Titre : Le Fil rouge du Destin
Auteur : Lysanea
Disclaimer : aucun personnage ne m'appartient sauf les apprentis.
Pairing et personnages pour ce chapitre : Angelo x Shura, Simon x Achille
Rating : T
Note : Bonjour à tous ! Merci pour votre fidélité et vos messages.
Désolée pour le retard de publication, le site ne mee facilite pas les choses, en ce moment !
Adaline's blue : Salut ! Je te remercie exceptionnellement ici plutôt qu'en MP. Je me suis sentie un peu agressée par le début de ton comm', j'ai cru que je me faisais engueuler ! Deathmask n'a jamais été un personnage très aimé, et à raison, à l'inverse de Manigoldo qui est, de loin, le meilleur des Cancer (avec Sage). Mais aussi une exception dans cette caste, toujours avec son maître Sage, le Cancer du 15e siècle. Il n'y a que dans TLC que l'on voit des Cancers bons et "normaux". Que ce soit Deathmask, Deathtoll dans Next Dimension, même Lancelot dans Episode G, le "moins pire", ils sont tous tarés et coupables d'affreux massacres, sous la crayon de Masami Kurumada. (On peut aussi citer Shiller dans Oméga mais bon, Oméga, comme beaucoup, je préfère faire comme si cette horreur n'avait jamais existée...) Il n'y a vraiment qu'avec Shiori Teshigori et son The Lost Canvas que les Cancer sont de vrais grands nobles et valeureux Chevaliers d'Athéna. Et c'est aussi ce qui m'a donné l'idée de "mon" Angelo. Et sachant justement ce qu'a été Deathmask, j'ai fait en sorte de raccorder le plus possible des éléments de Saint Seiya à ma fic pour que cela semble le plus cohérent et réaliste possible. Je ne raconte pas la vie de Deathmask, ici, mais d'Angelo, qui fut autrefois Deathmask, à cause de tout ce que j'ai raconté, mais qui est revenu à la vie en Angelo et s'est construit ainsi au fil du temps, avec l'amour des autres sous toutes ses formes : l'absolu de Shura, le filial de Simon, le fraternel avec ses frères et sœurs d'armes, et le divin avec le pardon et la confiance d'Athéna. Alors je suis contente que malgré le fait que tu n'aimes pas ce personnage ainsi que Shura, tu aies quand même pris le temps de lire ma fic avec tous les passages qui leur étaient consacrés ! Tu as dû souffrir, pardon ! Mais oui, les Armures sont des entités conscientes, effectivement les Chronicles de The Lost Canvas le montrent parfaitement, et notamment tout le passé (incroyable !) de Shion avec son plus grand péché et sa rédemption. J'y fais référence dans ma fic, Rhadamanthe dit bien à Kanon qu'il préfère les âmes repenties comme la sienne et celle de Shion, qui ont connu et commis le mal, avant de revenir sur le droit chemin, plutôt que les âmes immaculées. C'est pourquoi l'idée de rabibocher Les Chiens de Chasse et le Cancer par cette relation, plutôt que de simplement faire un nouveau couple Cancer x Capricorne, me semblait plus pertinente. Et enfin, concernant la nouvelle génération, elle sera simplement évoquée, mais elle restera muette. Quant à Kanon, que tu n'as pas l'air d'apprécier non plus, moi, je l'adore, donc effectivement, il est souvent cité ou inclus même quand les chapitres ne lui sont pas dédiés. Tout comme son couple avec Rhadamanthe. Alors je confirme qu'on les reverra bel et bien, une ou deux fois, d'ici la fin. Plus que deux ou trois chapitres avant celle-ci d'ailleurs. Merci encore pour ta lecture et ta fidélité malgré tes appréhensions ! Bonne continuation à toi.
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Vous commencez à avoir l'habitude avec moi, ce chapitre était beaucoup trop long, j'ai préféré le couper pour rendre la lecture plus agréable.
La partie « difficile » arrivera donc la semaine prochaine, ici, on s'amuse et on profite encore un peu d'Angelo, de Shura et de leur euh… famille ?
Bonne lecture !
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Le Fil rouge du Destin
Chapitre Cinquante : L'Adieu au Cancer II
On a vraiment vécu le meilleur, après avoir connu le pire.
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Madrid, Espagne
Dimanche 3 juillet 2005
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Shura avait donné comme lieu de rendez-vous l'entrée du Musée archéologique de Madrid, devant l'une des deux statues de Sphinges, et ils s'y retrouvèrent tous les quatre à l'heure convenue, sans retard, quasiment en même temps.
Le groupe à peine réunit, Angelo attrapa Achille par le cou.
- Souviens-toi de ce que je t'ai dit, y a dix ans : si tu regardes ailleurs, je te crève les yeux, si tu flirtes, je t'écrase les berlingots à mains nues. Et je veux certainement pas voir ta bouche ailleurs que sur mon p'tit gars !
- Bonjour à toi aussi, Angelo ! rit le jeune homme sans chercher à se dégager. Tu me le répètes assez pour que je m'en souvienne, va !
- Tu le laisses jamais m'embrasser devant toi ! rappela Simon en récupérant son compagnon. Alors, je veux voir les bagues ! ajouta-t-il en se tournant vers Shura pour prendre sa main droite et vers Angelo pour prendre aussi la sienne. Ooooh ! Elles sont trop belles ! Chéri, regarde !
- Je suis certain qu'Aphrodite, Marine et toi, vous avez aidé Angelo à les choisir, arrête ton cinéma, lui dit le Capricorne avec affection.
- Oui, et même nos Grand pope ont validé ! Mais elles sont encore plus belles sur vous ! répliqua-t-il en une ingénieuse pirouette. Regarde, quand tu mets la main de Maître Angelo près de ton visage, les incrustations d'émeraudes se reflètent et éclaircissent tes yeux. Et là, on voit clairement qu'ils sont verts ! C'est la première fois que ca se voit autant ! C'est incroyable, ce changement ! Qu'est-ce qu'ils sont beaux, Shura !
- Ouais, et ils sont rien qu'à moi ! proclama le Cancer sénior en prenant le menton de son Capricorne pour tourner son visage vers lui. Tu es à moi, pour toujours.
- Et tu es à moi, à jamais.
Les mots leur avaient presque échappé.
C'était une journée spéciale, ils étaient plus heureux et amoureux que jamais.
Ils flottaient sur un nuage depuis qu'ils avaient pulvérisé le plafond du septième ciel, un peu plus tôt dans la matinée.
Ces deux-là se faisaient rarement de déclaration en public, mais quand ils se l'autorisaient – ou qu'ils s'oubliaient le temps d'un instant – ils sortaient l'artillerie lourde : les mots, la voix grave chargée de passion, le regard brûlant d'amour et de désir.
Cela aurait pu gêner quelque peu le couple de jeunes hommes aux premières loges, mais Simon était tellement enthousiaste qu'il fit éclater la bulle qui avait commencé à se former autour d'eux, les empêchant de s'isoler.
- C'est exactement ce que disent vos bagues ! s'exclama-t-il en prenant leurs mains encore une fois. On voit le vrai visage de Shura, avec la véritable couleur de ses yeux, sa vraie beauté, quand tu es près de lui, comme ta main avec la bague près de son visage qui révèle tout. Et la tienne, Shura, quand tu mets ta main près de son visage aussi, la vraie nuance du bleu des yeux de Maître Angelo se révèle avec les incrustations de saphir ! C'est tout simplement parfait ! T'as vu, chéri ? Je te l'avais dit que c'était magnifique !
- Oui, tu as raison, je vois enfin ce que tu m'expliques depuis je ne sais plus quand !
- C'est trop beau !
- Dis, tu ne serais pas un peu trop excité, P'tit crabe ? demanda Angelo en haussant un sourcil. Tu sautilles comme une puce, t'as pas chopé de morpions, hein, tu lui as pas refilé ça, le Myrmidon ?
- Pardon !?
- Mais non, Maître, je suis juste extrêmement heureux pour vous, répondit-il en les étreignant en riant.
- Va, va! Calmati! On est pas marié, encore ! Qu'est-ce que ce sera, le jour de la cérémonie ? Faudra prévoir un calmant ? Un anesthésiant ?
- Mais laisse-le donc se réjouir pour nous, 'Gelo ! soupira Shura en se laissant étreindre, pour sa part. Il te connaît suffisamment pour voir que sa joie te touche beaucoup !
- Tchhh…
- En parlant de mariage, comment ça se fait que vous portiez déjà vos alliances ? intervint Achille. Vous n'êtes pas censé les mettre au moment de l'échange des vœux ?
Shura prit la main droite d'Angelo, collant leurs deux bijoux ensemble.
- Après l'avoir essayée, je n'avais pas envie de la retirer. Et puis, comme on a décidé de venir ici, vue l'ambiance, on s'est dit qu'il valait mieux clairement afficher notre lien. Juste au cas où.
- C'est vrai que ça flirte pas mal… reconnut Simon.
- Mais ça ne marche pas sur nous ! s'empressa d'assurer le Chien de Chasse face au regard noir d'Angelo. Aucune chance ! Et sinon, vous avez déjà pensé à une date ?
- Tu crois que changer de sujet aussi subtilement qu'un pizzaiolo enfourne sa pizza va sauver tes berlingots ?
- Mais ils ne sont pas en danger, il ne s'est rien passé ! se défendit Achille. Je ne vois que Simon, tu le sais très bien, Angelo ! Tu me reproches même parfois de trop le coller !
- Parce que c'est le cas ! Pire qu'une moule sur son rocher !
- Euh, on peut revenir à la dernière comparaison du koala accroché à sa branche, c'est quand même plus sympa...
- Et plus mignon, ajouta Simon. Cela te va mieux.
- Merci, mon cœur.
- Une moule, une huître, un koala ou une punaise de lit sur un matelas, peu importe ! trancha Angelo. Y a des moments qui le justifient et d'autres, non ! Là, dans ce contexte, t'as pas intérêt à le lâcher !
- Compte sur moi !
- C'est ça…
- Mais ma question était sincère, c'était pas juste pour changer de sujet ! Vous avez dû penser à une date, non ?
- Cela dépend de beaucoup trop de choses pour qu'on ait pu y réfléchir, encore, répondit Shura. Quand auront lieu les premiers mariages ? Il y a une liste, quelque part ? Quelle est la procédure à suivre ?
- J'ai toutes les infos chez toi, Shura, avec tous les détails, expliqua le jeune Cancer. Ce que je peux déjà vous dire, c'est que le premier couple va se marier mardi prochain, le 11 juillet. On parle d'eux partout ! Ce sont deux hommes, ils sont ensemble depuis plus de 30 ans ! C'est trop beau !
- On fera mieux, assura Achille en embrassant sa tempe.
- T'as intérêt, lui rappela Angelo. Et crois pas que ma mort te délivrera de tes promesses, le Myrmidon.
- Je l'ai jamais pensé une seule seconde !
- Tanto meglio.
- Il a dit tant mieux, c'est ça ? murmura-t-il à l'oreille de Simon.
Il faisait de son mieux, mais il avait encore un peu de mal avec l'italien, qu'il s'efforçait pourtant d'apprendre depuis de nombreuses années.
Angelo le lui reprochait souvent, l'exhortant à être un peu plus à la hauteur des capacités linguistiques de son compagnon, qui parlait pas moins de six langues, désormais, sept, si l'on séparait l'allemand et l'autrichien : avec ces deux-là et l'anglais, en vivant au Sanctuaire, il avait appris le grec, l'italien, l'espagnol, et le japonais avec les Bronzes.
Depuis peu, il s'était même mis au français avec Camus et au russe, avec Hyoga, Shun, Yukino et lui.
Par contre, il avait beaucoup de difficultés avec le suédois que tentait de lui enseigner Aphrodite.
- Oui, c'est ça, confirma-t-il. Et du coup, poursuivit-il, je pensais qu'on se retrouverait directement chez toi, Shura, mais vous voulez faire la fête, c'est ça ? Ou j'ai mal compris quelque chose ?
Angelo l'arracha à son compagnon pour l'attraper par le cou.
- Pourquoi tu fais cette tête, P'tit crabe, tu nous trouves trop vieux pour ça ?
- Mais pas du tout ! se défendît-il en riant. C'est juste que c'est pas votre genre !
- Je sortais souvent, quand j'étais plus jeune, l'informa Shura en l'aidant à se libérer du Cancer senior.
- Vraiment ?
- Un vrai tombeur, grimaça Angelo en venant enlacer Shura. Avec ou sans 'Dite et moi. Il y avait parfois des bars ou des clubs assez tolérants avec les gays qui fermaient les yeux. Certains avaient même des arrière-salles. Sinon, on allait dans une autre ville ailleurs dans le monde, souvent Toronto ou San Francisco, New York.
- Et même Paris, grâce à Camus, dans les années 90, après notre retour, ajouta.
- Incroyable ! Lui aussi allait dans des clubs et des bars ?
- Eh oui, gamin, on savait tous s'amuser, même si c'était le bordel avec le Lémure au Sanctuaire, à nos quoi, 16 - 20 ans ? Mais après notre résurrection, on s'est aussi remis à sortir, quand on s'occupait pas de votre éducation !
- Avec la dépénalisation de l'homosexualité qui se faisait un peu partout, les bars et les clubs fleurissaient dans plusieurs villes en Europe et aux Etats-Unis, expliqua le Capricorne. Malheureusement, le sida aussi, même si cela ne nous concernait pas directement...
- Mais c'était une chouette époque, si on exclut ce fléau de mort.
- Ca commence à dater...
Angelo fusilla Achille du regard.
- Tu me cherches, le Myrmidon ?
- Non, pas du tout ! Je dis juste que les temps ont changé, plus d'une décennie est passée ! Maintenant, on peut faire la fête sans se cacher ! Et on sait comment lutter contre le sida. Plus ou moins...
Lui aussi s'y connaissait en pirouette.
Angelo n'était pas dupe, mais il laissa passer.
