Lorsque Harry rouvrit les yeux, il se trouvait dans une pièce richement décorée, faiblement éclairée par la lumière tremblotante d'une bougie. Les meubles luxueux et l'opulence évidente des lieux lui indiquèrent sans mal qu'il ne se trouvait plus à Poudlard. Mais alors, où était-il ? Et merde, alors qu'il avait tout juste commencé à laisser lentement tomber sa méfiance envers Malefoy, voilà que ce sale type lui jouait encore un mauvais tour. Il aurait dû se méfier, Malefoy était fourbe, toute cette mise en scène sur sa prétendue envie de se dresser contre les Mangemorts n'était qu'un ramassis de mensonges bien ficelés.
Harry sentit son cœur se serrer désagréablement. Si le garçon était en colère, c'était surtout la déception qui lui brûlait le cœur. Il avait cru en Malefoy. Parce qu'inconsciemment, Harry avait toujours été persuadé que Malefoy n'était pas une ordure finie, que quelque part en lui, résidait encore un peu de bon sens et d'honneur. Harry avait eu tort. Visiblement Malefoy avait réussi à mettre Jasper Cooper de son côté pour lui tendre un piège.
Le plus discrètement possible, Harry s'avança vers la porte entrouverte à l'autre bout de la pièce. Il n'avait absolument aucune idée de où il se trouvait et bon sang, si c'était Malefoy à l'origine de tout ce bazar, alors cela ne présageait rien de bon. Un frisson de terreur le traversa alors qu'il imagina le pire. Et si Malefoy l'avait conduit jusqu'à Voldemort ? Non, c'était impossible, on ne pouvait quitter Poudlard avec cette sorte de magie. Seul Dumbledore en avait la puissance.
Un bruit détourna l'attention de Harry et avant qu'il n'ait pu esquisser le moindre geste, Narcissa Malefoy se découpa dans l'entrebâillement de la porte. Stupéfait et effrayé, Harry resta immobile, la dévisageant avec hargne. Et dire qu'il n'avait même pas sa baguette, il était fait comme un rat. La présence du garçon ne sembla nullement surprendre la femme. Grande, blonde et redoutablement élégante, elle s'avança vers lui d'une démarche fière et droite avant de soudainement lui passer au travers. Harry écarquilla les yeux. Qu'est-ce que c'était que ça ? Mrs. Malefoy venait de le traverser ? Impossible. Prenant son courage à deux mains, les lèvres légèrement tremblantes, il se tourna vers elle.
-Que me voulez-vous ?
La sorcière ne lui accorda pas l'ombre d'un regard. Rien ne montrait qu'elle ne l'ait seulement entendu. Pris d'un terrible doute, Harry s'élança vers une corbeille de fruits posée sur la commode, tentant d'attraper une poire qui trônait sur le sommet de la coupe. Mais le fruit demeura insaisissable. Le regard de Harry se releva lentement pour observer plus en détails son environnement. Les contours de la pièce étaient flous et changeants.
« Ho putain, siffla Harry, c'est un souvenir. Je suis dans la tête de ce crétin. » Harry ignorait que Malefoy s'y connaissait en Légilimancie. Mais bon sang, pourquoi lui avoir lancé un Stupéfix ? Ho dès qu'il allait sortir de là, il allait lui faire regretter son excès de témérité.
Légèrement apaisé après avoir découvert qu'il n'était pas en danger et que Malefoy ne l'avait pas trahi -du moins pour le moment-, il reporta son attention sur la scène qui se jouait devant lui. Mrs Malefoy était plongée dans la lecture d'upn épais traité aux pages jaunies. Alors qu'Harry essayait de comprendre en quoi cela pouvait être d'un quelconque intérêt pour lui, un petit garçon entra dans la pièce en courant. Ses cheveux blonds et fins balayaient ses grands yeux gris larmoyants alors qu'une coupure en voie de guérison lui barrait l'arcade sourcilière.
Il se dirigea droit vers la sorcière avant d'enfouir son visage dans sa robe, retenant difficilement ses larmes. Harry eut un léger rictus en reconnaissant sans mal Drago Malefoy, tout juste âgé de quatre ans.
-Allons, qu'est-ce qui t'as mit dans cet état ? demanda doucement sa mère en posant une main apaisante sur sa tête.
Seul un long reniflement lui parvient. Une moue soucieuse remplaça le sourire amusé de Mrs. Malefoy alors qu'elle prenait le petit dans ses bras.
-Drago, tu peux tout dire à maman, tu le sais n'est-ce pas ?
-C'est l'ami de père, pleurnicha l'enfant. Il m'a montré l'horrible serpent sur son bras. Il-il a dit que..., essaya d'articuler l'enfant à travers les larmes et la morve qui lui coupaient la respiration, ... qu-e moi aussi j'en aurais un comme ça un jour ! Mais j-je ne veux pas, j'ai trop p-peur des s-serpents maman !
-Macnair, siffla Mrs. Malefoy d'un air mauvais. Ne crains rien mon ange, maman ne laissera aucun vilain serpent s'approcher de toi. Jamais, je te le promets.
Un pli de colère déformait son visage gracieux alors qu'elle s'attelait avec douceur à calmer les pleurs de son fils. Harry eut du mal à empêcher une moue attendri de lui étirer les lèvres devant le spectacle d'un Drago enfant occupé à câliner un doudou en forme de hibou. Puis la scène changea, surprenant Harry qui perdu quelque peu l'équilibre.
À présent, il faisait nuit. Harry se trouvait dans un couloir, près des grands escaliers. Il sursauta en découvrant accroupi ses pieds, Drago, occupé à écouter attentivement les éclats de voix qui leur parvenaient depuis leur cachette. En l'observant rapidement, Harry en conclut que très peu de temps devait s'être écoulé depuis la première scène, l'enfant avait toujours sa coupure qui n'avait pas encore fini de cicatriser au-dessus de l'arcade sourcilière et continuait à serrer contre lui sa peluche de hibou. Attentif, Harry décida à son tour de tendre l'oreille.
-...que ce monstre continue à s'approcher de mon fils ! Il devait rester dans le salon et ne pas en sortir, c'est ce qui était convenu Lucius !
-Je t'assure que je n'ai pas voulu en arriver là. J'étais en train de le raccompagner quand Drago à surgit devant nous. Il avait encore réussi à échapper à sa nourrice et voulait absolument me montrer son gribouillage.
