Un jour, sur la planète chaude et ensoleillée qu'était Asgard, en un matin lumineux où on voyait aussi bien la douceur moelleuse des nuages blancs que l'incroyable beauté dorée du ciel et des bâtiments de la capitale, un petit garçon naquit. Il était blond, il avait les yeux bleus comme des morceaux de ciel et il était déjà aussi curieux et énergique qu'un petit guerrier devait l'être. Il grandit durant les trois premières années de sa vie entouré de l'amour et de la fierté de ses deux parents. On lui offrit tout ce dont il avait besoin, un beau palais plein de soleil, des tas de jouets pour un enfant énergique et joyeux comme lui, un avenir plein de promesses.

Un autre jour, trois années plus tard, naquit sur les terres froides et stériles de Jotünheim un autre petit garçon à la peau bleue comme le fond des plus purs lacs de montagnes, aux yeux rouges et au visage minuscule marqué de tatouages tribaux. Mais, malheureusement, il était beaucoup trop minuscule… Trop pour les géants de glace, qui décidèrent de l'abandonner dans un temple gelé, à la merci des armées d'Asgard qui arrivaient.

Heureusement pour lui, l'enfant fut ramassé par le roi d'Asgard et ramené au royaume plein de lumière. Entre-temps, il avait pris l'apparence d'un enfant de là-bas tout à fait ordinaire, avec la peau blanche toute lisse et vierge de toutes marques, les cheveux noirs et les yeux verts. Il était adorable, curieux et sage, et ce tour de magie montrait bien à quel point ses capacités étaient déjà extraordinaires.

« Qui c'est, ça ? demanda d'une voix intriguée et innocente le petit prince d'Asgard en se penchant au-dessus du bras de sa mère, qui tenait le nouveau venu contre elle.

-C'est le quatrième membre de cette famille, lui expliqua la reine en tournant le bébé vers lui. Il s'appelle Loki. Tu seras bien gentil avec lui, n'est-ce pas ?

-Oh ! Bien sûr ! »

C'est ainsi que le petit géant des glaces fut adopté par toute la famille royale d'Asgard. Il grandit normalement avec son nouveau grand frère, fit les quatre cent coups avec lui, alterna les moments de disputes, de complicité et de tendresse, et jamais personne ne douta de son appartenance à ce foyer. Durant les siècles que dura leur vie de dieux, à aucun moment Loki ne se douta qu'il n'était pas de sang asgardien, ni qu'il venait de cette planète peuplée de monstres que les siens méprisaient. Il les méprisa eux aussi et jura de les combattre jusqu'au dernier aux côtés de son père et de son frère.

Jusqu'au jour où toute sa vie vola en éclats lorsqu'il apprit qu'en réalité, il était l'enfant de Laufay, ce roi géant des glaces qui était leur ennemi juré. Il était donc la progéniture de ce monstre… Ce n'était pas possible…

Et pourtant si, ça l'était.

Et tout le monde le détesterait pour ça. Tous les gens qu'il avait jamais aimés.

Et lui aussi se détesterait pour ça.

Et, du même coup, il en détesta encore plus les géants de glace.

Il fallait qu'il fasse quelque chose. N'importe quoi. Qui mettrait fin à sa rancœur et sa souffrance.

Loki arma la machine de son père et la pointa vers Jotünheim. Il ne voulait surtout pas continuer à voir ce monde dont il était issu et qui le dégoûtait. Ils devaient tous disparaître, si ça pouvait contenter son père - son vrai père, celui qui l'avait adopté - et si ça pouvait le soulager un peu. Il ne supportait plus de les voir. Ils devaient tous disparaître.

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Loki soupira en regardant le plafond de sa cellule. Évidemment que ça n'avait pas marché. Il était vraiment trop inconstant, par moments. Lui qui reprochait ses excès et ses penchants de tête brûlée à son frère, voilà qu'il faisait exactement la même chose. Quelque part, ça réchauffait un peu son cœur de géant des glaces. Il avait bien besoin de se trouver des points communs avec Thor, maintenant qu'il savait qu'ils n'étaient pas du même sang et qu'ils ne l'avaient jamais été. Il ne leur restait plus que leur éducation, au final, pour se rapprocher et pour que Loki ait encore la diffuse impression d'avoir vaguement une famille. Ou le passé d'une famille…

D'ailleurs, elle n'allait pas tarder à se déliter complètement. Sa mère devait être tellement déçue de son comportement violent et meurtrier - à l'image des géants des glaces auxquels il appartenait -, son frère était un trop vaillant défenseur d'Asgard pour tolérer un tel traître en son royaume et son père allait le condamner dès le lendemain pour les crimes qu'il avait commis. Et Loki ne leur dirait jamais pourquoi il avait fait ça. Il ne voulait plus jamais en parler.

