Baby, you can find me under the lights
Diamonds under my eyes
Turn the rhythm up, don't you wanna just
Come along for the ride?
Oh, my outfit so tight
You can see my heartbeat tonight
I can take the heat, baby, best believe
That's the moment I shine

Nana ne s'est jamais trop préoccupée de sa voix, ce serait comme de se préoccuper de sa respiration – qui va remarquer combien c'est miraculeux d'inhaler de l'air et de le rejeter ? C'est le genre de détail qui vous échappe parce que ça a toujours été là, toujours avec elle.

Elle ne s'attendait pas à ce que le directeur du conservatoire et les juges la regardent comme ça parce qu'elle s'est mise à chanter – et elle ne s'est même pas rendue compte de ce qu'elle faisait quand c'est arrivé, elle était trop concentrée, trop perdue dans la musique, ses doigts occupés à faire naître les notes et puis ses cordes vocales ont voulu les imiter, et ça a fini avec tout le monde qui la regardait.

Nana a voulu se cacher sous le piano. Ou derrière baba, qui la regardait aussi, un peu incertain.

À cause de tous ces regards, elle a un peu de mal à croire les compliments qui ont dégringolé sur elle – comme quoi sa voix est belle, pourrait être encore plus belle, si elle acceptait de suivre des leçons pour ça en plus du piano et du violon.

Nana accepte les leçons parce la musique, c'est la musique. Elle n'a pas de préférence pour le violon ou pour le piano, elle a besoin de la musique, et si travailler sa voix lui donne ça, et bien pourquoi hésiter ? Alors elle ne tergiverse pas et elle accepte, c'est quelque chose qu'elle veut, et que le conservatoire veut lui donner, ce serait imbécile de refuser alors qu'il n'y a aucune bonne raison.

Quand baba la raccompagne à la voiture, après avoir discuté avec le directeur d'un horaire de cours à préparer, il lui tient la main comme si elle est une poupée en verre, et il la regarde de manière étrange, on dirait qu'il ne sait pas s'il doit être fier ou un peu soucieux.

« C'est mal que je sache chanter ? » demande Nana, son cœur frémissant dans sa cage thoracique, parce qu'elle n'est plus soumise à l'autorité du démon mais à celle de son père et si son père exprime du mécontentement, alors…

La perspective de décevoir baba qui a ouvert grand sa porte à Nana et Damian, et à Jason quand celui-ci n'est même pas de son sang, qui les couvre de cadeaux et de tendresse maladroite, c'est tellement pire, tellement plus horrifiant que la perspective d'enrager le Démon.

« Bien sûr que non » déclare spontanément baba. « C'est seulement que ces gens parlent de toi comme si tu étais déjà la prochaine diva. »

« Diva » répète Nana. « Diva, du latin, la divine. Connotation moderne péjorative, pour une femme célèbre que les gens trouvent exigeante, capricieuse et immature. »

« Et à l'origine, la diva était une chanteuse si douée que les gens qui l'écoutaient pensaient que sa voix était un miracle. La preuve de l'existence de Dieu, parce que c'était si beau que son existence ne pouvait pas être le fruit du hasard. »

Nana se gratte le bout du nez alors qu'elle se blottit sur la banquette arrière avec une couverture – il fait si froid dans cette ville, elle claque des dents dans la voiture en dépit du chauffage, merci infiniment Alfred pour lui avoir glissé l'épaisse afghane moelleuse dans laquelle s'entortiller pendant que son père conduit.

« Tout dans le monde est une création d'Allah, le bon comme le mauvais » répond-elle. « La religion shinto sait ça, ils ont même des esprits des toilettes au Japon. La divinité est partout, y compris dans le caca. Pas juste dans une voix. »

Son père grogne pensivement.