-Ce n'est pas un gribouillage, cracha hargneusement Mrs. Malefoy, mais un dessin que ton fils a fait pour toi après y avoir passé plus de deux heures, t'en rends-tu seulement compte ?
-Ne commence pas à jouer sur les mots Narcissa, souffla Mr. Malefoy. Tu sais très bien l'importance que j'accorde à ce petit. Son dessin est affiché au mur dans mon bureau, avec tous les autres. Et chaque fois que je travaille, je me rappelle pourquoi je le fais. Pour notre enfant et pour notre famille. Crois moi, ce qu'il s'est passé avec Macnair est un regrettable incident. Il a désormais l'interdiction formelle de remettre les pieds ici.
-Tu le lui as dis ?
-Oui, immédiatement après que Drago soit parti en courant.
-Et si Macnair pensait que...?
-Rassure toi. J'ai prétexté ma colère par la terreur de mon fils et non par mon dégoût pour cette marque. Je n'ai eu qu'à lui dire que c'était mon rôle de père d'annoncer à mon fils qu'il aurait un jour le plus grand des honneurs en servant le maître.
-Et il t'a cru ?
-Macnair est un abruti. Donc oui. Narcissa écoute moi, je ferais tout ce que je pourrais pour que la renaissance du seigneur n'ait pas lieu. Mais de toute façon, cette histoire n'est qu'un espoir vain de toute cette bande de dégénéré. Il n'y a plus rien à craindre. Le fils Potter a défait les ténèbres. Tout ira bien, murmura la voix cajoleuse de Mr. Malefoy.
Drago se releva et se dirigea vers sa chambre, laissant Harry assister à un nouveau changement de décors.
Il était désormais dans une pièce d'étude composée d'un bureau de bois massif, d'une grande bibliothèque, de fauteuils moelleux et d'une impressionnante collection de plumes et d'encriers. Assis dans un fauteuil de velours sombre, un jeune garçon lisait. Cette fois, Drago devait s'approcher de la dizaine. Il avait perdu ses joues rondes et potelées pour des traits plus ciselés, ses cheveux blonds avaient poussés et sa posture était de plus en plus rigide. Silencieux, il regardait par la fenêtre d'un air morose, contemplant la pluie qui frappait violemment contre les carreaux.
Légèrement impressionné, Harry s'approcha de la vitre pour voir de plus près l'immense jardin des Malefoy. « Tante Pétunia serait verte de jalousie si elle voyait ça ! » ricana-t-il. Sa tante avait comme farouche volonté de détenir un jour le plus beau jardin d'Angleterre.
La porte s'ouvrit sur Mr. Malefoy. Le sourire d'Harry se fana. Il n'avait jamais aimé cet homme méprisant et calculateur. Pourtant, alors qu'il s'installait en face de son fils, ramenant avec élégance sa cape autour de lui, Harry le trouva quelque peu admirable. Il aimerait lui aussi posséder un tel savoir-vivre. Sirius, son parrain, était également issu de l'aristocratie sorcière et s'il répugnait ce fait et se comportait comme un rebelle, certaines choses le démarquaient toujours d'une façon ou d'une autre. Cela se voyait dans la manière dont-il se mouvait avec grâce et légèreté, par ses moues indulgentes et narquoises ou dans son maintien noble et par sa galanterie charmeuse, tout ce qui résultait sans équivoque de ses vieilles habitudes dues à des années de convenances nobles et strictes que Mr. Malefoy semblait également posséder.
-Alors Drago, es-tu prêt pour ta première leçon sur l'ancienne magie ?
-Oui père, je saurais me montrer digne de votre savoir.
-Tu es un Malefoy mon fils, tu en es déjà digne par ce simple fait. Tu dois savoir qu'avec l'alliance entre les Black de part ta mère et mon propre sang, tes liens avec l'ancienne magie sont plus puissants qu'ils ne l'ont jamais été auparavant pour n'importe quel autre sorcier. Un jour viendra où tu posséderas un pouvoir si grand qu'il attira toutes les convoitises, alors n'oublie jamais de rester humble et discret, car le plus important de tous les atouts que l'on peut conserver dans sa manche, est la surprise. Bien, sois attentif Drago, car cette magie sera la seule qui sera en mesure de te protéger lorsque les ténèbres m'enchaîneront de nouveau.
-Que voulez-vous dire père ?
-Quand tu seras plus âgé, tu comprendras, sourit amèrement le sorcier. Maintenant, commençons.
Une bile amère remonta dans l'estomac de Harry. Lucius Malefoy, peu importe comment, savait que Voldemort reviendrait. Et il savait qu'il ne pourrait lutter. Drago possédaient une magie forte et puissante, une magie qu'il avait décidé de dresser contre le mage noir. Une magie qu'il avait souhaité mettre de son côté à lui, Harry Potter, son ennemi d'enfance.
La scène se transforma une nouvelle fois. Harry eut un frisson en se retrouvant nez à nez avec le Malefoy qu'il connaissait si bien. Son regard dur et froid le pénétra comme un pic de glace. L'espace d'un instant, Harry pensa être revenu à la réalité mais Malefoy le traversa pour venir s'accouder contre la rambarde du petit pont de bois. Ils étaient dehors, sans doute quelque part dans l'immensité du domaine de la riche famille. Une petit ruisseau s'écoulait paisiblement sous leurs pieds tandis que les oiseaux chantaient gaiement sous le soleil brûlant. C'était l'été.
Malefoy soupira et descendit du pont pour venir s'allonger dans l'herbe verte et tendre, abritée de la chaleur par l'ombre d'un grand saule pleureur. Harry haussa un sourcil. Il n'aura jamais cru voir Drago Malefoy s'allonger autre part que dans un lit à baldaquins. Regardant autour d'eux, Harry attendit patiemment de voir ce qui allait se passer. Pourtant malgré les longues minutes qui s'écoulaient, rien ne troubla le silence paisible du jardin. Résigné, Harry grimaça et s'approcha de l'autre sorcier avant de s'asseoir à ses côtés. Même s'il n'était que dans un souvenir, jamais Harry n'aurait cru se retrouver tranquillement installé de son plein gré dans l'herbe avec Malefoy, à se laisser bercer par les doux rayons du soleil.
-Drago, je t'ai déjà dit de ne pas t'allonger ainsi dans l'herbe, cela froisse ton costume.