- Bon, alors, puisqu'on parle de fête et de s'amuser, on va se chercher une bière et on se trouve un coin pour profiter ? On est pas venu pour visiter le Musée, il me semble !
- Non, mais il est à peine un peu plus de 10h30, Maître Angelo, c'est peut-être un peu tôt pour boire, non ?
Angelo jeta un œil surpris à sa montre.
- Ah ouais, je pensais qu'il était plus tard ! Un café, alors ? Vous avez pris votre petit-déjeuner, d'ailleurs ?
- Rapidement, oui, répondit Simon.
- Comment ça, rapidement ? Je t'ai pas appris à bien manger, le matin ? T'as déjà oublié ?
- Non, je dois manger comme un prince le matin, en abondance, comme un marchand le midi, en suffisance, et comme un mendiant, le soir, en indigence, récita-t-il doctement.
- Exactement. Alors, t'avais quoi de mieux à faire, ce matin ?
- Tu ne veux certainement pas savoir, lui dit Shura pour sauver Simon qui rougissait légèrement. Il y a un très bon café à une dizaine de minutes d'ici à Chueca, qui fait d'excellents brunchs, si vous avez faim, les garçons. Leur chocolate con churros est délicieux.
- Il ne vaut certainement pas le tien, mais je suis partant quand même ! accepta vivement Simon. Les churros à Madrid sont trop bons !
Achille hocha aussi la tête avec un sourire.
- Si mes souvenirs sont exacts, Chueca, c'est le quartier gay où tout se passe, cette semaine, c'est ça ? demanda-t-il, alors qu'ils se mettaient en route. Où on était le plus souvent, ces deux derniers jours, mon cœur ?
- Oui, chéri.
- Alors, souvenez-vous bien de garder votre bouche hors de portée des autres ! recommanda Angelo. C'est valable pour tous ! précisa-t-il en tirant Shura contre lui pour passer un bras possessif autour de sa taille.
Les trois autres rirent à cette remarque, puis ils commencèrent à remonter, d'un bon pas, la Calle del Almirante en direction de ce qui était sûrement, à cet instant, le quartier le plus animé de Madrid.
La semaine de célébration et d'événements dans le cadre d'El Orgullo de Madrid, la Fête des fiertés, avait atteint son point culminant la veille avec le défilé, la fameuse Marcha del Orgullo, la Marche des fiertés, dont les rues du quartier de Chueca portaient encore les traces.
Mais il y avait encore beaucoup de monde dans les rues, ceux qui étaient sortis de boîtes ou de clubs mais n'étaient pas rentrés croisaient ceux qui venaient de se lever et sortir, les uns en habits de fête et les autres en tenues ordinaires, des fêtards en pleine cuvaison et même des drag queens plutôt en fin de vie qu'en fin de soirée…
Le tout dans un fond musical et un brouhaha de discussions animées et de rires.
Il se disait de Madrid, comme de New-York, d'ailleurs, qu'elle ne dormait jamais.
Ce n'était jamais plus vrai que durant cette période de fête pour les droits, la tolérance, l'égalité et la liberté !
D'autant plus en ce jour historique de la promulgation de la loi.
Il était presque difficile de dire si c'était le matin, l'après-midi ou déjà la fin de journée.
Le café recommandé par Shura était presque plein, mais le couple qui le tenait leur trouva une table parfaitement située avec vue sur la rue, près des portes-fenêtres ouvertes sur l'extérieur et la terrasse.
A bientôt 11h, le soleil commençait déjà à bien chauffer, en ce début juillet.
Le couple, deux charmantes et pétillantes quadras, connaissait Shura et Angelo depuis longtemps, et elles prirent le temps de quelques nouvelles avec eux, avant de repartir s'occuper de leur commande et des autres clients.
- Je vous envie, en vrai ! soupira soudain Achille. J'aurais bien voulu épouser Simon.
Celui-ci faillit s'étouffer avec son verre d'eau sous la surprise de cette soudaine déclaration.
Ils avaient eu l'occasion de parler de mariage, ces derniers jours, mais le sujet n'avait jamais été abordé pour leur couple, alors il ne comprenait pas pourquoi son compagnon y pensait comme cela, d'un coup.
Cela sortait vraiment de nulle part.
- Mais enfin, chéri... ?
- Pour nos dix ans, ça aurait été parfait ! insista le chéri en question.
- Dans tes rêves, lui dit Angelo, alors qu'un serveur arrivait et s'affairait déjà à leur table pour la dresser selon leurs commandes.
Car si Angelo et Shura étaient encore en train de digérer leur petit-déjeuner pris deux heures plus tôt, Achille et Simon, eux, n'avaient pas grand-chose dans l'estomac, excepté les quelques tapas prises dans un bar, la veille, depuis longtemps assimilés, et quelques toasts grignotés rapidement avant de partir – en catastrophe et presque en retard - le matin-même.
Ils avaient donc demandé, en plus de leur chocolate con churros, des sobaos, sorte de gâteaux traditionnels au beurre, mais aussi du pain grillé à l'huile d'olive avec des tomates et une grande tortilla à partager.
Angelo pouvait se contenter d'un café pour les accompagner, mais Shura, en bon Espagnol, ne pouvait résister à l'appel du churro.
Les deux Cancers, l'élève et le Maître, fixèrent d'ailleurs le Capricorne, quand ils virent le serveur arriver avec les deux chocolats chauds, les cafés et surtout, le plat rempli des délicieux bâtons de pâte frits, guettant le moment où ses yeux allaient s'illuminer. De cette lueur si particulière et unique.
Cela ne durait qu'une fraction de seconde, c'était invisible pour ceux ne le connaissant pas.
Mais Angelo avait partagé cela avec Simon, la toute première fois qu'ils avaient mangé des churros ensemble, en Espagne. Par télépathie, il lui avait dit de bien observer Shura, et se faisant, le jeune garçon, à l'époque âgé de neuf ans, avait remarqué la réaction furtive et surprenante du Dixième gardien.
Depuis, il s'en amusait avec son Maître, à chaque fois, c'était leur petit truc à eux.
Si Shura avait remarqué leur manège, il ne leur en fit cependant jamais la réflexion et ne changea en rien son attitude.
Il n'avait pas honte et reconnaissait sans mal que le churro madrilène était sa petite faiblesse, sa petite madeleine de Proust.
Il ne réagissait pas ainsi avec ceux qu'il faisait lui-même.
Cependant, il laissa les garçons se servirent en priorité, avant de remplir sa propre assiette.
- Je sais bien que c'est un rêve… soupira Achille en remuant délicatement son épais chocolat fumant. En plus, notre anniversaire, c'est dans deux semaines. Mais quand même, au moins, faire ma demande, ça aurait déjà voulu dire que c'était possible…
- Tu te fais du mal, lui dit encore le Cancer senior. Et t'en fais peut-être à mon P'tit Crabe, au passage, en ruminant comme ça, alors rêve en silence, tu veux !
- C'est pas sympa, Angelo ! Si seulement t'étais né en Espagne et pas en Autriche, mon cœur…
- Désolé…
Achille fronça soudain les sourcils.
- Tu es sûr d'être né en Autriche, d'ailleurs ? Je t'ai jamais demandé, j'crois.
- J'avais trois ans, quand je suis arrivé à l'orphelinat où j'ai grandi jusqu'à mes huit ans, répondit Simon à son compagnon. Mais je ne sais pas d'où je viens, je pense pas que j'avais quoi que ce soit, sur moi, qui puisse donner un indice. En tous cas, on m'en a pas parlé.
- On a ça en commun, en fait. J'avais aussi cinq ans, quand je suis arrivé au Sanctuaire. J'ai des vagues souvenirs d'avant, mais je ne peux pas vraiment situer le pays...
- Toi non plus, tu ne m'en as jamais vraiment parlé, d'avant le Sanctuaire, chéri.
Achille avala le morceau de churro qu'il venait de croquer, avant de reprendre la parole.
- J'ai des images floues d'une femme aux longs cheveux blonds et doux qui sentaient bons, plus clairs que les miens, peut-être ma mère, une nourrice... Je me revois tenant une mèche de cheveux alors qu'elle chantait, mais je n'identifie pas la langue, même pas les sons, juste l'air, un peu. Je me rappelle aussi l'odeur des chevaux et du foin. J'ai gardé une impression de grands espaces, d'une grande liberté. C'est tout. Les autres souvenirs sont ceux de l'enlèvement. Enfin, après, je ne me souviens de rien de ce jour-là ou de l'instant T. Mais vu que ma famille a été tuée, c'était sûrement tellement violent que mon cerveau a dû tout enfouir.
- Heureusement, soupira Simon en serrant sa main. Quelle horreur !
- Tu n'as pas de souvenirs précis, mais quand tu es arrivé, tu parlais grec, lui dit Shura. Enfin, l'italien méridional.
Achille fronça les sourcils.
- Je comprends pas, je parlais le grec ou l'italien ?
- Tu parlais le griko, expliqua Angelo. C'est un dialecte grec aux influences italiennes, plus parlé que par deux communautés dans le Sud de l'Italie, aujourd'hui, à Calabre et dans les Pouilles. C'est-à-dire, dans le talon et le bout de la botte.
- Mais... ils sont Grecs ou Italiens, alors ? interrogea Simon, à son tour.
- Et moi, je viens forcément de là-bas ?
- Y a vraiment que dans ces deux endroits, dans le monde, où le griko est parlé. Je dis pas que y a pas des adultes qui ont migré de manière isolée, mais à l'âge que t'avais, tu pouvais pas l'avoir appris ailleurs. En plus, certains de ces villages étaient connus pour être de hauts lieux de nombreuses organisations mafieuses très influentes. Le Lémure m'y avait envoyé, une paire de fois.
- Ton enlèvement, celui d'autres enfants aussi, probablement, s'explique dans ce contexte, ainsi et surtout que le massacre de ta famille, poursuivit Shura.
- Je suis le fils d'un mafieux ?
- Représailles, dommages collatéraux, malchance... Qui peut savoir, gamin ? Quoi qu'il en soit, t'as petite tête blonde a atterri au Sanctuaire, et y a que moi qui comprenait que ce que les autres pensaient être des erreurs de langage en grec étaient en fait des mots ou des sons en italien.
- Le griko est très proche du grec moderne, précisa Shura, car les deux plus jeunes semblaient un peu confus.
- Donc, je suis né en Italie, mais dans communauté grecque... Je suis autant l'un que l'autre, un peu comme toi, Angelo, alors ?
- Doucement, les comparaisons, on a rien en commun... J'suis Italien, mais j'suis surtout Sicilien. Toi, soit t'es Grec, mais surtout Italien, soit l'inverse. Je pencherai plus pour l'inverse, d'ailleurs.
- Plus Italie que Grèce ? demanda Shura. Pourquoi ?
- Normalement, cette communauté est très fière de ses origines et de son identité. Or, toi, Archie, tu n'as jamais voulu nous dire comment tu t'appelais, ni le nom de ton village. On a dû l'apprendre après, sûrement.
- C'était pas Achille, son prénom ? s'étonna Simon.
- Non.
- Et vous vous souvenez pas de c'était quoi, mon nom de naissance, j'imagine... ?
- Si, si, c'était Minus Erector.
- Hein ?! s'exclama Achille, alors que Simon détournait le visage pour cacher son envie d'hurler de rire.
- Je déconne ! se moqua l'ainé.
- C'est pas drôle, c'est nul ! T'es nul, Angelo ! Je suis sérieux, moi !
- Mais comment veux-tu que j'me souvienne d'un détail pareil, réfléchis ! Est-ce que je l'ai même seulement su, un jour ?
- Moi non plus, je ne me rappelle pas, désolé, Archie, s'excusa Shura. Mais cela peut se retrouver, on peut demander à Tatsumi. C'est lui qui t'as nommé Achille, après tout.
- Pourquoi ce nom, il y a une raison ? La vraie raison, précisa-t-il en jetant un regard noir au Cancer sénior. Si vous vous rappelez.
Angelo ricana, mais ce fut Shura qui répondit.
- Ca, on s'en souvient. Il nous a raconté qu'au Manoir Kido, le jour suivant votre arrivée, tu as échappé à la vigilance du personnel et il t'a retrouvé pile au moment où tu basculais dans la piscine. Il t'a alors retenu et remonté par le talon.
Shura n'ayant pas l'air de vouloir ajouter quelque chose, Simon échangea un regard avec Achille, qui reporta son attention sur leur aîné.
- Et… ?
- C'est tout.
- Il t'a tenu et remonté par le talon, répéta Angelo en riant encore.
- Tu veux dire que...
- Bah oui ! Comme Thétis l'a fait pour son fils Achille, donc : Talon d'Achille, quoi !
Les deux plus jeunes ouvrirent grands leurs yeux, effarés, mais évitèrent de se regarder pour ne pas hurler de rire.
- Vous pouvez vous marrer, leur assura Angelo, c'est complètement con !
- 'Ge…
- Quoi, c'est vrai, non ? Tatsumi a toujours eu le chic pour trouver des noms en faisant un lien complètement absurde avec un élément qui l'est tout autant ! Si je l'avais laissé faire pour mon nom de famille d'emprunt hors du Domaine, j'me serai sûrement appelé Angelo Mafiosi, parce que je suis sicilien !
Cette fois-ci, les plus jeunes ne retinrent pas leurs rires.
Shura ne le reprit pas, il exagérait à peine.
- C'est le pire conseiller du monde ! Heureusement qu'Athéna ne l'écoute pas toujours... 'fin bref…
- Je me souviens de mon arrivée, mais pas d'avoir été baptisé par Tatsumi, ni d'avoir refusé de donner mon prénom, poursuivit Achille, une fois l'amusement passé. La piscine, ça me dit quelque chose, par contre...
- Je pense que tu l'as rapidement oublié, tout comme le griko. Tu n'as bientôt plus parlé que le grec moderne, et l'anglais qu'on vous apprenait.
- Tu disais encore parfois quelques mots la nuit, dans ton sommeil, apparemment.
- Apparemment ?
Angelo se passa sa main contre sa nuque, synonyme de tic nerveux, chez lui.
