Loki s'était attendu à une entrevue avec son père.

Il n'était pas sûr de pouvoir la supporter, après ce que le Père-de-toutes-choses lui avait jeté au visage, tandis qu'il hésitait à se laisser tomber du pont arc-en-ciel, sans faire cas du fait que son fils adoptif pourrait mettre fin à ses jours.

C'était bien pour ça qu'il avait préparé cette rencontre dans sa tête, se persuadant qu'il devait rester fort, peu importe ce qu'Odin serait susceptible de lui dire ou de faire. Il ne pouvait compter sur rien d'autre que sa fierté, son habileté et son espièglerie pour garder un semblant de dignité.

En plus, les Jotüns n'étaient pas fiers, habiles et espiègles, n'est-ce pas ? Et Loki avait désespérément besoin de se sentir différent d'eux. De renvoyer une image différente d'eux. Ne serait-ce que pour que sa mère n'ait pas trop honte de lui quand elle le verrait et l'entendrait pour la dernière fois, avant qu'Odin ne le condamne. Qui sait ? Peut-être que, comme Thor, elle se laisserait abuser par sa peau blanche et ses yeux verts ?

Le jeune prisonnier se préparait donc à tout cela tandis que ses geôliers le traînaient dans les couloirs sombres. Mais il sentit très vite que quelque chose n'allait pas. Les lieux étaient calmes, trop calmes… C'était comme si on les avait sciemment vidés de tous leurs occupants, quels qu'ils soient. Comme si on avait fait en sorte qu'ils soient le plus isolé et oublié possible… Même les soldats comprirent qu'il y avait un problème, car ils échangèrent des coups d'œil et traînèrent Loki jusqu'à l'une des cellules pour l'enchaîner aux barreaux et aller voir ce qui se passait.

« Vous allez me laisser ici tout seul ? Vous ne manquez pas de confiance, les railla Loki. Mais c'est plutôt flatteur, dans un sens. Vous pensez que j'arriverai à me défendre tout seul même avec ces jolies breloques aux poignets ? »

Il agita ses membres entravés devant lui et les gardes, désormais mal à l'aise en sa présence, s'éloignèrent rapidement sans lui offrir de réponse. Sa pique était bien sûr une plaisanterie, mais Loki n'était pas très à l'aise à l'idée de rester ici tout seul. Avec ces fers, il ne pouvait pas utiliser la magie. Il ne pouvait pas se battre au corps à corps non plus. Et si jamais il y avait encore des Géants des glaces dans le coin ? C'était peu probable, mais on ne savait jamais. Et si, par un coup du sort, les autres prisonniers parvenaient à s'échapper ? Il ne ferait pas bon traîner ici.

Pourtant, ce n'était absolument pas des ennemis d'Asgard dont le jeune prince aurait dû avoir peur ce jour-là. Ceux qui s'en prirent à lui n'avaient rien à voir.

Il était en train de regarder autour de lui, cherchant dans le même temps un moyen de, tant qu'à faire, profiter de cette occasion pour s'échapper, quand l'obscurité s'abattit soudain sur le couloir. Il n'eut même pas le temps de spéculer dans sa tête sur ce qui avait pu se passer. Une sensation d'étouffement le prit soudain à la bouche et il perdit connaissance.

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Loki se réveilla dans un endroit sombre, mais dont il sentit avec certitude que c'était encore Asgard. Il était toujours attaché, notamment par l'entrave qu'il avait autour du cou, mais ses mains avaient été liées au-dessus de sa tête. Il était également torse nu, il le sentit au courant d'air frais qui glissa sur sa peau. Cette brise ne lui occasionna aucun inconfort physique, ce qui provoqua en lui un frisson de dégoût. Il était bien un Jotün. Les temps froids et revigorants qu'il avait toujours aimés lui apparaissaient maintenant comme de véritables malédictions.

Le jeune prince connaissait bien les poudres, potions et autres décoctions utilisées pour appuyer l'effet de sortilèges ou envoûter les gens. Et c'était sans aucun doute un produit de ce genre qu'on venait d'utiliser contre lui, parce qu'il identifiait sans mal son amertume et son parfum piquant sur sa langue. Le problème, c'était qu'elle avait tendance à embrouiller aussi les pensées. Il avait du mal à appréhender clairement son environnement, à comprendre ce qu'il faisait là.

