ndla : je signe mon (grand) (non) retour sur ce site avec cette fanfic' d'abord publiée sur le site de la concurrence. au moment où j'ai commencé à publier, j'avais encore l'espoir d'être dans les temps pour la sasodeiweek 2024. cet espoir n'existe plus, mais cette fanfic' si. le thème pour ce chapitre était roommates (colocataires). je m'en suis acquittée avec des tentatives d'humour relativement pathétiques.
sinon, ça se fait encore les disclaimers ? si jamais : naruto appartient à masashi kishimoto. le titre de la fic' et de ses chapitres proviennent de la chanson nail i couldn't bite de the spirit of the beehive. bonne lecture j'espère !
« J'peux assez facilement te trouver ça, affirme Temari tout en coinçant une cigarette entre ses lèvres. Mais j'aurais jamais cru que toi, tu chercherais un coloc. »
A côté d'elle, Sasori se contente de hausser les épaules. Sa lointaine cousine le connaît bien : il n'a aucune envie de partager son espace intime avec qui que ce soit. Tout l'importune et lui insupporte – la simple idée d'entendre quelqu'un respirer, lorsqu'il voudrait plutôt oublier que tout un monde existe au-delà des quatre murs de son appartement, l'emplit d'une rage sans nom. Mais il devient de plus en plus difficile, matériellement, d'être un artiste inconnu – et désintéressé de toute forme de gloire – à Tokyo.
« Et c'est quoi que t'as à offrir, déjà ? Un bout de canapé moisi ?
– Une chambre et un atelier. »
La jeune femme laisse échapper un soupir, se donnant l'air faussement songeur. Elle le connaît, le logement de cet énergumène – un truc sinistre, caverneux, où l'ameublement et l'aménagement ne se prêtent à aucune forme de pragmatisme. Il n'est pas question d'y accueillir qui que ce soit – il n'y a d'ailleurs pas de canapé moisi. Tout ce qui importe là-bas, c'est l'art. Même son frère Kankurô, lui aussi aspirant artiste, n'accepterait pas d'y vivre.
« J'lui dis que y'a pas de salon du coup ?
– J'ai bien dit : un atelier. »
Quand Temari lui a dit j'ai le candidat parfait pour toi, Sasori n'a pas une seule seconde imaginé qu'elle pourrait lui amener ce qui semble être une incarnation humaine du Chaos originel. Un zinzin comme toi, a-t-elle osé préciser. Quelle grossière erreur de jugement – elle ne le connaît finalement pas si bien que ça.
Deidara est un homme bruyant. Lui et le silence ne peuvent coexister – comme le bien et le mal, ou le jour et la nuit, l'un des deux doit succomber pour que l'autre puisse subsister. Et il s'avère que le silence ne fait pas le poids face à son nouveau colocataire. Ce dernier a toujours quelque chose à raconter – tout du moins le croit-il car, à la vérité, Sasori ne l'a encore jamais entendu dire quoi que ce soit de pertinent ou d'intéressant. Ce ne sont que vains commérages ou élucubrations fiévreuses – les hommes qu'il trouve beaux, et qu'il rêve de baiser ; les événements toujours plus hallucinants qui ponctuent les soirées auxquelles il se rend ; les vêtements qu'il remarque sur les autres et qu'il voudrait pour lui-même. Il a beau répondre, continuellement, qu'il s'en fout, qu'il ne l'écoute pas, qu'il lui donnerait père et mère si, en échange, il voulait bien fermer sa gueule, Deidara ne se tait jamais.
Sasori se demande régulièrement quelle serait la façon la plus satisfaisante de lui faire la peau. Cependant un colocataire mort est un colocataire qui ne paye pas de loyer, et il faudrait alors tout recommencer, avec le risque de tomber sur quelqu'un d'encore plus insupportable. Au moins celui-là s'absente souvent. Il quitte toujours l'appartement dans la soirée, après s'être habillé, coiffé, maquillé durant des heures. A chaque fois il vient le chercher, dans l'atelier ou jusque dans sa chambre, pour lui lancer d'un ton badin :
« Tu me trouves comment ? »
A chaque fois il rétorque :
« Absolument dégueulasse, casse-toi. »
Et à chaque fois, pourtant, l'intéressé semble satisfait – de la réponse obtenue et de lui-même –, au grand dam de Sasori qui pensait plutôt le décourager.