- Comme tu venais d'Italie, le Pope m'avait demandé de m'occuper un peu de toi, avec Shura en garde-fou, pour pas que je merde, mais... c'était pas mon truc, de jouer les nounous, alors je l'ai jamais fait. C'est Shura qui me racontait. Et puis, j'étais trop dangereux, de toute façon, pour qu'on me laisse rester avec des gosses influençables et malléables.
- Tu parles de Deathmask ?
Le regard d'Angelo, qui avait commencé à s'assombrir, s'éclaira d'un coup à la question de Simon.
Il parlait bien de Deathmask, pas de celui qu'il était, aujourd'hui.
Lui, il se serait occupé du gamin, comme il l'avait fait et le faisait toujours avec Simon, depuis 16 ans.
Il lui sourit d'ailleurs.
- C'est ça, P'tit crabe. Tu faisais beaucoup de cauchemars à ton arrivée au Sanctuaire, Archie. Tu t'en rappelles, de ça ?
- Oui, Angelo, un peu.
- Et tu te souviens de ce qui s'est passé après ton enlèvement ? demanda Shura.
- Vaguement. Je sais qu'à un moment donné, j'étais avec un groupe d'enfants, on était tous entassé dans des petites pièces qui sentaient vraiment mauvais. On en changeait souvent, mais elles étaient toujours dans le même état. C'était dégoûtant... grimaça-t-il. On était jamais lavé. On voyageait dans des camions où il faisait très froid. Et je ne sais pas trop comment, un jour, je me souviens juste d'avoir vu une très belle fille plus grande que moi, qui nous a dit que tout irait bien. C'était à l'époque simplement Mlle Kido, qui venait de nous sauver du trafic d'enfants dont on avait été victime. Quelques-uns ont été envoyé au Sanctuaire avec moi, et les autres…
Achille se tourna soudain vers Simon.
- En quelle année tu dis que tu es arrivé à l'orphelinat ?
- J'avais trois ans, donc c'était en 1984. Sur la photo prise à mon arrivée qui est affichée dans le hall, je n'étais pas habillé très chaudement, alors ce devait être au printemps ou en été.
- Comme moi ! Est-ce que… commença-t-il en se tournant vers Angelo et Shura. Ce serait possible ?
- Quoi, que vous ayez fait partis du même groupe d'enfants ? demanda le Cancer, perspicace. Ce serait un peu gros, non ?
- Ce n'est pas impossible, réfléchit le Capricorne. L'Orphelinat de Salzbourg est plein d'enfants envoyés par la Fondation Graad, c'est ainsi depuis plus de trente ans.
- Admettons. Mais c'est au Sanctuaire que Saori Kido a envoyé les potentiels futurs Chevaliers dont elle avait senti le cosmos.
- Elle n'était pas éveillée en tant qu'Athéna, 'Gelo. Ce n'était qu'une intuition, pour Elle, à cette époque. Je ne suis même pas certain que Tatsumi lui avait déjà révélé Son identité, Elle était encore seulement Saori Kido et suivait les directives laissées par son Grand-père. Elle a hérité de son Empire à 8 ans seulement, c'était pas évident, pour Elle, même avec l'aide de Tatsumi et l'influence d'Athéna endormie. Les trafics d'enfants avaient repris, à la mort de ce dernier, Elle luttait activement contre. En 1984, il y a eu un gros démantèlement, je me rappelle très bien cette affaire. Une douzaine d'enfants n'a pas pu retrouver leur famille, si mes souvenirs sont bons. Ils avaient été enlevés dans plusieurs pays différents et ont donc été confiés à plusieurs orphelinats, en Autriche et en Angleterre. D'autres, effectivement, au Sanctuaire. Simon a très bien pu échapper à l'intuition de Mlle Kido, pas encore Athéna, à l'époque et se retrouver en Autriche.
- Et Athéna ne nous l'aurait jamais dit ? répliqua Angelo, sceptique. Ni à lui ? A personne et depuis tout ce temps ? Et Saga ?
- Elle ne s'en souvenait peut-être pas. Simon, tu n'as' jamais posé de question sur ton passé à notre Déesse, sur la Fondation, n'est-ce pas ?
- Non. J'ai jamais pensé que quiconque, au Sanctuaire, aurait des infos sur moi. J'aurais pu lui demander par rapport à la Fondation, c'est vrai, mais… le fait est que cela ne m'a jamais intéressé, avoua-t-il en reposant son verre de jus d'orange. Ma famille, c'était Elrik, j'avais pas besoin d'en savoir plus. Et après, c'était vous. Le Sanctuaire, je veux dire, précisa-t-il en jetant un regard à la dérobée à Angelo, qui l'ignora.
- Donc, c'est possible, conclut Shura. Il faudrait le Lui demander, Elle acceptera sûrement de vérifier dans les dossiers de l'époque. Enfin, si vous voulez savoir, ajouta-t-il en regardant les deux jeunes hommes.
- Oui ! acquiesça Simon en souriant. Ce serait incroyable, quand même !
- Ce serait bizarre que je ne me sois pas souvenu de toi… réalisa soudain Achille en se tournant vers lui.
- Te souviens-tu d'un des autres enfants ?
- Non… Vraiment, le seul visage que je revois nettement de ce moment-là, c'est celui de la Princesse Athéna, quand on est arrivé à la Fondation. Après le bain et le repas, on a été séparé très vite, avec les autres, on avait chacun une chambre. Je crois qu'on nous a posé beaucoup de questions… Ensuite, on s'est retrouvé dans l'avion qui nous a conduit au Sanctuaire. En y repensant, je crois voir la tête d'ampoule de Tatsumi au départ, mais je suis pas certain...
- Chéri, c'est pas sympa... le reprit Simon, toujours si gentil.
- Mais c'est vrai ! C'est ce genre de chose que tu retiens, quand t'es petit !
- C'est pas faux, concéda Angelo.
- Le Grand pope nous a accueilli avec toi, Shura, et Camus, continua Achille. Vos visages sont pas aussi nets que celui de Notre Déesse, mais je sais qu'il y avait beaucoup de rouge. Les yeux et les cheveux de Camus, le casque du Grand pope, ses épaulettes à pointes, le truc sur sa tête avec des ailes…
- Il était vraiment comme ça ?
- Ouais. A l'occasion, j'te montrerai, je dois avoir encore quelques croquis que j'avais fait, à l'époque. Toutes les représentations officielles ont été détruites, j'suis sûrement le seul à avoir une trace physique.
- C'est vrai que dans le bureau des Grands popes, son portrait est en ombre. Et il a des piques sur ses épaules et son casque a une fois étrange, maintenant que j'y pense. Ce devait être terrifiant de se retrouver face à lui, surtout pour un enfant !
- Oui et pas qu'un peu ! Et puis, il y avait son masque, donc on ne voyait pas son visage. Ca aussi, ce n'était pas rassurant ! Après, le Pope avait soit une voix très douce et apaisante, soit, le plus souvent, une voix dure qui filait des frissons, quoi qu'il dise ! On savait pas pourquoi, à l'époque, on a compris qu'après la Guerre contre le Lémure et la Bataille du Sanctuaire. Et je pense qu'on a vraiment bien compris à votre retour, quand il a fallu nous expliquer pourquoi, d'un coup, on avait deux Chevaliers des Gémeaux, un Grand pope et un Vieux Maître super jeunes, un Chevalier du Sagittaire qui n'était finalement pas un traître, et pas vraiment mort, et tout simplement, des morts revenus à la vie. Et toi aussi, Angelo, on a mis du temps à lever le doute sur qui tu étais... T'étais plus Deathmask, c'était évident, mais tu lui ressemblais, alors, est-ce que les Cancers avaient la même tête mais que c'était deux personnes différentes... ? C'était compliqué, on avait que huit ans, à l'époque, pour les plus âgés d'entre nous !
- Vous étiez bien jeunes, en effet, nous en étions conscients. Chacun a fait le maximum pour que les choses soient le plus claires possibles pour vous.
- Vous avez vraiment tous tout bien géré, on en parle encore entre nous, de cette période. Vous nous avez tous parfaitement tout expliqué à mesure qu'on grandissait et se montrait capable de comprendre, sans jamais rien nous cacher. Chacun de vous a raconté son histoire en l'adaptant à notre âge, en l'actualisant, année après année, au fil de nos questionnements, sans jamais rien nous cacher, en assumant tout. Jamais aucun de vous n'a fui ses responsabilités, vous avez accepté de répondre à toutes les questions.
- Il le fallait, Archie.
- Je sais, Shura. Et pour en revenir à mon histoire, te concernant, il y a une chose dont je me souviens, de mon arrivée au Domaine. C'est vrai que le rouge était dominant avec Camus et le Grand pope, mais de toi aussi, il m'est resté un point marquant : ton regard. Il était très sombre et très triste.
- Je n'étais pas… commença Shura, avant de s'interrompre en secouant la tête. Peu importe.
- Attends, non, pourquoi t'étais aussi triste, il se passait quoi, à ce moment-là ? On avait quoi, 20 piges ?
- Je ne sais plus, et cela n'a plus guère d'importance, aujourd'hui, 'Ge. As-tu d'autres souvenirs de ton arrivée, Archie ?
Achille jeta d'abord un œil à Angelo, puis répondit, comme il avait choisi de ne pas insisté.
- Non, j'ai un peu oublié le reste, ça ne comptait pas trop, je pense. Je sais que je faisais des cauchemars, mais encore une fois, c'est vague. Mes souvenirs commencent avec les bons moments que j'ai passé avec les autres, quelques temps après. Les plongeons dans la mer depuis la falaise, les parties de cache-cache dans le Domaine, le Sanctuaire qui nous était interdit, et qu'on admirait depuis les arènes, les goûters du père de Thalie. C'est tout.
- Et tu te souviens de ton baratin sur Simon, y a dix ans, quand t'es venu plaider ta cause ? demanda soudain Angelo en regardant le jeune Chevalier d'Argent.
- Mon baratin ?
- Ses yeux bleu qu'ils avaient depuis une autre vie, que tu t'étais déjà réveillé à ses côtés, et tutti quanti ? énuméra-t-il en faisant semblant de jouer au violon.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? les interrogea le jeune Cancer en faisant aller son regard d'Angelo à Achille.
- Quoi, tu lui as jamais dit ? ricana le Cancer sénior.
- Non, et peu importe… Pourquoi tu ressors ça maintenant, Angelo ? s'irrita-t-il presque en fronçant les sourcils, boudeur.
- Parce que ça n'vient peut-être pas d'une vie antérieure, tout ça, Archie, mais juste de votre enfance. Si Simon était dans ce camion de la mort avec toi, je veux bien croire que ses yeux bleus t'aient marqué, c'était clairement la seule lumière dans votre horizon de désespoir.
Le jeune homme secoua la tête négativement.
- Non, il n'y a pas que ça. C'est possible, je le reconnais, mais… il y a autre chose. J'en suis encore plus convaincu qu'il y a dix ans. Simon et moi, on était destiné à se retrouver et à s'aimer, parce que ça a déjà été le cas, assura-t-il en prenant la main de son compagnon pour la serrer fort. Et si effectivement, on était dans ce camion ensemble, alors, ça le prouve aussi.
- Ça dirait juste que vous vous êtes rencontrés une fois, dans votre vie, quand vous étiez plus jeunes, le contra Angelo, mais sans brusquerie ni méchanceté aucune.
- Et qu'on se serait retrouvé, d'une façon ou d'une autre, insista Achille.
- T'es vraiment un Chien de chasse, hein, tu lâches jamais ton os, pas vrai ?
- Pas si j'ai raison.
- Je viens de parler à Saga, intervint alors Shura en posant sa main sur le poignet d'Angelo. Il me dit que personnellement, il ne se souvient pas d'avoir eu une vision du groupe d'enfants sauvés autre que les enfants envoyés au Sanctuaire. Il va vérifier tout de suite dans les archives de la Fondation. Du Sanctuaire, il a accès aux dossiers.
- Comment ça, du Sanctuaire ?
- Depuis son ordinateur, 'Ge. Tous les dossiers ont été récemment numérisés, souviens-toi. Cela facilite le travail entre les deux structures. La base de données est commune, tout est accessible, du Sanctuaire ou de Tokyo. Saga va donc pouvoir vérifier assez vite. Il doit juste demander à la Princesse Athéna son accord pour communiquer ce qu'il trouvera.
- C'est fou ce que ça va vite, aujourd'hui ! Y a six ans encore, il aurait fallu qu'on aille sur place.
- Cela ne nous aurait aussi pris que quelques minutes.
- Certes. Mais c'est à la portée de tout le monde, maintenant.
- Le monde évolue.
- Ouais, et ça aussi, il le fait à une vitesse assez impressionnante... Mais tant mieux, on va pouvoir savoir assez vite ce qu'il en est. T'as bien fait de demander au Patron, Shurizo.
- Oui, merci beaucoup, Shura, lui dit également Simon, avant de se tourner vers Achille. Et toi, maintenant, chéri, raconte, c'est quoi, cette histoire au sujet de mes yeux ? Et ne réponds pas que ce n'est rien ! Je veux savoir !
Le Chien de chasse soupira et évita de regarder Angelo, qui se moquait ouvertement de lui.
- Quand je parlais avec Angelo, y a dix ans, au sujet d'être avec toi, j'ai évoqué la possibilité qu'on soit aussi des âmes-sœurs. Je lui ai décris de ce que j'avais ressenti et pensé, le premier jour où tu nous as été présenté, quand on s'est regardé. Tu te souviens ?
- Pas… spécialement…
Angelo faillit recracher sa gorgée de café sous le rire qui le prit.
- J'vous disais quoi, à l'époque, déjà ? demanda-t-il une fois calmé. C'est du flan, cette histoire de premier regard ! Il ne se passe rien !
- Pas pour tout le monde, je te le répète, répliqua Shura. Archie en est la preuve.
- Il s'est passé quelque chose, pour toi ? s'enquit Simon.
Achille soupira à nouveau et lui raconta, comme il l'avait fait à Angelo.
