Un soufflement bruyant perça les tympans des cinq enfants. Jules releva la tête, observant sa mère qui tournait en rond en bas des escaliers. Il rigola discrètement avec son frère et se replongea dans son bouquin. Au pied des marches, une blonde en robe de soirée acidulée patientait difficilement. Sa montre affichait 19h20 et sa réservation était prévue pour 19h30. Et Antoine n'était toujours pas prêt…

« Nan mais c'est pire que moi là ! lança-t-elle pour elle-même sous les regards amusés de l'assemblée. Bon Antoine… ne put-elle s'empêcher de crier.

- Oui bah ça va ! Deux minutes !

Elle souffla à nouveau, dépitée alors que son compagnon se laissa apercevoir en haut des escaliers.

- Ah bah enfin !

- Ça va… J'arrive !

- Waaaaah ! Classe… siffla la fratrie Renoir.

- Merci pour le compliment… Vous… insista-t-il en fixant sa compagne.

Candice leva les yeux au ciel, agacée.

- Allez, on est déjà en retard !

- Oui deux secondes… souffla-t-il en fouillant dans son portefeuille.

- Bon les enfants, à tout à l'heure. Vous êtes sages hein ! cria-t-elle depuis la porte.

- Mais oui !

- On peut aller au spectacle ? demanda Suzanne en s'accrochant à la taille de son père.

- Pas ce soir Suzie... Ce soir, vous vous reposez tranquille ici… Vous êtes fatigués en plus…

- Pas du tout… mentit-elle alors que son père caressait ses cheveux.

- Hum… Si ! Donc soirée tranquille, ok ?

- Ok… bouda-t-elle en le lâchant.

- Tenez ! s'exclama-t-il en donnant un billet à sa belle-fille. Si vous voulez acheter une glace après le repas…

- Ouaaaais ! s'enthousiasma Suzanne en l'encerclant à la taille pour l'embrasser.

- Merci ! lâchèrent-ils en chœur alors que Candice attendait à la porte avec un sourire attendri.

- Allez à tout à l'heure ma chérie. Pas de bêtise hein ?

- Promis ! Bonne soirée ! »

La porte se referma enfin, pour le plus grand bonheur de Candice qui enclencha une marche rapide sans attendre son compagnon qui traînait derrière. Il hocha négativement la tête, presque amusé par sa course effrénée. Faut dire que d'habitude, la rapidité n'était pas le maître mot de la cheffe de famille… Alors Antoine la laissa prendre de l'avance, sourire en coin, avant de se décider à calmer ses ardeurs.

« Attends mais ça va Candice ! On est en vacances là… Tranquille…

- J'ai pas envie qu'on perde la table…

- Eh ! la stoppa-t-il en la retenant. On a à peine 10 minutes de retard, c'est rien !

- Hum… bouda-t-elle.

- Allez… s'exclama-t-il en encerclant ses épaules avant d'embrasser sa joue. Et fais pas la tête !

Elle acquiesça doucement en souriant.

Tu m'as même pas dit comment j'étais… osa-t-il à son oreille d'un ton boudeur.

- Pas mal…

- Pas mal… C'est tout…

- C'est déjà bien ! confirma-t-elle volontairement provocatrice. »

Amusée, Candice continua sa marche en silence, refusant d'admettre que son mec n'était pas « pas mal… » avec cette chemise blanche mais « carrément canon ». Antoine s'en contenta, comprenant la mine joueuse de Candice, et porta la marche jusqu'au restaurant où leur table les attendait encore. Le flic laissa échapper un « et voilà », non sans piquer sa partenaire qui ne releva pas. Et pour cette soirée en duo, les deux commandèrent du champagne, histoire de fêter ce premier jour de vacances dignement. Antoine leva son verre, le dirigeant contre celui de Candice qui s'autorisa à l'embrasser tendrement.

« À nos vacances… confirma-t-elle contre ses lèvres.

- Hum… acquiesça-t-il en avalant une gorgée pétillante. Et… Tu sais quelle date on est d'ailleurs ?

- Euh… Le 15 avril ? Nan ?

- Ouais… confirma-t-il penaud.

- Oh ! Mon premier jour à la brigade… réalisa-t-elle avec émotions.

- Bah oui ! C'est un peu notre… notre anniversaire quoi !

- En quelque sorte oui…

- Nan mais c'est vrai… Vu notre histoire compliquée… Je sais jamais quoi répondre quand on me demande la date de notre « rencontre » … expliqua-t-il en mimant les guillemets.

- C'est vrai que c'est pas simple… réfléchit-elle. En même temps… le premier vrai bisou c'était Valenciennes…

- Ouais mais la suite bon…

- C'est vrai que jusqu'à la fin de ton amnésie c'était pas glorieux… Mais en même temps, c'est aussi après ça qu'on a vraiment pu vivre notre histoire tous les deux…

- Ouais fin' j'te rappelle quand même que tu m'as salement largué juste après hein…

Coupable, Candice pinça ses lèvres avant de s'excuser.

- Après mon accident alors…

- Hum… tiqua-t-il. C'est pas un super souvenir quand même ça…

- Ouais… confirma-t-elle timidement.

- C'est pour ça… Le 15 avril c'est bien… On se rencontrait pour la première fois et c'est aussi ce qui nous lie quoi…

- C'est vrai ! Finalement… L'important c'est pas qu'on ait été ensemble mais qu'on se soit toujours soutenus et… et aimés…

- Toujours ? redemanda-t-il d'un air mesquin.

- Presque toujours… rectifia-t-elle avec amusement.

- Et dans le « presque » on inclut quoi ? osa-t-il aventureux.

