Une pomme à la main et mon téléphone dans l'autre, je me dirige en direction du lycée en ce mercredi matin. J'ai dans mon sac à dos en toile violette, mes affaires de cours, mes photos, mon appareil et le fameux parapluie que m'avait offert Jared l'autre jour. En parallèle, je discute avec ma mère au téléphone. Depuis son départ pour prendre soin de ma grand mère, il y a de cela trois semaines, nous nous parlons trois fois par jour. Matin, midi, soir. Au début, la séparation a été dure et je me sentais incapable de me débrouiller seule, mais je sens que ça m'a finalement fait énormément de bien. Je croque dans le fruit juteux.
- Tu rentres bien la semaine prochaine ? Je l'interroge avec curiosité.
- Non, je pense rester une semaine de plus si ça ne te dérange pas.
- Pas de problèmes, je me débrouille bien toute seule.
- Si tu le dis.
- Je te promets. J'insiste.
- Kim, est-ce que tu manges en marchant ? Il ne faut pas tout faire à la fois, chaque chose en son temps. Et si tu t'étouffais hein ? Fais attention. Elle rouspète en m'entendant mâcher. Je lève les yeux au ciel et avale sans un bruit.
- Hum, pardon, je suis un peu pressée …
- Ne sois pas en retard en classe surtout, il faut bien commencer l'année pour préparer tes examens.
- Je sais. Je souffle.
- Cette année il faut que tu aies un A de moyenne.
- Je sais, je fais de mon mieux. J'ai un B assez stable pour l'instant.
- Je sais que tu fais de ton mieux ma chérie, mais ce n'est parfois pas suffisant. On peut tous dire qu'on fait de notre mieux même quand on ne suffit pas. Il faut être à la hauteur.
Je ne suis donc pas assez ? Un noeud se forme dans mon estomac, et je peine à déglutir. Elle m'aime, je le sais, mais j'ai parfois envie de lui hurler dessus. Lui hurler de me laisser tranquille. Et ce crie se tait dans ma gorge pour y mourir. Je ne considère pas être une mauvaise élève, au contraire, je rends toujours mes devoirs et je ne manque jamais un cours. Je fais de mon mieux sans être brillante. Ce n'est pas assez. Je me remémore l'image de ce loup et je me montre distraite le restant de la conversation. Mon esprit est ailleurs.
*
Un brin de soleil perce le ciel à la pause de midi, tandis que je rejoins Jared à l'extérieur de la cafétéria, sur un banc, pour déjeuner. Ça fait une dizaine de jours que nous avons pris l'habitude de manger ensemble. Parfois, Paul nous rejoint. Je me suis habituée à sa présence. Sous ses airs farouches et arrogants, il a beaucoup d'humour. Ce n'est pas pour rien que Jared le porte dans son cœur. J'ignore vers où notre relation ambiguë se dirige, je ne peux m'empêcher de faire tout un cinéma dans mon esprit mais je me remémore l'idée suivante : un jour après l'autre.
- Hey ! Je le salue avec un large sourire, avant de m'assoir à ses côtés.
- Salut, c'était bien ta matinée ?
- Tout à fait normal. Il faut absolument que je te montre quelque chose ! Je m'exclame d'une voix forte, et je perçois de la surprise dans le regard de celui qui n'a pas l'habitude de me voir comme ça.
Mes yeux s'attardent sur son ravissant visage, aussi beau que s'il avait été dessiné, que le soleil caresse. Je voudrais en faire de même, du bout des doigts … Concentres toi, Kim.
- Montres moi. Il réplique alors que je sors une enveloppe de mon sac à dos. J'en vide le contenu sur le bois du banc, sur l'espace qui nous sépare. Un sourire lui fend le visage, comme lorsque l'adolescent a vu mes photos sur le mur de ma chambre. Il se saisit des photographies et les observe une à une.
- Wouah … T'es vraiment douée. Et t'as un super appareil, ça a du te coûter cher. Il me complimente alors que je ris, le rose aux joues.
- C'est gentil et, oui, il m'a presque coûté un rein. C'était l'argent de deux anniversaires et de noël. Mais je veux déjà un meilleur modèle.
- Si t'as besoin d'argent, je connais un restaurant à Forks qui cherche des serveurs. Jared me propose, et comme à chaque fois, chacun de ses mots et de ses regards me prend infiniment au sérieux.