-Toutes mes excuses mère, siffla le garçon sans ouvrir les yeux pour autant.
Narcissa Malefoy grommela avant de sortir sa baguette et de faire apparaître une nappe près des garçons avant de s'y installer avec toute la grâce requise par une dame de son rang, enlevant avec soin ses chaussures qu'elle posa avec douceur derrière elle. Sans un mot, elle promena son regard sur son fils. Il avait tant grandis, il lui semblait que le temps filait désespérément sans qu'elle ne puisse retenir la part de ce passé heureux qu'elle chérissait tant.
-Ton père te l'a dit, n'est-ce pas?
-Dit quoi ? Que j'allais devoir me sauver moi-même si je ne voulais pas finir comme lui ? Enchaîné à un fou pour le restant de mes jours ? Que j'avais tout juste un an pour trouver comment échapper à mon destin ? Ouais, il me l'a dit.
-Je sais que c'est soudain, nous avons fait de notre mieux mais ce n'était pas suffisant, nous aurions dû...
-Non, la coupa-t-il brusquement. C'est très bien comme ça.
Il se redressa, plantant son regard d'acier déterminé dans celui bien plus tendre de Mrs. Malefoy.
-Je trouverais un moyen. Ne craignez rien mère, si vous ne pouvez rien contre ce monstre, moi je vous sauverais. Quoi qu'il m'en coûte.
Harry eut un hoquet de stupeur en entendant les derniers mots du jeune sorcier alors que Narcissa Malefoy fondait en larmes en serrant son fils contre elle. Harry voulu s'approcher, il aurait voulu faire quelque chose, n'importe quoi mais tout autour de lui se brouilla. Les sons, les couleurs, les odeurs, tout se mélangea pour tournoyer autour de lui avec force, avant qu'il ne s'écrase brutalement face contre terre dans un gémissement de douleur.
L'odeur de renfermé et de poussière lui sauta à la gorge alors que des mains frénétiques l'aidaient à se relever. Il se laissa asseoir sur une chaise sans protester, laissant sa vue s'habituer doucement à l'obscurité de la pièce. Lorsqu'il croisa le regard nerveux de Jasper et celui plus calme mais maladroit de Malefoy tandis qu'ils le dévisageaient avec inquiétude, il sut sans aucun doute possible qu'il était revenu dans la présent.
-Bienvenue parmi nous Potter, claqua Malefoy en croisant les bras. J'espère que le voyage était agréable.
Ouais, Harry était bien de retour.
Il foudroya du regard les deux autres sorciers avant de se masser douloureusement les yeux. Tout ce cirque l'avait épuisé. Mais il avait compris ce que cherchait à lui dire Malefoy. Il n'était pas son ennemi. Du moins, pas autant qu'il le pensait. Un terrain d'entente était possible. Malefoy pouvait devenir un allié puissant.
-La prochaine fois que vous me lancez un sort sans me prévenir, je vous le ferais payer cher, grimaça-t-il. Le dialogue aurait pu être une solution envisageable non?
-Désolé, bredouilla Jasper. On pensait que jamais tu n'accepterais de laisser Malefoy toucher à ton esprit.
-N'en fait pas un drame Potter, grimaça Malefoy, on a été à l'essentiel, c'est tout.
Harry allait répondre avec verve et colère mais s'interrompit devant le regard fuyant de Malefoy. Il n'en fallut pas plus pour comprendre que ce dernier devait probablement être autant gêné que mal à l'aise après l'avoir invité dans ses souvenirs. C'était une expérience peu agréable pour celui qui recevait l'autre dans son esprit en plus d'être éreintant. Les bases de Harry en Légilimancie étaient trop faibles, insuffisantes pour pouvoir assister Malefoy dans son esprit. Le Serpentard avait dû les guider lui-même durant tout ce temps pour lui montrer certains moments de son passé. Il était épuisé et sa patience semblait donc être arrivée à son terme. Harry décida de garder ses reproches pour plus tard.
-Bon, souffla Harry. Tu as gagné Malefoy, je te crois. Après ce que tu m'as montré, je suis obligé de reconnaître que ta famille n'est pas pourri jusqu'à la moelle.
-Alors tu me fais confiance ? demanda Malefoy en haussant un sourcil.
Harry hésita.
-Oui. Ne me le fais pas regretter où je te jure que tu t'en mordras les doigts.
-Merci pour l'avertissement Potter, je tacherais de m'en souvenir.
-Cette histoire d'ancienne magie, hésita Harry, ton père a dit que tu serais puissant... Jusqu'à quel point ?
-Tu perds pas le nord hein ? Pour faire court, comme je te l'ai dit tout à l'heure, la vieille magie se transmet par le sang. Les familles Black et Malefoy font partie des plus vieilles familles sorcières dont le sang n'a pas été taché. Notre sang pur nous a permis de garder un lien avec la magie d'antan bien plus fort et intense que toutes les autres familles.
-C'est vrai, dit Jasper. Ma famille, bien qu'ancienne et respectable, ne possède pas une unité aussi pure avec la vieille magie que les Malefoy ou les Black. Je connais les invocations, les rituels et les runes antiques mais jamais je ne pourrais atteindre la puissance de Malefoy. Il est le seul héritier à détenir un pouvoir aussi grand.
-Je sais que tu as du mal à le concevoir Potter mais crois moi, je vais vite te devenir indispensable.
Harry tenta d'ignorer le sourire goguenard du Serpentard, son visage se crispant dans une moue aussi intéressée que dépassée.
-Tu es bien sûr de toi pour quelqu'un qui ne pouvait pas s'adresser à moi sans m'insulter il y a encore quelques minutes. D'ailleurs, notre petite paix risque de surprendre tes amis les vipères. Tu y as pensé ? Ça ne va pas leur plaire.
-Tu crois que je n'y ai pas réfléchi ? Tu as l'air de croire que c'est une décision facile à prendre mais comprend moi bien Potter, en décidant de sauver ton joli petit cul, je me tire une balle dans le pied. Si je me joins à toi, si j'approuve ton discours à propos de Tu-Sais-Qui, je perdrais tous mes soutiens. Je serais considéré comme un traître par les miens. Ma propre famille sera obligée de me renier pour ne pas subir la colère de Tu-Sais-Qui, ce qui signifie que je n'aurais plus d'influence au sein de Serpentard ni la moindre réputation. Je vais devenir une cible. Ho je sais me défendre, ils ne me font pas peur. Mais je veux que tu prennes conscience de tout ce à quoi je m'apprête à renoncer pour la liberté de notre futur. Pour toi.
