Bonjour,

Comme toujours, merci à vous pour vos lectures, vos reviews et votre patience. Voici le chapitre 12 du Zodiaque. Bonne lecture.

Céline : encore merci à toi pour ta lecture et pour ton commentaire. Comme je te l'avais dit en répondant dans le fil des reviews, la suite de mon histoire sera publiée ici et seulement ici (au moins pour l'instant). J'espère que ce que tu pourras y lire te plaira.


Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, mais le reste n'est malheureusement que de moi.


Chapitre 12 : Freed From Desire

Bar du Zodiaque, le même soir, aux environs de 23h30 (cette fois-ci, c'est beaucoup moins précis)

Aphrodite des Poissons observait les attitudes de ses congénères avec curiosité et tendresse, deux sentiments qu'il savait exacerbés par l'alcool et l'amertume de son cocktail. Il fit tourner son verre entre ses doigts, puis le porta lentement à ses lèvres tandis que les dernières notes de Nothing Else Matters se répandaient sur la terrasse. Il observa Marine et Aiolia quitter la piste de danse les doigts entrelacés et visiblement très amoureux, et reporta ensuite son attention sur Milo.

Le DJ semblait assez satisfait de l'effet exercé par ce morceau tant sur son ami le Lion et sa charmante fiancée que sur la jeune femme qui venait d'enrouler ses bras autour de son cou. Ce soir, le Grec allait probablement encore allonger la liste de ses conquêtes. Si le Suédois n'avait pas été convaincu de bénéficier d'un pouvoir de séduction largement supérieur, les succès du Scorpion auraient pu éveiller chez lui une très légère pointe de jalousie. Mais la perfection ne pouvait souffrir d'aucune forme de vilénie, alors Aphrodite ne pouvait se rabaisser à se sentir jaloux.

Et puis l'attitude de Milo semblait déjà perturber certains plus que de raison. Ou en tout cas, la raison d'un chevalier en particulier commençait à en être suffisamment affectée pour ne pas échapper à la perception avisée du Poissons.

Aphrodite cligna des paupières et projeta son aura vers celle de Camus qui ne réagit même pas à l'intrusion. Soit la consommation d'alcool du Français avait déjà dépassé une limite qui échappait à son habituel niveau de maîtrise, soit la détresse de ce dernier lui faisait assez baisser sa garde pour qu'il omît de verrouiller ses pensées. Car ce fut bien de la détresse qu'Aphrodite parvint à détecter lorsqu'il sonda l'esprit de son impassible voisin. Oui, à cet instant, Camus était malheureux et Aphrodite n'avait aucun mal à deviner pourquoi.

Ce constat conduisit le Poissons à détourner les yeux vers Shura qu'il savait rongé par le même genre de sentiments. Car si Aphrodite venait seulement de comprendre que Camus était amoureux, cela faisait des années qu'il savait ce que le Capricorne éprouvait pour leur ami le Cancer. Il l'avait compris cette nuit-là, en lisant la souffrance dans le regard de Shura lorsqu'il avait vu Angelo revêtir son Surplis. Shura en était fou amoureux. Raide dingue. Complètement accro. Oui, il avait Angelo dans la peau, et s'ils n'avaient pas été tous les deux ses meilleurs amis, une telle situation l'aurait probablement beaucoup fait rigoler. Sauf que… ben non. Alors même s'il avait pris conscience de tout cela depuis longtemps, Aphrodite faisait comme si de rien n'était. Parce qu'il avait la certitude que c'était ce que Shura voulait. Faire comme s'il ne ressentait rien et comme si rien n'avait changé. Alors que tout était forcément différent.

« Tu sembles bien préoccupé, chevalier des Poissons ! »

Aphrodite releva ses paupières vers le regard méditerranéen qui le sondait avec insistance et sourit à celui qui venait de le prendre en flagrant délit de compassion amoureuse.

« Misty ! Tu tombes à pic ! Je crois que j'ai besoin de quelqu'un pour m'accompagner : je n'ai plus aucune goutte d'alcool pour étancher ma soif.

- Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? C'est ma tournée ! Je serais prêt à tout pour voir disparaître ce petit air triste de ta bouche.

- Merci pour ta sollicitude, mais ce n'est en aucun cas de la tristesse que tu peux lire sur mes superbes lèvres. Simplement la déception d'avoir terminé mon verre avant que quelqu'un ne me propose de le remplir à nouveau. Déception que tu viens toutefois d'effacer à l'instant.

- Tu m'en vois ravi ! Mais tu ne m'as pas répondu : que voudrais-tu pour te satisfaire ?

- Si peu et tellement à la fois ! Mais ceci n'est probablement ni l'heure ni l'endroit. Et puis finalement, je crois que je viens d'avoir une idée.

- Ah oui ? Laquelle ? susurra le Français à l'oreille du Suédois.

- Je pense qu'il est temps pour la plupart d'entre nous de déserter les lieux pour investir un territoire plus discret et plus sauvage. Je propose de terminer la soirée sur la plage ! »

A ces mots, Aphrodite se leva de sa chaise pour s'adresser à ceux qu'il jugeait dignes de les accompagner, en portant son dévolu en priorité sur Camus et Shura. Parce qu'il était effectivement le moment pour ces deux-là de s'éloigner de l'objet de leur supplice respectif. Surtout qu'il venait de voir Angelo égarer ses doigts sur la cuisse de l'une de ses sublimes compatriotes.

oOOoOOo

En voyant ses derniers compagnons de boisson s'éloigner discrètement – Angelo l'ayant définitivement abandonné au profit de l'une des jeunes femmes qu'il tentait de séduire dans un gloubi-boulga linguistique anglo-scandinavo-tant-pis-je-parle-avec-les-mains – Kanon des Gémeaux commença à suspecter l'émergence d'une entourloupe. Il décida donc de rattraper le jeune Seiya de Pégase qui trottait vers la sortie du bar en compagnie de Shun, June et Geist, afin de glaner un complément d'informations.

« Eh, gamin ! Vous êtes partis où, comme ça ?

- Sur la plage. Aphrodite a proposé de terminer la soirée là-bas. Tu veux te joindre à nous ?

- Ben ça dépend. Vous avez pris des munitions ?

- Plaît-il ? s'étonna le Bronze dévoué qui ne voyait pas à quoi pourraient leur servir de tels artifices.

- Ben d'la bibine ! Non, parce qu'il est même pas encore minuit, alors faudrait pas que nos gosiers s'assèchent !

- Je crois que Misty et Aphrodite ont réussi à soutirer quelques packs de bières à Dohko avant de quitter la terrasse.

- Ah ben on va pas aller loin avec ça ! »

Kanon amorça un subit changement de trajectoire pour s'arrêter par le comptoir et héler Dohko afin qu'il lui cédât deux bouteilles. Bouteilles qu'il demanda à la Balance d'ajouter à son ardoise personnelle. Ardoise qu'il n'avait toutefois aucunement l'intention de rembourser. Mince, sa bien-aimée Déesse lui devait bien ça après tout. Et ainsi rassuré sur le fait qu'il ne crèverait pas de soif, le Gémeaux entreprit de rejoindre ses congénères en courant très légèrement de travers.

En chemin, il souhaita un « bonne nuit » mental à son jumeau, qui lui répondit en le priant de ne pas faire de bruit lorsqu'il viendrait se coucher, car le lendemain, il avait un rendez-vous important. Ce à quoi le plus jeune rétorqua un « t'inquiète pas frérot, je serai discret comme une plume virevoltant sous le vent », ce que le plus vieux cautionna sans trop y croire non plus.

A l'orée de la terrasse, Kanon dépassa Hyoga et Camus qui semblaient en grande discussion. Le Russo-Japonais tentait visiblement de convaincre son vénéré professeur de les accompagner sur la plage en usant d'arguments qui parurent assez singuliers à l'ancien Dragon, puisque ceux-ci impliquaient une histoire de chansons entonnées autour d'un feu de camp. En entendant le « spasiba » précédé d'un « youpi » triomphal, Kanon déduisit que le mini-freeze avait finalement réussi à convaincre le grand maître esquimau.

