupi et s'étira comme pour réunir toute son énergie :

— Comme si on allait te laisser t'attribuer tout le mérite dit-il d'un air supérieur.

Grimmjow se calma face à l'acquiescement de ses compagnons. Seule demeura en lui une profonde excitation à mettre à profit.

Les Forges étaient le principal lieu de travail des Dogs, tant pour les hommes que les femmes. C'est avec la ferraille construite qu'on créait des outils, des armes, des maisons glorieuses pour les castes élevées et des taudis pour les plus infortunés. On consolidait aussi le Mur, immense rempart qui entourait la Cité, et on renforçait ceux de la Prison.

Même à cette heure tardive, les cheminées fumaient encore, laissant une lourde brume s'affaisser au sol. On entendait encore quelques rires gras et des coups de marteau donnés sur la ferraille brûlante. Les contremaitres finissaient les dernières commandes de la journée, rangeaient leurs outils et remplissaient leur inventaire.

— On va se faire repérer à trois ; chuchota Grimmjow ; Il faut qu'on se sépare.

— Quoi ? sursauta le rouquin Mais… on va se…

— Se perdre ? Ne me fais pas rire, depuis le temps qu'on joue dans les Forges, on les connait par cœur.

Le garçon acquiesça gravement. Sans doute que la nuit et la transgression donnaient à cette promenade solitaire un tout autre frisson.

— Il a raison ; conclut Ulquiorra ; en se séparant, on aura plus de chance de trouver ce que l'on cherche. Dans tous les cas, on se retrouve ici dans dix minutes.

Grimmjow hocha la tête vigoureusement et ce fut l'heure de se séparer. Le premier se dirigea vers l'entrepôt tandis qu'Ulquiorra alla parcourir la soufflerie. Ichigo serra les dents et resta quelques secondes dans son petit coin caché de tous. Puis, il se décida à se lever. Ses jambes tremblaient déjà. Il ne craignait rien, n'est-ce pas ? Et si quelqu'un le voyait, il n'aurait qu'à courir pour aller se cacher ici et attendre ses camarades. C'était certainement mieux d'avouer à Grimmjow qu'il avait abandonné ses recherches pour ne pas être vu que de s'attirer les pires ennuis et que cette histoire remonte à Zaraki. Le cœur plus léger, il se lança à pas de loups dans les couloirs, à l'écoute du moindre bruit et le regard perçant, à la recherche de la poupée.

Recherche de Grimmjow

Le Sacre était un jeu simple. Tous les enfants Dogs le connaissaient. C'était comme s'il existait déjà bien avant leur naissance. Chaque mois, les enfants qui le souhaitaient se lançaient à la recherche de la Poupée Roi, cachée quelques part dans les quartiers. Celui ou celle qui la trouvait se voyait sacré.e Roi ou Reine pendant un mois entier et pouvait régner comme l'entendait sur les autres enfants. Bien sûr, comme ce n'était qu'un jeu de rôle, l'enfant avait le droit de refuser l'ordre donné. Mais la perspective de gagner le mois suivant et de voir ce Roi éphémère à ses pieds au prochain jeu était trop tentante. S'il voulait commander à son tour, il lui fallait d'abord obéir. Au fur et à mesure, cette convention avait pris une telle importance que refuser de participer ou se révolter était mal-vu de tout le monde. À la fin du mois, la poupée était reposée à son dernier emplacement et changeait de place. On ne savait pas comment, on ne savait pas par qui. On disait que certains avaient tenté de conserver la poupée avec eux mais ça n'avait jamais marché.

C'était ainsi que le jeu était fait et personne ne dérogeait aux règles.

Assez naturellement, chaque enfant jouait pour sa pomme. Mais les orphelins Grimmjow, Ichigo et Ulquiorra étaient comme des frères. Ils voulaient gagner à trois. Pour autant, le nombre ne faisait pas la fortune. Ils n'avaient à ce jour jamais gagné et Renji, l'éternel vainqueur, ne manquait pas de leur rappeler. Pour le devancer, ce mois-ci, Grimmjow avait décidé en tout état de cause de tricher. Persuadé que son rival en faisait de même, il ne serait pas étonné de tomber sur lui ce soir. Il avait choisi les Forges comme destination car, depuis plusieurs mois, il avait observé que la Poupée s'était retrouvée partout sauf dans cette zone. Il fallait maintenant le prouver.

Mais, malgré tous les efforts que Grimmjow fournissait, il sentit monter en lui avec les minutes qui passaient un premier sentiment de doute. Et s'il s'était trompé ? Et si la poupée n'avait pas encore été placée ? Et si Renji l'avait volée ?

Il avançait avec assurance dans le dédale de couloirs des espaces abrités des Forges. C'était l'entrepôt principal. Une suite de pièces sombres remplies de caisses pleines d'armes et d'outils. L'endroit parfait pour y cacher une Poupée.

La dizaine de minute allait bientôt être écoulée et Grimmjow se sentit transpirer de colère et d'inquiétude.

Recherche d'Ulquiorra

Il avait entrevu plusieurs travailleurs à la soufflerie. Des femmes remettaient leur kimono en place et réunissaient leurs affaires tandis que les hommes rangeaient les outils. Ulquiorra ne put s'empêcher de constater, dans cette ambiance silencieuse et fatiguée, toute la dureté de la vie d'un Dog à sa tâche. Zaraki leur disait assez souvent que cette caste était honorable et qu'il fallait en être fier car les Dogs étaient les bâtisseurs de la Cité, ceux qui offraient leurs mains à la Couronne et construisaient les plus hautes tours et les plus robustes forteresses qui seraient encore là bien après leurs morts, pour des siècles et des siècles à venir. Mais ce travail avait un prix. Et il s'incarnait là, sous ses yeux, en ces femmes au dos voûté et ces hommes aux mains calleuses et brûlées.