Harry le fixa longuement avant de s'approcher de lui d'un pas déterminé. Après avoir pris une longue inspiration, il lui tendit la main.
-Il y a quatre ans, j'ai refusé de te serrer la main ; aujourd'hui, on a la possibilité de changer les choses. Tu es avec moi Malefoy ?
Le sorcier regarda la main basanée et solide du Gryffondor avant de laisser une moue narquoise étirer ses lèvres.
-Il me semble que nos destins sont maintenant liés jusque dans la mort Potter, susurra-t-il en attrapant fermement la main tendue qu'il serra avec une résolution nouvelle.
Il avait fait son choix. Il suivrait Potter où qu'il aille, quoi qu'il en advienne. Parce que Potter était la clé de sa liberté et que sans lui, Drago redeviendrait cet oiseau enfermé dans sa cage de ténèbres. Il avait toujours eu besoin de Potter pour se sentir vivant et aujourd'hui, plus que jamais. Il ne savait lire dans les astres mais il était persuadé que leur lignée de vie venaient à présent de s'entremêler et ce, jusqu'à la fin.
-Très bien, dit Harry. Alors que fait-on maintenant ? Tu as quelques mois pour t'émanciper de ta famille au risque de recevoir la marque des ténèbres et ce n'est qu'une question de temps pour que Voldemort ne se décide à passer à l'action. Des idées pour empêcher le monde magique de sombrer dans le chaos ?
-En fait, sourit Jasper, on a déjà un plan.
-Ouvre grand tes oreilles, ajouta Malefoy. Alors voilà ce que l'on va faire Potter.
Arthur et Olivier Barnes étaient les deux garçons les plus renfermés et froids que Poudlard avait pu accueillir depuis plusieurs décennies. Issus d'une famille moldus du nord de l'Irlande, ils avaient été abandonnés sans un regard en arrière de la part de leurs parents après leur première manifestation de pouvoirs magiques à l'aube de leur quatre ans. Dans l'environnement très religieux de leur famille, la magie ne pouvait être que la démonstration du diable. Ainsi avaient-ils été laissés devant la porte d'une orphelinat, un beau soir de juin, sans lettre ni aucunes formes d'explications. Mais peu importe, car les jumeaux n'avaient jamais oublié. Le regard de dégoût de leur mère était gravé au fer rouge dans leur mémoire et les avait empêchés de trouver le sommeil durant un nombre incalculable de nuit.
Malgré cela, leur enfance n'avait pas été particulièrement malheureuse. Mrs. Grant, la directrice du foyer jeunesse, avait toujours veillé sur eux avec le plus grand soin, leur donnant toute l'affection dont un enfant à besoin pour s'épanouir. Mrs. Grant était une femme dévouée à son travail et déterminée à redonner un peu de soleil dans le cœur de ses pensionnaires que la vie avait délaissé sur le bord du chemin. C'est d'ailleurs elle qui prit l'initiative de remplacer la vieille pancarte qui trônait à l'entrée de la cour par « Foyer de jeunesse des tournesols » plutôt que le triste et sobre «Orphelinat Saint James ». Beaucoup de pensionnaires avaient trouvés le nouveau nom ridicule mais Mrs. Grant en était si fière que personne n'avait jamais eu le cœur à la contredire.
Mais voilà, les jumeaux, malgré toute la tendresse qu'ils avaient pour Mrs. Grant, n'avaient jamais réussi à combler le vide dévorant qui les rongeait de l'intérieur. Leur magie qu'ils avaient dissimulée au fond de leur cœur, qu'ils avaient reniés et désespérément cherchés à étouffer, leur brûlait les entrailles. Mais jamais ils n'avaient osés la laisser s'exprimer au grand jour. Que se passerait-il si Mrs. Grant les surprenait ? Et si elle les trouvait répugnants ? Et si elle décidait de les jeter à la rue comme leur mère avant elle ? Non, les jumeaux ne pouvaient se permettre de prendre ce risque, ils avaient bien trop à perdre.
Alors ils s'étaient renfermés sur eux mêmes, la présence de l'un apaisant toujours l'autre, permettant de maîtriser et dominer tant bien que mal le moindre élan de magie qui les parcourait de part en part. Ils avaient appris à ne dépendre que d'eux-mêmes au cas où un jour Mrs. Grant se lasserait d'eux et les chasserait du foyer. Leurs cœurs s'étaient gelés, leur tendresse s'était embourbée sous des litres de peur et de méfiance et leur confiance s'était peu à peu craquelée, le visage mauvais et répugné de leur mère hantant leur esprit.
Et puis ils avaient reçu leur lettre pour Poudlard. Une terreur pure s'était emparée des jumeaux. Que faire ? Que ce passerait-il si Mrs Grant trouvait la lettre et en était si effrayé qu'elle n'oserait plus jamais les regarder en face ? Alors ils avaient déchirés la lettre. Et en firent de même pour toutes celles qui suivirent. Jusqu'à ce que le professeur McGonagall en personne ne vienne frapper à la porte du foyer, demandant un entretien avec la directrice et les jumeaux. Dire que Mrs. Grant n'avait pas été surprise de découvrir l'existence d'un monde magique serait mentir. Mais lorsqu'elle posa son regard sur les deux enfants recroquevillés sur leur chaise, figés de frayeur, rien n'avait changé. Ni honte ni dégoût n'avaient remplacés l'amour dans les yeux verts de la directrice. Ce jour-là, les jumeaux s'étaient de nouveau autorisés à respirer.
Poudlard avait été pour eux une source de joie. Du moins, les deux premières semaines. Après plusieurs crises de panique et un nombre incalculable de terreurs nocturnes qui avaient inquiétés leurs deux camarades de dortoirs, les jumeaux s'étaient résolus à aller demander conseil à l'infirmière.
Le verdict était tombé : troubles anxieux et introversion sévère. La foule et le bruit les rendaient malades, le contact avec autrui les épuisait rapidement, et la moindre perturbation de leur routine les empêchaient de trouver le sommeil. Arthur ne supportait pas les bruits de mastications et de bouche, les reniflements ou les quintes de toux qui déclenchait chez lui un terrible sentiment de colère. Quant à Olivier, il pouvait s'endormir n'importe où, n'importe quand si ses batteries de sociabilité avaient été épuisée. Alors pour se protéger, ils s'étaient à nouveau repliés sur eux-mêmes ; marchant dans les couloirs avec un sort appris en urgence qui atténuait les bruits aux alentours, adressant la parole à leur camarade qu'en cas d'extrême nécessité et réduisant au maximum le contact avec autrui.
