L'histoire se situe donc au mois de septembre, Kim est en deuxième année de lycée ( sachant qu'il y a quatre années de lycée aux États Unis ), pour faire une comparaison avec les films c'est donc en même temps que le début de Tentation, au début de l'automne. L'année scolaire en cours est l'année 2005/2006, quel bond dans le passé. C'est drôle, je n'avais que trois ans à l'époque. Bonne lecture de ce second chapitre !
Vendredi 8 septembre, la sonnerie dont le niveau sonore est réglée bien trop fort semble faire trembler les murs de l'établissement scolaire. L'automne n'a pas encore officiellement commencé que l'été est déjà loin pour ce coin perdu de la région de Washington, la grisaille envahit le ciel et demeurera toute l'année, sauf quand l'orage ou la neige décideront de fendre ces cieux qui nous servent de toit pour tout ravager. Le ciel est un délice pour les yeux, notre plafond de verre, notre limite qui nous ramène à notre propre finitude. Il est silencieux, mais peut être si bruyant, agressif, traversé par les oiseaux de tout type. Le ciel est libre, confiant. Encore sur le parking, je sors mon appareil photo pour saisir un corbeau qui passe entre les nuages, pour ensuite le ranger soigneusement dans ma sacoche. J'espère que la photo rendra bien, même si j'en doute, vu le manque de lumière dans les parages. J'attrape mon téléphone pour ne pas tarder à appeler ma mère.
- Allô Kimberley ? Tu es bien arrivée ? Me lance une voix anxieuse, distante à cause des bruits de bureau qui doivent composer l'ambiance à son travail.
- Oui, j'entre dans le lycée. Il n'y a pas de problème, je t'appelle à midi.
- Parfait, bonne journée chérie. Fais attention, je t'ai mis ces tomates cerises que tu aimes dans ta boîte à repas, travailles bien, rentres directement après les cours, et si un inconnu te propose de te ramener tu refuses. Et ne ronges pas tes ongles ! C'est vilain pour une jeune fille. Ne manges pas dehors, restes à l'intérieur, il fait frais pour un mois de septembre.
Notre conversation se limite à des recommandations sans fin et à des confirmations de ma part, jusqu'à ce qu'elle raccroche. C'est la routine avec ma mère, nous avons beau habiter à une vingtaine de minutes à pieds du lycée, elle insiste pour que je la prévienne quand j'arrive et quand je sors. La pauvre, elle s'inquiète. Son inquiétude a quelque chose de rassurant, de quotidien. Le lycée de la réserve se trouve au cœur de celle ci, dans une bâtisse qui surplombe les terres Quileutes. Un bâtiment en mauvais état qui aurait bien besoin d'un nouveau coup de peinture fraîche. C'est un lycée comme les autres, avec des élèves qui baillent dès le matin, d'autres qui fument sur le parking avant d'entrer, d'autres encore qui jacassent ou tapent avec frénésie sur les touches de leurs téléphones, des casiers d'un vert forêt qui claquent avec grand fracas ... Alors que je devrais sentir ce que j'imagine être l'odeur euphorisante de l'adolescence envahir mes poumons, je ne perçois qu'un parfum amère d'une jeunesse supposée être belle. J'ai la fâcheuse tendance à idéaliser les émotions des autres, à considérer qu'ils doivent avoir des expériences qui les transcendent. Être transcendé. Mes écouteurs fixés dans mes oreilles, je traîne des pieds pour me rendre en classe, tout en évitant soigneusement mes camarades. Attention, je ne suis pas si marginal, il m'arrive d'échanger quelques mots avec certains d'entre eux. Je n'ai juste pas d'amis, quel cliché. Je sais que je peux avoir l'air condescendante, mais c'est bien l'inverse, ils m'effraient. Mes pensées intrusives, c'est ainsi que madame Lopez les appelle, me glissent régulièrement des mauvaises formules du genre « ils se moquent de toi », « ils te jugent », « fais attention, ils vont te faire du mal » ... Ce sont des sornettes que je me raconte, mais qui, dans mon esprit, ne sont que réalité.
- Pardon Kim ! S'exclame Christopher, un garçon de terminal, lorsque nous nous bousculons. Je me sens me crisper pendant qu'il s'excuse platement.
- Pas de problèmes.