- Toutes ces fois où tu m'as énervée…

- Comment c'est faux ! Même quand je t'énervais, au fond… »

Candice rigola doucement à sa remarque qu'elle finit par acquiescer. Antoine avait raison. Même quand elle le trouvait pénible, elle finissait quand même par lui trouver un côté charmant. Faut dire qu'il lui était difficile de résister à ce joli minois… Surtout lorsqu'on réussissait à percer sa carapace et qu'on parvenait à trouver la douceur intérieure du personnage… C'est vrai, toutes ces observations se validaient, mais peut-être pas pour leurs débuts tumultueux… Antoine s'était montré rigide, intransigeant et surtout intolérant face à cette nouvelle recrue qu'il avait rapidement jugé d'incapable avant de comprendre toute son erreur… Et c'était peut-être ce côté brillant et fantasque qui l'avait fait sombrer dans les méandres de l'amour. Et heureusement pour lui, presque 12 ans après, il pouvait se satisfaire de toujours l'avoir à ses côtés. Et il adorait l'embêter… La mettre en colère pour qu'elle s'agace et qu'il s'en amuse… Ok, Antoine avait le don de la faire tourner en bourrique. Mais pour rien au monde Candice ne voudrait qu'il aille en faire tourner une autre, de bourrique ! Et puis finalement, c'était de bonne guerre… Alors pour ne pas déroger à leurs habitudes quotidiennes, ce repas offrait leur complicité aux yeux de tous. Entre rires, souvenirs, soupirs, projets d'avenir et volonté de chérir, tout y était. La recette idéale d'un dîner parfait en amoureux, songeait Candice qui observait son chéri dévorer sa salade composée avec engouement. Elle le vit relever la tête et fixer la plage au loin où une bande de jeunes se retrouvait autour d'un probable feu de camp. Il esquissa un sourire, replongeant dans ses souvenirs qu'il avait soudainement envie de partager avec elle.

« T'as vu le feu de camp là-bas ?

- Ouais ! Ça me rappelle des souvenirs de colos ça ! observa Candice sourire aux lèvres.

- Hum… acquiesça-t-il avant de laisser le silence s'installer. Tu sais, ça me fait drôle de revenir ici… Ça me rappelle des souvenirs…

- Lesquels ? l'interrogea-t-elle surprise.

- Ouais… c'est une histoire que je ne t'ai jamais racontée ça….

- Beh non…

- En fait, je suis venu ici en famille y a des années. J'sais plus, je devais avoir 15, 16 ans… On avait une petite maison sur la plage. Un peu comme celle qu'on a d'ailleurs ! Je partageais la chambre avec Pierre mais Monsieur étant en étude de médecine… il passait ses journées à bosser. Mes parents passaient leurs journées à la piscine, au tennis, au golf…

- Donc tu t'ennuyais…

- Ouais ! Je suis quelqu'un de solitaire mais… pas de là à passer une semaine de vacances en solo quoi…

- Bah oui… Surtout à 16 ans ! Et y avait pas de jeunes ?

- Si… Justement… en fait j'allais souvent à la plage et un jour y avait une bande de jeunes qui faisait un apéro en fin de journée. Coucher de soleil. Mer d'huile. Fin' ça faisait clairement ambiance romantique… Et parmi eux, y avait cette fille, Maya…

- Évidemment… ironisa Candice en souriant.

- Bah oui… Sauf que c'est pas le petit Antoine Dumas de l'Estang habillé en chemise-bermuda qu'allait la faire se retourner quoi… Surtout que c'était des jeunes d'ici donc ils étaient tous à la cool… fin rien à voir avec moi issu de ma famille super stricte…

- Et laisse-moi deviner… T'as tout fait pour essayer de la séduire…

- Ouais ! J'ai approché le groupe en leur taxant une clope… sauf que… c'était pas que de la nicotine quoi… mais ça a marché parce que j'ai sympathisé avec eux ! Et Maya s'intéressait à moi ! Mais comme j'étais jeune et naïf j'avais pas compris l'intérêt derrière…

- Aveuglé par l'amour…

- Hum… Jusqu'à accepter de garder leur came chez moi pendant 2 jours…

- Mais nan ?!

- Et si… Sauf que les flics soupçonnaient un trafic dans la ville… Résultat ils m'ont utilisé comme un con et m'ont balancé… Je me suis retrouvé au poste !

- Oh nan…. pouffa-t-elle. J'imagine la tête de ta mère...

- Elle était habituée à mes conneries, mais là… Puis tout m'accusait quoi… Mais bon elle a sorti sa carte d'avocate du barreau de Montpellier et ils ont finalement retenu aucune charge contre moi…

- T'as eu de la chance…

- Ouais ! Et pour ça on peut remercier Isaure De L'estang ! Ça change !

- Rassure-moi au moins… T'as pas fait ça pour rien ? Tu l'as eu ta conquête ?

- Même pas… Elle était prise par le chef de la bande alors… Je faisais pas le poids !

- Donc vraiment utilisé jusqu'au bout…

- Ah clairement… J'étais le con de l'histoire !

- C'est dommage… Elle sait pas ce qu'elle a loupé…

- Mais toi tu sais…

- Ouais… acquiesça-t-elle fièrement. Mais c'est bien, là au moins on est tranquilles, c'est pas nos enfants qui feraient ce genre de bêtises…

- J'espère bien ! Nan parce que si Suzanne cache de la cocaïne à 8 ans, j'ai du souci à me faire…

- Elle y a déjà presque goûté elle avait à peine 2 ans cela dit… rappela-t-elle amusée.

- Oh putain… J'avais fait une belle connerie ouais…

- Et heureusement que t'avais une collègue super sympa qu'a tout pris pour elle…

- Je lui dois beaucoup c'est vrai…

- Huummm… soupira-t-elle de satisfaction en l'embrassant tendrement. »

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