Ulquiorra se reconcentra enfin sur sa mission. Ce jeu paraissait dérisoire dans une vie aussi misérable et difficile et pourtant, tous les enfants s'y raccrochaient chaque mois. Le brun avait longtemps compris pourquoi : le Sacre permettait à n'importe lequel d'entre eux de devenir qui il voulait, de s'imaginer dans une autre caste, avec une autre vie et d'autres droits.

Mais pour rêver, il fallait encore qu'ils trouvent la Poupée. Et il ne voyait rien, même en fouillant entre les ateliers où s'amassaient les outils et les matériaux.

— Ce bêta… C'est un plan voué à l'échec. Pour qui il se prend ?! dit soudain une voix grave.

Ulquiorra s'arrêta dans son chemin pour éviter de se faire remarquer. Des hommes parlaient plus loin et l'enfant put se cacher derrière des paravents pour ne pas être vus.

— Vous savez, chef, il y en a qui sont jugés bien trop vite. Les procès pour les Dogs, c'est qu'une vaste blague. Même avec l'aide des Pasteurs. Ça leur est facile de nous coller une étiquette de Freak et ils s'en portent mieux ainsi !

— Ne lui cherche pas d'excuse ! Ce n'est pas une raison pour nous mettre tous en danger ! Les Sinners vont agir, c'est certain !

— Rentrons chez nous, chef, ça vaut mieux. Si les Sinners arrivent, mieux vaut ne pas être là.

Il y eut un dernier grognement en signe d'acquiescement et Ulquiorra entendit le bruit de leurs pas s'éloigner peu à peu.

Il avait un mauvais pressentiment. Soudain, il eut l'impression qu'un élément leur avait échappé et qu'ils n'avaient rien à faire ici.

Recherche d'Ichigo

Ichigo ouvrait grand les yeux partout où il passait. Il faisait encore chaud mêmes si les feux étaient éteints dans chaque four. Les braises brûlantes et rouges crépitaient dans les antres de pierres et le petit rouquin slalomait entre eux avec le plus de vigilance possible.

Il ne voyait pas la poupée. L'espace d'un instant, en se lançant à sa quête tout seul avec tout son courage, il avait espéré au plus profond de lui la trouver. Juste pour faire plaisir à Grimmjow et qu'il soit fier de lui. Mais il ne voyait toujours rien et les minutes s'égrenaient.

Soudain, il entendit du grabuge un peu plus loin, comme des talons qui frappent le sol d'un pas lourd et des bruissements d'habits. Puis il y eut des chuchotements. Aussitôt, Ichigo se recroquevilla derrière un four.

— On était sûr qu'il irait se cacher au bordel, Commandant !

— Oui c'est vrai, il y a que ces filles d' joie pour cacher des Freaks de la pire espèce !

— Taisez-vous !

Il y eut un coup et quelques gémissements de douleur :

— C'était dans votre plan d'engrosser toutes les filles du bordel pour vous assurer que le Freak ne se cachait pas dans leur ventre ? Crétins ! Je perds du temps à cause de vous !

— On est désolé, chef !

— C'est ces femmes qui…

— J'en n'ai rien à faire ! Maintenant, vous vous activez et vous ramener les autres aux Forges. Il est forcément ici, cet enfoiré. Et c'est moi qui le trouverai. Ce petit Freak ne jouera pas longtemps au chat et à la souris avec moi.

Ichigo les entendit dépasser les fourneaux et se releva après leur passage, les jambes flageolantes et la bouche béante de surprise et de peur. Il fallait qu'ils partent d'ici au plus vite ! Ces hommes étaient des Sinners, à n'en pas douter ! Et l'un des trois était le Commandant en chef ! Pour une telle intervention, il devait se passer quelque chose de grave, ici même, dans les Forges. Et Ichigo était prêt à parier que cette histoire n'avait rien à voir avec la Poupée.

Il se dirigea vers le point de ralliement. Il crut tout le long entendre des bruits de pas et maintenait constamment sa tête tournée vers l'arrière si bien qu'il finit par rentrer dans Ulquiorra et que les deux manquèrent de peu de crier de surprise.

— Ah enfin, tu es là ! chuchota Ulquiorra.

— C'est… C'est terrible ! Ulquiorra ! Il y a un Freak dans les Forges !

— Quoi, tu l'as vu ?!

— Non, mais il y a des Sinners qui le recherchent ! Ils sont au moins trois et… et… il y a le Commandant avec eux !

— Tch… Je m'en doutais, les forgerons avaient l'air sur leur garde… Il faut qu'on parte d'ici. Mais où est Grimmjow ? Il devrait déjà être là !

Les deux garçons étaient assez bien cachés mais savoir un Freak près d'eux leur donnait l'impression qu'ils pouvaient trépasser à tout instant. Par définition, les Freaks étaient hors des castes reconnues par la Couronne. Ils formaient un groupe à part, retenus en Prison et parfois même condamnés à mort. Toutes sortes de légendes courraient à leur sujet et les enfants en étaient les meilleurs colporteurs. Tantôt ils mangeaient de la chair humaine, tantôt ils faisaient de la magie noire… Même Ulquiorra avait fini par frissonner à leur mention.

— On va l'attendre, il ne va pas tarder ; finit-il par dire.

— Non ! Tu comprends pas ? Grimmjow est en danger !

Ichigo n'était pas connu comme le garçon le plus courageux. Aussi, Ulquiorra fut choqué quand le rouquin sortit de la cachette en chuchotant ardemment :

— Je vais le chercher et nous partirons !

Le brun voulut le rappeler à l'ordre mais ce fut peine perdue. Ichigo s'enfonçait déjà un peu plus loin dans l'obscurité des Forges. Il lui sembla tout à coup que pour Grimmjow, Ichigo était prêt à tout et trouverait toujours un courage quasi inespéré.

