PDV KIM
Depuis que j'ai sept ans, j'ai rêvé qu'un moment pareil se produise. Il me regarde. Jared Cameron n'arrête pas de me fixer, avec ses grands yeux sombres. Mon souffle est court, faisant se soulever ma poitrine sous un épais sweat bleu marine, mon cœur bat à cent à l'heure. S'il me fixe, je fais de même. Il a grandi, de plusieurs centimètres et a pris du muscle, indéniablement. Ses cheveux noirs sont coupés courts. Je me sens toute chose. Mes joues chauffent. Ma main serre le dos de ma chaise. Je dois avoir l'air stupide. J'ai dû dire quelque chose d'idiot. Jared doit se demander pourquoi je lui adresse la parole ? Est-ce que ma voix était étrange ? Pourquoi est-ce que j'ai rigolé ? Il ne doit pas me trouver drôle. J'ai peut être quelque chose sur le visage. Je me passe alors la main sur ce dernier, puis dans mes cheveux.
- Mademoiselle Evans et Monsieur Cameron, on vous dérange peut être ? Écouter et prendre des notes vous semble superflu j'imagine ? Me parvient une voix agaçante et agacée.
Je tente de déglutir, péniblement. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 … La psychologue m'a conseillé de compter si ce genre de situation se reproduisait. Évidement, il fallait que ça arrive sous les yeux de Jared dont le regard se fait encore plus insistant, si c'est possible.
- Tu te sens mal ? Qu'est-ce que je peux faire ? Il m'interroge d'une voix rauque en approchant considérablement son visage du mien.
- Je, je … Incapable d'expliquer mon ressenti, je me contente de déposer une main sur mon buste sans que mes yeux ne parviennent à se détacher des siens.
Une certaine agitation se développe autour de nous. Le professeur approche et les autres élèves nous regardent, avec confusion pour certains et avec curiosité pour d'autres. J'ai terriblement honte. Je dois passer pour la folle de service. C'est encore pire que de pleurer en classe. Ou peut être qu'ils croient que je fais semblant, que je veux seulement attirer l'attention. Ils me jugent. J'ai l'impression que mon buste pèse une tonne contre ma cage thoracique, mon corps m'écrase, il me submerge. Je me submerge et je me noie en silence.
- Kim a du mal à respirer. Je l'emmène à l'infirmerie. S'exclame Jared juste après ma réponse.
Et sans perdre une seconde de plus ou l'approbation de l'enseignant penaud, l'adolescent réunit en trombe nos affaires dans nos sacs à dos respectifs avant de prendre ma main dans la sienne pour nous faire quitter la salle de classe. J'entends à peine le professeur bredouiller un « Euh, très bien, bonne idée. ». Ma démarche est maladroite alors qu'on se déplace dans les couloirs vides du petit lycée de la réserve. La peau de Jared est presque brûlante contre la mienne. Sa main est immense, rassurante. Ça me fait tout drôle de le toucher, de toucher un autre être, de toucher un garçon qui a l'air d'un homme, moi qui ne touche jamais personne. J'en frissonne. Néanmoins, je finis par lâcher sa main en m'adossant contre un casier. J'ai besoin de calme, de paix, de néant. D'une maudite solitude que je ne désire pas. La couleur rouge criarde du décors n'arrange rien. Les paupières closes, je me laisse doucement glisser par terre, adossée contre un casier en métal clinquant. Je ramène mes genoux entre mes bras, recroquevillée sur moi-même.
- 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 18, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32 … Je marmonne, inspirant longuement et expirant comme je peux.
Un autre conseil que me répète ma mère depuis l'enfance, est le suivant : « Quand quelque chose va mal, fais comme si tu n'étais pas là. Fermes les yeux, imagines toi ailleurs, avec quelqu'un d'autre, à l'autre bout du monde, comme si le mal n'existait pas, comme si aucun mauvais sentiment ne pouvait exister. Dis toi : Je ne suis pas là. Et puis, lorsque tu rouvriras les yeux, tu pourras continuer à faire comme si tu étais ailleurs. Ça deviendra naturel ». Je ne suis pas là. Je ne suis pas là. Je ne suis pas là. Soudain, une douce chaleur entre en contact avec une de mes mains, posée sur mes genoux. Une paume rassurante contre la mienne.
- 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43 ….
