Hello,

J'espère que vous vous portez bien avec l'arrivée du printemps. Voici la suite de cette histoire. Ce chapitre m'aura occupée pendant plusieurs mois puisque certains passages ont été écrits l'été dernier. J'espère que cela ne se ressentira pas trop à la lecture. Merci encore pour votre intérêt et pour votre fidélité.

/!\ Rappel du rating /!\ M pour les raisons suivantes : mention ou description de scènes de sexe explicites, langage grossier, tabagisme, consommation d'alcool, mauvaise foi (ah mais ça, peut-être que ça compte pas ?)

/!\ Et justement... Scène explicite au début de ce chapitre (yaoi).


Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada.


Chapitre 20 : Losing My Religion

Camping le Zodiaque, le matin du même jour (oui, revenons un peu en arrière dans le déroulé de cette journée afin d'essayer d'y voir un peu plus clair sur un ou deux détails)

Angelo se réveilla avec une nouvelle fois la sensation d'un sexe trop dur entre ses doigts. Encore l'un de ces foutus rêves qu'il revivait nuit après nuit depuis la fin de ce maudit tournoi de football. Un rêve dans lequel il se laissait aller à exprimer ce qu'il s'acharnait à vouloir ignorer dans la réalité.

Son désir pour son meilleur pote.

Car oui, il désirait Shura. Angelo était un homme de mauvaise foi, mais pas suffisamment pour nier l'évidence, surtout lorsqu'il tenait cette évidence fermement entre ses doigts. Et ce matin, alors que le souvenir de son rêve lui brûlait toujours les reins, il n'avait plus envie de faire comme s'il ne ressentait rien.

Il désirait le Capricorne, son frère d'arme, le seul qui l'avait accepté sans jamais le haïr et qui avait su lire en lui au-delà de la peur et du dégoût qu'il générait chez les autres. Celui qui l'avait suivi dans la plupart de ses délires sans les cautionner mais sans chercher à le juger non plus. Celui qui avait toujours essayé de le tirer vers la lumière lorsque lui-même n'avait que les ténèbres en ligne de mire.

Il désirait ce chevalier auprès duquel il avait lutté pour la protection de leur Déesse et pour sa propre rédemption. Cet homme dont il avait de nombreuses fois senti le corps se presser contre le sien lors de séances d'entraînement acharnées et qu'il rêvait aujourd'hui de sentir frémir sous ses mains. Cet homme aux muscles fermes et longilignes qu'il se voyait plaquer contre le mur des douches d'un vestiaire pour assouvir un besoin qu'il savait grandissant.

Angelo serra son érection contre sa paume et commença à faire glisser son sexe entre ses doigts. Il désirait son meilleur pote, et alors ? Après tout personne n'était là pour le juger et personne n'en saurait rien. Il lui suffisait de fermer les yeux et de repartir là-bas.

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Il sent l'eau couler sur sa poitrine pendant qu'une bouche avide explore l'espace situé entre son oreille et la base de son cou. Angelo se redresse et étouffe un juron lorsqu'il sent la langue de Shura s'égarer contre son torse puis le long de la ligne imaginaire courant entre ses abdominaux. Les cheveux du Capricorne sont plaqués en arrière et Angelo ne peut s'empêcher de le trouver incroyablement beau, là, tandis qu'il déplace ses lèvres avec une lenteur insoutenable au-dessus de son pubis puis vers la naissance de son sexe. Shura relève les yeux pour les river aux siens au moment de le prendre dans sa bouche, et cette seule vision manque de le faire basculer. Mais Angelo se contient, et Shura rabaisse ses paupières avant de refermer ses lèvres sur sa verge et de la faire disparaître dans sa gorge.

Shura le lèche, le parcourt, le suce, et Angelo gémit en prononçant un flot de paroles insensées. Il serre les cheveux du Capricorne entre ses doigts pour tenter de reprendre le contrôle et s'éloigner d'une limite qu'il ne veut pas franchir. Mais le plaisir est trop fort, son sang bat contre ses tempes, ses doigts se crispent. Il ne veut pas que tout s'arrête si vite, parce qu'il en veut beaucoup plus. Tellement plus.