Sasori attrape, en grimaçant de dégoût, la touffe de cheveux blonds qui tapisse la grille de la canalisation de la douche. Le geste devient routinier pourtant – il ne devrait plus y avoir là de quoi l'impressionner.
« Si je dois ramasser tes cheveux une fois de plus, déclare-t-il plus tard dans la journée, j'te promets que j'fous tous tes shampoings, après-shampoings, masques et autres à la poubelle. »
Le principal concerné, allongé sur le sol de l'atelier – il faisait défiler sous ses yeux désœuvrés une pléthore de publications Instagram –, tend la tête en arrière afin de lui jeter un regard narquois.
« Et pour te prouver que je suis sérieux, sache que j'ai pris ton… – le marionnettiste doit s'interrompre pour lire l'étiquette sur le gros pot qu'il a dans la main – … « masque hydratant Hair Food Aloe Vera » en otage. »
Qui rit maintenant ? songe-t-il alors que le sourire de son colocataire fond comme neige au soleil. Il s'accorde quelques instants encore, pendant lesquels il contemple la colère qui lui monte brusquement au visage, puis, d'un pas rapide, il retourne dans sa chambre.
Sasori ne savait pas, à ce moment, que le vol de ce masque hydratant marquerait le début d'une longue guerre. D'abord il a gardé l'objet sur sa commode, sans prendre de précautions particulières. Deidara a profité d'une absence, quelques jours plus tard, pour le récupérer et le replacer dans la salle de bains. Une décision audacieuse, orgueilleuse, qu'il a fallu lui faire payer. Sasori a donc, de nouveau, subtilisé le masque capillaire, et cette fois il l'a savamment caché, là où personne d'autre que lui-même ne pourrait le trouver. Il sait que son adversaire s'est réintroduit dans sa chambre – dans d'autres circonstances ça le rendrait fou mais, devinant l'ardente déception de celui qui n'a pas repris son bien, en cette occasion ça lui procure un plaisir indescriptible.
Victoire, donc.
Durant de longues semaines, il lui faut entendre sans cesse que les cheveux de Deidara dépérissent, qu'il le dépossède des plus belles années de sa vie, qu'il est impossible et inhumain de vivre ainsi, qu'il est l'homme le plus cruel que cette Terre ait jamais porté.
Ça devient très vite très chiant, au point qu'il envisage la possibilité de capituler. En même temps ça l'interroge. Jusqu'ici, il pensait Deidara naturellement exaspérant, de la même façon que certains comportements sont inhérents à une espèce animale – les chats ont besoin de se faire les griffes, les perroquets doivent contenter leurs instincts destructeurs… Mais il commence à soupçonner que cet animal-là est tout à fait conscient de son potentiel de nuisance.
Aussi futile soit-elle, personne autour d'eux ne peut ignorer cette guerre. Sasori se surprend à en parler à Itachi et quelques autres amis, lors de leurs soirées. Kankurō lui envoie un sms pour lui raconter que Deidara n'arrête pas de se plaindre de lui. Temari lui dit, lors d'un appel, que ça devient n'importe quoi et que ça ne lui ressemble pas, ce genre de conneries. (Elle a raison.)
Et puis un jour, plutôt une nuit, il revient d'une virée avec ses compères habituels. Son colocataire est dans sa chambre, il le sait car des rythmes d'hyperpop se font entendre dès l'atelier. D'un pas quelque peu titubant, il se fraie un chemin entre les multiples projets plus ou moins inachevés, les étagères où s'empile tout leur matériel – les paquets d'argile, les blocs de bois, les pots de peinture… – et parvient à la porte de sa…
On a retourné sa chambre.
Toute sa literie a été jetée par terre, de même que les vêtements qui étaient rangés dans sa commode, dont les tiroirs vides sont encore ouverts. Même le matelas a été retiré et lacéré – il repose contre un mur. Sa petite bibliothèque a été saccagée. Sa lampe cassée.
Et bien sûr le maudit masque hydratant Hair Food Aloe Vera a disparu.