OoOoOoOoOoOoOo

Grimmjow sentait qu'il allait abandonner. Les dix minutes étaient écoulées et il fallait qu'il retourne au point de ralliement. Peut-être serait-il plus chanceux demain, au grand jour. Mais, alors qu'il faisait demi-tour en longeant le dernier couloir des salles d'entrepôts, un bruit attira son attention. Comme un craquement sur le vieux parquet en bois dans une pièce dont la porte était entrouverte. Il ne distinguait que la lueur d'une bougie à l'intérieur. Si c'était un contremaître qui faisait l'inventaire à l'intérieur, Grimmjow devait disparaître sur le champ. Mais si c'était un rat, il pourrait toujours jeter un dernier coup d'œil dans cette salle qu'il n'avait pas encore inspectée. Et si c'était Renji, en pleine expédition lui aussi ? Alors, dans ce cas, Grimmjow se ferait un plaisir de le prendre la main dans le sac.

En approchant, il n'entendit plus un bruit. Il n'en fallut pas plus pour le décider. Après tout, il devait se dépêcher.

La porte valsa en jouant sur ses gonds dans un bruit strident. La pièce se découvrit à lui, plongée dans l'obscurité autour du halo de lumière que produisait la bougie. Posée sur un tonneau, elle faisait étinceler le fer des épées rangées dans les caisses encore ouvertes. Soudain, une couleur pâle attira son attention dans un coin. La poupée. La poupée était juste là, à peine cachée, assise sur des caisses en bois, n'attendant que lui.

Mais au moment d'avancer pour la saisir, Grimmjow entendit, tout près dans son dos, derrière la porte, un sifflement rauque, comme l'expiration d'un ballon crevé. Il se retourna vivement.

Une ombre était assise sur un tonneau de bois. Grande et effilée, elle se détachait avec peine des ténèbres qui entouraient le reste de la pièce comme si elle en faisait partie. La lueur de la bougie, trop loin pour l'en détacher pleinement, n'éclairait qu'une moitié du corps. Une peau d'albâtre jaillit des profondeurs obscures. Une musculature saillante au niveau des bras, un torse dénudé masculin. La tête n'était pas visible. L'inconnu tenait contre lui un katana étincelant.

Grimmjow n'aurait pas vraiment pu expliquer pourquoi mais il sut immédiatement que l'homme en face de lui ne travaillait pas aux Forges et qu'il n'était peut-être même pas de la même caste que lui. Pire encore, l'aura qui se dégageait de lui provoquait en lui une peur tenace.

— Qui êtes-vous ?!

Après avoir parlé, il se rendit compte d'une autre chose : cet homme ne se baladait sans doute pas comme lui dans les Forges au milieu de la nuit, à la recherche de la poupée. Il se cachait plutôt de quelque chose… ou de quelqu'un.

— Tiens, tiens… Voilà un petit Dog qui aboie bien fort, dis donc.

L'ombre se leva. Elle était encore plus immense que ce que Grimmjow avait anticipé. Il saisit aussitôt le petit couteau suisse qu'il avait dans la poche. Le manche était cassé et la lame émoussée mais elle le rassurait au moins un peu. Il brandit son arme de fortune :

— N'approchez pas !

L'homme émit un petit rire amusé qui fit sursauter le garçon de peur. Grimmjow n'avait jamais rien entendu d'aussi terrifiant.

— Tu me donnes un ordre, petit ? Ça fait sept ans qu'on m'ordonne tout ce que je dois faire à longueur de journée…

L'homme s'approchait toujours et Grimmjow reculait encore. Il se sentait ridicule avec sa petite lame face au katana de l'autre. Mais il serait sans doute encore plus ridicule de vouloir soulever une des armes rangées près de lui. Ces épées étaient lourdes et faisaient presque sa taille. Il trébucha soudain sur l'une des caisses et tomba à la renverse par terre. Dans sa chute, il frappa sa tête contre la pile qui portait la poupée et la dernière lui tomba dans les mains. L'homme sembla amusé :

— Oh ! Tu avais perdu ton doudou, petit Dog, c'est ça ?

Grimmjow eut l'impression qu'il fallait mentir. Comme si c'était une maigre chance pour l'intimider :

— Non… Je… Je travaille ici ! Je vais appeler le contremaître et on verra bien ce qu'il vous fera !

— Ahah ; continua de rire l'homme ; ne me mens pas, petit Dog. Un gamin en service pendant l'Heure Sourde ? Je n'y crois pas trop. Et tu es bien trop maigre et propre pour travailler aux Forges !

Tout à coup, la lueur de la bougie permit à Grimmjow de visualiser ce qu'il portait en guise de pantalon. Il avait au départ seulement observé son torse maigre, dont on voyait les côtes surgir entre les plaies et différentes contusions. Des tatouages marbraient les épaules et les bras. Mais ce bas, sorte de large étoffe ceinturée, d'un bleu nuit reconnaissable entre tous, le fit frémir encore plus. Il n'y avait plus de doute possible. C'était ce hakama que portaient tous les prisonniers. L'homme en face de lui était un Freak.

Grimmjow sentit son ventre se tordre et ses membres se mettre à trembler. Il ne savait même pas s'il pourrait se relever, si ses jambes ne se déroberaient pas sous son poids. Un Freak. C'est la première fois qu'il en voyait un d'aussi près. On disait des tas de choses sur eux mais les voir en vrai était encore plus effrayant.

— Tu as peur de moi, hein, c'est ça ? On est de la même caste, gamin. Tous deux des chiens du Roi.

— Vous… Vous êtes…

— Un monstre ? Les vrais monstres c'est ceux de là-haut tu ne crois pas ? ; dit-il en pointant un doigt vers le plafond ; Ceux qui t'ont mis ce collier autour du cou comme une laisse.

Grimmjow portait en effet ce fin collier en billes de fer depuis sa naissance. Une plaque pendait au bout, portant l'inscription de sa caste et un numéro de recensement.

