It's beginning to look a lot like Christmas

Everywhere you go

Take a look at the five and ten, it's glistening once again

With candy canes and silver lanes that glow

Une ou deux fois, lorsque Jason a réussi à s'évader de Park Row plus d'une heure en plein mois de décembre sous un prétexte fumeux, il a constaté que les quartiers les plus riches de Gotham s'amusent à décorer pour Noël dès le premier jour du mois, et ça va juste empirer jusqu'au réveillon lui-même. Il a carrément entendu raconter que la façade de la mairie joue le calendrier de l'Avent quand il commence à faire noir, avec des lumières rouges et jaunes parce que c'est plus festif.

Personnellement, il est juste dégoûté que tous ces gens aient du fric à claquer avec des guirlandes électriques de quinze couleurs et des sapins soi-disant naturels qu'ils jetteront ensuite à la poubelle, tandis que Crime Alley continue à réclamer le loyer pour l'appart et vous flanquera dehors sous la neige au cas où vous êtes incapable de cracher assez de sous.

Bon, ça ne veut pas dire que lui et maman n'ont jamais fêté Noël – surtout quand Willis était en prison et incapable de foutre en l'air la soirée après avoir trop bu, même si Jason croit se rappeler vaguement que le bougre a essayé de rentrer dans l'esprit de fin d'année, mais il devait être trop petit pour que les détails soient plus précis dans sa mémoire. Riz et jambon, voire kebab graisseux, c'est pas franchement traditionnel et des bouquins de seconde main dont la couverture ne tient plus qu'avec du scotch, ça ou une écharpe puant la cigarette et couverte de fleurs mauves hideuses, on trouve nettement mieux pour les cadeaux mais ça restait Noël.

Et puis maman a fait une énième overdose et ne s'est pas réveillée de celle-là, Jason s'est retrouvé dans le caniveau, et à compter de ce moment il a eu plus important à trafiquer que se demander la date et s'il devrait s'autoriser un petit luxe, il était trop occupé à ne pas crever ou se faire violer par tous les orifices, vous imaginez pas le temps et la concentration que ça bouffe.

Sauf que maintenant, il a été ramassé par Bruce Wayne qui est tellement riche qu'il peut partir en vacances aux Caraïbes avec une horde de danseuses sur un yacht privé, et forcément Bruce Wayne a sa propre idée de ce à quoi Noël est supposé ressembler.

Ça inclut un chandelier en argent proprement bizarre, avec neuf branches pour les bougies, et Bruce attend qu'il fasse noir ou presque pour allumer une des bougies.

« Pour la victoire de la lumière contre la nuit de l'ignorance » explique le milliardaire avant d'ajouter : « Ou selon le Talmud, pour se rappeler comment une fiole d'huile pour les lampes du Temple n'aurait dû permettre qu'un seul jour de lumière et en a donné huit à la place. »

Nana fronce le nez pour indiquer qu'elle réfléchit.

« Es-tu très croyant, baba ? » demande-t-elle tout en attrapant la main de Damian qui veut tripoter le chandelier ou toucher la flammèche à peine allumée.

« Ma mère était croyante » répond Bruce, « et elle voulait partager avec moi les traditions dans lesquelles elle avait grandi. Moi… je ne sais pas. »

C'est sûr que quand on vit à Gotham, c'est compliqué de croire en Dieu avec tous les cinglés qui répandent du gaz poison dans les rues ou enlèvent des gens pour les découper en fines tranches, ou même bêtement l'obligation de vivre dans l'East End où se prostituer ou dealer de la drogue constituent les métiers qui rapportent le mieux.

Et c'est juste Gotham, Batman participe à une tonne de castagne aux quatre coins du globe et dans l'espace deux ou trois fois, tu m'étonnes qu'il en a vu des vertes et des pas mûres.

Nana garde le nez froncé.