Relevant les yeux, je les plonge dans ceux de Jared qui est resté et s'est mis à compter avec moi. Il ne doit rien comprendre et pourtant, il compte. Ses iris sont remplis de ce qui me paraît être de l'inquiétude. Ma main étreint la sienne, longuement, sans vouloir la lâcher. Ne me laches pas. Ne m'abandonnes pas. Ainsi, je m'arrête à cinquante, le silence s'installe mais notre proximité demeure. Si ce matin quelqu'un m'avait dit que je finirais assisse par terre avec Jared, main dans la main, à me donner en spectacle, j'aurais cru à une mauvaise blague. Et pourtant …
- Pourquoi cinquante ? Demande le beau garçon en me dévisageant de tout nouveau.
- C'est ce qu'une amie m'a conseillé de faire quand je panique. Je réplique simplement sans préciser que cette amie est en fait ma psychologue, il n'a pas besoin de le savoir après tout.
- Tu te sens mieux ? Il s'inquiète de nouveau, et j'espère que c'est plus sincère qu'une simple formule de politesse.
- Un peu. Désolée. Je murmure.
- Arrêtes de t'excuser.
- Oui, pardon. Je bredouille avant de rougir et de me donner une tape sur le front qui le fait rire.
S'il te plaît, ne me prends pas pour une folle. Je mordille ma lèvre et il me sourit de nouveau. Je ne veux pas être seule. Enfin, pas complètement. Être seule avec lui me convient parfaitement.
*
La pluie bat contre la vitre de la cafétéria. Plusieurs dizaines de lycéens déjeunent les uns après les autres et avec les autres, dans un brouhaha constitué de bavardages, commérages et autres informations de la plus grande importance. Et comme dans toutes les cantines du monde, la cuisine laisse à désirer.
- Oui maman, tout va bien. Je mange les repas que tu m'as préparé, oui oui ne t'inquiètes pas je ne me risque pas à utiliser le four, c'est dangereux. Grand mère va mieux ? Dis lui que je l'aime. Bisous, bisous je t'aime aussi, on se rappelle ce soir. Je prononce avant de raccrocher et de ranger mon téléphone dans la poche arrière de mon jean.
Comme convenu, j'appelle ma mère trois fois par jour, y compris à midi. Et je viens de lui mentir. Ce n'est pas grave, ce n'est qu'un minuscule mensonge. Il m'arrive de me cuisiner quelques plats assez bancales. Rien d'extraordinaire, mais ça me rend fière de moi et, du haut de mes seize ans, je crois que j'en suis capable. Dans deux semaines, ma mère rentre à la maison, et la vie reprendra exactement son cours. L'ennuie au lycée, se faire des films sur mon voisin de classe, la pluie, la photo, les mauvais rêves, compter sur maman et la psychologue … C'est cela, ma vie. Sauf que cette journée détonne, elle est particulière et, étrangement, ça ne me gêne pas. Je ressens quelque chose d'agréable dans le ventre, malgré la crise d'angoisse de ce matin. C'est ça, l'excitation ? Cette sensation de papillons qui s'envolent en mille couleurs ? Vite, il faut que je rejoigne Jared, je m'étais éloignée pour téléphoner. Et oui, je sais, c'est dingue ! À midi, Jared et moi déjeunons ensemble à la cafétéria. Je préfère déjeuner dans le jardin d'habitude mais la pluie rend ce projet impossible. Attention, je ne me plains pas. Le beau brun m'attend avec nos plateaux repas, avec ses grands yeux qui me fixent avec … Intérêt ? Comme si me regarder lui faisait plaisir ? Non, c'est prétentieux. Je projette mes propres impressions sur lui.
- Hey, cette place te va ? Il m'interroge et je vois dans ses yeux que la réponse lui importe réellement.
- Hum, oui oui c'est parfait … Je m'assoie en replaçant une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille.
Pourquoi fait-il tout ça ? Après qu'on ait quitté le cours d'histoire, nous sommes restés à échanger quelques paroles, paisiblement, dans le couloir. Jared m'a pris des bonbons et une bouteille d'eau au distributeur sans que j'ai rien demandé. J'étais si gênée et surprise. Et ce n'est pas tout ! Ensuite, il m'a accompagné au reste de mes cours de la matinée étant donné que nous n'en avions pas d'autre en commun. Il restait en ma compagnie jusqu'à ce que je m'assois et revenais me chercher dès que je sortais de la salle. Ça peut avoir un côté flippant mais tout est fait avec naturel, bienveillance. Comme de la soie qui glisse contre une peau qui l'accueille en sachant parfaitement que c'est sa place. Aujourd'hui, c'est pâtes froides, purée et steak. Je joue avec ma nourriture à l'aide de ma fourchette, avant de me rabattre sur le yaourt à la pêche. Jared mange avec précipitation. Il a pris deux assiettes de tout. Mais où est-ce qu'il peut bien mettre tout ça ? En me voyant manger mon yaourt, il dépose directement le sien sur mon plateau. J'arbore de nouveau mon sourire gêné.
