-Pendant ce temps-là, chez les Stark-
Il avait trente-huit ans bon sang. Définitivement pas un âge pour avoir Space Mountain à la place du cœur, ni même pour faire des métaphores venues tout droit de Disneyland. Mais enfin il fallait croire que tout son être revivait ses années lycée et qu'il avait assurément regardé trop de Disney, parce qu'il aurait suffi de très peu de choses pour que Tony se mette à chanter son âme en peine…
C'était qu'il avait merdé. Quelle idée vraiment de mettre le livre dans la boîte aux lettres… Il s'était condamné à imaginer tous les scénarios possibles en long en large et à l'envers, allant de Strange devenu soudainement aussi niais que Groschéri le bisounours (peu probable) à Strange commettant l'autodafé de Molière (malheureusement trop probable), en passant par Strange-Christian-Grey ou encore Strange-assiette-en-grès (oui : deux salles deux ambiances).
Alors Tony avait fait ce que tout adulte responsable aurait fait dans la même situation : hiberner (maintenant la question que je me pose c'est est-ce que les bisounours, puisque ce sont des bisounours, hibernent ?). Ce qui bien sûr n'échappa guère au reste de la maisonnée, et en particulier à Harley Keener-Stark qui passait par là.
C'était que ça faisait longtemps depuis la dernière hibernation, et Harley en connaissait tous les signes : une chambre soudainement plongée dans le noir, un nombre de plaids ahurissant et un silence coupé par intermittences de petits cris de désespoir/honte/panique/lamentation, le tout pouvant durer de douze heures à douze années de chien (ce qui pouvait quand même aller de 68 à 112 ans en équivalent humain selon la taille du spécimen). Mais pourquoi maintenant ? Ça c'était une autre paire de chaussures (et pourquoi des chaussures et pas des manches : parce qu'il faut trouver une réponse qui tienne debout…) Harley savait que Tony était parti la veille toute la journée pour se rendre il ne savait trop où, loin dans la campagne anglaise, avec Morgane.
Morgane, qui devait d'ailleurs être en train de jouer dans sa chambre. Eurêka ! Ni une ni deux Harley prit d'assaut la chambre de sa sœur :
« MO' ! J'AI BESOIN DE TOI !
-Pas tout de suite Harley, Barbie va mettre un râteau à Ken n°1 !
-Ah, en effet c'est de la plus haute importance. »
Harley s'installa en tailleur à côté de Morgane.
Tac-tac-tac-tac-tac-tac-tac-tac-tac :
Barbie, vivant sa meilleure vie dans sa piscine vide ; Ken n°1 qui s'approche de Barbie sur son scooter ; Ken n°2 caché derrière des buissons. Barbie a une voix grave, les Ken ont une voix fluette. Tous ont un sourire perpétuel terrifiant sur le visage. Barbie a une mèche de cheveux verte réalisée au Stabilo bleu.
BARBIE : Ah que la vie est cool en tant que femme libre et indépendante !
KEN N°1, s'arrêtant devant Barbie : Hey Barbie ! Tu sais ce qu'il y a d'encore plus cool : toi plus moi !
BARBIE : Non Ken, toi et moi ce n'est pas cool, ça coule.
KEN N°1 : On ne peut pas couler dans ta piscine vide.
BARBIE : Ma piscine est vide pour des raisons en-vi-ronne-men-tales Ken. Pour éviter que l'humanité coule. Et mon lit sera vide de toi pour éviter que moi je coule.
Interruption de Harley : « C'est pas normal de faire autant de jeux de mots à ton âge. »
Réponse de Morgane : « Je te rappelle que je connais le mot gentrification. Et coupe pas le râteau. »
Réponse de Harley : « Ok ok, pardon. »
KEN N°1 : Mais j'ai de l'alcool.
Interruption de Harley : « Attends quoi ? »
BARBIE : Attends quoi ?
KEN N°1 : Parce que l'alcool c'est cool !
BARBIE : Non c'est pas cool, tu n'es pas cool Ken.
KEN N°2, qui sort de derrière son buisson : QUOI ?! L'alcool c'est pas cool ?!
KEN N°1 : KWA ?! L'alcool c'est pas cool ?!
KEN N°2 : Alors pourquoi il y a le mot « cool » dans alcool ?!
