They're creepy and they're kooky
Mysterious and spooky
They're all together ooky
The Addams family
Jason n'a même pas besoin d'une journée entière pour conclure que les Wayne sont ni plus ni moins que chtarbés. Genre, sur une échelle de un à dix, où un est pour les pékins ordinaires et dix pour les pensionnaires réguliers d'Arkham, les Wayne réussissent à décrocher un onze ou douze les doigts dans le nez.
Et si ça se trouve, c'est pas limité à cette famille. Bon, ils sont bien gratinés avec le grand-père, Brucie qui prétend être une andouille alors qu'il se déguise en chauve-souris pour cogner sur les gens qui pètent de travers, Nana dont les réactions refusent d'être logiques et le majordome qui est tellement British qu'il doit le faire exprès parce que personne ne peut être à ce point une caricature au naturel. Mais alors qu'il prend conscience de leur quotidien, Jason commence à avoir l'horrible soupçon que les gens riches en général sont détraqués.
Déjà, la taille de la baraque où ils vivent, un régiment pourrait s'installer dans cette piaule et trouver ça trop grand. Jason a entendu des rumeurs comme quoi des invités se seraient perdus dans les couloirs en voulant aller pisser et seraient morts de faim avant qu'on les retrouve, et il les trouve rudement plausibles, là.
Quand il en fait la remarque paniquée à Nana, sa tentative de le consoler aboutit à un flop aussi net qu'inattendu.
« Chez u'mmi, c'était beaucoup moins intimidant. Seulement quarante pièces, c'est bien plus pratique, non ? »
Quarante pièces, et elle trouve que c'est pratique. Et elle ne voit aucun problème non plus à coucher toute seule dans une chambre plus grande que l'appartement où Jason et sa mère ont habité avant que la drogue et le cancer ne les empêchent de payer le loyer. Il veut juste hurler, sauf qu'il sait déjà qu'elle ne comprendrait pas pourquoi ça le met en rogne de voir qu'une poignée de personnes peut avoir autant et penser que c'est normal.
Elle doit soupçonner quelque chose, à sa manière de froncer les sourcils, mais pas question qu'il lui dise. Pas tout de suite – il est encore en train de tester les eaux, Batman est connu pour taper fort et même s'il a l'air bonne pâte en face de ses marmots, si ça se trouve il essaie juste de donner le change et ne va pas se gêner avec un vulgaire gosse des rues.
Sur la question des quarante pièces, remarque, Nana a mentionné que c'était pas juste elle et sa mère et son frère qui habitaient là, il y avait une partie de la maison spécialement mise de côté pour les domestiques, alors si elle est choquée, peut-être que c'est parce que le Manoir Wayne est trop vide selon elle ?
Ça, c'est le second problème que Jason découvre concernant les gens riches : ils sont tellement riches qu'ils peuvent payer des gens pour faire le ménage et la plomberie à leur place, et résultat, ils ne savent rien faire du tout quand ils se retrouvent tout seuls. Il apprend ça quand le majordome – Alfred, c'est son nom, et c'est juste tellement British que Jason est sûr que c'est pas son vrai prénom mais qu'il l'a changé lorsqu'il a décidé de devenir une caricature – annonce qu'il va préparer le dîner, et Jason ne peut pas s'empêcher de lâcher une pique comme quoi Brucie est trop tarte pour réchauffer de la soupe.
Il ne s'attendait pas à ce qu'Alfred confirme que son employeur est trop tarte pour réchauffer de la soupe sans que ça explose partout sur les murs. Wayne a les oreilles qui tournent au rouge, et wow ça fait bizarre vu la pâleur de vampire qu'il a en temps normal, et répond qu'au moins, ça leur a permis de repeindre la cuisine parce que l'ancienne couleur des murs était moche à pleurer.
Là-dessus, Nana trouve intelligent d'ajouter son grain de sel et annonce que la cuisinière de sa mère lui a montré comment cacher un laxatif ou un somnifère dans un plat en cachant le goût à grand renfort d'épice, mais pas vraiment comment faire la cuisine.
Alfred et Wayne la fixent pendant un long moment sans qu'elle réagisse.