- Tu veux que j'aille t'en chercher d'autres ? Y a pas de problèmes. Tu manges toujours aussi peu ? S'enquiert le brun en regardant mon plateau encore plein, les sourcils légèrement froncés.
- Et si je te dis le soleil, tu me le donnes aussi ? J'improvise une blague en voyant l'empressement avec lequel il cherche à anticiper mes désirs. Il doit penser que je vais m'évanouir à chaque instant.
- Si je pouvais, je le ferais. Mais on habite à Forks. Il réplique avec un mélange d'ironie et de sérieux que je ne parviens pas à discerner.
Nous nous sourions bêtement, avant qu'un bruit ne vienne brusquement attirer notre attention. Paul Lahote vient d'arriver avec son plateau aussi chargé que celui de son ami. Les gens n'ont pas menti, après avoir disparu lui aussi pendant un moment, il est revenu, plus grand, les cheveux courts et musclé. La différence est encore plus flagrante sur lui, qui était si fin auparavant. Je perds mon sourire et mords l'intérieur de ma joue pour ne pas dire de bêtise. Il m'a toujours mise mal à l'aise. Me disant que je ferais peut être mieux d'y aller, je me contente de grignoter en silence.
- Salut ! Il s'exclame, de sa voix qu'on sent abîmée par la cigarette. Dans mes souvenirs, il fumait déjà au collège en cachette et selon les rumeurs il ne s'est pas arrêté là, loin de là.
- C'est donc toi Kim ? Tu trouves pas que Jared est à côté de la plaque ? Je me disais bien que je te connaissais, même si tu dis jamais rien. Tu parles, chez toi ? Paul m'assaille de questions, sans ménagement. Je sens que mes joues se colorent de pourpre, heureusement que je suis mate, sinon j'aurais l'air d'une tomate. Une grosse tomate embarrassante.
- Euh, bah … Je bafouille en détournant les yeux, fixés sur mon plateau, trouvant son arrivée pénible.
- Ouais, elle parle pauvre con ! S'exclame Jared en lui donnant un coup de coude amicale dans le ventre, auquel Paul répond par un rire et un coup d'épaule.
- C'est bon, on peut plus rigoler ! Le garçon à la mauvaise réputation s'écrie face au regard de son ami qui le fustige, avant de reporter son attention sur moi. D'un geste théâtral, il fait mine de s'incliner tout en restant assit, baissant simplement la tête.
- Kim, je m'excuse … Il prononce d'un ton excessivement dramatique avant de s'esclaffer.
- L'écoutes pas, fais pas attention il est débile profond que les trois quarts du temps. Me prévient Jared, me faisant retrouver un léger sourire.
- Eh ! Mais c'est vrai, t'as raison elle est super jolie. S'insurge le dénommé Paul que j'évite de regarder comme s'il avait dit une énormité.
Je les observe interagir l'un avec l'autre, comme des frères, comme des chiots issus de la même portée. Tout ça, ça commence comme une mauvaise blague. Ou comme un mauvais film. Les garçons amusants et soudainement populaires du lycée, qui ont bien des choses à cacher, et qui curieusement s'intéressent à une fille des plus banales. Il vaut mieux ne pas être naïve. Mais c'est si plaisant et revigorant de plaisanter avec des personnes de son âge. C'est une occasion à ne pas manquer, même s'il faut que je reste sur mes gardes.
Hello, on se retrouve pour un nouveau chapitre ! Celui là je l'ai écrit d'une traite, sans trop réfléchir. Je préviens, l'histoire d'amour ira assez vite au début. Après tout, comme le dit Jacob à Bella dans le troisième tome, Kim s'est tout de suite réjouit de l'intérêt que lui portait Jared. C'est en quelque sorte l'imprégnation la plus facile, une amourette d'adolescents rendue grandiose par l'imprégnation et cette univers froid et mystérieux de la bourgade de Forks et sa réserve. Que pensez vous de la réaction de Jared vis à vis de l'angoisse de Kim ? J'ai adoré intégrer le personnage de Paul, que je vois bien être régulièrement la cinquième roue du carrosse dans la relation de Jared et Kim, du moins au début. ( et oui Paul et Rachel auront leur propre histoire avec 50 chapitres, oui je compte faire une histoire sur chaque perso, vous et moi on va se côtoyer longtemps et c'est un plaisir ).
Alexise-me : Ça me fait très plaisir de connaître ton avis ! Ravie de te retrouver aussi. J'imagine aussi Jared ainsi, merci de l'idée du sarcasme.