Alors il se penche pour saisir le menton de Shura et le guider vers sa bouche. Il l'embrasse en cherchant le contact de sa langue contre la sienne pour la caresser et l'aspirer entre ses lèvres. Ce baiser décuple son désir qui se propage en lui telle la plus exquise des toxines. Une drogue à laquelle il se sait déjà dépendant et contre laquelle il n'a plus l'intention de lutter. Il a besoin de lui, de se perdre dans son corps, de le sentir vivant autour de lui. Il finit donc par délaisser sa bouche pour ancrer son regard au sien avant de le plaquer contre le carrelage derrière lui. Shura enroule ses jambes autour de ses hanches et Angelo s'enfonce en lui jusqu'à la garde d'un seul mouvement du bassin. Shura pousse un cri de plaisir en basculant la tête en arrière, offrant ainsi sa gorge à Angelo qui la parcourt aussitôt de ses lèvres. Il le goûte, se délecte de la saveur de sa peau qu'il lèche en même temps qu'il lape les lignes d'eau qui coulent toujours contre lui. Puis Angelo pose sa main contre le carrelage pour assurer sa prise et maintenir son équilibre alors qu'il commence à aller et venir avec un rythme lent et régulier.

Shura halète, il gémit, en murmurant des mots à son oreille dans un mélange de grec et d'espagnol. Des mots pour lui dire qu'il aime le sentir bouger en lui, lentement, comme ça, mais qu'il voudrait le sentir plus fort et plus loin. Alors Angelo se retire, passe sa main sous la cuisse du Capricorne pour la relever vers lui et revient le pénétrer plus profondément encore. Il s'abandonne dans ce corps qu'il ne voudrait jamais plus quitter, pour le connaître complètement et lui céder tout ce qu'il reste de lui. Et il jouit en criant le nom de Shura tandis qu'il enfouit son visage dans l'obscurité rassurante de son cou.

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Angelo ouvrit les yeux en se mordant la lèvre pour étouffer un cri. Les ombres du plaisir se dissipant peu à peu, il lâcha son sexe qu'il serrait encore dans sa main et la réalité le frappa. Cette fois-ci, il avait définitivement franchi la barrière qu'il s'était pourtant fixée, et il n'avait donc d'autre choix que d'affronter la vérité.

Après toutes ces années, il avait fini par tomber amoureux. De son meilleur pote. Car toute cette histoire de rêves érotiques et de fantasmes à la con n'était pas qu'une simple affaire de sexe. Cela aurait été beaucoup trop facile de pouvoir tout ramener à un tel degré de trivialité. Non, dans son infinie bonté, la Destinée lui avait réservé quelque chose de bien plus délectable. Enfin, la Destinée, c'était probablement un bien grand mot. Encore un truc d'Olympiens qui devaient bien s'éclater là-haut à se foutre comme ça royalement de sa gueule. Mais à cet instant, Angelo avait quelque chose de plus urgent à traiter que de se morfondre sur son sort en reportant sa colère sur les Dieux. Une urgence qu'il ne pouvait ignorer plus longtemps tandis qu'il se redressait dans la chaleur déjà caniculaire de sa minuscule canadienne.

Eh merde !

Il était bon pour une sortie incognito jusqu'aux sanitaires avec douche et lessive matinales à la clef. Et encore, heureusement qu'il dormait à poil, sinon il aurait eu un caleçon à laver en plus du drap qu'il avait eu la bonne idée d'utiliser pour protéger son matelas.

Un coup d'œil rapide à sa montre ne fit qu'accroître le niveau déjà élevé de sa mauvaise humeur. Comme si se réveiller comme ça, avec le souvenir du corps de Shura encore entre les doigts ne suffisait pas, il fallait en plus qu'il fût déjà à la bourre. Angelo enfouit sa main (ndla : propre – rhoo, pardon !) dans son sac pour en tirer un flacon de gel douche et une serviette qu'il enroula autour de sa taille avant de sortir de sa tente avec son drap sous son bras. Et il prit le chemin des sanitaires en prononçant une flopée d'injures italiennes dont lui seul avait le secret.

Une vingtaine de minutes plus tard, Angelo marchait en direction du Kid's club pour aller prendre son poste aux côtés de Marine. Il plongea sa main dans la poche arrière de son bermuda en jean pour en tirer un paquet de cigarettes dont il examina le contenu. Et une nouvelle salve de chastes paroles transalpines vinrent animer ses lèvres.