Personne ne leur en avait tenu rigueur. À Serdaigle, ce genre de comportement était bien plus courant qu'il n'y paraissait. Jack et Jasper avaient fini par les laisser tranquille. Les jumeaux n'étaient pas dupes, Jasper avait tout compris. La façon dont il communiquait avec eux à base de gestes simples, de signes de tête ou de sourires discrets, était celle qu'avait toujours employé Mrs. Grant avec eux depuis leur tendre enfance. Jack, plus bourrin, se contentait simplement de se faire plus discret en leur présence (ce qui était déjà pour lui un effort considérable).
Les années s'étaient écoulées paisiblement pour les jumeaux. Ils avaient pris leur marques, trouvés leur rythme, crées de nouvelles habitudes et se sentaient heureux à Poudlard. Alors pourquoi, eux qui se désintéressaient pourtant de tout en dehors d'eux-mêmes et de leur apprentissage, pourquoi avaient-ils cette colère sourde qui grognait dans leur poitrine ? Pourquoi avaient-ils la rage au ventre à chaque fois qu'ils croisaient le professeur Ombrage ? Pourquoi ce sentiment de haine se faisait de plus en plus intense, au point de les empêcher de trouver le sommeil ?
Les jumeaux l'avaient vite compris. Parce que cette femme n'était pas une enseignante. Elle était une fonctionnaire incapable et inutile, qui bridait leur apprentissage de la magie. Et pour les deux Serdaigle qui avaient tant soif de savoir, une telle chose était intolérable. Il était plus que temps que cela change. Cette femme indigne d'être qualifiée du noble titre de professeur devait partir. Et le plus tôt sera le mieux.
Ce fut donc d'un pas on ne peux plus déterminé qu'ils allèrent toquer à la porte du professeur McGonagall.
-Tu connais le Chat noir ? reprit Drago.
Harry fit non de la tête.
-C'est un journal sorcier. Il n'est pas aussi populaire que la Gazette du Sorcier mais il est quand même assez connu.
-Et alors ?
-Alors Potter, toi et moi allons y témoigner. Tu raconteras ce que tu as vu la nuit de la tâche finale du Tournois des trois sorciers, et j'appuyais ensuite ta version des faits en ajoutant quelques informations sur les Mangemorts, et ce, sans incriminer mon père si possible.
-C'est de la folie Malefoy, ricana Harry. Tu penses que les gens vont nous croire ?
-Écoute Potter. La seule version des faits que possède le monde sorcier c'est celle du Ministère qui souhaite te faire passer pour un cinglé. Alors si tu veux déjà baisser les bras, libre à toi, mais ne t'étonnes pas que les choses n'aillent jamais en ta faveur.
-Ce qu'il veut dire, reprit Jasper plus calmement, c'est que tout ce que nous savons, c'est que Dieggory est mort et que Dumbledore nous a annoncé le retour de Vous-Savez-Qui. C'est tout, aucunes autres explications, rien, nada. Mets toi à la place d'un grand-père vivant au fin fond des Cornouailles et qui se réveille un beau matin en apprenant qu'un vieillard tout aussi ridé que lui annonce le retour du plus grand mage noir des dernières décennies. Il y a de quoi le prendre pour un fou. Surtout que Dumbledore n'a donné ni preuves ni justifications à ses propos. Et immédiatement après, le Ministère a décidé de contester les faits en te décrivant comme atteint d'un sérieux trouble mental. Comment veux-tu que qui que ce soit ce range de ton côté s'ils sont tous persuadés que tu es fou ?
-Je ne suis pas fou !
-Sans blague Potter, grinça Malefoy de sa voix traînante, quelle nouvelle. Évidemment que tu ne l'es pas, et nous le savons tous les trois. Mais pour tous les autres, tu l'es. Alors on va aller trouver un reporter intéressé pour faire le scoop de l'année et on va lui déballer l'entière vérité.
-C'est le meilleur moyen, renchérit Jasper. Votre histoire va être lu par des milliers de personnes. Peut-être pas dans le but de vous croire au début, mais juste par curiosité. Et c'est ce que l'on veut, attirer l'attention. Et lorsque les gens auront lu, peu importe qu'ils te croient ou non, le doute sera semé. Quelque part dans leur esprit, une petite voix ne cessera jamais de leur dire « et s'ils disaient vrai ? »
-Avec un sujet pareil, crois moi, le bouche à oreille va faire des miracles, conclut Malefoy.
-D'accord, céda Harry. Ce n'est peut être pas une si mauvaise idée. Mais qu'est-ce qui vous dit qu'un journaliste acceptera seulement de nous rencontrer ?
-Parce que tu es Harry Potter, dit Malefoy en levant les yeux au ciel. Peu importe que le journaliste accorde ou non du crédit à ce que tu racontes, ton histoire va lui rapporter gros, ça va faire la une pendant des semaines !
-Le témoignage de l'enfant le plus célèbre de Grande-Bretagne, complété par celui du fils unique d'une remarquable et respectable famille de Sang-Purs connu pour être opposée à Dumbledore. Les gens vont s'arracher votre histoire ! s'excita Jasper.
Harry laissa un sourire hésitant étirer ses lèvres. En croisant le regard sûr de lui de Malefoy, il su qu'il avait fait le bon choix en lui tendant la main.
-J'ai passé la moitié de ma vie à étudier comment me comporter pour montrer au monde seulement ce que je souhaite de ma personne, il est temps de rentabiliser mon savoir de petit noble. Le directeur du Chat noir est un proche de ma mère, il a déjà accepté de nous rencontrer. Un de ses meilleurs journalistes sera chargé de l'interview. C'est comme si c'était déjà dans la poche.
-Pourquoi on ne va pas directement voir la Gazette du Sorcier ? s'étonna Harry
-Tu es stupide ou tu le fais exprès ? Ça t'arrive de réfléchir parfois Potter ?
-La ferme Malefoy.
-Chassez le naturel, il revient au galop, souffla Jasper. On ne peut pas s'adresser à la Gazette parce que le directeur est un excellent ami du ministre de la magie. Il n'acceptera jamais de donner une version des faits qui te met en valeur.
