Bonjour,
Merci à vous d'être toujours là !
Voici un chapitre qui me tient particulièrement à cœur. Le ton est moins humoristique que d'habitude, mais j'espère qu'il vous plaira malgré tout.
Bonne lecture.
Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada.
Chapitre 7 : Wonderwall
Pendant ce temps, dans une autre chambre au même étage du même hôtel parisien
Camus sent ses mains qui cherchent à le toucher, ses lèvres qui cherchent à l'effleurer. Et ce corps tout entier qu'il voudrait avoir la force de rejeter, mais qu'il attire contre lui comme pour être certain de ne plus pouvoir fuir. Sa bouche s'approche de la sienne, son souffle s'égare contre sa peau. Et Camus se met à trembler.
L'autre le caresse, lui murmure des mots qu'il ne veut pas entendre. Mais sa voix le transperce et pénètre son âme. Camus se mord les lèvres. Non, il ne peut pas. Ils ne doivent pas. Pas ici. Pas comme ça. Pourtant l'autre le serre plus fort, ses doigts remontent le long de ses flancs et se referment derrière sa nuque. Il l'embrasse.
Camus ne réagit pas. Il ne peut pas réagir. Mais l'autre approfondit son baiser. Il ne sait plus qui il est. Il se perd. Il oublie. Tout. Tout à l'exception de sa bouche. Sa bouche qui le presse et qui s'offre. Alors il cède, et il s'abandonne à celui qu'il n'a jamais pu s'empêcher d'aimer. Celui qui commence à lui faire l'amour tandis qu'il plonge dans l'azur de ses yeux. Les yeux de son meilleur ami.
Les yeux de Milo.
ooOoOoOoo
Camus ouvrit les yeux en cherchant à reprendre son souffle. Il passa une main sur son torse qu'il sentit bouillant sous ses doigts. Son corps entier le brûlait, le consumait à un degré tel qu'il voulut hurler, mais son cri mourut dans sa gorge. Il cligna des paupières et sentit des larmes glisser le long de ses joues. Il ne chercha pas à les effacer : à quoi bon ? Il savait depuis longtemps avoir perdu le contrôle de ses sentiments et de ses désirs. Alors il déplaça ses doigts depuis le haut de sa poitrine jusqu'au bas de ses abdominaux, lentement, pour caresser sa peau. Pour trembler encore un peu.
Toujours le même rêve, toujours la même obsession. Et le brasier, ardent, dans lequel il se perdait chaque jour davantage, parce que jamais il ne pourrait serrer le corps de Milo entre ses bras.
Il se leva et se dirigea vers la salle de bain. Il avait besoin de prendre une douche. Glaciale.
ooOoOoOoo
La salle du petit-déjeuner était déjà assez animée, ce qui signifiait qu'il était affreusement en retard. Camus pesta contre l'origine de son contre-temps et s'approcha du buffet. Il se servit un café. Dans son état, le thé ne lui serait d'aucune utilité. Et il se dirigea vers les tables réparties à l'autre bout du salon.
Milo s'était déjà installé à l'une d'elle, ce qui confirmait qu'il s'était vraiment oublié. Absolument inadmissible.
« Ça va Camus ? Bien dormi ? » s'enquit le Scorpion en appuyant sa question d'un sourire lumineux.
Camus ravala sa salive et s'assit brusquement.
« Ouh là, ça n'a pas l'air ! Toi, t'as encore eu des insomnies !
- Bonjour, Milo ! Non, pas du tout. J'ai passé une très bonne nuit. Mais je constate que je suis en retard, et tu sais ce que je pense du manque de ponctualité.
- Ouais, et tu sais que je m'en fous. Alors respire un bon coup, et profite de ton café. Tiens, t'as pris un café ? remarqua le Grec en haussant un sourcil.
- Oui », répondit simplement le Français, sur un ton plus incisif qu'il ne l'aurait voulu. S'il était évident qu'il ne pouvait pas s'étendre sur la raison ayant motivé le choix de son breuvage matinal, il se devait de retrouver son calme. Il poursuivit donc d'une voix beaucoup plus proche de la neutralité qui le caractérisait.