— Et merde…

Un faux pas semblait avoir fait gémir le prisonnier de douleur. Grimmjow remarqua alors des gouttes qui tombaient au niveau de ses pieds nus pour former une flaque noirâtre. Il avait été blessé au niveau de la cuisse et du sang s'écoulait sur toute la longueur de sa jambe.

— J'ai pas le temps de discuter avec toi. Mais tu pourrais m'être utile. Mon complice est en retard et les Sinners sont déjà là. Il faut que j'arrive à sortir de cette foutue Cité sans que ces salauds ne m'attrapent.

Il sembla contempler le garçon un instant, en réfléchissant. Grimmjow vit alors son visage. Des cheveux sombres aux reflets bleus foncés retombaient de manière désordonnée sur son front, sales et poussiéreux. Son visage était fin, creusé au niveau des joues. Ses lèvres étaient si fines et abîmées qu'elles semblaient craquer à chaque fois qu'il étirait un sourire.

— Ils n'oseront pas attaquer un gentil et mignon petit Dog comme toi, hein ?

Grimmjow crut que c'était bientôt la fin. Il ne comprenait pas vraiment ce qu'il se passait mais il savait que ça n'avait rien de bon.

Tout à coup, surgissant dans le silence alentour, la voix d'Ichigo sembla creuser un nouvel espoir au plus profond de lui :

— Grimm' ? Grimm' ! T'es où ? Faut vite qu'on s'en aille, il y a des Sinners partout !

Le prisonnier fut aussi surpris. Il tourna la tête pour regarder dans l'entrebâillement de la porte. Grimmjow sut en une seconde que c'était là sa chance de s'en sortir. Quand la chevelure rousse d'Ichigo apparut à l'entrée de la pièce, Grimmjow se remit debout en puisant dans les forces qui lui restaient. Puis, en passant tout à côté du Freak, il planta sa lame dans sa cuisse en poussant de toutes ses forces, avant de se mettre à courir. Le Freak gémit de douleur. Au même instant, Ichigo hurla de peur en reconnaissant le hakama bleu nuit à la lueur de la bougie.

— Cours, Ichi' !

Grimmjow s'élança en dehors de la pièce en prenant la main de son ami au passage. Son cri allait alerter les Sinners. Il fallait qu'ils s'échappent au plus vite.

Il ne réfléchit pas plus longtemps et allongea sa foulée quand il entendit le Freak les maudire et les rattraper en courant. Ils sortirent des couloirs étroits des Forges et contournèrent le foyer. Ulquiorra était là, les voyant arriver. Ses yeux s'arrondirent de surprise et il devint plus pâle en quelques secondes.

— Enfuis-toi Ulquiorra !

Mais Grimmjow et Ichigo arrivaient bien trop vite. Le dernier enfant n'eut pas le temps de comprendre ce qu'il se passait réellement qu'ils le dépassèrent déjà dans leur course. Grimmjow l'appela encore, élevant la voix, mais le temps qu'Ulquiorra se mette à courir, il était déjà trop tard.

Le Freak était peut-être blessé mais restait robuste. Il attrapa le troisième garçon avant qu'il ne s'échappe et le saisit au col.

Soudain, on entendit des Sinners courir et crier :

— Sale Freak ! Tu nous échapperas pas !

— Putain d'merde…

Le prisonnier souleva Ulquiorra. Il le serra contre sa poitrine, son bras appuyant contre sa gorge. Le pauvre enfant criait et gigotait dans tous les sens pour s'extirper mais la poigne était trop forte et ses jambes pendaient dans le vide.

Grimmjow et Ichigo ne pouvaient pas partir sans lui. Mais ils ne pouvaient pas le sauver ! Et ils ne pouvaient pas se montrer aux Sinners. Grimmjow se cacha avec Ichigo derrière une cargaison de tubes de fer. Ils voyaient la scène se dérouler au loin. Ulquiorra était dans les bras du Freak qui avait stoppé sa course et menaçait les Sinners qui s'approchaient avec de violents coups d'épée.

Il y avait bien cinq soldats contre lui seul mais Ichigo ne reconnut pas le Commandant parmi eux.

— Laisse tomber Freak ! Accepte ton sort et lâche ce gosse.

— Vous oserez pas égorger un gamin, hein ? C'est contraire à la Loi, n'est-ce pas ?

Il y eut un silence angoissant entre les Sinners qui l'entouraient maintenant. Le prisonnier masqua sa gêne en voyant leur sourire. Ils étaient sérieux. Ils n'avaient donc aucune morale :

— C'est pas un chiard qui va m'empêcher de m'amuser un peu avec toi, Freak !

Un des Sinners s'élança, katana en avant. Le prisonnier joua de son arme pour le contrer mais perdait son équilibre et sa rapidité avec le garçon dans ses bras et sa blessure à la jambe. Son épaule fut légèrement écorchée. Ulquiorra était en panique, complètement tétanisé.

Après le passage du premier soldat, les autres suivirent. Chacun y alla de son propre coup. Grimmjow et Ichigo voyaient tout de loin et restaient pétrifiés. Ichigo pleurait à chaudes larmes dans les bras de Grimmjow. Ce dernier se mordait la lèvre inférieure, plein de remords et de colère. Alors qu'Ichigo se lamentait en répétant « Il faut qu'ils arrêtent… Pourquoi ils font ça ? » Grimmjow ne respirait presque plus et gardait ses yeux fixés sur la bataille. Il se sentait inutile et ce sentiment le rongeait de l'intérieur.

Soudain, il y eut un gémissement plus fort, provenant du Freak. Un lent et profond râle qui fit trembler les enfants. Ils aperçurent à peine ce qu'il se passait. Les Sinners tout autour rigolaient à plein poumons. Puis le corps maigre et torse nu du prisonnier s'affaissa à terre, emportant Ulquiorra avec lui. Un homme immense aux longs cheveux noirs se tenait derrière. Il avait enfoncé son katana dans le dos du prisonnier sans aucun remord et souriait maintenant d'avoir tué le Freak, même d'une manière aussi déloyale.