Arrivé sur le sable, le gardien du Troisième s'incrusta d'autorité entre ses homologues du Douzième et du Dixième. En observant le glaçon du Onzième prodiguer des consignes au Cygne (ndla : attention à la contrepèterie) pour allumer un feu – ce qui semblait somme toute assez paradoxal – Kanon se fit la réflexion qu'il était l'unique représentant des maisons zodiacales d'indice inférieur à dix. Réflexion qui l'incita à conclure qu'il avait urgemment besoin de boire un coup.

Dans un élan de galanterie qui lui était assez inhabituel eu égard à l'heure tardive, le Gémeaux proposa à June et Geist de goûter à l'un de ses breuvages. Mais lorsqu'il vit sa bouteille de whisky partir dans les pattes de Pégase, il regretta aussitôt son excès de générosité. Heureusement qu'il s'était gardé la meilleure rien que pour lui. Parce que le petit rhum arrangé de Dohko, il était pour bibi.

Les discussions s'orientèrent bientôt vers les deux matchs de football disputés quelques heures plus tôt, ce qui poussa Kanon à doubler les rations de son rhum. Il était toujours hanté par le regard de la Wyverne dont l'éclat doré tournait en boucle dans son esprit fatigué. Et encore, s'il n'y avait eu que ses yeux, il aurait pu gérer. Mais il y avait aussi ses mains, ses lèvres, son torse, et ses abdominaux. Par Athéna, pourquoi Rhadamanthe, en plus d'avoir ce regard torrido-démoniaque devait-il avoir en sus une musculature de Dieu grec ?!

En sentant une chaleur honteusement délicieuse se propager dans le bas de son dos, Kanon décida de reporter son attention sur ses congénères zodiacaux. Après tout, il était aussi un peu là pour ça.

Misty et Aphrodite semblaient s'entendre à merveille, ce qui au final ne l'étonnait pas du tout. Shun et June papotaient comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis des lustres, ce qui devait probablement être le cas. Shura ne parlait à personne et squattait la bouteille de bourbon qui avait fini par arriver entre ses doigts. Hyoga tentait d'éveiller l'entrain de son maître bien-aimé qui ce soir donnait l'impression d'être particulièrement bougon. Et Seiya ruminait toujours sa défaite, ce qui semblait beaucoup amuser Geist.

En considérant celle qui lui avait été désignée comme nouvelle subalterne, Kanon se dit que Saga avait été plutôt bien avisé pour une fois. La jeune femme était tout à fait à son goût, et paraissait d'une compagnie des plus agréables. Mais… elle n'avait pas des muscles en acier ni un regard à vous donner envie de brûler en Enfer jusqu'à la fin des temps. Et merde ! Fichue Wyverne à la plastique scandaleusement tentatrice !

L'ancien Marina se mordit l'intérieur des joues en pestant contre lui-même et contre sa nouvelle obsession. Il devait trouver quelque chose pour se distraire. Une réflexion philosophique, un calcul ésotérique. Une idée à la noix. Un truc, n'importe quoi. Il songea un instant engager la conversation avec Shura, mais le coup d'œil incendiaire que ce dernier lui jeta lorsqu'il fit mine de vouloir lui reprendre sa bouteille l'en dissuada. Et c'est alors que le Grec se mit à chanter.

« Mince, Kanon, c'est pas parce que Camus et Hyoga ont allumé un feu que tu dois te sentir obligé de jouer des cordes vocales ! protesta Aphrodite.

- Ben quoi ? J'ai plutôt un bel organe ! Et pis, c'est pas moi qu'ai eu l'idée ! C'est bébé phoque ! se défendit le choriste.

- Qui ça ?

- Personne, laisse tomber !

- Cela dit, intervint le Cygne qui s'était visiblement reconnu dans les propos du Gémeaux, Kanon n'a peut-être pas une mauvaise idée. Nous pourrions chanter tous ensemble. Après tout, c'est un peu la tradition autour d'un feu de camp.