« Je sais que tu n'es pas du genre à t'offusquer pour un simple retard, mais je te présente mes excuses malgré tout.
- Excuses acceptées.
- Et toi, tu as passé une bonne nuit ?
- Ça peut aller, même si j'ai pas beaucoup dormi.
- Tu m'en vois désolé », déclara le Verseau en replongeant dans son café, pour satisfaire son besoin urgent de caféine, mais aussi pour masquer le pincement de lèvres que la réponse de son ami venait de provoquer. Car il le connaissait assez pour savoir qu'il n'avait probablement pas passé la nuit tout seul.
Camus balaya la pensée parasite qui venait d'envahir son esprit, et reprit son propos comme si de rien n'était.
« Peux-tu me rappeler à quelle heure nous devons nous rendre au salon, s'il te plaît ?
- Ben je sais pas trop… Je crois que l'accueil des visiteurs commence à dix heures. Donc étant donné qu'il est tout juste neuf heures, on pourra sûrement arriver là-bas pour l'ouverture. Ça me permettra d'être le premier sur les bons plans. T'en penses quoi ?
- Entendu. Alors je monte finir de me préparer, affirma le Français en se levant de sa chaise.
- Déjà ? Mais t'as rien avalé ! Camus, il faut manger ! C'est important, le petit-déjeuner.
- Je sais, mais je n'ai pas faim. On se retrouve dans quinze minutes à la réception ?
- Ça marche. Mais y'a pas le feu au lac non plus ! On en a pour à peine une demi-heure de métro, enfin si je me base sur l'itinéraire que tu m'as présenté hier.
- C'est juste. Alors disons rendez-vous dans vingt minutes. Ça me laissera le temps de regarder les infos.
- Ben voilà ! Et moi j'en profiterai pour regarder… ben je sais pas. Les dessins animés ? Parce qu'à part les programmes pour gamins, je vois pas ce que je pourrais piger à la télé dans ta langue compliquée.
- Tu te sous-estimes, Milo. Et quoi qu'il en soit, je ne suis pas convaincu que ce type de programmes soit adapté pour un bon apprentissage. J'ai entendu dire que certaines émissions pour enfants présentaient des contenus abrutissants et violents (ndla : oui… avec de vilains animés japonais, plein de sang et de larmes, et de beaux chevaliers avec de longues chevelures colorées. Pardon, je m'égare là).
- Ah mince. Ben tant pis. Je m'occuperai en lisant le journal. J'aime bien celui que tu m'as montré hier à la gare. Tu sais : l'é-qui-peuh.
- Oui, ce sera déjà un bon début. A tout de suite Milo ! » conclut le Verseau en quittant la table sans se retourner.
Oui, ce matin, Camus n'avait pas faim. Mais tandis qu'il s'engageait dans les escaliers pour regagner la chambre où il avait passé une nuit agitée, il ne put s'empêcher de penser au sourire de Milo. Car même s'il en crevait de l'intérieur, il ne pouvait nier être heureux de partager à nouveau du temps avec lui. Alors il se surprit à promettre de tout faire pour tenter d'arranger les choses entre eux, quitte à accepter de suivre son ami partout où il le voudrait.
Dans une discothèque du deuxième arrondissement, le soir-même
Le dos appuyé contre le bar, Camus se tenait droit, une vodka orange serrée entre les doigts. Il trempa ses lèvres dans l'alcool amer et froid et cligna des paupières. Milo dansait au milieu de la piste et attirait à lui toutes sortes de regards, de toutes sortes de personnes. Le Grec avait essayé de le convaincre de l'accompagner, mais le Français avait émis un refus catégorique. Il n'avait pas encore ingurgité suffisamment d'alcool pour se soumettre à ce genre d'exercices.
Le Verseau s'accorda une nouvelle gorgée de vodka, et comme il la sentait couler dans sa gorge, il repensa à la journée qu'ils avaient partagée. Milo semblait satisfait de ce qu'il avait vu et des achats qu'il avait faits, et avait quitté le salon sans le moindre regret.