— Commandant ! Vous avez encore réussi !

— Quel coup de maître !

— Vous avez bien fait. Il n'en valait pas la peine.

Le brun perdit son sourire en massant sa nuque d'un air las :

— Quel imbécile. À quel moment a-t-il cru que son évasion passerait inaperçue ? Les Freaks s'attachent vraiment au moindre espoir, c'est affligeant. Fouillez les Forges, vous autres ! Le Freak était là dans un but bien précis !

Le capitaine avisa le petit garçon à terre, à moitié sous le corps du cadavre.

Il s'accroupit face à lui après avoir rangé son arme dans son fourreau et l'agrippa aux cheveux.

— Serais-tu au courant de quelque chose, petit ?

Ulquiorra ne sut rien dire et resta pétrifié, d'une pâleur fantomatique, affaissé sous le Freak et baignant dans son sang qui avait entaché ses cheveux et son visage.

— Mh, non, toi tu ne sais rien. Tu as bien trop peur pour me cacher quelque chose.

Le Commandant se releva et lui donna un coup de pied dans le nez.

— Dépêche-toi de rentrer chez ta mère, le mioche. Ça sera bientôt le couvre-feu.

Les hommes revinrent de leur patrouille. Ils n'avaient trouvé personne dans les Forges.

— Évidemment. Après un combat aussi bruyant, pas étonnant que tout le monde ait foutu le camp. Nous aussi, on s'arrache, allez…

La troupe de Sinners quitta les lieux en rengainant leurs armes et laissant là le cadavre du Freak et le petit garçon en-dessous. Ichigo et Grimmjow restèrent un instant immobiles et cachés. Le silence revint. Mais il n'avait rien d'apaisant. Il semblait plutôt amener avec lui la Mort après la tempête. Les deux enfants sortirent enfin de leur cachette. Ils s'approchèrent à petits pas du duo à terre. Ils baignaient dans une flaque de sang. Ichigo serra si fort la main de Grimmjow que ce dernier grimaça de douleur. Mais il le laissa faire. Il se concentrait plutôt sur sa respiration car il se sentait à bout de souffle. Cette vision le tétanisait complètement.

Le Freak gisait là, sur le ventre. Une immense plaie béante et noire entourait le haut de son dos, juste sous sa nuque. Mais il n'était pas encore mort. Il agonisait en s'étouffant dans son propre sang qui dévalait de sa bouche, ses yeux se fermant et se rouvrant à toute vitesse. Ulquiorra était tout contre lui, sous sa poitrine, et encaissait son poids. On ne voyait que ses cheveux noirs en bataille et un œil, vivement ouvert, bloqué sur la scène terrifiante qui se passait tout près de lui.

Grimmjow trouva la force de se baisser pour le tirer des bras du prisonnier. Ce fut facile car aucune force ne le retenait. Puis les trois enfants réunis se turent en regardant le blessé mourir. Cela prit moins d'une minute mais sembla durer bien plus longtemps. Le Freak gémit un peu, d'une voix presque trop basse pour être entendue. Il toussa et sursauta. Ses yeux regardaient dans le vide puis tout à coup ils tombèrent sur ceux de Grimmjow. Ce dernier sentit son cœur se soulever. La seconde suivante, le Freak était mort mais son regard resta planté sur lui.

Le silence de la nuit qui s'en suivit fut indescriptible pour Grimmjow. Jamais il ne s'était senti si triste, si seul malgré ses deux amis, si faible et si impuissant. Il eut presque l'impression que la nuit l'avait engloutie dans son obscurité et qu'il mourrait en même temps que cet homme.

Ce fut les pleurs d'Ichigo qui le ramenèrent à la surface. Le petit rouquin déversait de grosses larmes en gémissant, sans pouvoir faire exprès, comme si son corps apeuré parlait pour lui. Grimmjow ne put rien lui dire. Il aurait pu le prévenir qu'il faisait trop de bruit ou lui rappeler qu'ils étaient des grands maintenant et qu'à dix ans, on ne pleurait plus. Mais il ne dit rien. Il le laissa faire et prit le temps de regarder l'état d'Ulquiorra.

— Grimm'… Ulquiorra… il… il…

Le corps entier du brun tremblait et ses yeux verts étaient grands ouverts, dans une expression figée de stupeur et d'effroi, fixant un point dans le vide. Du sang maculait l'entièreté de son visage, ses cheveux et ses vêtements. Une respiration courte mais rapide s'échappait de sa bouche à peine ouverte.

Grimmjow le redressa et le secoua aux épaules pour le ramener à la réalité. Mais son regard était ailleurs. Il ne répondait pas.

— G-Grimm'… qu'est-ce… qu'est-ce qu'il a ?!

Grimmjow ne savait pas. Il n'en savait absolument rien. Et il détesta immédiatement ce sentiment d'impuissance qu'il ressentait pour la première fois. Sa colère et sa peur mouillaient ses yeux qu'il ne cessait de frotter avec sa manche. Dès qu'une larme brouillait sa vue, il la chassait rageusement du revers de son bras.

Il continua de secouer légèrement Ulquiorra et de l'appeler en murmurant. Mais ça ne faisait rien. Ulquiorra était ailleurs. En train de revivre encore et encore la scène qui s'était passée sous ses yeux. Pour la première fois de sa vie, Grimmjow se sentit véritablement en détresse. Il ne savait pas quoi faire. Lui, un enfant, au beau milieu de la nuit, à devoir aider ses amis. Il devait prendre les devants, comme il avait toujours voulu. Mais il n'avait pas la moindre idée ce qu'il fallait faire.