Le dieu de la malice soupira et essaya de se tourner sur son flanc gauche, seulement pour grogner d'exaspération quand les chaînes, trop courtes, tirèrent sur son poignet droit et sur son cou. Il était vraiment attaché comme une bête et, même s'il ne pouvait s'empêcher de se considérer comme telle, ça demeurait profondément blessant et humiliant. Après tout ce qu'il avait vécu avec eux, comment pouvaient-ils le traiter comme s'il n'avait jamais rien représenté d'important à leurs yeux ? Loki soupira une nouvelle fois. En fait, il ne savait plus ce qu'il ressentait. Il voulait juste revoir son frère et ses parents, comme avant…

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« Loki ? Qu'est-ce que c'est que ça ? C'est toi qui génères ça dans ton sommeil ? Tu essayes de t'enfuir ?

-Hein ? Qu'est-ce que tu racontes ? marmonna le dieu de la malice en se frottant les yeux, l'esprit encore embrumé par sa sieste aussi brutale qu'inattendue. »

Il se redressa et regarda autour de lui. Sa prison avait disparu. La chambre de Thor aussi, s'il en croyait les vêtements de nuit de son frère. Que s'était-il passé ? Il ne le savait pas. L'endroit où ils se trouvaient n'était pas défini, il n'avait ni haut ni bas. Juste une vague brume aux alentours… mais Loki était juste heureux de voir son frère.

« Je ne fais rien du tout, Thor, se défendit-il en voyant son regard méfiant. Je ne peux pas m'enfuir. Les chaînes dont ton père m'a affublé m'empêchent d'utiliser la magie.

-Et si ça n'avait pas été le cas ? Tu l'aurais fait ? demanda le dieu de la foudre en se donnant au moins la peine d'avoir l'air gêné par cette histoire d'entraves. »

Loki ne répondit pas. Il aurait espéré autre chose pour leur dernière entrevue… Mais à quoi s'attendre d'autre que de la méfiance ? Son père avait dû bien le briefer.

« Est-ce que… ces chaînes te font mal ? s'enquit alors Thor avec hésitation en faisant un pas dans cet espace incertain.

-Un peu comme si elles me privaient d'une partie de ma force vitale, rétorqua ironiquement le dieu de la malice. Mais ça, tu le sais déjà, n'est-ce pas ?

-Je suis désolé… Tu as cependant conscience que tu l'as mérité, n'est-ce pas ? Mais ne t'inquiète pas, ce sera bientôt fini. »

Loki faillit rétorquer qu'il ne croyait pas si bien dire, que c'était sûrement la mort qui l'attendait, mais il n'avait pas envie de parler de ça maintenant. Au lieu de sarcasmes, il se leva de son morceau de néant et s'avança vers Thor, sur la poitrine duquel il posa sa tête.

« Je n'ai pas envie de parler de tout ça, murmura-t-il en laissant son regard vert, son faux regard d'Asgardien, errer sur la brume autour d'eux. Je sais que tu me détestes, mais pourrais-tu me serrer contre toi un instant ?

-Je ne pourrai jamais te détester, Loki…, promit Thor en posant ses mains sur ses épaules. »

Le dieu de la malice sentit bien l'hésitation de son frère, mais il décida de ne pas s'en soucier. Après tout, qui pourrait lui donner tort ? C'était bien un monstre qu'il lui demandait de serrer dans ses bras.

Pourquoi l'appelait-il encore "frère", d'ailleurs ? Ça n'avait plus aucun sens. Ça n'en n'avait jamais eu.

« Merci…, chuchota-t-il en fermant les yeux lorsque les doigts de Thor glissèrent sur ses joues pour les caresser, sans doute un vieux reste d'instinct fraternel.

-Tu sais…, murmura le dieu de la foudre, je le pensais vraiment quand je t'ai demandé pardon de t'avoir fait souffrir sans le vouloir… »

Loki laissa une unique larme glisser sur sa joue et, doucement, comme mu par son besoin de ne plus souffrir de cette situation qu'il ne méritait plus, le plan astral qui avait permis à leurs esprits de se connecter un instant s'effilocha, puis disparut. Le dieu de la malice eut juste le temps d'entendre un dernier « Loki… » triste et désolé de la part de Thor, et puis il se réveilla dans sa cellule.

Les gardes étaient déjà là. Le jugement de celui qui avait été autrefois son père était sur le point de commencer.