- Certainement pas ! rétorqua le Poissons. On n'est pas en colonie !

- Et puis, pour une fois que Dohko n'est pas là, on ne va tout de même pas lui voler la vedette, poursuivit Misty qui n'avait aucune envie de pousser la chansonnette.

- Vous êtes qu'une bande de mous du g'noux !

- Je ne vois pas le rapport, Kanon ! s'offusqua Aphrodite. Et pour ta gouverne, mes genoux ne souffrent d'aucun défaut, comme tout le reste de mon anatomie (ndla : Non mais !).

- Et si on jouait plutôt à quelque chose ? proposa Seiya de Pégase qui commençait à s'ennuyer.

- Oh oui, bonne idée ! s'enthousiasma le chevalier d'Andromède. Pourquoi pas à Action ou Vérité ?

- Ça pourrait être intéressant, en effet, approuva Misty qui anticipait déjà le potentiel de ce genre de démarches étant donné l'heure tardive et la quantité d'alcool ingurgitée par certains.

- Pourquoi pas ? obtempéra Aphrodite. Mais nous devons tous participer !

- Hors de question, déclara simplement le Verseau.

- Allez, mon maître, on va bien s'amuser !

- Hyoga, j'ai dit non !

- Pourquoi ? T'as des choses à cacher, l'manchot porteur de cruche ?!

- Non, Kanon. Et pour ta culture personnelle, sache que la Sibérie se trouvant au niveau du cercle polaire arctique, on n'y croise aucun manchot, mais seulement des pingouins.

- Roh, Camus ! Mais t'essaies de faire de l'humour ! Tu devrais picoler plus souvent ! ironisa le Gémeaux.

- Bon mais alors, on joue oui ou non ?! s'impatienta le Poissons. Shura, je suppose que toi non plus, tu ne souhaites pas te joindre à notre petite activité ?

- Tu supposes bien, en effet », confirma le Capricorne en buvant une nouvelle gorgée de whisky.

Le jeu débuta aussitôt et contraignit certains à divulguer plusieurs détails croustillants. Hyoga révéla ainsi qu'Isaak et lui avaient parfois eu l'audace de verser un filet de vodka dans la tisane de leur maître afin de profiter d'un repos nocturne significativement plus long. Camus s'indigna du comportement de ses disciples, mais ne put s'empêcher de culpabiliser un peu en se disant que la sévérité de son enseignement les avait poussés à user de ce genre de stratagèmes.

Seiya préféra l'action à chaque fois que son tour vint, ce qui le conduisit à exécuter tout un tas de gages aussi originaux que ridicules. Cela dit, l'imitation de Shion qu'il fut amené à réaliser resterait probablement un certain temps dans les annales, ne serait-ce que pour mentionner les deux bigorneaux qu'il avait eu l'idée de se coller sur le front pour figurer les points de vie popaux.

Shun opta pour un fin dosage d'actions et de révélations qui ne le mirent à aucun moment dans l'embarras, au même titre que June et Geist qui eurent l'intelligence de trouver comment botter en touche la plupart du temps.

Kanon eut la langue bien pendue même si aucun des mots qui sortirent de sa bouche ne contenait la moindre once de vérité. Et Aphrodite et Misty ne dévoilèrent rien de véritablement compromettant. En même temps, ces deux-là n'avaient plus vraiment quoi que ce fût à cacher.

Au bout d'une heure de jeu, la majorité des présents commença à bâiller ou à carrément piquer du nez, et tous décidèrent de reprendre la direction du camping.

Tous à l'exception de deux chevaliers qui restèrent assis sans bouger, les yeux rivés sur l'océan.

« Tu rentres pas avec les autres ? questionna Shura en tirant sur la cigarette qu'il venait de porter à sa bouche.

- Non, répondit Camus sans élaborer.

- Pas envie de dormir ?

- Pas envie de rêver ».