Je parie que mes yeux ont encore eu cette expression d'animal craintif. Les battements de mon cœur s'accélèrent tandis que je le contourne maladroitement pour continuer mon chemin. « Espèce d'idiote », « Il doit te trouver folle et qui peut lui en vouloir ? ». Déambulant dans les couloirs du lycée, je jette un œil à mon emploi du temps pour réaliser que j'ai cours d'histoire. Histoire. De loin le meilleur cours du programme, et ce n'est absolument pas par ce que j'y suis assise à côté de Jared. Enfin, pas seulement. J'accélère le pas, vêtue d'un vieux jean à la taille basse, d'un simple gilet noir et d'un haut en coton bleu pâle. Un sourire stupide, que je ne saurais retenir, doit fendre mon visage. Ce professeur a l'habitude de laisser les places assignées tout le long de l'année. C'est ce qu'il y a de rassurant à étudier au lycée de la réserve et non au lycée de Forks, tout le monde se connaît depuis l'enfance et il n'y a qu'une classe par niveau. C'est à dire quatre classes d'une vingtaine d'élèves chacune, la population de la réserve s'élevant à moins de quatre cent personnes. Le contenu des cours demeure le programme national standard, mais il est agrémenté de quelques chapitres, notamment en histoire, sur la culture de notre réserve et de notre peuple. Ce genre de sujet me passionne. Mon introversion et l'intérêt important que ma mère porte à ma vie me poussent à être une bonne élève, mais je n'ai rien de brillant. Je me contente de faire ce qu'on attend de moi, ni plus, ni moins. J'ignore encore ce que je veux faire après mon diplôme. Continuer à étudier ? Je ne sais pas quoi. Partir ? Vivre seule a l'air terrifiant. Travailler ? Ça signifie demeurer ici sans fin, à la Push, et je ne crois pas avoir beaucoup de compétences. J'aimerais qu'on me laisse tranquille et exister au delà de tout à la fois, paradoxe de l'adolescence.
Arrivée en classe, j'arrange ma chevelure, comme si cette masse de cheveux bruns lisses pouvaient ressembler à quelque chose, et je sors mes affaires de cours. Je réalise que je n'ai toujours pas retiré mes écouteurs, dont je me défaits avec empressement lorsque le professeur passe le pas de la porte, je ne voudrais pas avoir l'air dissipée. J'observe la vingtaine d'élèves, avec qui j'ai fait essentiellement toute ma scolarité jusque là, échangeant quelques sourires avec les plus aimables d'entre eux. Nous sommes tous Quileutes, mise à part certains élèves comme Embry Call qui sont originaires d'autres réserves ou d'autres qui sont métissés. Jared ne tarde pas non plus à arriver, l'air renfrogné, juste avant que la sonnerie ne résonne à nouveau.
- Enfin arrivé Cameron. Lahote est encore absent ? L'interroge le professeur, puisque ces deux là sont toujours ensemble, Paul ayant repris sa fâcheuse habitude de sécher les cours alors que nous sortons de deux mois de vacances. Si je faisais de même, je ne préfère pas imaginer comment ma mère réagirait. Ses parents ne doivent même pas savoir où il se retrouve la plupart du temps.
- Ouais. Répond Jared, son sac en toile négligemment porté sur une épaule, ses épais cheveux de jais qui tombent sur sa nuque, avec lassitude.
Face à l'adolescent peu loquace, le professeur se contente de souffler et le laisse s'installer. Jared doit mesurer environ un mètre soixante quinze, il n'attache jamais ses longs cheveux, et a une collection de sweat-shirt assez impressionnante avec des blagues inscrites dessus. Cependant, il porte souvent les deux mêmes pantalons en jean. Son visage possède encore les traits de l'enfance, comme ce léger arrondi au niveau de ses joues à la peau rousse, bien qu'il soit svelte. Ses jambes sont si longues qu'il en devient un peu maladroit, mais ça fait son charme. Ses iris, deux prunelles d'un noir profond comme de l'encre, exprime quelque chose de joueur, de presque vicieux qu'on pourrait confondre avec de la malice. Comme s'il avait toujours quelque chose derrière la tête, sans jamais se mettre en avant. Sans être le garçon le plus populaire de la Push, Paul ayant courageusement endossé ce rôle, Jared n'est pas en reste et a un certain succès auprès des filles. Je dois avoir l'air ennuyeuse à mourir, et au mieux, transparente. Je ne me fais pas d'illusions, je n'ai pas l'ombre d'une chance avec un garçon pareil. C'est faux, c'est ma spécialité. Me faire des films, me raconter des bêtises.