Et il se sentait fautif. À cette heure, les enfants devaient être dans leur lit, en train de dormir. Il avait voulu croire qu'il n'y avait aucun danger d'insurmontable au dehors, qu'il pourrait tout commander et tout contrôler parce qu'il était plus malin et plus fort que tout le monde. Mais ce n'était pas vrai. En ce seul coup qui avait tué un homme, il avait compris que tout ce qu'il croyait n'était pas vrai. En fait, il était juste un enfant. Et juste un Dog, de surcroît.

Au final c'était cela : il avait commis une erreur, il avait mis en danger ses amis et il se sentait impuissant. Toutes ces émotions bouillonnèrent dans son ventre, arrachant plus de larmes à ses yeux qu'il s'évertuait de balayer. Il détestait ça. Il détestait tout. Il détestait avoir fait une erreur. Il détestait avoir mis en danger ses amis. Il détestait ne pas savoir quoi faire pour tout arranger.

Et il se haïssait pour la première fois de sa vie, le cœur rempli de remords.

— Grimm'… Grimm'… J'ai peur…

Grimmjow tourna sa tête pour voir Ichigo. Ce dernier avait fermé ses yeux avec force et pleurait toujours en tirant sur ses habits, la respiration haletante. Ses maigres épaules tremblaient et il frottait ses cuisses l'une contre l'autre. Une odeur surgit soudain. Le pantalon d'Ichigo s'humidifia peu à peu sur tout le long de ses jambes et l'enfant redoubla ses pleurs.

Grimmjow se releva en portant contre lui Ulquiorra et s'approcha du rouquin qui venait honteusement de s'uriner dessus.

— Je suis désolé ; gémit Ichigo ; je suis désolé… j'ai… j'ai… pas fait exprès…

— T'inquiète pas pour ça, Ichi', c'est pas grave ; répondit Grimmjow avec le plus d'assurance possible ; On va… on va rentrer à la maison… c'est fini, d'accord ?

Ichigo rouvrit les yeux et acquiesça, plus que satisfait d'entendre cela. Il voulait vraiment être à la maison maintenant et oublier tout ça.

— Grimmjow ? Ichigo ?! Mais qu'est-ce que vous fichez ici ?!

Les enfants crurent défaillir en entendant une voix familière. Il leur sembla tout à coup qu'ils étaient sauvés. À une dizaine de mètres, ils aperçurent Ikkaku, un homme au crâne rasé et à la carrure musclée. Il était accompagné de Yumichika et tous deux étaient aussi des pensionnaires vivant sous le toit de Zaraki.

— Oh mon dieu ; dit Yumichika en se mettant à courir dans leur direction quand il reconnut un homme à terre.

Ichigo recommença à pleurer bruyamment, douloureusement soulagé de se sentir un peu plus en sécurité avec des adultes pour s'occuper d'eux. Yumichika prit le petit garçon dans ses bras en se baissant à leur niveau :

— Chut, chuut, Ichi', ça va aller, ça va… ; fit-il d'une voix rassurante avant de se figer ; Grimm'… Oh mon dieu, Ulquiorra… Ce… Ce n'est pas son sang dis-moi.

Grimmjow nia d'un coup de tête et pointa du doigt le cadavre par terre :

— C'est son sang à lui.

Yumichika passa une main devant sa bouche :

— Mais qu'est-ce qu'il s'est passé, les enfants ? murmura-t-il.

— Vous avez rien à foutre dehors à cette heure ! reprit d'un ton plus fort Ikkaku en arrivant sur la scène ; C'est quoi ce bordel ?!

Grimmjow baissa la tête, conscient d'être celui sur qui toutes les remontrances devaient s'adresser. Il haussa les épaules :

— C'est des Sinners qui ont fait ça.

— Ikkaku, c'est un Freak ; observa Yumichika d'un air horrifié.

— On était venu pour chercher la Poupée Roi…

— La Poup… Putain, encore votre foutu jeu, hein ?! Vous pouviez pas attendre demain comme tout le monde ? Voilà ce qui arrive quand on veut sortir pendant le couvre-feu ! Vous auriez jamais dû voir ça ! Jamais ! gronda Ikkaku.

Grimmjow tremblait maintenant et n'arrivait plus à tenir Ulquiorra. Yumichika vint l'aider en prenant l'enfant pour le calmer dans ses bras alors qu'il était encore en état de choc.

Ikkaku leva le menton de Grimmjow en espérant trouver un regard de défi, comme c'était habituellement le cas avec cette petite tête brûlée à la maison :

— C'est encore toi qui a manigancé tout ça ?! Tu es fier de toi ?!

Mais il ne trouva aucun regard rebelle sur le visage du garçon. Il regretta tout de suite le ton qu'il avait utilisé car Grimmjow pleurait silencieusement. Ses yeux tremblaient d'une tristesse qu'il avait rarement vue chez quelqu'un. Des larmes s'échouaient sur ses joues. Le pauvre ne savait plus quoi dire :

— C'est ma faute… Non, j'suis pas fier… Je veux juste rentrer… Je veux qu'on soigne Ulquiorra et qu'Ichigo arrête de pleurer… S'il vous plaît… Je suis désolé…

Ikakku passa une main sur son crâne chauve en soupirant grandement. Il était vrai qu'il ne ferait pas un bon père. Gronder des gamins qui étaient terrifiés, seuls et en détresse après avoir assisté au meurtre d'un Freak par des Sinners, ce n'était pas la meilleure solution.

— Excuse-moi d'avoir crié, Grimm', on va rentrer ; fit-il d'un ton plus bienveillant ; Vous étiez juste vous trois, hein ? Il n'y a pas d'autres enfants ici ?

Grimmjow acquiesça. Ikkaku prit soin de prendre Ulquiorra dans ses bras. Il semblait revenir peu à peu à la réalité. Ichigo avait arrêté de pleurer mais voulait retourner dans les bras de Yumichika. Ce dernier le souleva alors en se relevant.