Shura s'accorda quelques secondes supplémentaires pour assouvir son vice avant d'écraser son mégot dans le sable à ses pieds. Il en déposa les restes dans le paquet vide qu'il gardait spécialement à cet effet -- hors de question pour lui d'encombrer la plage avec davantage de déchets. Puis il but une nouvelle gorgée de whisky, Kanon ayant fait preuve de suffisamment de mansuétude pour ne pas vouloir rapporter sa seconde bouteille avec lui.

« C'est pas facile, hein.

- Je ne vois pas de quoi tu parles ».

Le Capricorne tourna la tête dans la direction du Verseau qui scrutait toujours les vagues sans bouger, mais le frémissement qu'il put déceler dans son cosmos lui fit comprendre que ce dernier savait exactement à quoi il venait de faire référence.

« Je sais pas pour toi, poursuivit Shura, mais en ce qui me concerne, le plus dur c'est de faire comme si je ressentais rien. De faire comme si j'en avais rien à foutre de le voir toucher quelqu'un d'autre, alors que j'en crève de l'intérieur.

- Question d'habitude. Crois-en mon expérience. »

Camus finit par détourner les yeux de l'océan pour affronter le regard de Shura qui sous la pâleur de la lune lui parut encore plus sombre que d'habitude.

« Ça fait longtemps ?

- Que quoi ?

- Que tu as compris. Pour moi.

- Après la mort de Shaka. Lorsqu'on a affronté Mû, Milo et Aiolia. Camus, à ce moment-là, ta souffrance m'a renvoyé la mienne en plein visage.

- Pourtant moi, je n'ai rien remarqué cette nuit-là. A ton sujet.

- Je voudrais surtout pas te vexer, mais il me semble que t'as jamais été particulièrement doué en ce qui concerne l'analyse des sentiments humains.

- Touché, concéda le Verseau.

- Mais rassure-toi, j'en ai parlé à personne, si jamais tu te poses la question.

- Merci pour ta discrétion. Et toi, quelqu'un d'autre est au courant ?

- Je sais qu'Aphrodite a compris, mais il fait comme s'il ne savait rien. C'est un type bien, tu sais, en plus d'être un chevalier infiniment perspicace.

- Je n'en ai presque jamais douté.

- Et toi alors ? Camus, comment tu fais pour gérer ?

- Je ne gère pas, justement. Et je peux même ajouter, puisque nous semblons avoir engagé une conversation franche et sans détour, que je m'enfonce chaque jour un peu plus.

- Que veux-tu dire par-là ? »

Camus bascula la tête en arrière pour contempler les étoiles, même s'il avait depuis longtemps abandonné l'idée de pouvoir y trouver des réponses. Il regrettait déjà les mots qu'il venait de prononcer. A moins que cette discussion ne fût précisément ce dont il avait besoin.

Il expira profondément, se redressa vers l'avant, puis tendit le bras vers Shura pour lui emprunter sa bouteille. Le whisky, il avait ça en horreur, mais au point où il en était ce n'était plus qu'un malheureux détail sans importance. Il en but plusieurs gorgées, avant de reprendre la parole d'une voix blanche en replongeant les yeux vers l'océan.

« Le pire, pour moi, ce sont mes rêves. Chaque nuit, je peux sentir ses mains qui me touchent et ses lèvres qui m'effleurent. Je peux sentir son odeur, la chaleur de sa peau, le souffle de sa bouche dans mon cou. Et chaque matin, je crois devenir fou. Parce que même après avoir ouvert les yeux, mon corps croit qu'il est toujours là. Avec moi, contre moi, en moi. Et je ne contrôle plus rien. Parce que je me sens vivant. Parce que j'oublie tout le reste. Et parce que… c'est tellement bon. »

Camus abaissa ses paupières dans une tentative absurde d'effacer son trouble et sa gêne. Ses paroles lui brûlaient la gorge et ravivaient des sentiments contre lesquels il ne se sentait plus capable de lutter.

« Camus…

- Non, Shura, ne dis rien. Je n'ai pas envie de t'entendre me juger.

- J'en ai pas l'intention. Et puis, comment est-ce que je le pourrais ? Perso, ce que tu vis, je le supporte au quotidien. Dès que je vois Angelo… Tellement d'images se bousculent dans ma tête. Merde, je peux même pas te dire ce que je m'imagine faire avec lui ! Fichu désir à la con !