- Mademoiselle Evans, vous flottez au dessus de nous ? S'exclame une voix moqueuse et sévère avant que je ne sursaute, faisant tomber mon style au sol.
- Hein ? Je me contente de prononcer, dans un silence gâché par quelques rires agaçants.
- Vous flottez au dessus de nous, comme un être supérieur, pour vous permettre de ne pas prendre de notes ? L'enseignant articule chaque mot comme si j'étais la dernière des idiotes.
- Euh, non, du tout, pardon … Je bafouille en commençant à griffonner ce qu'il y a au tableau, frénétiquement. Le bout de mes doigts tremble de honte, pourtant, la part rationnelle de moi a conscience du fait que tout le monde s'en fiche.
Le cours reprend alors que je me sais être cramoisie, heureusement que ma peau mate empêche mes rougissements d'être trop visibles, si j'étais blanche, j'aurais déjà eu un surnom lié à ça. Le sujet du cours est la politique mise en place par le gouvernement et par les membres importants de la tribu concernant l'éducation des jeunes depuis le début du XXème siècle.
- En effet, comme vous devez le savoir, la dernière personne capable de parler le Quileute est décédé il y a bientôt sept ans. Même si nous conservons quelques mots, quelques expressions, c'est malheureusement une langue destinée à mourir, mais il est possible de l'étudier. Notamment avec les carnets de cet homme, Ephraïm Black, illustre ancien chef de la tribu. Ils sont écrits dans un mélange d'anglais et de quileute. Ils sont disponibles dans les archives de la mairie de Forks même si je doute que vous fassiez usage de cette information un jour. Allez, notez, ne faites pas comme Mademoiselle Evans.
Ephraïm Black est l'arrière grand père de Jacob, un autre garçon de la classe, qui se fait tout petit en ce moment même. Si je ne dis pas de bêtise, la famille de Jared a des liens avec celle des Black. Ce sont des personnes importantes. Soudain, mon voisin de classe fait rouler sur la table le stylo que j'avais auparavant laissé tomber.
- Tiens, ignore le, il est en train de divorcer ce vieux con. Me marmonne le bel adolescent, en me glissant un léger regard en coin, avant de reporter son semblant d'attention sur le cours.
- Merci. Je me contente de chuchoter, confuse, à jouer avec le stylo entre mes doigts.
Je me mord la joue pour éviter que mon sourire n'envahisse mon visage avec excès. Ce n'est pas comme si nous ne nous étions jamais adressé la parole, mais la plupart du temps, comme cette fois, ce sont quelques mots insignifiants qu'il ne doit pas garder en mémoire. Je suis peut être naïve, mais il a de nombreux amis, une vie bien remplie. Pourtant, en l'espace de quelques instants, je me sentais transcendée. Plus que tout, je désirais que ce garçon, si charmant, doué et apaisant, m'aime. Je voulais qu'il se rende compte de toute l'affection que j'avais à lui offrir. Qu'il me communique sa nonchalance, sa légèreté, sa capacité à tenir le regard d'autrui et sa liberté ... C'est fou, je le connais à peine. Je crois que que mon désir pour Jared se traduit par mon désir de vivre. Une fois, j'ai lu que nous désirions chez un partenaire ce qui manque en nous mêmes, ce que nous nous interdisons de faire, comme si nous cherchions à exister par l'autre, par l'amour. Aujourd'hui, je lui ai répondu, j'ai encaissé le ton moqueur du professeur, et je suis toujours vivante. Pas de quoi paniquer. Pourtant, mon souffle est court.
J'avance, un jour après l'autre.
C'est comme apprendre à marcher,
Un pas,
À la fois,
Un jour.
À la fois.
Un jour après l'autre.
Alors que pensez vous du personnage de Kim ? De son traumatisme liée à la disparition de sa sœur ? Et qu'est-ce que peuvent bien cacher ces fameux rêves ? Jared avant sa transformation, on en pense quoi ? Et l'aspect un peu historique ? Il y avait très peu de dialogues, ce n'est pas représentatif de l'histoire, on est sur un chapitre d'introspection. J'espère que le personnage féminin n'est pas trop stéréotypée, même si certains clichés sont propres à cet univers, j'ai hâte de la faire évoluer. J'ai aussi hâte d'avoir vos retours, vos théories pourraient m'aider à enrichir l'aventure. Merci de prendre le temps de lire cette histoire, j'espère qu'elle vous plaît.