Au moment de prendre le métro pour retourner à leur hôtel, le Scorpion avait clairement fait comprendre par une grimace digne d'un gosse de tout juste huit ans que c'était une option qui ne lui convenait pas. Hors de question pour lui de remettre un orteil dans cette boîte de sardines qu'il avait trouvée beaucoup trop étriquée pour sa carrure imposante. Un rapide coup d'œil à la file d'attente des taxis les avait ensuite incités à opter pour un trajet à pieds. Après tout ils n'en avaient que pour une petite heure de marche, voire moins s'ils accéléraient le pas. Enfin dans la limite de l'acceptable, puisqu'ils étaient tout de même ici incognito. Et peu après leur départ, des trombes d'eau s'étaient abattues sur eux. Les a priori sur la météo parisienne n'étaient donc pas toujours complètement surfaits.
Ils avaient donc poursuivi leur périple sous l'averse, sans se soucier de l'eau qui imprégnait leurs vêtements et leurs cheveux. Après un quart d'heure sans parler, Milo avait fini par rompre ce silence qui s'acharnait décidément entre eux, pour dire combien il aimait marcher sous la pluie. Il avait alors poursuivi son propos en expliquant que s'il appréciait à ce point ce genre de circonstances, c'était parce que cela lui rappelait ce jour où gamins, ils avaient échappé à la surveillance de leurs maîtres respectifs pour partir explorer les environs du Sanctuaire tous les deux. Il s'était mis à pleuvoir des cordes et ils étaient revenus trempés jusqu'aux os, ce qui leur avait valu de se faire pincer et de recevoir une bonne correction par Saga. Un Saga qui portait toutefois encore les cheveux bleus, heureusement pour eux.
Camus n'avait lui aussi jamais pu effacer ce souvenir de sa mémoire, puisque c'était ce jour-là qu'il avait compris qu'il était amoureux.
« Ça va, tu t'ennuies pas trop à picoler tout seul ? »
La voix du Scorpion fit tressaillir le Verseau qui, perdu dans ses pensées, ne l'avait pas vu quitter la piste. Mais il n'en montra rien, et répondit à son ami de sa voix grave et toujours impassible.
« Non, j'observe. Je ne suis que rarement venu dans un lieu comme celui-ci, alors je me nourris de ce que je vois.
- Ah ouais, t'étudies quoi !
- En quelque sorte.
- Ben te torture pas trop les neurones non plus. On n'est pas vraiment là pour ça !
- Certes, approuva l'analyste consciencieux.
- Bon et justement, tu reprends une vodka ? Moi j'ai besoin d'un autre verre. Tout ça m'a donné soif !
- Je le conçois. La danse me semble être une activité physique particulièrement éprouvante.
- C'est clair ! Bon mais tu veux boire un coup, oui ou non ?
- Volontiers, concéda le Français en terminant son verre.
- Toujours une vodka orange ?
- Oui. Merci, Milo.
- De rien. Mais attention : la prochaine, c'est pour toi ! Je compte pas te rincer la tronche toute la soirée non plus. »
Camus accorda un sourire contenu à son ami pour cette répartie qu'il jugea légitime, et tendit le bras pour saisir la vodka qu'il venait de commander. Le service était rapide dans cet établissement, ou alors c'est que le barman avait le Scorpion à la bonne. Ce dernier leva son verre, un rhum coca – il avait horreur de l'alcool de pomme de terre – et délivra un clin d'œil au Français.
« Ah y'a pas à dire, ça fait quand même du bien ! s'exclama le Grec en reposant le rhum dont il venait de réduire de moitié la contenance. Et toi ça va ? Tu apprécies ta vodka ? Tu la trouves à ton goût ou tu préfères celle de ta chère Sibérie ?
- La flaveur n'est pas exceptionnelle, mais je m'en contenterai. Et puis je suis de toute façon loin d'être un expert. Je ne bois que rarement de l'alcool lorsque je suis chez moi.
- Ben oui, chez toi… reprit Milo d'un air évasif, avant de continuer sur un ton beaucoup plus enthousiaste. Mais je comprends : le boulot avant tout ! Je te reconnais bien là, tiens. Et en parlant de boulot… Je dois dire que je suis plutôt satisfait des achats qu'on a effectués aujourd'hui. Je vais tout déchirer cet été avec le matos qu'on a commandé !
- Tant mieux.