« Crois-tu qu'Allah se fâchera, si je participe à une célébration juive ? »

« Je ne vois pas de bonne raison pour ça. Les musulmans, les juifs et les chrétiens, au bout du compte leur foi vénère la même divinité, non ? C'est seulement qu'ils ne sont pas d'accord sur la façon de rendre le culte, et sur le nom qu'ils donnent à cette divinité. »

Jason pense un peu que c'est plus compliqué que ça, la religion, surtout quand les gens se mettent sur la gueule depuis le Moyen Âge à cause de Jérusalem et ne donnent aucun signe de vouloir s'arrêter, mais il trouve quand même que c'est un bon argument. Il finit par décider que si la Vierge Marie a vraiment un problème avec lui qui participe à une fête juive, elle peut toujours demander à un prêtre de l'engueuler pour elle – et là, Jason se fera une joie de demander pourquoi elle râle sur ses choix de vie alors qu'elle était très contente de les laisser croupir dans Park Row, lui et sa mère.

Oh, parce que Bruce a demandé si Jason et Nana voulaient eux aussi allumer les bougies. Il aurait inclus Damian aussi, sauf que le mioche est trop petit et réussirait juste à mettre le feu aux rideaux, et c'est Alfred qui n'apprécierait pas. Jason n'est pas juif, mais…

Mais Bruce a demandé s'il voulait participer quand même, comme il a demandé à Nana qui est sa fille, et Jason se souvient de maman assise tout contre lui sur leur vieux matelas déglingué avec une pièce de théâtre ou un roman et eux prenant la parole à tour de rôle pour faire les voix des personnages ou la narration.

Les bougies sont placées sur le rebord de la fenêtre, une fenêtre pour Bruce et une pour Nana et une pour Jason. Vu que c'est le Manoir Wayne, un bataillon pourrait loger dedans et il resterait encore des fenêtres, garanti sur facture.

En dehors de la Fête des Lumières, Noël se prépare. Histoire d'éviter une comédie aussi idiote que ridicule, Jason annonce franco à Bruce qu'il sait que le Père Noël n'existe pas, alors c'est pas la peine de vouloir protéger son innocence ou une autre connerie du même goût en laissant des cookies sous le sapin ou en se déguisant avec une fausse barbe.

« Qui est le Père Noël ? » demande Nana qui débarque du Pakistan et ne savait pas à quoi ressemblait la neige avant d'avoir dix ans.

Bruce prend l'air constipé, se demandant visiblement comment il va se dépatouiller de ce pétrin-là, et Jason garde fermement la bouche close parce qu'il sait même pas par où commencer, les lutins, le Pôle Nord ou le traîneau magique ? Au bout du compte, c'est Alfred qui vient à leur rescousse parce que le majordome est le vrai super-héros de Gotham.

Bien sûr, comme Alfred débarque d'Angleterre, il explique avec Saint Nicholas et le Père Fouettard – vous parlez d'une invention pour convaincre les mômes de se brosser les dents, si ce type existait dans la réalité il aurait le FBI et la CIA aux trousses pour kidnapping et maltraitance sur mineur, les Européens sont vraiment cinglés – et déclare qu'avec le temps et la perte d'influence de la religion, Saint Nicholas est devenu le Père Noël qui est aussi vieux et barbu mais qui n'est pas directement relié à l'église.

Nana hoche la tête.

« C'est comme Ded Moroz, alors » déclare-t-elle.

« Qui ça ? » veut savoir Jason, pour qui ça sonne comme un éternuement ou une insulte.

« Ded Moroz. Grand-père Gel, si tu préfères » elle explique. « Si tu vis en Russie, il apportera des cadeaux le soir du Nouvel An, mais il est tellement vieux qu'il s'est fabriqué une petite-fille avec de la neige et c'est Snégourotchka qui conduit son attelage et descend les paquets. »

Joli conte, mais Jason renifle quelque chose de bizarre.

« Pourquoi tu racontes une légende russe ? Tu l'as lue quelque part ? »

Nana cligne lentement des yeux, et tout à coup elle a l'air perdue. Tellement perdue que Jason regrette d'avoir posé la question.

« Tu… t'es pas obligée de répondre » essaie-t-il maladroitement de se rattraper, mais les dégâts ont déjà été commis.

Pendant le restant de la journée, Nana ne dit rien du tout.

It's beginning to look a lot like Christmas

Everywhere you go

There's a tree in the Grand Hotel, one in the park as well

It's the sturdy kind that doesn't mind the snow

Pour ce chapitre, vous avez droit à It's Beginning to Look a Lot Like Christmas, chanté par Michael Bublé.