- Même la deuxième fois et après dix ans, cette histoire est toujours aussi pourrie ! grimaça ce dernier.
- Moi, je trouve ça adorable, assura Simon en posant sa tête sur l'épaule de son amoureux un court instant.
- Moi aussi, les soutint Shura. Et j'y crois totalement.
- Schiocchezze !
- Non, Maître Angelo, ce n'est pas n'importe quoi, pour moi, insista doucement Simon sans quitter Achille du regard. Ce qui m'importe peu, c'est que ce soit vrai ou non. Ca fait sens, pour nous deux.
- Et c'est le principal, assura le Capricorne.
- Evidemment, concéda le Cancer sénior.
Une petite sonnerie retentit discrètement, en même temps que le portable de Shura vibrait sur la table.
Il le prit et lut le message qu'il venait de recevoir, puis sourit.
- C'est la réponse du Grand pope ? devina Achille.
- Déjà ? Mais c'est plus la vitesse de la lumière, là ! commenta Angelo. Alors, il dit quoi ?
Pour toute réponse, le Capricorne montra l'écran de son téléphone, où une photo s'affichait.
Devant l'entrée du très reconnaissable Manoir Kido à Tokyo, devant les marches menant au portique à double colonnes, un groupe d'enfants entourait Saori Kido, alors âgée de 11 ans. En regardant les visages, on pouvait reconnaître certains des apprentis du Sanctuaire : Nikolaï, Achille, Alexeï, Théodora, Markos, Aelis, Azariah.
Si la jeune fille attirait derechef le regard sur elle tant son visage avait la gravité d'une adulte, et tant elle dégageait déjà quelque chose d'unique, les yeux étaient aussi ensuite attirés sur une autre partie de la photo : tous les enfants avaient à peu près la même position, se tenant droit et fixant l'objectif, les bras le long du corps.
Tous, sauf deux, qui rompaient l'alignement parfait et quasi symétrique du cliché.
A l'extrême gauche du groupe, un des plus grands enfants tenait, devant lui et contre lui, un camarade plus jeune, ses bras passés par-dessus ses épaules se rejoignant au milieu de son torse, les mains du petit enserrant ses poignets.
Le plus grand était Achille, Shura et Angelo n'avaient aucun de mal à reconnaître le petit garçon qu'ils avaient accueilli au Sanctuaire, 21 ans plus tôt.
Et le plus petit était bien évidemment Simon, les yeux bleus incroyablement lumineux, malgré la tristesse, ne laissaient aucun doute sur son identité.
- Macché ! laissa échapper Angelo en tapant du plat de la main sur la table.
Le jeune Cancer, lui, sentit les larmes monter.
Il nicha son visage contre le cou de son compagnon en serrant son bras très fort.
Archie déposa un baiser dans ses cheveux, puis offrit un immense sourire à Angelo.
- Tu vois, j'avais raison ! Regarde comme je le tiens contre moi ! Je voulais le protéger, lui plus que quiconque ! Y a que nous, dans cette position !
- Tchhhh… Tu t'en souviens même pas !
- Et alors ? Les âmes n'ont pas besoin que les corps se souviennent pour se retrouver, non ? C'est toi qui me l'as appris, entre autres ! On est les seul à se tenir comme ça ! répéta-t-il. On se connaissait depuis quoi, quelques jours ?
- Si tu l'as protégé, c'est normal qu'il s'accroche à toi !
Shura récupéra son portable, puis posa sa main sur la nuque d'Angelo et la caressa du bout des doigts, le détendant instantanément.
- Arrête ta mauvaise foi, Angel. Il apparait en effet assez évident que d'une façon ou d'une autre, vous vous seriez retrouvés, poursuivit-il en regardant le jeune couple plus amoureux que jamais. Si cela n'avait pas été Saga et Aioros, quelqu'un aurait tout de même fini par aller te chercher en Autriche pour te ramener au Sanctuaire. Tous deux destinés à être Chevaliers d'Athéna, vous ne pouviez que vous retrouver, un jour.
Simon se redressa.
- Mais je n'aurais peut-être pas eu Maître Angelo pour me guider, si je n'étais pas venu à ce moment-là. Ou si vous n'aviez pas eu cette seconde chance.
- Tu t'en serais sorti, même sans moi, le rassura le Cancer senior.
Il les avait suffisamment taquinés, tous les deux, il pouvait bien dire un ou deux mots gentils, à présent.
Les doigts de Shura qui caressaient la peau sensible de sa nuque et les mèches rebelles qui la recouvraient, l'y aidaient aussi grandement.
Ses yeux étaient à moitié fermés, il fumait, complètement relâché contre le dossier de sa chaise.
- Cela n'aurait pas été pareil, Maître.
- On ne le saura jamais, P'tit crabe !
- Certaines choses n'ont pas besoin d'être démontrées pour être sues. Moi, je le sais, Maître Angelo. Je ne serai pas celui que je suis aujourd'hui, sans toi. Je ne serai pas aussi fier de ce que je suis.
- Arrête ça, grommela Angelo en détournant le regard.
Simon sourit de plus belle.
- Il faut que je raconte tout ça à ´Rik ! changea-t-il de sujet pour ne pas gêner davantage son mentor adoré. Mais c'est trop long par message... Je l'appellerai plus tard.
- On doit aussi appeler 'Dite, il va me massacrer et me faire bouffer ses roses par la racine, si je lui dis pas que c'est bon ! grimaça l'ancien Quatrième gardien.
- Et Marine aussi ! rappela Simon. Tout le monde, en fait, si on y réfléchit.
Shura haussa un sourcil.
- Comment cela, tout le monde est au courant ?
- Disons que la rumeur s'est propagée comme elle sait si bien le faire, au Domaine, mais personne n'a confirmé ni infirmé, expliqua le jeune Cancer. On attendait tous de savoir si la loi allait passer, déjà, et ensuite… Ensuite rien, on savait que Shura dirait oui, de toute façon ! C'était plus de savoir si ce serait possible ou non, selon les conditions imposées.
- Donc, tout le monde attend de savoir, en ce moment-même, conclut le Capricorne.
- La nouvelle de la promulgation de la loi a déjà dû se répandre, fit valoir Achille.
- J'ai une idée ! s'exclama Simon. Je vais faire une photo de vos deux mains avec vos alliances ! Posez-les sur la table ! Je leur envoie par mail.
- Tu as accès à internet ? demanda Angelo en suivant ses consignes.
- J'ai un petit forfait, oui, répondit-il tout en prenant deux ou trois photos. Sinon, je le ferai de chez toi, Shura.
- Pas besoin, regarde... hop ! A l'ancienne !
Angelo avait fixé sa main et celle de Shura et avait projeté l'image par lien télépathique à... tout le monde, en fait.
Les deux plus jeunes portèrent très vite leurs mains à leurs fronts en grimaçant, car les réactions immédiates et très nombreuses avaient provoqué une cacophonie sans nom dans leurs têtes.
Shura, habitué, c'était de suite fermé, tout comme Angelo.
- Mais t'aurais pu prévenir ! se plaignit Achille. Ca va, mon cœur ?
- Oui, c'est bon. Maître Angelo, s'il-vous-plaît, avertissez-nous, la prochaine fois.
- Vous n'avez qu'à pas restés ouverts aux quatre vents !
- Ce n'est pas le cas. Je suis simplement connecté à toi et Archie, à moi.
- D'accord, désolé !
- Pour les calmer, tu as dit à tout le monde que tu ferais des petites vidéos, Simon, que tu leur montreras en rentrant. Tu as ramené un caméscope ?
- Non, Shura, je le ferai avec mon portable !
- Elles ne sont pas de très bonnes qualités, les vidéos enregistrées sur les téléphones.
- Mon Nokia en fait de très belles ! lui assura le Cancer junior en lui montrant. En plus, regarde, il se tord dans tous les sens, on dirait vraiment une petite caméra ! (1)
- On dirait surtout un gadget, maugréa Angelo. Qu'est-ce que t'as fait de l'ancien, pourquoi tu l'as déjà changé ? C'est pas donné, ces machins, t'en es conscient ? Il te reste deux ans avant que je te refile tous mes biens, fais pas le con, hein !
Simon s'assombrit instantanément à ces mots.
- Ne parle pas comme ça, s'il te plaît, Maître. Je t'ai déjà dit que je ne voulais pas que tu me donnes quoi que ce soit, y a des tas d'orphelinats ou d'associations qui en auront plus besoin que moi.
- Ok, Mère Thérèsa, tu te débrouilleras pour faire le tri quand t'auras hérité. En attendant, tu réponds pas à ma question.
- Je sais très bien ce que ça coûte, bien sûr. Vous m'avez appris la valeur des choses, à agir avec la prudence d'un pauvre. J'en ai fait l'un de mes principes. Ce nouveau téléphone, si tôt après avoir eu celui d'avant, c'est mon cadeau d'anniversaire ! Enfin, un de mes cadeaux, précisa-t-il en embrassant son compagnon sur la joue. Archie sait que j'adore filmer, c'est pour ça qu'il me l'a offert. Si ce n'était pas pour cette fonction spécifique, il aurait attendu que l'autre ne soit plus utilisable.
- Je t'ai dit de prendre soin de lui, pas de le pourri-gâter !
- Dit celui qui lui a acheté une moto… osa répliquer le Chevalier d'Argent.
- Rien à voir, je suis son p… rotecteur ! se reprit-il devant les regards effarés.
Jamais, en 16 ans, le mot n'avait été si près d'être lâché.
Angelo en était bien conscient, et à cet instant, et durant une fraction de seconde, seulement, il maudit les doigts envoutant de Shura sur sa nuque qui lui avaient fait totalement relâcher sa vigilance.
- C'est mon disciple et héritier, c'est normal que je veille à sa sécurité, poursuivit-il en évitant de fixer son regard sur l'un des trois trop longtemps. Si je l'avais laissé l'acheter seul, il aurait pas su faire les bons choix…
- C'est sûr qu'après lui avoir tout appris sur les bécanes, il aurait encore été capable de se tromper…
- Je te trouve bien insolent, aujourd'hui, le Myrmidon !
- S'il y a bien une journée pour l'être, c'est bien aujourd'hui !
- Prends pas trop la confiance, non plus. Fais voir ton jouet, P'tit crabe, demanda-t-il à Simon qui le lui tendit, encore un peu sous le choc de ce qu'il avait presque entendu.
Toujours sans le regarder, Angelo le manipula un moment, quelque peu sceptique, et Simon se reprit suffisamment pour se coller à lui et lui montrer des vidéos qu'il avait déjà enregistrées.
Angelo posa son coude sur le haut du dossier de la chaise pour avoir sa main pile à la hauteur de la tête de son "disciple", et il la posa dessus, sans un mot ni un geste de plus.
Tous pouvaient sentir le cosmos du jeune homme vibrer, même s'il essayait de le canaliser, comme par peur de braquer son Maître et de voir le moment se terminer bien trop tôt.
Mais l'ainé ne bougea pas et garda sa position.
Alors Simon inspira profondément et reprit la parole, la voix assurée malgré l'émotion.
- Là, c'est un des chars du défilé, je l'ai trouvé trop beau ! Vous voyez toutes ces couleurs, c'est fou ! Et ça, c'était le départ de la course en talons hauts. Et celle d'après, une petite vidéo. (2)
- C'est vrai que la qualité est assez bonne, constata Shura, qui s'était penché pour regarder avec Angelo, et dont le menton reposait sur l'épaule.
Archie prit son téléphone pour immortaliser le tableau qu'ils offraient, et ils firent comme s'ils n'avaient rien remarqué.
Simon seul souffla un « merci, chéri » par télépathie, qui fut accueilli avec un sourire.
- Attends une minute, mets pause, P'tit crabe ! s'exclama soudain Angelo. Il a combien de centimètres de talon, sur sa godasse, là ?
- Ils doivent faire minimum 10 centimètres pour participer, c'est mesuré juste avant la course. Je pense que ce doit être un peu plus, pour lui. La majorité doit porter le minimum pour se donner une chance, j'imagine. Surtout qu'ils courent sur des pavés ! Je savais pas si je devais rire ou pleurer !
- On aurait dû venir hier, Shurizo mio, j'aurais aimé voir ça !
- On reviendra l'année prochaine, ce n'est pas grave, lui promit Shura en déposant un baiser rapide dans son cou.
- T'as raison. On reviendra, et comme mari et femme.
- Tu parles de qui, là ?
- De moi et de ma petite femme, répondit-il effrontément en collant son front au sien.
Simon se recula pour les laisser à leur intimité et retrouva l'étreinte de son propre compagnon, qui l'entoura de son bras.
- Tu penses qu'on devrait les laisser seuls ? lui demanda ce dernier tout contre son oreille.
- Restez-là, j'en ai pas fini avec toi, affirma Angelo en tournant son visage vers eux et Simon, plus précisément. Crois pas m'avoir amadoué avec tes vidéos, t'as fait quoi de l'autre téléphone ?
- Oh, je l'ai donné à Yukino !
- Et ses parents sont au courant ? Le Caméléon t'as pas craché au visage ? ricana-t-il alors que Shura et lui se redressaient tous pour reprendre leurs places initiales.
- Je leur ai demandé, et ils étaient d'accord. C'était plutôt Shun qui était réticent, il trouve que 13 ans, c'est un peu jeune, encore. Mais quand je lui ai dit que c'était pour discuter avec Kazuki, il a cédé.
- Me dis pas que le Flocon de neige fricote avec le fils du Dragon ?
Simon sourit devant l'air effaré de son Maître, mais sans lui confirmer sa supposition.
- Ils ont grandi ensemble, ce n'est pas si étonnant, rappela Shura. Et je suis certain que Shun et Shiryu sont ravis de voir leurs enfants se lier, peu importe la nature des sentiments qui les unissent.
- Certes, reconnut Angelo. Mais faut s'ouvrir au monde, aussi ! Ce n'est pas une bonne chose qu'ils se reproduisent entre eux… Ils sont cousins, je te rappelle.
- Tu en parles comme d'un troupeau d'élevage, s'offusqua Achille.