- D'ailleurs, tu viendras ?
- Où ça ?
- A mon premier karaoké !
- Pour quoi faire ?
- Devine ? Pour faire des claquettes, pardi ! s'exclama le Scorpion que le haussement de sourcils du Verseau incita à poursuivre. Ben non évidemment… Pour chanter !
- Hors de question, Milo ! rétorqua le chevalier des Glaces sur un ton tout à fait caractéristique des combattants de son ordre.
- Pourquoi ? Je suis certain que tu ferais un malheur avec ta voix de crooner.
- Ma voix de quoi ?! faillit s'étouffer le supposé charmeur. Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu dis n'importe quoi !
- Non, Camus. Je sais que tu as un très joli organe, renchérit le têtu. Tu ne le mets pas suffisamment en valeur, voilà tout.
- Ah oui ? Alors j'aimerais bien savoir à quelle occasion tu as pu juger de la qualité de mon organe, comme tu dis.
- Huit novembre mille neuf cent quatre-vingt-quatre. Pour mes dix-huit ans. T'avais un peu trop abusé de ta vodka sibérienne, justement. Tu t'en rappelles pas ?
- Absolument pas, nia honteusement le chanteur démasqué.
- Menteur ! s'insurgea le Scorpion. J'étais là, et moi j'ai pas oublié… J'ai jamais rien oublié, Camus. Mais c'est pas grave, poursuivit Milo avant qu'un silence gênant ne s'installât entre eux. T'en fais pas, tu viendras chanter si tu veux, et si t'en as envie ! De toute façon, ça risque de pas casser trois pattes à un canard. Sans vouloir blesser ton disciple.
- Pourquoi dis-tu cela ? s'étonna le Onzième gardien sans relever le caractère douteux du jeu de mots qui venait d'associer l'anatomie d'un palmipède à son élève bien-aimé.
- Ben j'ai jamais animé de karaoké, et je suis pas sûr que je sois vraiment doué pour ça. D'ailleurs, j'ai parfois l'impression que personne n'apprécie la qualité de mon travail au Zodiaque.
- Encore une fois, tu te sous-estimes. Tu fais un travail plus qu'acceptable, sois-en convaincu, affirma le Verseau sur un ton qu'il voulait réconfortant mais qui ne l'était pas.
- Merci, Camus. C'est gentil, reconnut malgré tout le DJ en détresse.
- De rien, Milo. »
Camus s'accorda un instant pour profiter du sourire que son ami lui adressait avant de porter son verre à sa bouche. La mention de cet épisode lointain au cours duquel il s'était laissé aller à pousser la chansonnette lui avait donné soif, et il termina son verre. Il proposa alors à Milo de passer une nouvelle commande, puisque ce dernier venait d'absorber la dernière goutte de son rhum coca.
Les deux chevaliers se concentrèrent ensuite sur leurs boissons respectives et un silence relatif s'étira entre eux. Relatif car ils se trouvaient tout de même dans une discothèque entièrement soumise aux rythmes effrénés de l'Eurodance. D'ailleurs Camus devait reconnaître qu'il restait profondément perplexe lorsqu'il prenait le temps d'écouter les paroles de certaines de ces chansons.
« Camus, je peux te poser une question ? finit par déclarer le Scorpion.
- Bien entendu, se contenta de répondre le Verseau.
- T'as vraiment oublié lorsque t'avais chanté Joyeux Anniversaire en français pour moi, le jour de mes dix-huit ans ?
- Non, avoua simplement le concerné.
- OK. Tant mieux. »
Milo observa alors le verre qu'il tenait dans sa main, puis releva les yeux vers son ami pour poursuivre son propos avant qu'il ne changeât d'avis.
« Et tant qu'on en est à se remémorer de vieux souvenirs… Est-ce qu'on pourrait parler de ce qu'il s'est passé le jour de ta mort ? La première. Et de ce qu'il s'est passé ensuite. »
Voilà. Ils en était donc finalement arrivés là.
« De quoi voudrais-tu parler exactement ? s'enquit le Onzième gardien d'une voix assurée qui ne reflétait en rien le sentiment douloureux qu'il sentait remonter le long de sa colonne.
- Pourquoi t'es parti comme ça ?