- Le désir est l'essence même de l'homme. L'effort par lequel il s'efforce de persévérer dans son être.

- Elle est bien bonne celle-là ! Tu l'as sortie d'où ?

- Spinoza. J'ai essayé de trouver des réponses.

- Et alors ? Satisfait ?

- Non.

- Donc j'en reviens à ce que je disais tout à l'heure : c'est pas facile.

- Je crains de ne plus être en mesure de te contredire, Shura.

- Écoute, c'est déjà ça. Et je peux te poser une question ?

- Je t'en prie.

- Pourquoi tu dis rien à Milo ?

- Et toi, pourquoi tu ne dis rien à Angelo ?

- Parce que j'en ai ni la force ni le courage. Et qu'accessoirement, il est cent pour cent hétéro.

- Tu en as déjà parlé avec lui ?

- De son orientation sexuelle ? Non. Enfin, disons qu'on n'a jamais directement abordé le sujet.

- Alors, comment tu peux paraître à ce point convaincu ?

- J'en sais rien. Et puis est-ce que ça changerait vraiment quelque chose au final ? C'est mon meilleur pote, un frère d'arme ayant accepté de vouer sa vie à la protection d'Athéna et de l'Humanité. Et non, je te laisserai pas faire le moindre commentaire sur ce point.

- Loin de moi cette idée.

- Enfin tout ça pour dire qu'hétéro ou non, finalement ça n'a pas beaucoup d'importance. Je devrais pas ressentir tout ce que je ressens pour lui. Point barre. C'est pas la même chose pour toi ?

- Si, partiellement.

- Comment ça, partiellement ?

- Tout ce que tu viens de décrire fait écho à ma propre situation, bien entendu. Sauf que dans mon cas, j'ai au moins une certitude de plus : Milo ne m'aime pas.

- Il faut toujours se méfier de nos certitudes, Camus.

- Et c'est toi qui dis ça ?

- Écoute, ces cinq dernières années m'ont conduit à revoir un peu certaines de mes convictions, justement.

- Lesquelles ?

- Déjà, le sens même de notre existence. Des protecteurs en armure sans plus personne à protéger ça porte à s'interroger sur l'intérêt de nos petites vies.

- Il nous reste encore nos idéaux. Et n'oublie pas le palmarès des Tongs d'Or !

- Camus ! Tu sais que t'es pas désagréable quand tu picoles un peu !

- Il paraît.

- Alors fais-toi plaisir ! Ce soir, c'est Kanon qui régale ! »

L'Espagnol désigna la bouteille de whisky au Français qui se résigna à la porter une nouvelle fois à sa bouche. Puis il la rendit à son vis-à-vis qui se donna la peine de la terminer. Les deux chevaliers restèrent ensuite un long moment sans parler, avec le bruit des vagues comme seul point d'ancrage dans la réalité.

Camus cligna des paupières avant de passer une main lasse sur son visage. Les mots que Shura et lui venaient d'échanger se bousculaient dans sa tête. Rien de tout cela n'était facile. Le Capricorne avait raison. Et si son homologue semblait à ce point avisé, peut-être pourrait-il apporter des éléments de réponses à certaines de ses propres interrogations ?

« Shura, je peux te poser une question à mon tour ?

- Évidemment.

- Comment tu fais pour canaliser tes sentiments ? Pour contenir les effets que ceux-ci exercent sur ta psyché et sur ton intégrité physique ? Pour évacuer les tensions qu'ils entraînent ?

- J'essaie de trouver des partenaires consentants. »

Devant l'absence de réaction du Verseau, le Capricorne jugea opportun de préciser son propos.

« Je baise, quoi.

- J'avais compris.

- Et toi ?

- Je me débrouille.

- Tout seul ?

- La plupart du temps. Je te rappelle que je n'ai jamais été très doué pour les interactions sociales, quelles qu'elles soient.

- Oui, mais tout de même ! Merde, Camus, ça fait combien de temps que t'as pas tiré un coup ?