Sasori déglutit difficilement. Il se souvient avoir établi, il n'y a pas si longtemps, que la meilleure façon de tuer Deidara serait de le décapiter, après des heures de torture, en le tenant par les cheveux. Il serait à genoux, les mains liées dans son dos. Avec cette image en tête, il s'efforce d'inspirer profondément, d'étouffer la fureur qui le submerge.
Néanmoins il rentre en trombe dans la chambre de son ennemi – ce dernier, assis en tailleur sur son lit, griffonne quelque ébauche sur un carnet tout en fumant. Il lève à peine la tête en l'entendant arriver – bien sûr il l'attendait, triomphal.
« Tu prends tes affaires et tu te casses. »
L'espace de quelques secondes, le crayon freine sa course sur le papier. Deidara se redresse, considère son vis-à-vis d'un air goguenard. L'artiste marionnettiste devine ses pensées – il se demande s'il devrait parler, ou garder le silence ; il essaye de mesurer laquelle de ces deux possibilités l'énerverait le plus.
Décidé à le devancer, Sasori franchit l'espace qui les sépare et attrape son interlocuteur par le col de son tee-shirt, l'obligeant à se lever de son lit. (Il se dégage de lui une odeur douce-amère – un entrelacement de beuh et de… noix de coco ? quelque chose de lourd et sucré…)
« Tu m'écoutes putain ? – il resserre sa prise – Je t'ai dit de te casser. »
L'imbécile ne mesure pas à quel point il est sérieux, sinon sans doute il n'arborerait pas ce sourire railleur.
« J'peux carrément faire ça si tu veux. Mais qui d'autre va accepter de vivre avec un taré comme toi ?
– Tu te fous de ma gueule ?
– T'as pas de salon et tu fabriques des marionnettes cheloues. N'importe qui d'autre aurait trop peur de se faire buter. Alors que moi j'm'en bats les reins. »
Comme pour appuyer son propos, Deidara hausse les épaules.
« Tant que tu fous la paix à mon masque. »
Sasori le scrute, incrédule. Il ne sait même plus quoi relever en premier lieu, tant ses arguments lui paraissent absurdes. (Il sait bien, malgré son orgueil, qu'il y a un peu de vrai dans ce qu'il dit. Qui d'autre pourrait partager avec lui cet antre glauque ? cet espace étouffé de marionnettes, de tailles et d'allures diverses ? Qui aime assez l'Art pour préférer un atelier à un salon ?)
« Tu peux pas me traiter de taré après avoir ravagé ma chambre pour un masque capillaire. C'est indécent.
– C'est rien, ça, tu la remettras en état demain. T'as qu'à dormir ici ce soir. »
Cette discussion est insensée – Sasori cligne plusieurs fois des yeux, comme s'il espérait s'arracher au rêve dont il serait prisonnier. Or non – la sensation du corps de Deidara, presque contre le sien… de sa gorge que ses doigts touchent presque… tout ça est terriblement réel. Il le lâche et le repousse brusquement – l'intéressé en profite aussitôt pour récupérer le joint qui lui a échappé dans leur altercation.
« Mon matelas ? remarque Sasori après un long silence. Seul un miracle pourrait le remettre en état.
– J'te donne le mien.
– Et ma lampe ?
– Elle était trop moche.
– C'était un cadeau de ma grand-mère défunte.
– Ça la rend pas moins moche. »
Sentant poindre le début d'une migraine, Sasori ne daigne pas répondre davantage. Il retire ses vêtements et les range soigneusement dans un coin de la pièce, puis il se laisse tomber dans le lit.
Une défaite en bonne et due forme.
(Le lendemain, Sasori se réveille le premier. Encore tout engourdi de sommeil, il ne perçoit pas tout de suite la masse chaude enveloppée contre son dos. Cependant, lorsqu'il fait mine de se lever, deux bras renforcent leur étreinte autour de sa taille. Il se fige – jette un regard prudent par-dessus son épaule.
Deidara ronfle doucement, le visage enfoui dans le creux de ses omoplates. Tout en l'observant il s'efforce de formuler des pensées construites mais… les effluves amers et sirupeux qui se dégagent de sa chair, les cheveux blonds qui lui chatouillent la nuque, le nez, submergent ses sens. Sa raison lui fait défaut.
Alors Sasori se retourne – referme lentement les yeux.
Et il se rendort.)