Je me sens prise au sérieux. Je me sens respectée. Je me sens écoutée. Je me sens suffisante. Mes envies, comme cet appareil, lui sembles importantes. Je mordille ma lèvre inférieure et me contente de hocher la tête. Comme si j'étais capable d'avoir un travail, surtout dans la restauration …
- Tu sais que je confonds ma droite et ma gauche … Je lui rappelle en détournant le regard.
- C'est des conneries qu'on te met dans la tête. Ça s'apprend et t'es capable de comprendre n'importe quoi. Le brun insiste d'une voix convaincue.
- Si tu le dis. Je réplique en le regardant à nouveau.
L'inquiétude a envahit son visage. Je me penche dans sa direction, le visage à quelques centimètres de son buste pour observer la photo avec lui. C'est celle avec le loup niché dans la forêt.
- T'as vu, c'est terrifiant. Je savais qu'il y avait des loups dans la région mais j'ignorais qu'ils pouvaient se trouver si près. Il était juste à côté de la route. J'explique d'une voix vive, de l'angoisse dans le regard et une main qui passait dans les cheveux. Jared semble plus embarrassé que réellement effrayé.
- Ouais … Kim, tu connais nos légendes ?
- Bien sûr.
- Nos légendes sont troubles et selon une théorie, on descendrait de ces loups. C'est pour ça que s'en prendre à un loup va à l'encontre des règles de la tribu. Nous avons une histoire avec ces animaux.
- Oui, je sais tout ça, c'est très beau mais, je parle pas de les attaquer … Jared on parle concrètement de loups, des êtres instables, des animaux qui pourraient s'en prendre à la population. Déjà qu'un ours a attaqué Emily il y a quelques semaines, imagine si ça se reproduisait ? J'exprime mes inquiétudes, alors que de la peine traverse le regard du jeune garçon.
- Tu ne comprends pas. Il insiste pendant que je fronce les sourcils.
- Si, je comprends, je ne suis pas stupide … Quoi, c'est pas important pour toi ? Par ce que moi ça m'effraie.
- Si, c'est important mais … Tu t'inquiètes pour rien, c'est pas grand chose …
C'est pas important et c'est pas grand chose à la fois ? J'ai l'impression qu'il m'accuse d'être irrationnelle lorsque c'est lui qui l'est. Je déglutis et récupère mes photos d'un geste brusque.
- Quoi, tu penses que je suis folle c'est ça ? Je lui demande avant de mordre l'intérieur de ma joue. Je déteste ce mot. Le mot folle.
- J'ai jamais dit ça. T'es inquiète, c'est tout. Jared se défend en tentant de prendre ma main, mais je l'en empêche en me redressant.
- C'était une erreur.
Une erreur de l'aimer. Une erreur de le laisser m'approcher. Une erreur de lui montrer cette photo. Une erreur de discuter des heures avec lui et de lui montrer des parcelles si sombres et enfouies pour une bonne raison. La voilà, la colère. La colère et la valse de sentiments des gens qui conservent tout au plus profond d'eux. La colère finit toujours par sortir, encore plus dévastatrice qu'à l'origine. Je me réfugie aux toilettes et observe mon reflet dans la glace. J'ai l'air dévastée. Je crois que j'ai si mal que je suis détachée de mes propres sentiments. Qu'est-ce qu'il va penser de toi maintenant ? Je suis plus seule que jamais, moi, mes pensées, mes inquiétudes. Folle à lier. Et je mourrais ainsi.
*
« Retrouves moi derrière le lycée, au sommet de la colline. Il faut que je te dise quelque chose. »
C'est le message que Jared m'a envoyé. Étrange, d'habitude nous passons de l'autre côté pour faire le chemin du retour ensemble. C'est peut être par rapport à notre altercation de tout à l'heure. Je craignais qu'il ne veuille plus m'adresser la parole. Est-ce qu'il veut m'annoncer qu'il ne veut plus se sentir obligé de rester avec moi ? Ou … Est-ce qu'il va me demander d'être sa petite amie ? Je ne sais que penser. Je pense à toutes les belles choses qu'il m'a dites, à ces moments que nous avons partagés ces derniers jours, à toutes ces paroles que je lui ai confiés comme instinctivement … Mais je ne peux réfuter le fait qu'il ne s'intéresse à moi que depuis moins de deux semaines et qu'une mauvaise réputation gravite autour de sa personne. Depuis qu'il fréquente essentiellement Paul et Sam. Je gravis pourtant la colline, mon sac négligemment tenu sur une épaule. J'ai mal aux doigts tant je les ai rongé en classe cette après-midi. Jared se tient au sommet et me gratifie d'un sourire qui se veut rassurant, en vain.