- A raison ! Shun et son Caméléon ont été raisonnables, ils en ont pondu seulement deux, avant de se séparer, et l'un après l'autre. Mais notre Dragon a carrément fait des portées ! C'est pas humain de faire les gosses par deux à chaque fois !
Shiryu et Shunrei avait en effet eu trois paires de jumeaux, respectivement nés en 1993, 1999 et 2002. À ce moment-là, ils avaient eu dans l'idée d'avoir un cinquième et dernier enfant, portant ainsi leur famille à sept, ce qu'ils jugeaient suffisant. Ils n'imaginaient pas avoir encore une fois des jumeaux… et pourtant !
Ils étaient aujourd'hui tous les deux très fiers de leur tribu, Shiryu, surtout, d'avoir une femme si forte et courageuse. Mais il l'était lui aussi, pour assurer parfaitement son rôle de père de famille en étant vraiment présent pour et avec Shunrei, tout en accomplissant son devoir de Chevalier d'or de la Balance, à la suite de Dokho.
Il était vrai qu'après des années de silence et de vide, la Septième Maison du Sanctuaire était désormais la plus vivante et enjouée de toutes !
D'autant plus quand Shiryu et Shunrei ouvraient leur porte aux autres enfants, ceux de Shun et June, en effet, mais pas que.
Il y avait aujourd'hui plusieurs générations secondaires qui gambadaient joyeusement dans les escaliers austères du Sanctuaire, dont ils avaient fait leur terrain de jeu, pour la plus grande joie de la Déesse Athéna et de Ses Popes.
- Mais si, Maitre Angelo, cela arrive ! s'amusa le jeune Cancer. Certains parents ont même des triplés et des jumeaux. Il existe des familles vraiment très nombreuses avec peu d'écart dans la fratrie !
- C'est pas humain de faire ça aux femmes !
- Mais si c'est leur choix, tout va bien.
- Comment une nana pourrait consciemment choisir d'être tout le temps grosse ?
- Tu parles du poids, ou… ? demanda Achille, pas sur du sens à donner à la remarque du Cancer senior.
- Mais nan ! Je veux dire, avoir comme un pneu dans le bide toute ta vie, quel intérêt ? Ça me dépasse…
- On entend ! rit Simon. Mais de toute façon, a priori, Shunrei et Shiryu n'en auront plus d'autres. Pas tout de suite, en tous cas.
- Ouais, parce qu'ils ont commencé tôt ! Ils ont le temps de faire une pause, le temps que la première fournée soit lancée dans la vie, et après, ça repart pour un tour !
Les deux plus jeunes rirent encore à cette image, tandis que Shura levait les yeux au ciel.
- Pour en revenir à Yukino et Kazuki, ils ont chacun un cosmos assez puissant, ce ne sera peut-être pas évident pour eux de se lier à l'extérieur, fit-il remarquer. Même si les enfants de Shun ont grandi entre le Japon, l'Afrique et la Grèce, ils auront peut-être envie de se retrouver auprès de personnes à qui ils peuvent parler plus librement de leur histoire, de celle de leurs parents. Ils sont cousins, comme tu l'as souligné. C'est peut-être ce dont les deux aînés discutent.
- Je ne dis pas le contraire, Shurizo.
- Ils parlent de plein de choses, notamment de musique, de livres de SF et de mangas. Mais en effet, de leurs origines aussi, confirma Simon. Oh, tu m'as envoyé la photo de nous petits, merci, Shura ! réalisa-t-il alors qu'il regardait son portable. Je n'avais pas remarqué, et je pensais à te la demander, justement, mais on s'est complètement éloigné du sujet !
- Je m'en suis douté. Je vous l'ai transféré à tous les deux.
Achille reprit son téléphone abandonné sur la table pour vérifier.
- Bien reçu ! Par Athéna ! soupira-t-il en enlaçant soudain Simon complètement, ça me donne encore plus envie de t'épouser, mon cœur ! Et on en revient à mon point de départ : si seulement tu étais Espagnol, comme Shura… Oh, mais attends une minute ! s'exclama-t-il en se redressant d'un coup.
- Archie… le prévint le Capricorne.
Il avait vu le regard vert intense du jeune homme faire un aller-retour de trop entre Angelo, Simon et lui, et ses pensées se lisaient sur son visage.
Des pensées dangereuses qu'il valait mieux ne pas formuler à voix haute, en témoignait la crispation d'Angelo, qui avait saisi, lui aussi.
Mais bien évidemment, le fougueux Chevalier des Chiens de Chasse n'en tint absolument pas compte et poursuivit sur sa lancée.
- Si tu adoptes Simon, Shura, il deviendra espagnol par filiation ! Et on pourra se marier !
L'adoption était un sujet très sensible entre eux, à la limite du tabou, même après tant d'années.
Simon jeta un œil à Angelo qui fixait désormais un point dans la foule, comme s'il était soudain à des lieues de leur échange.
Il serra les poings et se força à sourire.
Il savait qu'Angelo l'aimait et que ce n'était pas un rejet, il l'avait vraiment élevé comme son fils, avec Shura.
Mais cela restait malgré tout douloureux de le voir agir ainsi, comme si ce n'était pas le cas.
Surtout que quelques minutes avant, il avait eu l'attitude inverse.
- Arrête tes bêtises, chéri, dit-il à son compagnon. Je suis un adulte, en plus, j'ai passé l'âge depuis longtemps.
- Et alors ? Ça se fait, entre adultes ! Attends, dit-il en reprenant son portable, je vais regarder ça tout de suite, si j'arrive à aller sur le net...
Mais Simon posa sa main dessus pour l'arrêter.
Ils échangèrent un regard et devant la tristesse de son compagnon, Achille sentit la colère monter.
Bien sûr qu'il connaissait la situation et la position d'Angelo à ce sujet, ils en avaient longuement parlé avec Simon, que cela touchait énormément, depuis toujours.
Il se tourna donc vers le Capricorne en premier, plus réceptif qu'Angelo.
- Je suis sérieux, Shura ! Si Simon est d'accord pour se marier avec moi, ce serait super de faire ça pour nous !
- Cela peut se discuter, répondit prudemment l'aîné. T'en penses quoi, Àngel ?
- Je pense que mon P'tit crabe mérite vraiment mieux que cette demande en mariage pourrie, répondit-il calmement en se levant sans les regarder.
- Euh… C'en était pas une…
- Ouais, c'est bien ce que je dis, le Myrmidon. Je vais chercher des clopes en face.
Simon le regarda s'éloigner, puis soupira.
- Ça voulait dire quoi ? demanda Achille. Et pourquoi il est comme ça dès qu'on parle d'adoption, c'est dingue ? Tu m'as dit qu'il ne préférait pas t'adopter, mon cœur, on a beaucoup parlé de ce que cela te faisait, mais tu ne m'as jamais vraiment expliqué ses raisons !
- Parce que je n'ai jamais vraiment compris, moi non plus. Même si Shura m'a longuement parlé, il y a des années et que j'ai accepté le fait que ça ne venait pas de moi… J'avoue que je suis toujours un peu confus.
Il secoua la tête comme pour illustrer son propos.
- Bon, je peux comprendre quand t'étais gosse et encore, franchement, il a toujours agi comme un père. Pour nous, vous avez toujours été ses parents, en fait, précisa Achille en regardant Shura. On se disait même que vous l'aviez adopté, mais que vous ne vouliez pas nous le dire pour pas nous faire de peine. Plusieurs d'entre nous ont été rapidement supervisés par l'un des Ors en particulier, sans jamais avoir la relation que vous aviez, tous les trois. Apart peut-être Aelis avec Marine et Aiolia.
- Nous avons effectivement agi comme si Simon était notre fils, de plus en plus au fil des années, sans nous en cacher. Tu es notre fils, assura le Capricorne en souriant à Simon qui en fut tout ému, même si ce n'était pas la première fois venant de Shura. Vous étiez à même de le comprendre sans éprouver de rancune ou de jalousie à notre égard ou envers Simon. Seulement, le dire et l'officialiser est une étape qu'Angelo ne pourra jamais franchir.
- Même si c'est pour nous permettre de nous marier ?
Shura soupira discrètement.
- J'ai utilisé le terme « jamais », mais il n'est peut-être plus vraiment approprié, aujourd'hui. Comme je te l'ai dit, Archie, cela peut se discuter, avec les nouvelles données qui se présentent, aujourd'hui. Lui offrir ce prétexte pourrait en effet l'amener à accepter d'en reparler et revoir sa position. Mais je ne peux vous le garantir.
- Oui, parce qu'il a pas eu l'air de vouloir en discuter… Le tabac est juste en face et il est toujours pas revenu, d'ailleurs.
Angelo n'était pas loin, Shura le sentait, mais il n'était effectivement pas juste en face.
- Laissez-moi, laissez-nous un peu de temps, d'accord ? On en reparlera plus tard. Rien ne presse.
Enfin si, un peu, quand même.
Mais il préférait ne pas le leur rappeler.
- D'accord. D'ici là, je vais me renseigner pour pouvoir bien argumenter, face à lui, juste au cas où.
- Prépare surtout une belle demande en mariage, intervint Simon avec un petit sourire en coin.
- Évidemment, mon cœur. Cela n'avait même pas à être mentionné. Tu auras la plus belle des demandes, je te le promets !
Profitant de l'absence d'Angelo, ils échangèrent un rapide et tendre baiser, s'attendant tout de même à le voir surgir pour frapper Achille par derrière.
Mais cela n'arriva pas.
- Changeons de sujet, à présent, décida Shura. Y a-t-il un endroit que vous avez envie de voir, en Espagne ? Je ne parle pas d'ici, même si nous sommes au dernier jour des festivités, il y a encore trop de monde pour jouer les touristes à Madrid. Mais ailleurs, dites-moi si vous pensez à un lieu. Je pourrais vous conseiller ou vous guider, selon si vous voulez de la compagnie de deux vieux, ou pas ?
- Mais arrête ! le rabroua Simon. Bien sûr qu'on veut de votre compagnie ! Ce serait super ! Ça fait longtemps qu'on a pas fait quelque chose, ensemble. La dernière fois, c'était au Championnat d'Italie, le match des Biancocelesti contre I Giallorossi ! énonça-t-il avec un accent à faire pâlir un Sicilien !
Les bleus et blancs contre les jaunes et rouges, le SS Laze contre l'AS Roma, c'était un peu la Grèce contre Rome, même si les deux clubs étaient localisés dans la même région. La rivalité historique des deux clubs semblait avoir ses racines jusque dans l'Antiquité. (3)
- C'est vrai, ajouta Achille, c'était trop bien, cette soirée et la fête pour la victoire, après ! Et on adore les vieux grincheux que vous êtes !
- Dis pas de bêtises, toi aussi ! le houspilla le jeune Cancer. C'est toi qui te plaignais que Maitre Angelo était difficile à suivre !
- Quand son club gagne, ou l'équipe sur laquelle il a misé dans n'importe quelle compétition, il devient rapidement intenable, voire insupportable, reconnut le Capricorne, malgré tout attendri. Mais, peut-être est-ce dû à l'âge, il est un peu plus modéré, depuis quelques temps.
- C'est vrai qu'il s'est calmé, s'amusa Simon. Je me souviens du premier match que vous m'avez emmené voir, c'était en 1993, la finale de la Coupe de l'UEFA qui opposait la Juv' à Dortmund, le match retour à Turin. J'avais 12 ans, c'était incroyable, mais j'ai cru que j'allais pas revenir vivant ! J'ai tout vécu à 1000 %, avec Maître Angelo. Il vit toujours tout à fond.
- C'est ce qui se passe, quand on a soudain une seconde chance qu'on pense ne pas mériter. Quelque part, je crois qu'il a toujours eu cette petite peur de se la voir arracher, de voir notre bonheur lui être enlevé, comme si quelqu'un allait se dire, un jour, que non, c'était une erreur et qu'il n'y avait pas le droit.
- Mais ça s'est un peu apaisé, avec les années, non ? fit remarquer Simon.
- Fort heureusement. Mais à l'époque de ce match, même si nous étions revenus depuis déjà six ans, il avait encore des phases régulières où ces pensées-là, et la peur qui allait avec, même sans se laisser dominer par elle, ressurgissaient. C'est pour cela que cette sortie a été si… intense.
- Je ne m'en plains pas ! Je ne m'en suis jamais plains, d'ailleurs !
- T'étais tout excité à ce moment-là, ça a duré des jours, avant et après, mais tu nous as jamais dit pourquoi, se rappela Achille. Je l'ai su que bien après.
- Non, chéri, je ne pouvais pas vous en parler. Je savais que j'étais extrêmement chanceux et j'en étais un peu honteux.
- Angelo ne faisait pas du favoritisme avec toi, Simon, je te l'avais expliqué, à l'époque, intervint le Capricorne. Moi non plus, d'ailleurs. Toutes ces sorties et ces gestes envers toi ont toujours été des récompenses, ou des consolations par rapport aux entraînements très durs que tu suivais, sans jamais te plaindre. L'héritage des Chevaliers du Cancer est très lourd, sombre et aussi, douloureux. La mort est omniprésente, et il ne s'agit pas uniquement de la mort douce et apaisée. Le contact permanent avec des âmes confuses, tourmentées, qui cherchaient un guide, n'était pas de tout repos, tant que tu n'avais pas appris à gérer tes capacités. Le contact avec Cancro, même si tu ne l'avais porté qu'une fois, avant tes treize ans, t'avait aussi marqué, car beaucoup de tes prédécesseurs ont tracé un chemin de sang, de crimes, de mort, de douleur et de folie, à travers la Constellation du Cancer. Tu étais jeune, tu avais aussi besoin de moments de lumière, de joie, d'insouciance. Angelo tenait à préserver ton innocence et ta part d'enfant si pure, plus que tout au monde, tu sais. Il ne voulait surtout pas que le Puits des Morts et les Enfers n'entachent ton cœur et ton âme, en aucune façon.