-Rappelle toi que tous les commentaires dégradants sur ta personne viennent d'ailleurs de ce journal, ajouta Malefoy. Pour une fois écoute moi, le Chat noir est un bon journal. Il n'est pas à la solde du Ministère et possède un auditoire sérieux et respectable, contrairement à d'autres torchons comme le Chicaneur.
-Ne dit pas de mal du Chicaneur, grogna Harry, une de mes amies est la fille du patron !
-Tu parles de Loufoca Lovegood j'imagine ?
-Elle s'appelle Luna !
-Honnêtement Potter, je n'ai rien contre cette fille, elle peut être aussi extravagante qu'elle le souhaite et porter toutes les sortes de radis possibles à ses oreilles, je m'en moque. Mais si tu publies ton témoignage dans un journal comme le Chicaneur, cela ne servira qu'à te décrédibiliser encore plus. Tu souhaites vraiment retrouver ton récit à propos de Tu-Sais-Qui entre un reportage sur les nargols et les ronflaks cornus ?
-Pas vraiment non, reconnut Harry de mauvaise grâce. Attends un peu, comment est-ce que tu connais les nargols ?
-Lâche moi la grappe, marmonna Malefoy en rosissant.
-HA ! s'écria triomphalement Harry. Alors tu as déjà lu le Chicaneur !
-Une fois seulement ! Et c'était simplement par curiosité !
Jasper leva les yeux au ciel. Lui qui pensait que Harry et Drago seraient incapables d'échanger plus de trois mots sans se jeter des sorts, voilà qu'ils commençaient à se taquiner comme chien et chat. Finalement, travailler avec ces deux sorciers allait se révéler plus intéressant que prévu.
-Donc vous êtes sûr pour le Chat noir ? dit finalement Harry après avoir cessé d'asticoter Malefoy avec ses lectures. C'est vraiment le meilleur plan que vous avez en stock ?
-En plus d'être le meilleur, c'est aussi le seul, dit Malefoy en haussant les épaules.
-Fais nous confiance, sourit Jasper. Personne ne connaît mieux les journalistes que des familles comme celles de Malefoy ou la mienne. Le langage médiatique est bien plus facile à manier que l'on ne pense et manipuler l'opinion publique va être un jeu d'enfant.
-En clair Potter, notre but est de te faire retrouver son statut de pauvre petit orphelin martyrisé. Une fois cela fait, tu auras toute la place pour mettre au point un plan pour contrer Tu-Sais-Qui.
-Je vois, murmura Harry avant de relever brusquement la tête. Alors dans ce cas, qu'est-ce qu'on attend ?
Minerva McGonagall était une sorcière respectée et appréciée, autant par ses collègues que par ses élèves. Elle avait une carrière brillante, un sens de l'honneur irréprochable, un courage digne des Gryffondor et une empathie pour autrui, qui bien que dissimulée derrière sa voix sèche et son allure stricte, était bien réelle. Sous tous les aspects, elle était une personne on ne peut plus respectable.
Bien entendu, elle ne pouvait s'empêcher elle aussi d'avoir parfois ses petits moments de torts. Elle se savait parfois trop revêche avec ses étudiants, pas assez rude avec ceux qui lui mettait des bâtons dans les roues, exigeante et sévère, elle n'était pas la plus avenante des enseignants de Poudlard. Pourtant, c'était vers elle que les étudiants accouraient au moindre problème. Pas seulement parce qu'elle était la directrice adjointe, non c'était pour une toute autre raison qu'il lui échappait malheureusement encore.
C'est en croisant les visages renfrognés de deux Serdaigle devant son bureau qu'elle comprit pourquoi. Parce que c'était sa rudesse et sa raideur qui rassurait les élèves lorsqu'ils avaient besoin d'un chevalier pour affronter leurs peurs. Minerva McGonagall faisait partie des murs de cette école, elle était un roc solide et fier sur lequel l'on pouvait compter sans crainte. En observant les mains mutilées des élèves après leur retenue avec le professeur Ombrage et après avoir longuement écouté les critiques et les revendications des jumeaux Barnes, Minerva se redressa, prise d'une résolution nouvelle.
Elle allait débarrasser Poudlard de ce parasite, et ce, même si cela signifiait se dresser contre le Ministère de la magie.
Cela faisait déjà plusieurs heures que Jasper avait disparu de la circulation et si Féline savait pertinemment ce que le garçon avait en tête, n'ayant pu retenir sa curiosité après l'avoir vu parler avec Drago Malefoy, elle commençait à trouver le temps long. Et bien que Mona semblait se désintéresser complètement du sort de son ami, ce n'était clairement pas le cas de Jack qui tournait comme un lion en cage, soupirant de façon on ne peut plus dramatique toutes les trois minutes, jouant sans remords avec les nerfs sensibles de Susan.
Après un énième soufflement digne d'une pièce de Shakespeare, Susan finit par exploser, lui balançant un livre à la figure.
-Non mais c'est pas un peu terminé tout ce cirque ! hurla-t-elle alors que Jack esquivait habillement l'épais manuel de potions. Il y en a qui essaie de travailler alors si tu es incapable de tenir en place, dégage ! Tu pollues mon espace vital, crétin !
-Waouh, commenta platement Jack, ça doit être super sympa de s'épanouir en étant aussi désagréable.
-Jack, dit Lucille en haussant un sourcil, arrête ou le prochain bouquin qui va t'agresser sera celui d'Histoire de la magie.
La perspective de se prendre un parpaing dans le visage dû lui paraître peu alléchante puisque le garçon se jeta dans le fauteuil le plus proche en grommelant. Il ne s'écoula même pas une minute avant qu'il ne recommence à gigoter bruyamment, s'attirant les regards mauvais de toute la salle commune.
-Bon, s'écria Féline en se redressant. Je pense que pour notre survie à tous, on ferait bien d'aller faire un tour. On en profitera pour chercher un peu Jasper. Ça te convient Jack ?
Avant qu'elle n'ai pu achever sa phrase, il se tenait déjà droit devant elle, prêt à partir. Mona grogna mais se redressa à son tour, attrapant sa cape avant de leur emboîter le pas. La jeune fille était d'humeur massacrante depuis que la date de la sortie à Pré-au-Lard pour la Saint Valentin avait été annoncée la veille. L'idée de passer une nouvelle fois la fête de l'amour célibataire la déprimait au plus au point.