- C'est-à-dire ?
- Pourquoi t'as laissé Hyoga remporter le combat sans même essayer de lutter ?
- Tu te trompes, Milo ! s'exclama Camus en resserrant ses doigts autour de son verre. Mon disciple a simplement été le plus fort ce jour-là, parce que sa cause était juste et qu'il a su atteindre le Septième sens pour venir à bout de moi.
- Arrête tes salades ! Je suis convaincu que tu t'es sacrifié dans le seul but d'achever son enseignement que t'avais pas eu le temps de terminer.
- Et quand bien même, Milo, cela ne te regarde pas ! Hyoga était mon élève, il était sous ma responsabilité ! Je ne pouvais pas lui permettre de continuer sa quête sans lui avoir appris tout ce que je savais. Je l'aurais envoyé à la mort, et une telle chose était pour moi inacceptable. Pas après avoir perdu Isaak.
- Évidemment que tu pouvais pas laisser Hyoga traverser ton temple sans rien faire ! Mais pourquoi tu m'as rien dit ? Et pourquoi t'as pas cherché un autre moyen ? Bordel, t'avais pas besoin de crever pour ça !
- Ma mort était à mes yeux inéluctable. Il n'y avait pas d'autres alternatives.
- Conneries ! Bien sûr qu'il y en avait ! Si tu m'en avais parlé, on aurait trouvé une solution. Tous les deux.
- Non, je ne crois pas.
- Nous y voilà, Camus. Est-ce que tu vas enfin avoir le courage d'exprimer le fond de ta pensée ?!
- De quoi parles-tu, Milo ?
- Tu m'as jamais cru capable de te comprendre. De comprendre ce qu'était devenue ta vie depuis que t'avais commencé l'enseignement de tes disciples. Parce que t'as jamais eu confiance en moi, et que finalement, j'ai jamais réellement eu d'importance dans ton univers. Et c'est d'ailleurs pour ça que tu m'as abandonné ce jour-là : parce que je n'étais rien pour toi !
- Comment oses-tu prononcer ces mots ?!
- Pourquoi, ils te choquent ? T'acceptes pas de les entendre parce qu'ils te mettent face à la réalité ?! La réalité de ce que j'ai toujours représenté pour toi : un gamin un peu idiot qui te permettait de te changer les idées en réchauffant ton foutu cœur de glace !
- Milo, ça suffit ! Tu dis n'importe quoi !
- Alors prouve-moi le contraire, Camus ! Dis-moi ce que je représente pour toi ! Je veux l'entendre de ta bouche !
- Je ne peux pas, concéda le Verseau en commençant à trembler.
- Parce que tu sais que j'ai raison ! Camus, regarde-moi : si tu me parles pas aujourd'hui, je changerai pas d'avis, et on en restera là. C'est vraiment ce que tu veux ?
- Ce que je veux ne compte pas.
- Et ce que je veux moi ? Camus, est-ce que ça t'intéresse ? Est-ce que ça t'a jamais intéressé ?
- Arrête, Milo, ça suffit !
- Oui, nous sommes bien d'accord tous les deux pour une fois : ça suffit ! »
Et Milo porta son verre à sa bouche pour le boire d'une seule traite avant de partir sans se retourner.
Camus ne réagit pas, se contentant de regarder Milo s'éloigner de lui. Encore une fois, il avait tout gâché. Milo lui avait donné sa chance et il n'avait pas su la saisir. Mais comment aurait-il pu ?
Le Français baissa les yeux sur sa vodka qu'il trouva glacée entre ses doigts. Il reposa son verre sur le comptoir et s'en commanda deux autres.
ooOoOoOoo
Milo s'appuya contre le rebord du lavabo et regarda son reflet dans le miroir crasseux qui lui faisait face. Pourquoi Camus s'obstinait-il à vouloir garder le silence ? Pourquoi n'était-il pas capable de lui donner la moindre explication ? Milo ne demandait pas grand-chose. Il voulait juste comprendre. Juste savoir. Savoir s'il s'était toujours bercé d'illusions quant à la nature de leur amitié et à ce qu'elle représentait pour eux. Pour lui.