BARBIE, bouche-bée : …
Interruption de Harley, bouche-bée : …
Morgane : Arrête de couper le râteau ! Même sans rien dire !
Harley : Pardon Mo'.
BARBIE, armée d'un râteau Playmobil invoqué par la déesse Morgane [et non pas la Renault Mégane] : *tabasse les Ken* vous n'êtes pas cools, je ne vous aime pas. Par contre moi je suis cool. Comme la chanson, Barbie Cool.
Fin.
« Alors la chanson elle ne dit pas 'Barbie Cool', mais 'Daddy Cool'.
-C'est pas grave, Barbie c'est un Daddy.
-Ok bref, Mo' j'ai besoin de toi.
-Oui ?
-T'es allée quelque part hier avec papa. Qu'est-ce que vous avez fait ?
-On est allé dans son lycée, et on a pris un livre.
-C'est tout ? Vous n'avez vu personne d'important ?
-Une vieille dame, et des grands. Et papa a mis le livre chez le voisin après.
Tiens tiens tiens.
-Chez le voisin ? Celui qui est venu manger ici, le docteur ?
-Oui.
-Tu sais ce que c'était comme livre ?
-Nan.
-Je vois. Rien à ajouter ?
-Nan.
-Très bien, merci metteuse en scène Morgane. Maintenant il faut un acte deux qui nous explique pourquoi Ken n°2 était dans les buissons.
-C'était une métaphore pour dire qu'il était dans le placard, et que l'alcool l'en a fait sortir, et qu'en fait il aime Ken n°1. C'est pour ça que l'alcool c'est cool.
-T'as passé du temps avec Wade récemment non ? Le pote de Peter ?
-Il joue à Pokémon Go avec moi.
-Tout s'explique… »
Un instant plus tard, Harley était de nouveau au rez-de-chaussée, devant la porte de la chambre de Tony. Dans un geste lent et prudent, il ouvrit la porte. La pièce était plongée dans le noir le plus profond, un noir abyssal, un noir de désespoir.
« P'pa, Strange toque à la porte. »
La réaction fut immédiate. La tête du patriarche Stark émergea des couvertures tel un suricate émo dépressif venant de découvrir l'existence des glaces Ben & Jerry's.
« Non, c'est pas possible, dis-lui que je suis pas là. Non dis pas ça ! Il a l'air énervé ? Ou content ? Il faut que je me lave. J'ai pas le temps, dis-lui que je suis malade ! »
Bingo.
« Je déconne y'a personne à la porte. Qu'est-ce que t'as fait ? »
Tony plissa les yeux, comme s'il essayait de frapper Harley par télépathie, puis il disparut enseveli sous ses piles de couettes.
« C'est quoi ce livre que tu lui as donné ?
-Mmmhpeffmmplf.
-Je t'entends pas sous tes couettes. T'as pas trop chaud là-dessous ?
- Mmmhpeffmmplf.
[Traduction : vaut mieux mourir brûlé que d'affronter la dure réalité de la vie.]
-On pourrait demander ça à Jeanne d'Arc. Mais comme tu veux. Bientôt, à côté des rues Jeanne d'Arc, on aura les rues Anthony Stark, les collèges Anthony Stark, les crèches Anthony Stark. Et après on entendra Jean-Marie Le Pen crier « TONY ! AU SECOU-
-STOP ! OK OK je sors ! Ça va pas bien de dire des trucs pareils ?
-Aux grands maux les grands moyens. C'est quoi l'histoire du coup ?
- Mmmhpeff…
-Non ben s'il-te-plaît fais un effort.
-JesuissortiavecStephenaulycée.
-Répète ça ?
-Je. Suis. Sorti. Avec. Stephen. Au. Lycée.
AH.
-Quoi ?!
[-FEUR]
-On lisait les mêmes livres. Je lui en ai donné un avec nos noms dessus.
-Mais quoi ?!
[-COUBEH]
-Et il m'a quitté au bout de trois jours.
-Il a fait QUOI ?! »
[…. L'ALCOOL C'EST PAS COOL ?! ALORS POURQUOI IL Y A LE MOT COOL DANS ALCOOL ?!]
.
L'abus d'alcool est dangereux pour la santé.
À consommer à partir de 18 ans et avec modération.