- Suffisamment longtemps pour préférer ne pas apporter de réponse à ta question.

- J'en suis désolé.

- Ce n'est pas nécessaire. Et puis de toute façon, je ne sais pas si cela m'apporterait une forme quelconque de soulagement.

- Si, si, je te jure !

- Shura, tu comprends pas. C'est Milo que je veux. Et personne d'autre.

- Je comprends parfaitement, au contraire ! Mais Camus, tu peux pas continuer comme ça. Enfin, après tout ce que tu viens de me dire, il me semble évident que le choix de l'abstinence totale ne te convient plus vraiment. Faut que tu te trouves quelqu'un.

- Tu te portes volontaire ?

- Que dices ?!

- Rien du tout, oublie. Nouvelle piteuse tentative humoristique. Le whisky ne m'aide pas à peaufiner mon style.

- Tentative très réussie, au contraire ! Tu m'as pris au dépourvu, c'est tout. Mais sinon, oui.

- Oui quoi ?

- Après tout pourquoi pas ?

- Pourquoi pas quoi ? insista le Verseau qui craignait d'avoir parfaitement compris.

- On est dans la même merde tous les deux. On a les mêmes frustrations, les mêmes envies. Les mêmes besoins.

- On a surtout bu plus que de raison ! Shura, réfléchis un peu… Ça ne serait définitivement pas une bonne idée.

- Réfléchir ? Justement, je crois que j'en ai ma claque de réfléchir ! Je sais pas si c'est l'alcool, notre discussion ou le bruit des vagues, tiens. Ouais rien à voir, mais avoue quand même que ce bruit de va-et-vient incessant s'incruste facilement dans la tête.

- Certes, agréa le Verseau.

- Et puis franchement, qu'est-ce qu'on risque ? On n'est même pas vraiment amis. Enfin c'est vrai quoi, avant cette nuit, on n'avait jamais pris la peine de discuter tous les deux.

- Ce qui était probablement une erreur. Converser avec toi m'a été une expérience des plus agréables.

- Merci ! Alors tu vois ! Camus, on n'a rien à perdre. Au pire, demain on fera comme s'il s'était rien passé. Après tout, toi et moi on a l'habitude d'occulter certains aspects de nos vies, non ?

- C'est juste, Shura. Mais… »

Camus ne put terminer sa phrase car Shura venait de prendre son visage entre ses mains, son regard attestant de toute la conviction qu'il semblait vouloir placer dans son geste. Le Verseau remarqua alors que le Capricorne avait des yeux en amande que ses longs cils rendaient particulièrement hypnotiques. A moins que cette impression ne provînt des trop nombreuses gorgées d'alcool qu'il avait eu la faiblesse d'accepter de consommer ? Mais que cet effet fût artificiel ou simplement conjoncturel, il demeurait infiniment réel, et Camus ne réagit donc pas lorsque Shura commença à l'embrasser.

Le contact de ses lèvres sur les siennes lui parut tout d'abord singulier, puis une vague de sensations inattendues se répandit le long de sa colonne. Ce baiser, Camus croyait ne pas en avoir envie, mais son corps était en train de lui faire comprendre à quel point il avait tout faux.

Shura dégagea ses mains de la mâchoire de Camus puis s'écarta de lui tant pour reprendre son souffle que pour s'accorder un instant de réflexion. Après tout, il n'était pas à l'abri d'avoir commis une profonde erreur de jugement. Son vis-à-vis l'observait sans bouger et sans la moindre expression sur son visage. Shura connaissait l'impassibilité légendaire du Français, mais ce manque total de réaction avait tout de même de quoi déstabiliser. Pourtant, la sensation n'avait pas été désagréable. Cette bouche, même si elle n'était pas celle qu'il rêvait de voir dévorer sa peau, présentait une saveur acceptable malgré tout. Shura passa sa langue sur ses lèvres pour la goûter à nouveau, mais fut interrompu dans son analyse par les lèvres du Verseau.