Milo lui avait laissé la parole. Il lui avait donné l'occasion de dire sa vérité, et Camus l'avait balayée d'une réplique glaciale dont il avait le secret. Je ne peux pas. Foutaise ! On pouvait toujours. Tout était question de volonté. Et d'envie.
En quittant les toilettes, Milo tomba sur l'une des jeunes femmes avec qui il avait dansé un instant auparavant. Il lui proposa d'aller discuter, elle accepta avec un sourire, et ils se dirigèrent vers une banquette isolée pour obtenir un peu de tranquillité. Son inconnue était très belle, et elle le jugeait visiblement à son goût elle aussi. Milo ne tarda pas à plonger ses lèvres dans son cou, pour oublier et essayer de combler le vide. Le vide que l'absence de Camus avait créé.
Camus qu'il venait pourtant d'abandonner, après lui avoir déversé une partie de sa colère sans même chercher à savoir s'il en avait été blessé.
Camus qui accepterait peut-être encore de lui parler s'il essayait de l'approcher à nouveau.
Alors Milo salua la jeune femme qu'il avait abordée pour les mauvaises raisons, et regagna le bar qui avait été le théâtre de leur dernière dispute.
En arrivant sur les lieux, il fut soulagé de constater que Camus était toujours là. Il buvait une vodka, et étant donné le nombre de verres vides qui s'étalaient devant lui, il ne s'était pas contenté d'une seule. Son ami tenait son verre entre ses doigts, et de là où il se trouvait, Milo pouvait distinguer la glace se former contre la paroi. Le Scorpion sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Camus semblait si triste. A cet instant, et peut-être pour la première fois de sa vie, Milo put lire la détresse de du Verseau et celle-ci lui déchira les entrailles. Mais malgré la peine, profonde, qui s'affichait sur ses traits, Milo ne put s'empêcher de trouver Camus incroyablement beau.
Alors il s'approcha de lui, et au lieu de lui parler, il le tira par le bras pour l'entraîner sur la piste de danse. Il fut d'abord surpris de sa réaction, car Camus ne le rejeta pas. Puis ils se plantèrent tous les deux parmi les danseurs, et les yeux rivés l'un à l'autre, ils commencèrent à bouger.
Ils ne se souciaient pas de la musique ni des inconnus qui s'agitaient autour d'eux. Ils se contentaient de danser sans prononcer un mot. Milo acceptait de se taire parce qu'il venait de comprendre qu'il en avait trop dit. Il avait été égoïste en essayant d'imposer ses sentiments à son meilleur ami sans lui laisser une réelle chance de pouvoir s'expliquer. Il n'avait fait que donner libre cours à sa colère et à sa propre douleur, sans s'inquiéter des conséquences que ses paroles exerceraient sur lui. Car Camus n'était pas le monstre insensible que certains au Sanctuaire voyaient en lui. Et cela, Milo en avait la certitude parce que malgré tout le monceau d'horreurs qu'il venait de lui jeter au visage, il connaissait son ami. Il le connaissait et il tenait à lui. Infiniment.
Milo s'approcha de Camus et serra son corps contre le sien. Il l'enveloppa de son cosmos qu'il déploya à peine, juste suffisamment pour le recouvrir d'un voile tiède et doux. Il voulait le réconforter comme il le faisait parfois lorsqu'ils étaient gamins, et que Camus lui permettait de le toucher. Il plaqua sa main dans son dos, mais au lieu de la laisser là, il la fit descendre le long de sa colonne et l'arrêta sur son bassin. Il le serra plus fort et ils continuèrent à danser.
Le Verseau se sentait bien comme ça, entre les bras du Scorpion. Son cosmos l'apaisait, le rassurait. Il se sentait à l'abri. Il se sentait vivant. Et même s'il ne pouvait plus voir ses yeux, parce que Milo venait de poser sa tête contre son épaule, il s'accrochait au souffle que ce dernier perdait dans le creux de son cou.
Des sensations familières commencèrent alors à animer son corps, et les images de son rêve lui revinrent à l'esprit. Combien il pouvait désirer cet homme, qui imprégnait sa marque au plus profond de son âme et de son être. Combien il aurait voulu s'abandonner à lui, lui céder tout ce qu'il était, s'il le lui avait permis. Et à cet instant, Camus ne pensa plus qu'à une seule chose : les lèvres de Milo parcourant sa peau pour venir emprisonner sa bouche.