Soudain, la cloche sonna trois coups qui firent de lourds échos. Le couvre-feu commençait.

— On rentre ; annonça Ikkaku ; on doit laisser le corps ici : il sera récupéré demain et enterré.

Ils se mirent en marche. Grimmjow resta tête basse, tout proche de Yumichika. Ce dernier comprit qu'il n'osait pas demander de prendre sa main car il pensait sans doute que cela n'était plus de son âge. Mais le pauvre avait besoin de réconfort, autant qu'Ichigo lové dans son cou. Alors il posa lui-même sa main sur une épaule pour le rapprocher de lui et le serrer contre sa cuisse pendant qu'ils marchaient. Puis il caressa ses cheveux lentement, lui signifiant qu'il n'était plus seul maintenant. Grimmjow, le regard baissé, accepta l'attention sans rien dire.

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Grimmjow se tenait droit, résigné et prêt. Il était stupide d'avoir des remords et trop tard pour revenir en arrière. Il entendait son cœur battre fort, dans l'attente du sort qui lui était réservé. Mais il était tout de même rassuré d'être à la maison.

Une fois rentrés, Ikkaku était allé prévenir Zaraki dans sa chambre à l'étage. Grimmjow devait rester dans l'entrée de la maison et ne pas bouger. Yumichika avait immédiatement voulu emmener Ulquiorra et Ichigo dans la salle de bain pour les laver. Il restait donc seul, se préparant à l'arrivée de leur tuteur et chef de cette maison.

Zaraki Kenpachi n'était pas connu pour sa tendresse. Il avait le cœur sec et dur comme la pierre et disait souvent que c'était cette Cité qui l'avait taillé ainsi. Il avait recueilli les trois garçons alors qu'ils n'étaient que des nourrissons abandonnés. Il n'avait jamais exprimé son amour démesurément pour eux, mais il endossait sa responsabilité avec justesse et droiture.

En l'attendant, Grimmjow repensa à cette soirée. À cette rencontre. Jamais il n'avait vu de Freak de si près. Il ne s'agissait que d'un homme. Brisé, craintif et en colère, mais un homme quand même. Sans doute avait-il simplement voulu retrouver sa liberté en fuyant la Prison. Il s'était même battu de toutes ses forces pour cela. Et incarnant ce comportement si pur et noble que l'on attribuait généralement aux Lords, on l'avait pourtant assassiné d'un coup dans le dos et il pourrissait actuellement aux Forges, attirant les corbeaux et les rats. Au final, un Freak ne ressemblait en rien aux bêtes féroces et autres monstres cannibales qu'on se plaisait à décrire pour faire peur et amuser les enfants. Il sembla soudain à Grimmjow qu'après cette nuit, jamais plus il ne se sentirait vraiment comme un enfant.

Soudain, un bruit sourd stoppa ses pensées. Celui d'une canne se plantant fortement dans chaque marche de l'escalier, suivi du poids d'un corps, grand, massif, qui se découvrit bientôt à la lueur des bougies qui occupaient l'entrée de la maison.

Zaraki apparut. Du haut de ses deux mètres, il en imposait tant par sa taille que par sa force. Ses muscles développés ne fléchissaient pas avec l'âge. Les traits de son visage coupés au couteau portaient une bouche constamment orientée vers le bas, coincée entre deux crevasses, et un petit œil sombre ravalé par un grand front droit. Un bandeau qui traversait son visage masquait l'autre œil, supposant son absence. Une fine et profonde entaille longeant la zone du sourcil au menton laissait en imaginer la cause. Le visage balafré se dégageait sous de longs cheveux noirs de jais qui retombaient sur ses épaules en quelques dreads éparses. Plusieurs grelots qui y étaient accrochés chantaient à chaque marche, lorsque le corps tout entier tanguait autour de cette jambe gauche tendue et raide.

Il arriva bientôt à la fin des escaliers et regarda Grimmjow de toute sa hauteur. Ce dernier n'avait pas besoin de lever la tête pour supposer tout le mépris et la déception qui devaient se lire dans son regard.

Au même moment, Ichigo sortit de la salle de bain en yukata, soulagé et plus apaisé. Mais il se raidit en apercevant Zaraki face à Grimmjow. Après quelques secondes de silence, il le vit lever haut sa main et l'abattre violemment sur la joue de Grimmjow. Le bruit de la gifle retentit dans toute la maison. Il plaqua une main sur sa bouche en voyant son frère de cœur tomber à terre, la main sur sa joue enflammée, des mèches lui retombant sur le visage.

Zaraki se raffermit de toute sa hauteur et replaça ses deux mains sur l'embout de sa canne :

— Le cerveau de la bande pour une connerie dans c'genre, ça ne peut être que toi. Encore et toujours toi…

Zaraki claqua sa langue dans sa bouche. Ikkaku était descendu lui aussi et restait en retrait, adossé à un mur, les bras croisés sur le torse.

— Je serais curieux de savoir Grimmjow…. Curieux de savoir à quel moment tu as pensé que sortir pendant l'Heure Sourde pour aller te promener avec des Freaks t'a paru une bonne idée.

La voix de Zaraki était grave et le ton était froid mais il ne criait pas. Il restait calme, debout en s'appuyant légèrement sur sa canne. Il savait pertinemment que s'il faisait trop de bruit, il troublerait le couvre-feu et des Sinners pourraient intervenir.

— C'est pas… c'est pas ce qui s'est passé… ; murmura Grimmjow en se relevant.

— Mh ? fit Zaraki comme s'il n'avait pas bien entendu ah oui, je me trompe ? Ce n'était pas l'Heure Sourde tout à l'heure ? Et ce n'était pas un Freak qui est mort sous vos yeux ? Après tout, comme tu as l'air de connaître mieux que moi les règles et les castes de la Cité, tu vas sans doute m'en apprendre plus !

Grimmjow resta silencieux, pris au piège.