- Merci d'être venu. Il me remercie en commençant à marcher en direction de la forêt. J'hésite à le suivre et il se tourne vers moi, de sa grande taille.
- Je te promets que t'as pas à t'inquiéter. Tout va bien, tu me fais confiance ? Il m'interroge en me tendant la main. Après quelques secondes de réflexion, la curiosité l'emporte et j'attrape sa main si chaude dans la mienne. Je lui fais confiance.
Et nous nous engouffrons entre les arbres et les buissons. Le chemin est humide, à cause de la pluie de cette nuit. L'odeur qui embaume les lieux est fraîche, c'est le parfum humide du bois et des animaux. Je ne me sens pas particulièrement à mon aise.
- De quoi tu voulais me parler ? Je demande à Jared en espérant que ma voix ne trahisse ni mon inquiétude ni mon excitation à l'idée d'une possible déclaration d'amour.
Soudain, Jared se contente de lâcher ma main et s'éloigne de quelques mètres. Il me jauge du regard et s'éloigne à nouveau, sans me fournir de réponse. Je souffle et croise les bras sur mon buste.
- Quoi, t'as rien à me dire ? Dans ce cas, je peux rentrer chez moi … Je marmonne en faisant quelques pas en arrière avant de lâcher un petit cri de surprise. Jared est en train de retirer son pull.
- Mais qu'est-ce que tu fais ! Rhabilles toi, je sais pas ce que tu t'imaginais mais je vais pas … Je commence avant qu'il ne prenne enfin la parole.
- Bah quoi, je veux juste te rassurer Kim, je sais pas comment te le dire mais …
- T'as cru que j'allais coucher avec toi dans la forêt ?!Mais t'es pas bien ?
- Pas du tout ! Écoute, ces histoires de loups, tu les comprends pas mais …
- Assez, je rentre chez moi ! Je lui crie dessus en le voyant continuer à se déshabiller. Ma main cache ma vision et je fais volte face avant d'entendre un bruit assourdissant qui me fait sursauter.
Un bruit animal. Le bruit lourd de quelque chose qui retombe contre la terre. Je me retourne et une immense créature me fait face. Un loup à la fourrure brune épaisse. Je reconnaîtrais ces yeux entre mille, ce sont ceux de Jared. Ceux du loup sont encerclés par un pelage plus clair autour des yeux, comme un masque. L'animal s'approche et je tremble de tout mon être lorsqu'il s'incline. La peur me tétanise. Un hurlement m'échappe et déchire toutes mes certitudes. Jared vient de se transformer en loup.
Et voilà, Kim sait ! Jared n'a pas été des plus délicats ou subtile. Cette image d'un jeune garçon qui explose en un immense loup et d'une jeune fille qui hurle, au creux de la forêt, ça crée une image assez forte et angoissante à la fois je trouve. Le quiproquo quand il se déshabille rajoute un peu d'humour à mon avis. Kim est vraiment ravagée par ses émotions d'adolescente et prend tout comme une agression. Ce chapitre est un peu court je crois, je veux tellement raconter cette histoire ( pour être honnête j'ai déjà les grandes lignes de trois autres tomes avec au moins 50 chapitres aussi ), donc je vais essayer de tenir ce rythme d'un chapitre par jour maintenant que je suis en vacances. J'écris sans trop réfléchir, cette histoire sera sûrement terminée d'ici août. Dans les bons jours, y aura peut être deux chapitres, peut être un autre d'ici ce soir. J'ai enfin terminé mes examens, je suis trop contente !
Alexise-me : Pour la théorie, la réponse viendra avec le tome sur Embry … Il est certain que Sam est jugé injustement, tout comme Emily. Et en effet, Kim devient de plus en plus libre et se laisse moins influencer par les racontars. Merci pour les encouragements !