- Je suis conscient qu'il m'a protégé de cette façon, assura le jeune Cancer. Mais à l'époque, c'est vrai, j'éprouvais une certaine culpabilité, par rapport aux autres. C'est grâce à toi, ajouta-t-il en prenant la main d'Archie, que j'ai pu apaiser un peu ce sentiment. Tu m'as prouvé, jour après jour, que personne ne m'en voulait.
- Non, tout le monde t'admirait. Tu étais le dernier arrivé, tu n'avais pas grandi au Sanctuaire, mais tu as réussi tellement rapidement à nous rattraper, puis nous dépasser. Quand Angelo nous a passé un savon, nous révélant au passage que tu avais été au Puits des Morts, ça a fait taire tout le monde. Là, on a compris que t'avais ta place, parmi nous, peut-être même plus que certains autres. Et qu'on avait été vraiment stupides. A partir de ce jour, on a tous commencé à t'admirer… voire plus, au fil du temps.
- C'est vrai que Maître Angelo avait été très dur avec vous, ce jour-là.
- Il a fait ce qu'il fallait, Simon, affirma Shura. Ce rappel était plus que nécessaire.
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Flash back.
Le Sanctuaire
Arènes d'entraînement
Mercredi 9 Août 1989
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En voyant arriver Angelo ce matin-là, l'Armure d'or du Cancer étincelante sur son dos, la cape au vent, les apprentis, qui attendaient assis à même la poussière sablonneuse de l'arène secondaire, se relevèrent avec inquiétude.
Mais leurs raisons étaient différentes.
Les plus jeunes savaient que les bouilles adorables ne fonctionnaient pas avec lui et qu'ils ne pouvaient l'amadouer, quand les exercices leur semblaient trop difficiles.
Quant aux plus âgés…
Ils jetèrent tous un coup d'œil vers Simon, un peu en retrait, qui les ignora en serrant les poings.
- Alors, les salles gosses, ça va comment, en ce nouveau jour béni par Athéna ? les apostropha Angelo en guise de salut.
- Bonjour, Angelo ! répondirent-ils tous en cœur. Nous allons bien, grâce Lui soit rendue ! ajoutèrent-ils selon la formule consacrée.
Le Cancer les regarda tous longuement, intensément, mettant certains d'entre eux mal à l'aise assez vite.
Puis, il fit léviter un énorme bloc de marbre au-dessus d'eux, son ombre menaçante les se déplaçant lentement, comme si il allait la relâcher ç tout instant sur l'un d'eux... jusqu'à son côté droit, où il s'écrasa lourdement, soulevant la poussière.
Et les épaules de ceux qui sursautèrent.
Le Quatrième gardien bondit alors lestement dessus et s'assit en tailleur dans un cliquetis métallique.
- Aujourd'hui, on va jouer à cache-cache.
Les enfants auraient pu se réjouir, mais ils avaient appris depuis longtemps qu'avec Angelo, cela n'avait rien d'un jeu.
Ce qui était normal, ils étaient en session d'entraînement, pas en activité sur leur temps-libre.
- C'est toi qu'on va devoir trouver, Angelo ? demanda Nikolaï.
- Non. Vous allez devoir vous chercher, les uns, les autres, à tour de rôle et dans des zones que je vais définir, selon vos capacités actuelles de concentration et de sensibilité au cosmos. Vous n'aurez que cet outil pour trouver votre cible, vos yeux seront bandés. Inutile donc de réfléchir à une cachette, sauf si vous en éprouvez le besoin pour vous rassurer. La seule chose qui importe, c'est de vous rendre imperméable à toute intrusion de cosmos. Devenir invisible dans toutes les dimensions peut constituer un avantage certain sur vos adversaires. C'est clair ?
- Oui, Angelo !
- Des questions ?
Seul le silence lui répondit.
Mais alors que les plus âgés avaient commencé à se détendre, concluant que la présence d'Angelo, en armure, en lieu et place d'Aiolia, généralement en tenue d'entraînement, ce jour-là, était une coïncidence et n'avait rien à voir avec leur dispute de la veille avec Simon, le Quatrième gardien descendit du gros bloc de marbre et les toisa, tous les cinq.
- Je vous ai expliqué ce qu'on allait faire, ce matin. Mais avant de mettre tout ça en place, vous n'auriez pas quelque chose à me dire ? Pas toi, Simon. Les autres ? Personne ? insista-t-il devant le silence des apprentis, en commençant à déambuler entre eux. Nikolai, Achille, Théodora, Alexeï, Tiago, vous ne dites rien ? Hier soir, c'est trop loin pour votre mémoire ?
- On s'est disputé dans le dortoir, après dîner et Ionas a dû intervenir, finit par déclarer Achille.
- Alors déjà, "on" est un con, je veux pas de lui, ici. Y a qui, derrière ? J'ai demandé à chacun des aînés s'il avait quelque chose à me dire, y en a qu'un qui répond pour tous, vous comptez lui laisser porter seul la responsabilité de vos actes ? Je veux des p'tits gars et des p'tites nanas qui assument leurs conneries, conclut-il en revenant faire face au groupe. Un pas devant, si vous vous rappelez soudain ce que vous foutiez hier soir, au lieu d'aller vous coucher bien sagement en souhaitant le meilleur à vos camarades !
Il n'avait pas fini sa phrase que les cinq apprentis concernés s'étaient déjà exécutés.
- Bene. Tu as parlé d'une dispute, le Myrmidon, c'est ça ?
- Oui, Angelo ! répondit Achille.
- J'avais pas prévu de faire une leçon de vocabulaire, mais soit ! Une dispute, gamin, c'est un échange violent de paroles entre des gens qui ne sont pas d'accord. Il me semble que dans votre cas, c'étaient plus que des mots, je me trompe ?
- Non, Angelo…
- Hey, pas la peine de lancer des regards vers Simon, il ne m'a rien dit. Quand est-ce qu'il aurait bien pu le faire ? Vous réfléchissez, deux minutes, ou c'est trop vous demander ? En tant qu'intendant, Ionas a pour mission de nous rapporter ce qui se passe dans vos quartiers, je vous rappelle, et ce, depuis bien avant l'arrivée de Simon, poursuivit-il après une courte pause. On intervient rarement après lui, il a l'autorité suffisante pour vous discipliner efficacement et durablement. Mais je crois que là, vous avez tous besoin d'une petite leçon ou d'un rappel. Simon, viens-là.
- Oui, Maître Angelo.
L'enfant vint se placer à la droite du Cancer, qui posa sa main gantée d'or sur son épaule.
- Relevez la tête, vous autres, regardez-moi. Bene. Que les choses soient claires pour tout le monde, une bonne bagarre ne fait de mal à personne. C'est naturel, ça fait partie de vos apprentissages de la vie. Mais ce qui l'a déclenché, ce qui vous y a conduit, c'est ça, qui nous intéresse. Hier soir, après dîner, certains d'entre vous s'en sont pris à Simon, l'accusant d'être favorisé, mais de ne pas mériter d'être mon élève, parce qu' « il est trop faible » et qu' « il ignore encore beaucoup de choses » par rapport à vous. Et c'est pas la première fois, à ce que j'ai cru comprendre. Alors quoi, c'est le dernier arrivé, c'est une forme de bizutage, c'est ça ? Nikolai ?
- Non, Angelo, c'est pas ça… répondit l'interpelé, le regard fuyant.
- Lève les yeux, assume, t'as 10 ans ! Alors, c'est quoi ?
Un nouveau silence, des échanges de regards bas, l'inquiétude qui doucement se muait en peur, chez certains, parce qu'Angelo n'était pas le genre de personne à qui on pouvait se permettre de ne pas donner de réponse.
Ou une autre que celle qu'il attendait.
- L'un de vous va répondre ou il y a besoin d'être un peu plus motivé ? gronda-t-il effectivement, le ton légèrement plus haut, les sourcils un peu plus froncés et le cosmos électrique presque oppressant. Ça vous dirait, un tour aux Enfers ?
La terreur s'afficha à divers degrés sur les visages des enfants.
- Aucun volontaire ? Je vous croyais plus téméraires que ça, mais vous avez que de la gueule, en fait ! C'est tellement facile de se dire et de se croire supérieur, quand on a face à soi une personne humble, qui ne demande rien d'autre qu'à ce qu'on lui fiche la paix ! Mais vous savez quoi ? Simon pourrait vous servir de guide, au Puits des Morts !
Les plus âgés relevèrent la tête sous la surprise, leurs regards allant de Simon, qui gardait le sien baissé, à Angelo, qui les fusillait du sien.
- Bah quoi, vous ne saviez pas qu'il pouvait s'y rendre ? Non, bien sûr ! Je l'y ai emmené deux semaines après son arrivée, ici. Deux semaines. Il a tenu le choc comme aucun de vous ne l'auriez fait, à son âge et dans le même contexte ! Et nous y sommes retournés, depuis, pas qu'une fois ! Eh oui, vous pouvez faire les gros yeux, sales gamins ! Vous êtes tellement susceptibles et jaloux que s'il vous en avait parlé non pas pour se vanter, mais simplement pour partager sa réussite avec ses camarades et peut-être, futurs frères d'armes, c'est exactement de cela dont vous l'auriez accusé, et vous vous en seriez pris à lui ! Alors, il la fermé et à encaissé vos insultes et dénigrements à répétition. Jusqu'à hier soir où l'un de vous a fait déborder le vase. Est-ce que je me trompe quelque part dans mon récit ?
Les apprentis avaient de nouveau les yeux baissés, honteux, et un peu effrayés, aussi.
Les colères d'Angelo étaient redoutables, autant celles où il leur hurlait dessus à en faire trembler le Domaine tout entier et causer la chute de pierres millénaires, que celles où il parlait froidement, calmement, mais dont ils ressentaient les vibrations féroces jusque dans leurs os.
- L'envie, la jalousie, le sentiment d'injustice, la rancœur, la colère, poursuivit sombrement le Cancer. Ces sentiments ne doivent pas se muer en haine. Elle n'a pas sa place, ici, ni entre vous. Le devoir et la haine sont ce qui arment le bras des femmes et des hommes, l'un pour le bien, l'autre pour le mal, depuis les Temps immémoriaux. On ne vous demande pas de vous aimer, tous, on est pas chez les Bisounours, que vous dites d'ailleurs être trop grands pour regarder avec vos p'tits camarades ! Vous avez le droit de ne pas supporter une personne, voire, de la détester. Mais pas jusqu'à la haine. Je sais que ce n'est pas le cas, heureusement. Car personne, ici, n'agit au point de susciter ce genre de sentiment, certainement pas Simon. S'il naît en vous, à un quelconque moment, il ne pourra être que de votre fait. Et si une telle chose devait se produire malgré tout ce que nous vous enseignons, malgré les nombreux exemples que vous offre l'Histoire de la Chevalerie d'Athéna, ceux à suivre et ceux à ne surtout pas reproduire, et malgré tout le bon qu'il y a aujourd'hui, en vous, alors, nous travaillerons ensemble, avec vous, pour l'anéantir. Est-ce que c'est clair ? Nikolai ?
- Oui, Angelo.
- Théodora, Achille ?
- Oui, Angelo.
- Alexeï, Tiago ?
- Très clair, Angelo.
- Simon, c'est valable pour toi aussi. Si tu ne dis rien et que tu gardes ta rancune envers tes camarades à l'intérieur, elle finira par te ronger et se transformer en mal puissant.
- Je ne leur en veux pas, Maître.
- Aujourd'hui, non, mais peux-tu le garantir pour demain ? A force de brimades, de dénigrement, tu n'as aucune idée de l'impact que cela peut avoir sur toi, sur le long terme. Nous n'aurions pas laissé cela arriver, évidemment Vous avez été plus vindicatifs en l'absence de Kiki, en formation intensive avec son Maître, et nous nous sommes quelque peu relâchés, par excès de confiance en vous, peut-être. Cela ne se reproduira plus. Mais j'insiste. Si l'un d'entre vous se sent lésé, il a le devoir de parler, peu importe à qui il s'adresse. Même de manière anonyme sur une lettre. Hai capito?
- Si, signore!
- Perfetto! Vous devez montrer l'exemple aux plus jeunes qui se tiennent derrière vous et marchent sur vos pas, rappela-t-il encore. Certains d'entre vous charbonnent depuis longtemps. Simon est arrivé il y a pas deux mois encore, et avant même d'être là, il était déjà pressenti pour être le futur gardien du Quatrième temple et le porteur de cette même armure qui est sur mon dos, actuellement. Ce n'est pas de la chance ou du favoritisme, c'est ce qu'on appelle le Destin. Il a été appelé et sera, ou non, choisi par Cancro, s'il s'en révèle digne. Parce que oui, sales gamins, c'est pas à vous de décider qui mérite ou non d'être mon héritier et successeur, ou celui de n'importe quel aîné ! Il n'y a que notre Déesse et Ses porteurs de voix, les Grands popes, ainsi que l'Armure elle-même, qui le peuvent. Si vous n'avez toujours pas assimilé ça, vous n'avez rien à faire, ici. Je ne veux plus avoir à rappeler ce genre d'évidence, ça aussi, c'est bien clair ?
- Oui ! répondirent les cinq plus grands apprentis d'une même voix.
Ils avaient tous entre 9 et 10 ans.
Exception faite de Sergei qui avait 6 ans, les autres avaient tous 7 ou 8 ans.
- Vous avez intérêt à vite apprendre à respecter Simon pour le futur grand Chevalier qu'il sera, Cancer ou non, leur dit encore Angelo en jetant un œil à son élève, qui releva les yeux vers lui. Il a une longue route difficile et éprouvante qui l'attend, je vous rappelle qu'il y a deux mois, il n'avait rien de plus dur à faire que les corvées de nettoyage de l'orphelinat qu'il partageait avec d'autres, en Autriche. Pour les plus âgés d'entre vous, vous êtes là depuis cinq ans. Vous l'aviez bien accueilli, à son arrivée. Ne vous laissez pas bouffer par les sentiments négatifs qui sont apparus, depuis, et soutenez-le sur la voie du Chevalier. Vous empruntez tous la même et vous avez tous votre place auprès de notre Déesse. Que vous deveniez Chevalier ou non, vous avez chacun votre rôle à jouer sur Terre, aussi important les uns que les autres. Vous ne devez pas l'oublier. Ce que vous apprenez ici, auprès de nous, en nous écoutant, en nous observant, en partageant notre expérience et notre quotidien, en étant liés les uns aux autres, c'est le socle de votre vie future, qui que vous deveniez. Maintenant, puisque vous avez eu votre punition, hier soir et votre leçon, aujourd'hui, je vous considère prêts à repartir sur de nouvelles et bonnes bases. On va donc pouvoir commencer notre partie de cache-cache.