Il finit par percevoir des présences dans la pièce. C'était des gens qui n'étaient pas très à l'aise de se trouver là, mais dont la rage et la crainte étaient bien perceptibles.

Ils dégageaient… des sentiments forts. Une colère presque destructrice, irraisonnée et empreinte de crainte pour ce qu'elle impliquait, qui donna des frissons dans tout le corps de Loki.

« C'est vraiment un monstre…

-Une créature de la pire espèce. Regardez comme son corps ne frissonne même pas ! Il n'est pas sensible au froid.

-C'est évident, il ne l'a jamais été. Comment avons-nous pu être aussi aveugles ?

-Il a failli tous nous détruire… Il est bien comme tous ceux de son espèce. »

Au milieu de ces paroles agressives et du brouillard qui occupait ses pensées, Loki reconnut quelques voix d'enajars. C'était sans doute comme ça qu'ils lui avaient mis la main dessus aussi facilement. Les prisons asgardiennes, ça les connaissait bien. Mais il y avait des souffles de personnes qui n'étaient que de simples citoyens de son… ce monde, le jeune prince les identifia aussi. Il n'avait aucune idée de ce que ces gens, rassemblement hétéroclites, faisaient là tous ensemble et avec lui, mais ça lui faisait peur.

Un craquement brusque, comme celui du bois épais d'un tronc d'arbre qui se tort sous la chaleur des flammes, lui provoqua une montée de stress. Bien sûr, personne n'aimait encourir un risque de brûlure, mais il se disait que, puisqu'il était une créature maléfique de Jotün, ce serait encore pire pour lui. Et être attaché, pour un Jotün, sur une planète comme Asgard, avec un feu à proximité, ce n'était sûrement pas une bonne chose.

Autour de lui, il aperçut finalement les silhouettes présentes dans la pièce car elles s'étaient mises à bouger. L'une d'entre elles avait quelque chose de long et de brillant dans la main, quelque chose qui n'était pas assez large pour être un poignard. C'était un tisonnier.

« Je… Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée que vous approchiez ça de ma tête, lança Loki sans savoir si ses mots étaient compréhensibles. »

Il avait la bouche complètement sèche et pâteuse. Ses pensées étaient toujours bridées par la drogue, mais ses perceptions, elles, étaient toujours là.

Il s'en rendit parfaitement compte lorsque le tisonnier chauffé à blanc s'enfonça dans son bras. Il poussa un cri de douleur et, pendant quelques secondes, un grand froid l'envahit. En fait, son corps de Jotün réagissait de façon exacerbée à cette agression traumatisante et il venait de retrouver sa peau bleue caractéristique. Évidemment, cette transformation exacerba la peur et le dégoût de ses ravisseurs et ils se mirent à pousser des cris de rage aveugle avant de se mettre à le mutiler encore plus avec leurs tisonniers.

Loki cria de nouveau, même pas sûr que ses plaintes sortaient de sa bouche sous la forme de vrais hurlements et pas de gargouillis étranglés. Il n'entendait presque rien, ne voyait presque rien, ne parvenait presque pas à réfléchir et ne sentait que ces brûlures atroces sur sa peau. C'était horrible. Il avait l'impression qu'elles se diffusaient jusque dans ses muscles, jusque dans ses os et attaquaient la chair de l'autre côté de son bras.

Dans sa torpeur, il essaya de se tortiller pour se dégager mais ça ne servait à rien. Deux Asgardiens l'empoignèrent, des draps épais enroulés autour de leurs mains pour ne pas se faire brûler par sa peau glaciale, et le plaquèrent au sol pour l'empêcher de bouger. Puis, deux autres personnes, en même temps, appuyèrent la pointe de leur arme bouillante sur les tatouages tribaux qui marquaient son corps et en retracèrent la forme, comme pour graver dans sa chair, de façon indélébile, ce marquage si honteux. Comme son visage était plus sensible que le reste de son corps, ce fut à ce moment-là que Loki commença à gémir comme un enfant et à laisser quelques larmes lui échapper. Il avait tellement envie de se rouler en boule sur lui-même pour se protéger des sévices et pleurer sur sa propre condition, sur sa propre monstruosité et sur la façon dont son monde s'était effondré.