Sauf que Milo ne le désirait pas. S'il le serrait de cette manière contre lui, ce n'était que par pitié. Parce qu'il avait perçu la peine dans laquelle ses mots l'avaient plongé, et qu'il ne pouvait pas accepter de l'y abandonner. Parce que Milo était son ami, et qu'il le resterait en dépit de ce qu'ils avaient traversé et malgré les silences que le Verseau leur imposait.
Alors Camus cessa de bouger et s'écarta brusquement de lui. Milo le regarda sans comprendre et tendit son bras pour le toucher. Mais Camus le lui saisit et cria pour lui permettre d'entendre le son de sa voix malgré la musique qui hurlait autour d'eux.
« Je suis fatigué. Est-ce qu'on pourrait rentrer, s'il te plaît ? »
Milo acquiesça sans un mot, et ils quittèrent ensemble la discothèque. Une fois sur le trottoir, ils marchèrent quelques pas avant d'appeler un taxi. A cette heure-ci de la nuit, il n'était ni trop tard ni trop tôt pour devoir attendre plus de cinq minutes avant de voir une voiture s'arrêter. Ils montèrent dans le premier véhicule qui stoppa devant eux, et Milo indiqua l'adresse de leur hôtel au chauffeur.
Ils restèrent silencieux pendant toute la durée de la course, et n'ouvrirent la bouche que pour demander leurs clefs à la réception. Une fois dans l'ascenseur, ils ne prononcèrent toujours pas le moindre mot, mais leurs regards demeurèrent ancrés l'un à l'autre. Finalement cette nuit, ils avaient peut-être réussi à sauver leur amitié.
Arrivés dans le couloir les menant à leurs chambres, ils marchèrent lentement côte à côte et leurs doigts s'effleurèrent. Camus se figea devant sa porte et se tourna vers Milo. Il voulut ouvrir la bouche pour lui demander pardon, parce que pour la première fois de sa vie, il s'en sentait capable, mais Milo lui coupa la parole pour l'embrasser.
Camus resta d'abord sans bouger, les bras tendus le long du corps et les yeux ouverts pour regarder Milo qui lui, avait les yeux fermés. Ses lèvres restèrent closes parce qu'il ne pouvait pas croire que ce qu'il vivait était réel. Mais lorsqu'il sentit la langue de Milo caresser sa bouche, il répondit à son baiser, d'abord timidement puis d'une manière plus sensuelle. Leurs langues se trouvèrent alors pour s'enrouler l'une autour de l'autre avec empressement et envie, comme s'ils avaient toujours su que ce moment finirait par arriver. Puis Milo reprit son souffle, rompit leur étreinte et recula d'un pas. Il sourit à Camus et continua dans le couloir pour rejoindre sa chambre. Camus se retourna en silence, enfonça sa clef dans la serrure et l'ouvrit. Il pénétra dans la pièce et referma la porte derrière lui.
Le lendemain en début d'après-midi, Gare Montparnasse
Il n'y avait pas foule sur le quai. Camus était en avance, et il cala son dos contre un pilier pour patienter. Milo serait bientôt là. Ils s'étaient donné rendez-vous un quart d'heure avant le départ de leur train, ce qui lui laissait vingt minutes à attendre, selon l'horloge qui trônait à l'entrée du hall de gare.
Camus croisa les bras sur sa poitrine et ferma les yeux. Le mal de tête qui l'avait assailli dès son réveil avait heureusement disparu grâce aux deux aspirines qu'il s'était octroyées, mais il n'avait pas les idées claires pour autant. Les souvenirs de leur soirée se bousculaient dans sa tête, et il était incapable de raisonner avec lucidité. Leur ballade sous la pluie. Le sourire de Milo. La discothèque. L'alcool. Beaucoup trop d'alcool. Leur dispute. Les mots. Douloureux. Atroces. La piste de danse. Lui, entre ses bras. Son souffle contre son cou. Leurs doigts si proches. Et son baiser.