— Réponds !

— Non… Tu as raison… ; poursuivit Grimmjow.

— Bien. Alors dis-moi ce qui s'est passé dans ce cas. Le Freak a soudain eu envie de chercher la Poupée-Roi avec vous ? Et toi, tu ne pouvais pas attendre demain pour y jouer ? Pour une foutue couronne et une petite gloire personnelle, tu es prêt à sacrifier tes frères ?

Grimmjow serra encore plus les poings. Non, il n'avait pas voulu ça. Il n'avait jamais voulu ça. Ichigo prit son courage à deux mains pour le soutenir :

— Non… il y a Ulqui' et moi… Il n'y avait pas que…

— Tait-toi, Ichigo ; répliqua sèchement Zaraki ; c'est Grimmjow le responsable.

Le dénommé coupable enrageait. Une fureur montait dans son ventre en même temps qu'une profonde tristesse celle d'avoir déçu et blessé les personnes autour de lui. Il se faisait souvent disputer mais là, il sentait que quelque chose s'était brisé.

— Je voulais vraiment faire attention… mais il y a eu ce Freak…

— Et alors ?! Tu n'as pas pu t'enfuir en courant comme je vous ai toujours appris ?

— J'arrivais pas…

— Et je vais te dire pourquoi tu n'y es pas arrivé ! Tu n'as pas pu courir parce que tu avais peur !

— Non ! Je…

— Tu as eu peur et cette faiblesse a presque coûté la vie à Ulquiorra !

Grimmjow encaissa lourdement. Il détestait entendre ça. Il ne voulait pas être faible. Il ne voulait avoir peur de rien.

— Je ne t'ai pas éduqué pour que tu flanches à la première épreuve venue ni que tu mettes en danger ceux que tu aimes !

— Je n'ai pas…

— Tu sais comment je les appelle ces faibles qui veulent outrepasser leurs droits mais qui déraillent à la première occasion ? Des vauriens. Des moins que rien.

— J'en suis pas un !

— Ah oui ? Et à quel moment as-tu brillé dans cette histoire ?

— Si je suis un moins que rien alors les Sinners aussi ! Ils ont tué un Freak alors qu'ils n'avaient pas le droit !

— Ce ne sont pas tes affaires !

— Ils étaient à cinq contre lui, c'était injuste ! Ils s'amusaient avec lui ! C'étaient des horribles types ! C'était peut-être un Freak… mais… ils voulaient le faire souffrir, ces salauds !

— Ça suffit Grimmjow !

Soudain, Zaraki saisit Grimmjow au col de son tee-shirt d'une poigne de fer et le souleva :

— N'insulte pas les castes supérieures !

Puis il le lâcha et le garçon tomba à terre. Grimmjow toussa pour retrouver son souffle. Zaraki reprit d'une voix plus calme :

— On n'insulte jamais ceux qui sont au-dessus de nous. Même un murmure, même en secret, même à un ami. Tu risques ta propre vie et celles de ton entourage en faisant cela, gamin.

Le garçon restait à terre, honteux. Ichigo voulut aller l'aider mais Zaraki continua :

— Imprime bien ça dans ton crâne, Grimmjow : tu n'es qu'un Dog. Ta seule différence avec le Freak c'est que toi, tu es accepté par les Supérieurs. Autrement dit, tu leur dois la vie. Il serait temps que tu apprennes à rester à ta place. Jouer les rebelles ne t'apportera rien d'autre que de la souffrance.

Grimmjow se releva. Il avait les larmes aux yeux mais se refusait de les laisser couler.

— Et ça vaut pour tout le monde ici.

Un silence apparut alors jusqu'à ce que Yumichika fasse coulisser la porte de la salle d'eau, d'où était sorti Ichigo un peu plus tôt. Il tenait Ulquiorra dans ses bras et Zaraki sembla l'interroger du regard quand il s'approcha de lui :

— Il n'a rien et il s'est endormi pendant le bain.

Zaraki sembla un peu plus apaisé à cette nouvelle et tapa de sa canne contre terre :

— Bien. Tout le monde va se coucher, à présent. Et vous trois, vous êtes assignés à résidence jusqu'à nouvel ordre. Ichigo, je te demanderai de surveiller Grimmjow. Cette tête de mule pourrait encore trouver le moyen de faire une bêtise.

Ichigo sentit le corps de Grimmjow se tendre un peu plus à la remarque. Il acquiesça tout de même en direction de Zaraki pour montrer qu'il avait compris sa mission, puis il prit avec délicatesse le bras de Grimmjow pour ouvrir la marche et emprunter les escaliers qui menaient à leur chambre. Yumichika monta aussi pour les aider à déplier leurs futons dans leur chambre et coucher Ulquiorra.

Quand la porte de la chambre fut fermée à l'étage, Zaraki se laissa aller à un soupir de lassitude :

— Tu as dit ce qu'il fallait ; rassura Ikkaku ; Ce gamin n'en fait qu'à sa tête. Mais je crois qu'il a compris quel danger il y avait dans cette Cité à présent.

— Mh… Pourvu que ça dure. Ce Freak qui attendait aux Forges… C'était pour avoir une nouvelle plaque ?

— Oui. Et les Sinners sont au courant pour les faux-monnayeurs. Il fallait s'y attendre. Ils vont sans doute renforcer leurs unités. Le Freak, c'était Mayuri Kurotsuchi. Il a été embroché dans le dos. C'est la signature de Nnoitra, assurément.

Zaraki soupira une nouvelle fois, profondément fatigué maintenant. Il se dirigeait au rythme de sa canne vers les escaliers.

— Le vieil Oscar avait raison. L'idée était audacieuse mais complètement inconsciente. Et voilà que des Freaks meurent dans nos quartiers en pleine nuit. J'irai voir Urahara demain. Si ça continue, ce seront bientôt des Dogs que les Sinners abattront.