Elle qui ne rêvait que de romance à l'eau de rose vivait mal le fait de rester désespérément seule depuis qu'elle avait renoncé à son premier béguin, Edmund Wilson après l'avoir vu embrasser une autre fille, il y a plusieurs mois de cela. Le cœur du garçon était déjà pris par une autre et Mona avait lâché l'affaire, pleurant à chaudes larmes dans son oreiller pendant plusieurs jours sous le regard désemparé de ses camarades de dortoirs.
Mona n'était d'ailleurs pas la seule que cette annonce pour la Saint-Valentin avait touchée. Toute l'école était sans dessus dessous. Jack, que le Quidditch avait rendu très populaire et dont les traits charmeurs n'arrangeaient rien, s'était déjà vu remettre plusieurs lettres d'amour depuis la veille et avait dû refuser plusieurs invitations à un rencard pour le jour J. Et à chacune de ces interactions Jack devenait rouge, si mal à l'aise qu'il aurait préféré s'enterrer six pieds sous terre plutôt que de devoir éconduire des jeunes filles au regard larmoyant après son refus. Quant à Jasper, il restait en retrait, observant chacune des prétendantes de son ami d'un œil mauvais sans dire un seul mot. Même Féline semblait perturbée par l'ambiance étrange qui régnait au château.
La jeune sorcière ne pouvait s'empêcher d'être affectée par cette avalanche de sentiments dégoulinants dans le cœur de bon nombre d'élèves, encore plus quand deux de ses meilleurs amis se tournaient autour avec insistances sans jamais oser franchir le pas, rendant la tension insupportable. Féline redoutait le moment où l'un des deux garçons atteindrait le point de rupture et exploserait. Et bien qu'elle faisait des pieds et des mains avec Mona pour leur faire accepter leurs propres sentiments, ils ne leur rendaient pas la tâche facile. Jamais elles n'avaient vu auparavant des êtres encore plus bornés qu'une mule, persuadés l'un comme l'autre de ne pas être à la hauteur. C'est d'ailleurs ce pourquoi Mona avait finalement décidé de rendre les armes. Qu'ils se débrouillent, elle s'en lavait les mains.
-On devrait commencer par la bibliothèque, proposa-t-elle en réprimant un braillement. C'est le lieu préféré de Jasper alors autant aller y jeter un coup d'œil.
-Bonne idée, acquiesça Jack, on pourra aussi aller voir dans le parc, il adore aller se dégourdir les jambes après avoir travaillé.
-Ok Sherlock, sourit Féline. Au passage, on pourra passer par la volière ? J'ai du courrier à poster.
-Tu écris à ton oncle ? demanda Mona en foudroyant du regard les deux première année qui venaient de la dépasser en courant, la bousculant au passage. Bon sang, ce que ces petits asticots peuvent être mal élevés !
-Non, à mon ami de Beauxbâtons, apparemment, en France aussi on ne parle que de Harry Potter et de sa soi- disant folie. Arnaud est quelqu'un de curieux alors il voulait avoir le point de vue d'une vraie anglaise, ricana-t-elle.
-Une parfaite lady, ajouta Jack. Dommage qu'il ne t'ai pas vu en train de boire ta soupe hier soir, tu faisais un bruit si raffiné qu'on aurait pu te confondre avec une bouche d'égouts.
-Ça ressemblait à quelque chose comme SLUUUURPPPAAARGHRKRK.
-Ravissant, merci Mona pour cette délicieuse imitation, soupira Féline.
Alors que Féline et Mona continuaient à chahuter gentiment derrière lui, Jack sentit soudainement ses poils se hérisser. A l'intérieur de son cœur, l'âme de Sasha, son animagus, se réveilla et commença à feuler. Sasha ne se réveillait jamais sans raison, alors quoi qu'il était en train de ce passer, c'était forcément de mauvaise augure. Le garçon se figea, les sens aux aguets. Mona, qui ne l'avait pas vu s'arrêter, le percuta de plein fouet et avant qu'elle ne commence à l'injurier de tous les noms d'oiseaux qu'elle connaissait- et Merlin qu'elle en avait en stock- , Jack se retourna vers elles, un sourire de renard aux lèvres.
-Ho non, murmura Féline, je déteste quand tu as cette expression. On fini toujours par avoir des ennuis.
-Qu'est-ce que tu as encore fait ? grogna Mona.
-Cette fois-ci, rien, je vous le promets.
-Alors pourquoi est-ce que tu...
Mona n'eut pas l'occasion de finir sa phrase puisque qu'un immense BOUM secoua le couloir tout entier avant qu'une multitude de petits feux d'artifices n'explosent dans un joyeux tintamarres. Féline devait reconnaître que c'était vraiment amusant et particulièrement joli. Très festif.
Mona, elle, grimaça. Elle ne connaissait pas le règlement de l'école par cœur mais elle était à peu près sûre que le fait de déclencher des feux d'artifices en forme de dragon dans les couloirs ne devait pas figurer dans la catégorie des choses autorisées. Sa théorie se confirma quelques instants plus tard lorsque les jumeaux Weasley surgirent hors de la fumée comme des diables en boites et se dirigèrent vers eux au pas de course, les épaules secouées par un léger rire.
-Ho bon sang, ça sent les problèmes avec un P majuscule, grommela Féline.
-Hey, salut Lupin, quoi de neuf ?
-Eh bien, par rapport à vous, pas grand-chose.
-C'est vous qui avez fait ça ? demanda Jack avec un air qui frôlait l'admiration.
-Oui mon bon monsieur, répondit Fred en bombant le torse, produit spécial Weasley. Pour passer commande tu peux directement venir nous voir. Tu verras, ils sont d'une incroyable qualité, tu peux choisir tes motifs et...
-PETITS DÉMONS, ATTENDEZ QUE JE VOUS ATTRAPE !
-Voilà que la cavalerie attaque, dit platement George.
-Ho non, c'est Rusard, balbutia Mona.
-Tu le savais, feula Féline en regardant Jack avec désapprobation.
-Je ne voulais pas vous empêcher d'assister au spectacle, dit-il en haussant les épaules. Et sans vouloir empirer la situation, ce n'est pas seulement Rusard qui est en train de se précipiter vers nous mais également Ombrage et Rogue, ajouta-t-il en désignant d'un mouvement désinvolte du menton, les deux couloirs qui leur faisaient face et d'où des bruits de pas précipités s'échappaient.