« Les gens n'aiment pas trop parler d'excrément, tu sais. Ni même y penser. »

« Les rois et les philosophes fientent, et les dames aussi » s'empresse de citer Nana. « C'est Montaigne qui a dit cela, dans la pensée d'égalité. Et les français savent de quoi ils parlent avec l'égalité, ils ont fait de leur mieux pour couper la tête à tous ceux qui n'étaient pas assez égaux aux autres. »

« La révolution française, c'était un peu plus compliqué que ça, j'ai l'impression. »

« Peut-être, mais malgré les idéaux, les gens sont morts en quantité. C'est toujours pareil quand il y a une guerre, peu importe les raisons pour lesquelles ça arrive. »

Dans le rétroviseur accroché au plafond de la voiture, Nana voit les yeux de baba la scruter attentivement et elle se retient de frissonner, sachant qu'il se demande si à cet instant elle est davantage Athanasia, la petite-fille du Démon, qu'Anastasia la fille du milliardaire.

Elle ne peut pas frémir. Elle a perdu cette habitude à Nanda Parbat, elle n'aurait pas survécu plus de quelques semaines là-bas dans le cas contraire.

« Aucune guerre n'est justifiée, alors ? » interroge Bruce Wayne, la voix calme.

« Je n'ai pas dit ça. Seulement que la guerre tue beaucoup de gens. Et c'est triste, la mort, à chaque fois. »

« Pourquoi ? »

« Quelqu'un était là, et tout à coup ne l'est plus, et ne le sera plus jamais. Ce n'est pas triste, ça ? »

Une tension se relâche dans l'atmosphère de la voiture, alors que baba détermine que le test a été passé avec succès et que ses yeux perdent la froideur de l'hiver.

« Si, c'est très triste. »

« Mais ça arrive. Même si tu vis aussi longtemps que possible, ça arrive. »

C'est l'unique point commun à la race humaine – au vivant, plutôt. La fin survient toujours, que ce soit par accident, délibérément ou juste car l'heure est venue. C'est une vérité que Nana en est venue à très bien connaître, après Nanda Parbat.

Bien sûr, c'est une vérité que le Démon cherche à transformer en mensonge à l'aide des eaux mystiques du Puits de Lazare, mais c'est une vérité devant laquelle même lui est obligé de plier les genoux. Autrement, il ne serait pas si anxieux d'obtenir un petit-fils en mesure de lui succéder.

Nana ne peut s'empêcher de se demander si le Démon reviendra une fois qu'il aura décidé que ça fait bien assez longtemps pour que son héritier puisse reprendre le flambeau. Ce sera sans doute le cas, Ra's al Ghul a dicté ses volontés à des princes et des rois, des seigneurs de la guerre et des barons de la drogue, pendant des siècles et des siècles. Ce n'est pas un milliardaire, un super-héros, qui parviendra à l'intimider au point d'éviter son territoire comme la peste.

Ou si ça se trouve, essaie d'imaginer Nana, le Démon mourra avant, il est suffisamment vieux pour ça. Son cerveau refuse de saisir le concept, optant pour cracher du bruit blanc qui ressemble à des figures géométriques en triangles noir et blanc. La période de sa vie passée sous la coupe des Ombres ne se laisse pas oublier de la sorte, conservant à Ra's al Ghul la terrifiante prestance des âges et de l'immortalité.

Tel est le pouvoir de la légende quand elle vous auréole dans toute sa gloire. Nana pense que son père discerne quelque chose de cette puissance, à en juger par la réputation qu'il a bâtie autour de son identité de Chevalier Noir, même si elle n'arrive personnellement pas à le voir.

La seule fois où elle a rencontré Batman, c'était quand Jason et elle étaient occupés à démonter la voiture, et c'est difficile d'avoir peur de quelqu'un quand vous lui faites ça. Surtout quand il vous achète à manger après.

Et puis, des jours avant que Bruce ne lui soit présenté comme Batman, il était baba. Elle n'a pas de raison de craindre son père, pas à l'époque et surtout pas maintenant, alors qu'il fait de son mieux pour la gâter.

Elle ne peut certainement pas craindre quelqu'un qui lui donne accès à la musique.

Even when the tears are flowin' like diamonds on my face
I'll still keep the party goin', not one hair out of place (yes, I can)
Even when the tears are flowin' like diamonds on my face (yes, I can, yes, I can)
I'll still keep the party goin', not one hair out of place

Watch me dance, dance the night away (uh-huh)
My heart could be burning, but you won't see it on my face
Watch me dance, dance the night away (uh-huh)
I'll still keep the party runnin', not one hair out of place

Pour ce chapitre, vous avez droit à Dance the Night par Dua Lipa.