- Angelo, avant, est-ce qu'on peut juste… commença Théodora en avançant d'un pas vers Simon et en regardant furtivement ses comparses et le Cancer.
Angelo lui fit un signe du menton en croisant les bras.
- Simon, je suis désolée pour hier soir. C'est moi qui aie commencé. Pardon pour la gifle. Et c'est à cause de moi qu'Alexeï t'a poussé fort contre le mur. Je lui ai dit que tu m'avais dit que j'étais nulle comparée à toi. Mais tu m'as jamais dit ça. Au contraire, t'es gentil, et parfois, c'est vrai, ça m'énerve, parce que j'ai l'impression que tu te moques de moi... que tu me prends de haut…
- Non, je me moque jamais de personne.
- Je sais… Pardon. A cause de ça, Alexeï était énervé et Nikolai aussi. Tiago a suivi parce qu'il savait pas trop quoi faire. Archie, il savait pas trop non plus, il disait que c'était pas ton genre de dire ça, mais j'ai insisté. J'ai dit que tu faisais l'innocent pour manipuler tout le monde, même… euh… même Angelo. Mais qu'en vrai, tu te moquais de nous tous. Hier, ça me semblait normal, mais aujourd'hui, j'ai vraiment honte… C'est pas digne du Sanctuaire.
- Pour moi, c'est pas grave, assura Simon. Pour le Sanctuaire, je sais pas, je peux pas dire…
- Ce n'est pas digne de toi, en tant qu'être humain, de t'abaisser à ce genre de perfidie, répondit Angelo, comme les deux enfants se tournaient vers lui. Et a fortiori oui, en tant qu'apprentie Chevalier d'Athéna, encore moins.
- Pardon…
- Merci d'avoir dit la vérité, maintenant, lui sourit Simon.
- J'aurais dû insister pour qu'ils te laissent tranquille.
- Je t'en veux pas, Achille.
- C'est Archie. Je t'ai déjà dit de m'appeler Archie, comme tout le monde.
Simon sourit encore plus.
- D'accord, Archie.
- Pardon de t'avoir poussé, lui dit Alexeï à son tour en s'avançant.
- Désolé pour le coup de pied, s'excusa Nikolaï.
- Je m'excuse de t'avoir bloqué pour pas que tu sortes, intervint Tiago à son tour.
- Et moi, de t'avoir fait tomber en voulant passer, répondit Simon. Et pardon si je vous ai fait mal en me défendant.
- Ça m'a surpris, je pensais pas que t'étais fort comme ça, lui dit Nikolaï. Physiquement, je veux dire. Pendant les entraînements, tu le montres pas.
- Ça s'appelle la modestie, intervint encore Angelo. C'est comme la discipline, ça s'apprend. Simon a un grand potentiel, il a certaines capacités que vous ne possédez pas, pas encore et peut-être jamais. Mais il n'est pas le plus fort d'entre vous, il a encore beaucoup à apprendre, il le sait. Cependant, il a sa place ici, et il n'est en aucun cas favorisé. Je crois que vous réalisez pas bien, peut-être qu'on vous gâte trop, parce qu'on vous a un peu négligé, pendant des années, ou parce que nous, on en a bien bavé, mais l'entraînement pour mériter une Armure, peu importe laquelle, c'est pas rien ! rappela le Quatrième gardien. Et les Ors en premier lieu. Il ne suffit pas seulement qu'Athéna l'y ait inscrit dans votre Destinée et que l'Armure vous appelle, Elles attendent toutes deux une preuve de la puissance et de l'engagement de la personne qui y prétend. Parmi les Douze Armures d'or, certaines imposent des épreuves très difficiles. Le Bélier, le Poissons, et le Cancer, pour ne citer qu'elles. Eh oui, l'héritage du Cancer en fait partie, c'est loin d'être un cadeau ! Alors, tout ce que Simon aura, ici, sera mérité. Mais c'est le cas pour chacun de vous. Vous avez déjà oublié ?
- Non, Angelo, assura Nikolaï. Enfin si, peut-être un peu, mais maintenant, c'est bon, promis.
Les autres hochèrent vigoureusement la tête.
Angelo voyait bien que leurs regards vers Simon avaient déjà commencé à changer.
- Il n'y a pas d'endroit au monde où la justice est plus forte qu'ici, sur le Domaine d'Athéna, asséna-t-il pour rajouter une dernière couche. Même pas dans un Tribunal. Chacune de nos décisions, en accord avec Elle et nos Popes, en est le reflet.
- Oui, Angelo.
- Bien, on a assez parlé ! décréta-t-il en rejetant sa cape en arrière. A la base, la parlotte et la morale, c'est pas mon truc, j'suis pas là pour ça ! Vous allez le payer cher, vous êtes prévenus, que ça vous reprenne pas !
- Oui, Angelo !
- On va s'échauffer un peu physiquement, avant le cache-cache ! En position deux par deux, un aîné et un cadet, vous avez une demi-seconde. Et toi, P'tit Crabe, ajouta-t-il en se penchant à l'oreille de Simon, arrête de te retenir, montre-leur ce que tu vaux vraiment. Tu progresseras encore plus vite, comme ça, et ça les aidera aussi.
- Bien, Maître Angelo.
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Fin du flashback
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- On était vraiment des petits cons… soupira Archie.
- Tu n'étais pas comme Théodora, Alexeï, Tiago et Nikolai, tu ne sautais pas sur toute occasion pour t'en prendre à moi, avant cette histoire. Tu me défendais souvent.
- Je voyais bien que c'était totalement injuste.
- Oui… Enfin bref, c'est du passé, au final, et cela n'a pas duré longtemps. Après, on s'est tous beaucoup rapproché.
- C'est le cas de la dire, approuva son compagnon en déposant un baiser dans son cou.
Le jeune Cancer rit et frissonna sous la caresse de son souffle qui l'avait quelque peu chatouillé.
- Pour en revenir à ta question initiale, Shura, sur les visites, reprit Simon, on pensait aller voir le Real Alcàzar, à Séville. Comme il commence déjà à faire bien chaud, on s'est dit que se promener dans ce palais et ses magnifiques jardins serait parfait.
- C'est une bonne idée. Non seulement le Palais royal est remarquable, mais tu as raison, c'est également une belle oasis à la fraîcheur bienvenue, par ce temps. Ceci étant dit, en partant d'ici pour vous y rendre, à moins d'un crochet par les Enfers pour que ce soit direct, vous allez forcément passer par Cordoue, avant d'y arriver. Il est impossible que ses splendeurs ne vous arrêtent pas sur votre trajet.
- On a pas encore réfléchi à ça, c'était juste une idée. Mais on se doutait bien qu'en se rendant en Andalousie, on allait pas pouvoir juste aller d'un point A à un point B et que beaucoup de villes, de villages, et dans les villes elles-mêmes, des lieux non prévus attireraient notre regard et notre attention.
- C'est inévitable, dans cette région peut-être plus que dans tout autre.
- Du coup, tu nous conseilles quoi, Shura ? demanda Achille. De réserver l'Andalousie à un moment où on aura plus de temps pour faire plusieurs visites ?
Le Capricorne prit quelques secondes de réflexion, avant de répondre.
- - Comme beaucoup de régions où de lieux à travers le monde, l'Andalousie est une expérience et elle se vit pleinement. Vous pouvez faire l'aller-retour pour découvrir un palais, une mosquée, un jardin remarquable. Vous verrez et sentirez l'Histoire, les vestiges sont assez fascinants pour cela. Mais y passer quelques jours vous permettrait de ressentir vraiment la Région, de vibrer au son du flamenco et de le laisser parcourir vos veines, laissez la musique et chaque ville vous conter son Histoire au fil des rues, des repas, des gens que vous rencontrerez et de ce que vous partagerez avec eux.
- Tu sais que tu pourrais travailler dans un agence de voyage ? assura Simon.
- Je suis surpris d'entendre un Catalan vanter à ce point une autre Région ! fit remarquer Achille, pour sa part.
-. Tant que la Catalogne n'a pas obtenue son Indépendance, je reste Espagnol en premier lieu. (4)
- C'est possible que ça arrive ?
- Bien sûr, Simon. Le gouvernement catalan vient d'ailleurs d'approuver un projet d'autonomie, c'est donc en cours, même si cela va sûrement prendre de nombreuses années.
- Mais pourquoi ?
- Et pourquoi pas ? Nous avons notre propre culture, notre gouvernement, notre hymne, notre langue, notre Histoire, qui s'est écrite principalement en dehors de l'Espagne. La Catalogne ne lui a été rattaché qu'en 1714. Nous avons tout ce que d'autres régions autonomes ont, voire plus, alors je le répète, pourquoi pas nous ?
- C'est vrai. Mais je reviens à ce que je disais, Shura, t'es le moins Catalan des Catalans que j'ai rencontré.
- Attention à ce que tu dis quand même, chéri… intervint Simon en posant sa main sur le bras d'Achille.
Mais le Capricorne souriait.
- Tu as sûrement raison. J'ai passé plus de temps en Grèce, finalement. J'ai appris l'espagnol à Simon, c'est à dire le castillan, avant de lui enseigner des rudiments de catalan. Je ne parle ce dernier qu'ici, avec ma famille et les locaux. Et je peux indifféremment vanter telle région ou telle autre. Cela ne m'empêchera jamais de dire que la meilleure reste la Catalogne.
- Ah, bah voilà ! s'exclama Achille en levant les bras au ciel. Je la vois, maintenant, la fierté catalane !
Shura ne répondit rien, le serveur était en train de déposer une nouvelle fournée de churros, en lui souriant, d'ailleurs.
Il les ramenait petit à petit pour qu'ils restent bien chauds et croustillants.
Et semblait s'attarder un peu plus, profitant sûrement de l'absence d'Angelo pour lancer des œillades appuyés à Shura.
Qui l'ignorait avec habileté, sans être arrogant ni vexant, mais sans lui laisser le moindre doute, non plus, sur le fait que cela ne lui faisait ni chaud, ni froid.
Il savait y faire, il avait l'habitude.
Ce qui ne dispensait pas Simon de regarder l'arrogant de travers, comme pour défendre le territoire de son Maître, en son absence.
- Du coup, pas d'Andalousie… conclut Achille.
Lui, par contre, était à des lieues de ce qui se jouait entre les trois autres.
Sa façon d'être, parfois, un peu à côté de la plaque, avait quelque chose d'assez touchant, dans l'innocence qu'elle reflétait, chez lui.
- Allez-y quand même, ce n'est pas comme si vous n'aviez qu'une unique occasion. Pour cette fois, rendez-vous directement à Séville pour ne pas être tenté par Cordoue et Grenade. Je cite ces deux grandes villes, mais dans leur périphérie, il y a beaucoup de villes et de villages attrayants qui vous obligeraient aussi à vous arrêter. Et quand vous aurez un peu de vacances, un week-end prolongé d'au moins 3-4 jours, vous y retournez pour découvrir une partie des splendeurs qu'elle a à offrir.
- Une partie, seulement ?
- L'Andalousie a la richesse culturelle, historique, architecturale, artistique, et j'en passe, d'un grand pays. C'était le territoire d'une grande civilisation, ne l'oubliez pas.
- Al-Andalus.
- Al-Andalus ? répéta Achille.
- C'est le nom donné à l'ensemble des territoires qui ont été sous domination musulmane, entre le VIIIe siècle et le XVe siècle, répondit Simon. Une partie est ici, en Espagne, et il y a aussi le Sud de la France, il me semble.
- Exactement. Même si l'Andalousie d'aujourd'hui, qui en a tiré son nom, n'est qu'une petite partie du territoire qu'il couvrait, jusqu'au XVe siècle. Il faudrait au moins une bonne quinzaine de jours pour s'en imprégner vraiment. C'est une expérience, je vous le répète.
- D'accord, Shura, nous allons suivre tes conseils. Merci.
- A votre service.
- Vous pourrez venir avec nous, tu penses ?
- Si vous voulez, Simon. On en discutera avec Angelo.
- Dans ce cas, Simon, mon coeur, on pourrait…
Tout en maintenant sa discussion avec Simon et Achille, Shura contacta Angelo en pensées.
*Mi Corazon ?
Cosa ?
Tu vas faire tous les tabacs de Madrid ou t'es déjà arrivé sur la côte à force de t'éloigner ?
Tchhh…
Le serveur commence à prendre ses aises, tu sais.
J'm'en vais le calmer pour une décennie, s'il fait plus que te regarder ! Qu'il ose, tiens, j'ai besoin de passer mes nerfs sur quelque chose, et sa gueule de chanteur de boys band ferait parfaitement l'affaire !
La mode est passée depuis longtemps. Allez, reviens, et calme-toi, on parle d'autre chose, là, avec les garçons.
Ça me fait chier, je suis furax ! Pas à cause du serveur ! Mais d'Archie, sale gosse, je vais vraiment le tuer, ce gamin, un jour ! Pourquoi il a parlé de ça ? On passait un bon moment, minchia !
Respire. Archie en a parlé parce qu'il aime profondément Simon et que tout le contexte fait qu'il a pensé à leur propre situation. Son idée et son envie ne sortent pas de nulle part, c'est cohérent, 'Ge.
T'es déjà en train d'essayer de me convaincre, là ? Tu me laisses aucun répit, en fait. Ça a toujours été comme ça, dès qu'il s'agit du p'tit, t'es intraitable, sans pitié avec moi...