-Hum, dit Fred, on ferait bien de filer alors !
Et avant que Féline et Mona ne purent ajouter quoi que ce soit, les deux jumeaux les attrapèrent par le poignet pour les embarquer dans leur course folle, Jack galopant à leurs cotés. Mona et Féline échangèrent un regard horrifié en comprenant dans quels ennuis elles s'étaient encore fourrées malgré elles. La retenue semblait une nouvelle fois leur pendre au bout du nez. Jack, gai comme un pinson, leur adressa un clin d'œil complice auquel ni l'une ni l'autre ne lui fit la grâce d'y répondre. Fred qui courait en avant, semblait suivre un itinéraire aussi incongrus qu'irréfléchis, si bien qu'au bout de quelques virages, Féline aurait bien été incapable de dire où ils se trouvaient. Ils finirent finalement par ralentir devant un croisement.
-Droite ou gauche ? le pressa George.
-Si on prend à droite, murmura Jack après avoir discrètement humé l'air, on risque de tomber sur Ombrage. À gauche il y a Rusard mais si on se dépêche, on devrait avoir le temps d'atteindre le prochain croisement avant lui.
Les jumeaux haussèrent un sourcil surpris avant de le gratifier d'un large sourire.
-Décidément, ravi de te revoir Overland, tu nous avais manqué mon vieux.
-Tu étais plus inventif en bêtises l'année dernière, on pensait que tu t'étais assagi, content de voir que tu n'as rien perdu de ton talent !
-Arrêtez de l'encourager, râla Mona. Parce qu'après, c'est nous qui finissons en retenue à cause de ce zouave.
-Excuse moi très chère mais à cause de qui avons nous atterris en retenue la dernière fois après que quelqu'un dont je ne citerais pas le nom a décidé de déclencher une bataille de cœur de grenouille en plein cours de potion ? Si tu veux un indice, ça commence par « Mo » et termine par «na » !
-C'est Féline qui a commencé !
-N'importe quoi, s'insurgea l'accusé, c'est toi qui m'a lancé le premier cœur dans les cheveux.
-Seulement après que tu ais essayé de me faire manger un cœur sous prétexte que je n'en ai pas !
-Tu n'avais qu'à dire oui quand je t'ai demandé de me prêter ton tee-shirt des Bizzar' Sisters.
-Navré de vous embêter, les coupa Georges, mais si vous ne voulez pas finir par connaître le bureau de Rusard par cœur, il faudrait peut être commencer à s'activer. On prend à gauche !
Féline grimaça en se sentant de nouveau entraînée dans la course. Elle avait un terrible point de côté qui lui vrillait les entrailles et son souffle erratique lui déchirait les poumons. Elle n'avait jamais été très endurante et en faisait à présent douloureusement les frais. La main fraîche de Mona vient s'enrouler autour de la sienne, la traînant dans son sillage. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la jeune sorcière était une bonne sportive et une excellente coureuse.
Devant, Fred assisté de Jack, les fit prendre un escalier en colimaçon, puis tourner à droite, descendre un couloir étrangement penché avant de s'arrêter devant une tapisserie qu'il entrouvrit pour les laisser passer dans l'entrebâillement.
-C'est super, un nouveau passage secret, s'écria Jack ! Tu as vu Féline ?
-S-super, souffla-t-elle difficilement. Youpi. Où est-ce que l'on est ex-exactement ?
-Dans le pétrin je dirais, mais bon, on commence à avoir l'habitude.
-M-merci Mo-mona, très s-spirituelle, vraiment.
-Allez y, les pressa George, je les entends se rapprocher. Avancer jusqu'au bout du tunnel et pitié, ne faites pas de bruit.
Féline et Mona ne se firent pas prier et s'engouffrèrent sans tarder dans l'entrebâillement, vite suivi par Jack et les jumeaux.
-Surtout, murmura Fred, n'allumez pas votre baguette et soyez discrets, on est en train de longer les tapisseries du couloir, ils pourraient facilement nous repérer.
Comme pour lui donner raison, le pas chaloupé et lourd de Rusard s'approcha d'eux, les frôlant de près, vite rattrapé par la démarche sèche et cassante du professeur Rogue.
-Je connais Poudlard comme ma poche, siffla le vieux concierge au maître des potions. Ils ne sont pas loin, je le sens. Cette bande de petits cancrelats ne m'échappera pas, soyez en certain ! Cette fois ils sont fait, je vais enfin pouvoir les punir comme il se doit.
-Cessez de radoter, le coupa brutalement Rogue avec un reniflement dédaigneux. Contentez-vous de les attraper. Alors, où sont-ils allés à votre avis ?
-Sans aucun doute vers le couloir nord, ils doivent être persuadés que ces salles désaffectées leur serviront de cachette mais c'est sans contenter sur le flaire infaillible de ma chère Miss Teigne !
Rogue ne répondit rien et s'éloigna vivement dans le couloir, entrainant Rusard dans son passage.
-Je rêve, murmura Féline, où Rusard était vraiment armé d'un balais ?
-Les gens font parfois des choses surprenantes, ricana George.
-À qui le dis-tu, renchérit Mona, accroupie entre les jambes de Féline.
-Allez on ferait mieux de se remettre en route avant que ce vieillard sénile ne se rappelle qu'il existe un passage secret par ici.
-Pitié, pleurnicha presque Féline, je veux retourner à la salle commune. Je crois que mes poumons vont exploser.
-Je n'ai jamais vu quelqu'un ayant aussi peu d'endurance que toi, ricana Jack.
-Tiens bon petite, on va vous déposer dans un coin un peu plus peuplé du château, vous devriez y être en sécurité.
Tiré d'affaire, le petit groupe se mit à rebrousser le chemin en babillant joyeusement, laissant tranquillement Féline reprendre son souffle. Ils n'était plus très loin du lieu du crime, retrouvant peu à peu la civilisation lorsque Jack s'arrêta net, devenant brusquement aussi pâle qu'un fantôme. D'un air interrogateur, Féline releva les yeux pour regarder ce qui avait glacé son ami.
Et dans un étrange effet de cauchemars et de ralentis, elle vit apparaître Ombrage dans l'angle du couloir, sa bouche de crapaud se déformant dans un sourire mauvais lorsqu'elle posa son regard globuleux sur eux.