En ouvrant les yeux ce matin, Camus avait d'abord cru à un rêve. Encore un. Puis il avait effleuré ses lèvres de ses doigts et il s'était souvenu. Ce baiser était réel. Il pouvait encore sentir la bouche de Milo contre la sienne.
Qu'allaient-ils se dire ? Comment réagiraient-ils ? Seraient-ils différents ? Autant de questions qui s'étaient avérées inutiles, puisque lorsqu'il avait rejoint Milo pour le petit-déjeuner, celui-ci l'avait accueilli comme si de rien n'était. Alors Camus en avait conclu qu'il ne s'était rien passé. Ce baiser ne signifiait rien puisque Milo semblait l'avoir déjà oublié.
Les raisons de ce trou noir pouvaient être multiples. L'alcool. Les regrets. La honte. Mais quelle importance ? Le résultat restait le même : ce baiser n'avait jamais existé. Et Camus avait fini par se convaincre qu'il en était beaucoup mieux ainsi.
A la fin de leur petit-déjeuner, le Scorpion avait annoncé vouloir se rendre chez un disquaire réputé dont il avait noté le nom. Il avait besoin de renflouer son stock de CD et de vinyles, et les trois heures qu'ils avaient devant eux avant le départ de leur train lui laissaient tout le temps nécessaire pour ça. Camus en avait alors profité pour traîner dans plusieurs librairies, et renflouer ses stocks à lui.
Et tandis qu'il marchait entre les allées chargées de nouvelles et de romans, il ne pensait à rien d'autre qu'à leur baiser. A combien il avait été heureux pendant ce court instant. A combien il s'était senti vivant. Mais il ne pouvait aussi s'empêcher de chercher à comprendre. Pourquoi Milo l'avait-il embrassé ? Était-ce par pitié ? Par curiosité ? Par désir ? Par… amour ? Cette question l'obsédait et finirait par le rendre fou s'il ne parvenait pas à obtenir un semblant de réponse.
« Je suis pas en retard, si ? »
Décidément, le Verseau devrait remédier à cette nouvelle habitude de se laisser surprendre.
« Non, Milo. Pile à l'heure ! répondit Camus en s'écartant de son pilier. Tu as trouvé ce que tu cherchais ?
- Oui, au-delà de toutes mes espérances !
- Tant mieux.
- Et toi ?
- Non, pas vraiment. Mais j'ai quand même acheté deux romans qui devraient me faire passer de bons moments.
- Je vois. Si t'aimes, tu pourras m'en passer un ? J'ai plus rien à bouquiner depuis des lustres.
- Très volontiers.
- Bon, on monte ? Je sais pas toi, mais moi je suis HS. Je vais tomber comme une masse dès les premiers tours de roues.
- Moi aussi je suis fatigué, mais j'aimerais tout de même pouvoir lire un peu.
- Quel courage ! Je sais pas comment tu fais.
- Question d'habitude.
- Sans doute. Bon allez, en voiture ! »
Une fois confortablement installé dans les banquettes de la première classe – Saori Kido était une réincarnation aimante et généreuse – Milo s'enfonça contre le dossier de son siège et ferma les yeux. Peu après le départ, il les rouvrit pour observer Camus qui était assis en face de lui. Son ami s'était déjà plongé dans son premier ouvrage et lisait paisiblement. Le Scorpion déploya brièvement son cosmos pour venir effleurer celui du Verseau. Ce qu'il put y lire le rassura, car à cet instant, Camus se sentait bien. Alors Milo rabaissa ses paupières, puis sombra dans le sommeil. Mais il garda sa dernière pensée pour le nouveau souvenir qu'il partageait avec son meilleur ami.
Celui de leur baiser.
A suivre…
Merci pour votre lecture.
Référence pour le titre du chapitre 7 : Wonderwall, Oasis, 1995. Et si vous jetez un œil aux paroles, vous comprendrez pourquoi cette chanson convient si bien à Camus, et à Milo aussi d'ailleurs (enfin c'est mon avis en tout cas).
Note : Alaiya, si tu passes par ici, tu reconnaîtras ta patte pour l'emploi du présent. C'est quelque chose que j'ai toujours beaucoup apprécié dans tes écrits, alors voilà.