On continua de le brûler sauvagement, atrocement, profitant de sa faiblesse naturelle au feu pour le punir, lui faire regretter d'être né Jotün. Et Loki, malgré sa propre certitude d'être un monstre et de mériter le tourment éternel, n'en pouvait plus de cette douleur. Il voulait que ça s'arrête. Il voulait que ça s'arrête.

Ce n'était pas juste ! Ce n'était pas de sa faute s'il avait vu le jour sur cette planète !

Mais, évidemment, si ces Asgardiens s'étaient donné la peine de le capturer et de l'enfermer pour le torturer, ils n'allaient pas le laisser partir. Ils n'allaient pas prendre en pitié ses yeux rouges remplis de larmes, qui avaient pourtant la même profondeur douce et brillante que le prince d'Asgard qu'il avait été.

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Thor sortit dans la capitale l'esprit songeur. Il avait encore du mal à digérer tout ce qu'il s'était passé dans sa vie depuis deux jours, autant ce qu'il avait vécu sur Terre qu'à Asgard. En fait, il marchait dans les rues depuis si longtemps et il était si perdu dans ses pensées qu'il n'était même pas au courant que Loki avait disparu sur le trajet entre les prisons et la salle du trône. Quand il le retrouva, ce fut donc parfaitement par hasard.

Le jeune prince passa devant une maison et entendit le crépitement d'un feu, bien étonnant quand on était au printemps à Asgard, qu'il faisait bon et qu'on n'était pas à proximité d'une forge. Inquiet, le dieu de la foudre fronça les sourcils et, quand personne ne répondit à ses coups frappés à la porte, il décida d'entrer.

L'habitation était visiblement déserte, mais un sacré bazar avait été provoqué à l'intérieur. Il y avait des meubles retournés et des objets renversés, comme si on avait transporté quelque chose de particulièrement encombrant. Thor suivit la piste que cela traçait jusqu'à la pièce d'où il avait vu émerger les mouvantes jaunes et orange du feu si inquiétant. Quand il pénétra à l'intérieur, il eut l'impression que son cœur s'arrêtait brusquement dans sa poitrine.

Là, étendu dans un coin de la pièce, il y avait une silhouette dont il ne reconnaissait que trop bien les vêtements verts. Ce à quoi il n'était pas habitué, par contre, c'était à l'impression de rugosité que dégageait sa peau et sa couleur bleue. Cette vision de silhouette de Jotün, par réflexe, lui entraina un sursaut de dégoût, mais son cœur ne reconnaissait que trop bien, en même temps, l'allure de Loki. Sa taille exacte, sa morphologie, ses cheveux noirs, sa façon d'être allongé par terre.

Et surtout, il ne reconnaissait que trop bien les blessures qui recouvraient son corps.

Des brûlures.

Des brûlures sur son corps de Géant des glaces.

Rien que cette idée lui entraîna un frisson d'effroi.

Il avait dû tellement souffrir !

« Loki ! s'écria-t-il en se précipitant vers son frère. »

Il ne tomba à genoux près de lui que pour essayer, en premier réflexe, de lui faire reprendre connaissance. Ses mains voulurent se poser sur ses joues mais il se souvint juste à temps que ce n'était pas une bonne idée; essayant de trouver autre chose, il saisit sa cape rouge et l'utilisa pour se protéger les paumes pendant qu'il les glissait sous la tête de son frère. L'une d'entre elles, toujours enveloppée dans le tissu épais, s'aventura sur son visage.

« Loki ! Loki ! Par les Nornes, réponds-moi ! l'admonesta le dieu de la foudre en lui tapotant la joue. Loki ! »

Mais il sentait bien, en son for intérieur, que Loki était loin, très loin de lui. Et qu'il y avait de fortes chances pour qu'il y reste pendant un long moment.

Même ses yeux qui s'entrouvrirent à demi pendant une seconde, fixant sur lui un regard rouge sang à la fois effrayant et terriblement douloureux à voir à cause du désespoir qui s'en dégageait, ne le distinguèrent pas vraiment.