Le Verseau qui venait d'accepter les arguments du Capricorne. Il ne pouvait pas continuer comme ça, à se convaincre qu'il ne ressentait rien, à ignorer ce que son corps lui répétait inlassablement depuis des mois, depuis des années. Persister dans la voie qu'il pensait avoir choisie ne le menait nulle part et ne rimait à rien, même si en prendre pleinement conscience aujourd'hui lui vrillait les entrailles. Parce qu'accepter ce qui lui semblait maintenant être une évidence revenait à tirer définitivement un trait sur ce qu'il avait encore envie de croire possible.

Mais à cet instant, tandis que Shura le regardait comme personne ne l'avait plus regardé depuis longtemps, Camus comprit qu'il avait besoin d'autre chose. Il devait arrêter de réfléchir, s'abandonner à ce qu'il cherchait à taire depuis trop longtemps. Et surtout, il voulait oublier, lâcher prise, pour tenter de vivre à nouveau.

Alors Camus reprit les lèvres de Shura pour prolonger leur baiser, et la raison du Verseau céda pour de bon à la force de conviction du Capricorne lorsque ce dernier le tira en arrière pour l'étendre sur le sable avec lui.

A une centaine de mètres de là, un chevalier s'arrêta subitement de marcher, foudroyé par une douleur insupportable qui venait de frapper sa poitrine. Milo regardait droit devant lui, sans croire à ce que ses yeux ne voulaient pas voir. Il aurait aimé pouvoir se convaincre qu'il était en train de faire erreur, que dans l'obscurité, il était facile de prendre une personne pour une autre. Mais il n'en fut pas capable, car la souffrance ravageait déjà son cœur dont il ne resterait bientôt plus rien.

Il était venu sur la plage avec celle qui l'avait choisi pour terminer la nuit. Une idée de la jeune femme qui n'avait pas déplu au Scorpion, le sable pouvant procurer d'intéressantes sensations. Et puis il avait vu ses camarades revenir au camping une demi-heure plus tôt tandis qu'il rangeait ses platines, alors il savait qu'ils ne pourraient choquer personne ni être dérangés. Sauf que le Grec avait clairement manqué de perspicacité. Deux chevaliers n'étaient pas rentrés. Deux chevaliers étaient restés sur la plage. Deux chevaliers qui s'allongeaient maintenant sur le sol sans cesser de s'embrasser.

Milo cligna des paupières et laissa échapper un sourire en songeant que pour une fois, Camus acceptait de lui donner raison. Il ne s'intéressait pas à lui comme lui l'aurait voulu et il ne l'aimait pas. Par contre, même dans cette situation, le Verseau trouvait encore le moyen de le contredire un peu. Camus n'ignorait rien du désir amoureux. Il avait simplement choisi de le porter sur quelqu'un d'autre que lui. Finalement Milo en était heureux car rien ne comptait plus à ses yeux que le bonheur de son meilleur ami. Mais Shura avait intérêt à comprendre à quel point il était chanceux.

Milo serra les doigts de sa compagne entre les siens et lui murmura à l'oreille que d'autres avaient visiblement eu la même idée avant eux. Ils quittèrent alors la plage et retournèrent au camping en restant silencieux. Le Scorpion raccompagna la jeune femme devant l'entrée de sa tente, puis déposa un baiser sur ses lèvres avant de lui souhaiter de passer une bonne nuit. Celle-ci ne put s'empêcher de se sentir déçue mais comprit qu'il était inutile pour elle d'insister. Ce soir, son beau DJ ne l'aimerait pas parce que ce soir, son beau DJ était profondément malheureux.


A suivre…

Merci de m'avoir lue.

Référence pour le titre du chapitre 12 : Freed From Desire, Gala, 1996.

Et non, ce choix n'a strictement rien à voir avec la Coupe du Monde de foot. Et c'est la vérité vraie en plus ! Car pour celles et ceux qui l'auraient oublié ou qui ne l'auraient jamais su, ce tube des 90's était devenu l'hymne des Bleus pendant le Mondial.


Et encore un grand merci à Cali-Tani pour le très beau fanart de Camus qu'elle a dessiné :D.