Arrête de jouer les martyrs, tu veux ? Je t'explique juste pourquoi la conversation a pris cette tournure. Mais si tu veux revenir et en reparler avec eux directement, libre à toi, ils seront ravis…
Tchhhh…
'Ge, sérieusement... La situation a changé, on pourrait le faire pour eux, aujourd'hui, non ? Pense au bonheur que tu as ressenti, quand tu as su qu'on pourrait se marier. On a le pouvoir de leur donner ça, à aux aussi. Et même pour toi. Je suis certain que ça te rendrait heureux d'en faire officiellement ton fils. Après tout, n'est-il pas déjà notre fils depuis plus de quinze ans ?
Le silence seul répondit à Shura, mais Angelo n'avait pas coupé leur communication.
Simon et Archie avaient arrêté de parler, car ils avaient senti leur connexion.
Et aussi et surtout, parce qu'Angelo arrivait juste derrière Shura.
Évidemment, le Capricorne l'avait aussi senti, en parlant avec lui, qu'il revenait et à grande vitesse.
Le Cancer senior posa sa main sur l'épaule de son compagnon au passage, fusilla le serveur qui regardait encore Shura, puis se réinstalla sur sa chaise en jetant deux paquets de cigarettes sur la table.
- Tu te souviens de ce que je t'ai dit, quand on en a parlé, cette année-là ? demanda-t-il en sortant un petit cylindre cancérigène pour l'allumer.
- Évidemment, répondit Shura. Ton non était sans appel, on en a plus jamais reparlé, ensuite.
- Ouais. Je t'ai dit que je le ferai pas. Jamais. Mais que je t'empêcherai pas de le faire, ça fouterait juste le bordel entre nous.
Le Capricorne posa sa main sur la sienne.
- La situation est totalement différente, mi corazon.
- Je t'ai dit autre chose, Shurizo, poursuivit-il sans tenir compte de son intervention, mais en entrecroisant leurs doigts ensemble.
Shura fronça les sourcils en se concentrant.
Puis, il échangea un long regard avec Angelo, alors que leurs mains se pressaient fort l'une contre l'autre.
C'était comme s'il lui disait : « ok, Shurizo, je saute dans le vide avec toi, mais ne me lâche surtout pas la main ».
Il lui sourit tendrement en réponse, avant de se tourner vers le jeune couple qui avait suivi leur échange, intrigué, mais sans intervenir.
- Je pense que vous allez jouer les touristes seuls, aujourd'hui, je vais avoir pas mal de recherches à faire, de mon côté. Mais nous pourrons nous retrouver chez moi pour le dîner.
Le Chevalier d'Argent haussa un sourcil, un peu perplexe.
- Des recherches ? répéta-t-il en jetant un œil au Cancer junior.
Celui-ci faisait aller son regard de Shura à Angelo qui, lui, encore une fois, semblait à nouveau à des lieues de leur discussion.
- On se débrouillera, sourit Simon, les larmes aux yeux en prenant la main d'Archie pour la serrer fort. Et bien sûr qu'on dînera ensemble, ce soir. On pourra cuisiner quelque chose tous les deux, si tu veux bien.
- Avec plaisir, Simon.
- On rapportera le dessert, aussi. Tu as une idée de ce qu'on pourrait prendre à Séville ? Une spécialité ?
- Oui, des macarons, répondit-il immédiatement. Dans un petit village de la province de Séville, à Utrera vous pourrez acheter leurs fameux mostachón. Ce sont les préférés d'Angelo. C'est la seule petite douceur sucrée qui rivalise avec les frutta martorana, à ses yeux. Mais uniquement ceux de ce village. Je t'enverrai l'adresse de la meilleure pâtisserie. (5)
- D'accord, c'est noté ! Merci, Shura. Merci à tous les deux. Maître, je… Merci, finit-il par répéter, à court de mots.
Angelo le regarda enfin, puis ses yeux se fixèrent sur Shura.
- N'oublie pas l'ordre.
- Oui, toi d'abord, répondit Shura en lui piquant sa cigarette. Toujours. Et c'est mieux, car ainsi, nous lui donnerons tous les deux, pas que moi. Nous le ferons ensemble, comme nous avons toujours tout fait, surtout les choses les plus importantes, sourit-il en levant leurs mains entrelacées pour embrasser la chevalière portant ses initiales, et l'anneau qui l'accompagnait, désormais.
Si Angelo accepta de serrer sa main en retour, il détourna cependant le regard, le plongeant quelque part dans la foule qui se réunissait de plus en plus dans les rues.
Il avait dit à Shura qu'il ne pourrait pas adopter Simon, car s'il devait donner son nom à quelqu'un, ce devait être à lui, Angelo, d'abord.
Et comme à l'époque, ils ne pouvaient pas se marier, la discussion avait vite été close.
Mais ils allaient se marier bientôt, normalement.
Il avait fallu 16 ans pour voir les mentalités évoluer et les choses changer pour le leur permettre.
Angelo allait pouvoir prendre officiellement les noms de Shura et ensemble, les donner à Simon, en l'adoptant en toute légalité.
Car Achille avait raison, bien sûr que l'adoption d'un majeur était possible.
C'était bien souvent plus un acte symbolique et sentimental, d'ailleurs, qu'une réelle prise de responsabilité légale.
Même si, bien sûr, elle avait sa valeur juridique.
- Je ne suis pas sûr de tout comprendre… souffla d'ailleurs celui-ci a l'oreille de Simon.
- Je t'expliquerai, mon chéri, répondit-il avant de l'embrasser tendrement, laissant malgré lui échapper des larmes. Mais tu as intérêt à penser sérieusement à ta demande.
Le Chevalier d'Argent ne mit guère longtemps à comprendre, cette fois-ci.
Ses yeux verts s'illuminèrent comme deux émeraudes traversées par un rayon de soleil estival, et un sourire immense fendit son visage.
Il aurait bien hurlé de joie, mais vu l'attitude d'Angelo, il sentait qu'il valait mieux s'abstenir et faire profil bas.
Mais il était tellement heureux qu'il prit le bras de Simon en se levant.
- Merci à vous deux ! Et toi, mon cœur, viens avec moi, allons danser !
Ce qu'il voulait surtout, c'était embrasser fougueusement son amoureux, mais il ne pouvait pas devant Angelo.
Pas sans retenue.
Partageant son désir et sa joie, Simon le suivit sans hésiter, essuyant ses yeux, riant et pleurant tout à la fois.
Ils se perdirent donc au milieu de la rue où des musiciens s'étaient installés et où des gens dansaient, discutaient, s'amusaient.
Et oui, on s'étreignait, on s'embrassait, on chantait, on buvait aussi, midi avait sonné, tout cela en même temps, des drapeaux et des étendards colorés et arcs-en-ciel flottant partout, s'affichant sur les vêtements ou à même la peau.
- Porca puttana troia ! Che cosa non mi lasciate sopportare! soupira Angelo du plus profond de son cœur italien.
(Putain de bordel de merde, ce que vous ne me faites pas endurer !)
Shura craqua et l'enlaça pour l'embrasser avec une fougue qu'il ne lui témoignait qu'en privé, ordinairement.
Le serveur faillit en laisser tomber son plateau, et finit par sourire largement.
Ils avaient été discrets et en retenue jusque-là, mais après tout, ils étaient venus pour se lâcher, alors…
Angelo lui rendit son baiser et ils se levèrent pour aller danser, eux aussi, étroitement enlacés.
Ils ne rejoignirent pas Simon et Achille, par pudeur, sûrement, mais gardaient une forme de lien avec eux, les sentant se déplacer à travers la foule, sans être trop intrusifs pour autant.
Cette matinée à deux, avec l'annonce de la promulgation de la loi, la demande en mariage d'Angelo à Shura, qui n'était qu'un ersatz de ce que la définitive serait, quelques dix jours plus tard, le moment intime et intense qui avait suivi, puis leur moment à quatre, à Madrid et leurs discussions...
L'après-midi de recherches qui leur confirma, à chaque réponse trouvée, que tous leurs projets étaient possibles et réalisables...
Et enfin, le dîner en famille, la soirée parfaite…
Il n'y avait pas à dire, cette journée fut, et de loin, l'une des plus belles de la vie d'Angelo et de Shura.
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A suivre...
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Notes :
1. Désolée pour ce petit moment de nostalgie, mais le Nokia N93, c'était quand même un sacré portable ! À sa sortie, c'était le meilleur smartphone avec caméra. Il était trop stylé ! Pour ceux qui ont connus les smartphones du début des années 2000, avant l'Iphone en 2007 donc, Nokia n'avait aucune limite dans le design de ses portables, c'était fou ! C'était vraiment les rois de la créativité à l'époque ! On avait pas tous les modèles dispos en France, mais il fallait voir à l'international !
2. L'Orgullo (Fête des fiertés) de Madrid est un rendez-vous incontournable pour des milliers de personnes. Tous les ans, les festivités commencent fin juin (le 28 juin est la Journée mondiale des Fiertés commémorant les émeutes de Stonewall, qui marquèrent un tournant dans la défense des droits de la communauté LGBT), avec un vaste programme d'activités revendicatives et culturelles baptisé MADO, réparti sur un peu plus d'une semaine, qui atteint son apogée lors de la Grande manifestation. C'est la plus grande action revendicative LGBTI au monde. C'est ainsi qu'à Madrid, le premier samedi de juillet, la marche et la valse des chars colorés commence, , au rond-point de Carlos V, parcoure, dans une ambiance revendicative, mais festive et musicale, l'une des principales rues de la ville, de la gare d'Atocha (Paseo del Prado, devant le Jardin botanique) pour se terminer à la Plaza de Colón, où un manifeste est lu. Il y a plusieurs autres temps forts comme la fameuse Course sur Talons hauts ou l'élection de Mr Gay pride, mais aussi des conférences pour visibiliser et sensibiliser aux droits.
3. J'ai choisi d'évoquer le SS Lazio (ou Lazio Roma) comme club de foot plutôt que les traditionnels Juventus, l'Inter de Milan etc pour le clin d'œil à la Grèce. En effet, la Società Sportiva Lazio, couramment appelée Lazio en italien, est un club de football italien fondé en 1900 à Rome sous le nom de Società Podistica Lazio et basé à Formello, dans le Nord de la région de Rome (le Lazio). Ses couleurs traditionnelles, le blanc et le bleu ciel (d'où le surnom de Biancocelesti), ont été choisies au moment de sa fondation en l'honneur de la Grèce, berceau des Jeux olympiques, en continuité avec la tradition romaine. Son symbole est un aigle, entendu comme symbole de connexion territoriale, historique et d'inspiration avec la Rome antique.
4. La Catalogne devient indépendante (autonome) en 2017. Les communautés autonomes (en espagnol : comunidades autónomas, abrégé en .) sont le premier niveau de subdivision territoriale du royaume d'Espagne. Au nombre de 17, auxquelles il faut ajouter les villes autonomes de Ceuta et Melilla, elles bénéficient toutes d'un régime d'autonomie interne.
5. Les frutta martorana : biscuits de Sicile fait de fruits factice en massepain, en forme de différents fruits, tellement bien fait qu'il est même compliqué de voir lesquels sont vrais, lesquels sont faux.
Les mostachón, macarons d'Utrera, sont un dessert typique de la cuisine andalouse. Beaucoup plus proches d'une génoise que d'un biscuit, elles sont faites d'ingrédients aussi simples que des œufs, du sucre, de la farine et de la cannelle. Attention à ne pas le confondre avec le mostachón di fresa, sorte de fraisier à la crème.
J'ai oublié de dire dans le chapitre précédent qu'en plus de la loi en faveur du mariage homosexuel qui a été votée en Grèce, le pays accueillera également l'Europride cette année, quelque part en Thessalonique. Elle a lieu chaque année dans une grande ville d'Europe et c'est formidable que pour cette 30e édition ce soit en Grèce, qui fait une avancée significative pour les droits LGBTQAI +.
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Merci d'avoir lu ce long chapitre, j'espère vraiment que vous l'avez aimé !
Je crois fortement aux âmes-sœurs, aux gens liés par-delà le temps et l'espace, même. Vous pourrez trouver que j'exagère, avec Simon et Archie. Je n'ai pas dit ni confirmé qu'ils étaient des âmes-sœurs, je vous laisse le décider. Mais ils étaient faits pour se rencontrer et s'aimer, au moins dans cette vie. Je voulais construire une histoire à ce petit garçon, donner une conclusion joyeuse à sa relation avec Angelo, mais cela n'aurait pas été cohérent, après tout ce que j'ai écrit sur lui, qu'il l'adopte comme ça, un jour, même après des années. La promulgation de la loi sur le mariage homosexuel en Espagne en 2005 m'offrait les éléments parfaits pour tout mettre en place de manière cohérente. J'avais déjà prévu de marier Angelo et Shura, depuis le chapitre 19 ( !) « Appelle-moi par ton nom », auquel j'ai fait un clin d'œil en reprenant le titre au chapitre 49. J'ai aussi fait un clin d'oeil avec le titre de ce chapitre-ci, à ce même chapitre 19, (écrit il y a un siècle !) car je l'avais conclu par cette phrase les concernant tous les deux : "Pour le meilleur, après avoir connu le pire."
C'était au début de leur relation, c'est ce qu'on leur souhaitait, nous sommes à la fin, 3On a vraomeny vécu le meilleur, après avoir connu le pire" c'est ce qu'ils ont bel et bien vécu, alors, la boucle est bouclée !
Je viens de me planter un énième couteau dans le cœur en écrivant cela.
C'est vraiment fini pour eux, le chapitre prochain sera le dernier, je n'écrirai plus à leur sujet dans cette fic…
J'avais tellement pas envie de les quitter, c'est horrible !
Bref, pardon pour ce blabla, mais je pense que c'était un blabla important quand même.
On les retrouve au chapitre prochain pour leur épilogue.
A dimanche prochain (le 12 mai) ! si possible, ou lundi 13.
Bonne continuation, prenez soin de vous et de vos proches.
Lysanea
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