« Mademoiselle voudrait-elle apprendre à préparer ses propres plats, alors ? » finit par interroger Alfred, un sourcil haussé.
« Peut-être » répond-elle, « mais tu devras acheter plus d'épices. C'est trop fade, ce que tu sers. »
Alfred tire aussitôt une tronche vexée qui indique que s'il était un gangster, il aurait illico dégainé la mitraillette pour tirer dans le tas et s'il existe un type qu'il faut à tout prix éviter de mettre en rogne, c'est le gars chargé de préparer la bouffe, alors Jason s'empresse de demander s'il peut aussi participer aux leçons de cuisine. C'est pas uniquement pour calmer l'ambiance, c'est que ça l'intéresse pour de vrai de savoir ce qu'il va manger – après des années à devoir avaler ce qu'il peut trouver, sans savoir si ça l'enverra plié en deux chez le Docteur Thompkins ou direct au cimetière.
L'opportunité de vérifier qu'il ne va pas ingurgiter des saletés, hors de question de cracher dessus. Ça et s'il en retient assez, peut-être qu'il trouvera moyen de se faire embaucher quelque part lorsqu'il devra quitter cette baraque, les gens partout ont besoin de manger alors il se trouvera forcément quelqu'un pour prendre le risque avec un môme pas trop blanc sorti du caniveau.
Et puis, ça fait jamais de mal d'être en bons termes avec les gars qui effectuent le vrai boulot, c'est à dire toutes les corvées avec lesquelles les riches refusent de s'enquiquiner, et apparemment, c'est Alfred qui effectue tout le vrai boulot au Manoir Wayne, que ce soit la lessive, la cuisine ou le ménage.
« Comment tu fais pour pas crever de surmenage ? » s'étrangle presque Jason.
« Je dis à baba qu'il devrait engager plus de gens » commente Nana, visiblement sur la même page que lui.
Brucie leur adresse un sourire confus.
« Ne cherchez pas à expliquer comment il s'y prend pour abattre autant de travail, j'ai eu beau y consacrer trois décennies de ma vie, je n'ai pas trouvé la réponse. »
Traduction, Bruce se déguise en chauve-souris pour aller passer ses après-midi avec Superman et Wonder Woman et le reste de la Ligue des Justiciers, mais c'est Alfred le vrai super-héro de Gotham. Pas moyen d'attribuer une autre étiquette à cette endurance inhumaine et cette volonté de s'attaquer à une tache qui pousserait une personne raisonnable à baisser les bras.
Ce n'est pas comme si un type acceptant volontairement de bosser pour Batman pouvait être normal, quand on y pense logiquement. Les dingues attirent d'autres dingues, c'est prouvé depuis que les Maroni et Falcone ont décidé qu'ils voulaient corser leur rivalité en utilisant des gars en costume seulement pour que ça leur pète à la gueule. Maintenant, les familles de la pègre n'effrayent plus tellement, comparé aux gangs du Joker, de l'Épouvantail, du Pingouin et Double Face. Si ça continue à embaucher, c'est parce que si on doit se faire dessouder, ce sera moins moche et douloureux que d'être zigouillé au gaz hilarant ou hallucinogène ou balancer dans un aquarium à requin pour jouer le rôle de spectacle.
Depuis qu'il est capable de marcher, Jason a toujours pensé que malgré ses efforts, il suivrait dans les traces de Willis – le sang, ça ne ment pas, et c'est pas comme s'il y a tellement de débouchés dans Crime Alley – et un jour, ça le verrait se faire buter dans un entrepôt obscur comme tant d'autres pauvres bougres.
C'est probablement pas la pitié d'un milliardaire qui va changer son destin, il essaie de se rappeler, par-dessus la petite voix qui ressemble affreusement à celle de sa mère et lui souffle que peut-être, il vient de trouver un bon plan.
Un plan qui ne va pas lui claquer dans les mains. Un plan qui va durer.
So, put a witch's shawl on
A broomstick you can crawl on
We're gonna play a call on
The Addams family
Oui, c'est la chanson thème de la Famille Addams.