Deux cigarettes. Il lui restait deux malheureuses petites clopes pour survivre à toute cette satanée journée. En portant l'une d'elle à sa bouche, il concentra ses pensées les plus sombres sur la personne d'Aiolia du Lion qu'il avait eu la mauvaise idée d'accepter de dépanner la veille. Car supportant avec peine le régime alimentaire imposé par Marine, le Cinquième gardien s'était récemment mis à fumer. En cachette et en puisant sans vergogne dans les réserves des autres, s'il vous plaît. Angelo jura entre ses dents avant d'allumer son avant-dernière cigarette, puis s'imagina soumettre Aiolia à toutes sortes de torture jusqu'à ce qu'il consentît à lui acheter une cartouche. Mais d'ici là, il allait devoir attendre la fin de son service avant de pouvoir se ravitailler au bureau de tabac le plus proche et s'accorder ainsi la possibilité de perpétrer son vice.

« Tu t'es toujours pas décidé à arrêter ton insupportable manie ?! »

Oh non, pitié ! Pas elle !

« Et toi, toujours fâchée avec la politesse ?! se contenta-t-il de rétorquer sèchement.

- Tu peux parler ! Tu crois que je t'entends pas dire des gros-mots à longueur de journée ?! Pas besoin de comprendre l'italien pour deviner le sens de certaines choses, tu sais. Mais bonjour quand même, Angelo.

- Ben voilà ! Tu vois que t'es capable d'être bien élevée quand tu veux ! Bien le bonjour à toi, Géraldine !

- Justine ! Mon prénom à moi, c'est Justine !

- Je sais, s'amusa le prétendu amnésique en écrasant son mégot sous son pied.

- Tu vas pas laisser ta cigarette traîner par terre quand même ? Les cendriers, c'est pas fait pour les mouettes !

- Oh, je te conseille d'y aller mollo avec moi aujourd'hui, Justine, car je suis pas d'humeur !

- Pourquoi ? T'as eu un réveil difficile à cause d'un mauvais rêve ? »

Et perspicace en plus. Fichue gamine !

« Ou alors… Attends, regarde-moi, insista la petite.

- Quoi, encore ?!

- Je sais ! T'as un chagrin d'amour ! Y'a que l'amour pour donner aux yeux cette allure-là.

- Mais bien sûr ! Et tu vas me dire que t'es une experte, peut-être ?

- Non, mais je connais quelques trucs. Tiens, par exemple, tu devrais lui écrire une lettre.

- A qui ?

- A l'élue de ton cœur, pardi ! Pour lui avouer ta flamme.

- Bon, ça suffit, Jasmine ! Arrête de dire n'importe quoi et vas rejoindre les autres à l'intérieur ! Marine a dû commencer à faire l'appel.

- Justine ! » répéta la farouche en pénétrant dans l'enceinte du Kid's club les mains bien enfoncées dans les poches de sa salopette-short bleu marine à rayures jaune fluo (ndla : oui, ça pique les yeux !).

Écrire une lettre ? Et puis quoi encore ?! Un poème en alexandrins ?! Non mais où cette fichue mioche est-elle allée chercher une idée pareille ? Et puis une lettre pour quoi faire ? Avouer mon amour à mon meilleur pote pour qu'il se jette dans mes bras et qu'on vive heureux pour toujours comme dans les contes de fée ?! Bordel, et dire qu'il me reste plus qu'une satanée clope pour survivre à toute cette foutue journée !

Angelo suivit la gamine en maugréant dans sa barbe qu'il n'avait pas pris la peine de raser pour rejoindre Marine qui égrainait déjà les prénoms des enfants inscrits aux activités de la matinée. Cette dernière le salua avec un sourire bienveillant qui revigora un peu l'Italien. Heureusement qu'il avait tiré un bon numéro pour l'épauler dans cette charge estivale qui lui demandait plus d'énergie que de garder le puits des morts en période pandémique. Marine était une personne qu'il jugeait agréable, intelligente, affable mais pas trop, et non dépourvue d'humour, ce qui ne gâchait rien. Et elle savait y faire avec les gamins. D'ailleurs, il aurait facilement misé sa solde de chevalier d'Or s'il en avait eu une sur l'éventualité d'une famille léonine un jour bien fournie. La Japonaise ferait sans le moindre doute une maman formidable, et le Lion ne serait pas trop mal non plus dans le genre papa poule.

Cette pensée provoqua une grimace à Angelo. Toutes ces heures passées avec la marmaille commençaient à lui ramollir le cerveau ! Ou alors c'était le manque de nicotine qui affaiblissait déjà son esprit bien trop malmené par son réveil mouvementé.

Putain, cette journée promettait d'être longue. Insupportablement longue.


Quinze minutes après midi, au bord de la Piscine du Poséidon

Tandis que les derniers touristes quittaient le parc aquatique pour la traditionnelle pause méridienne, Shun décida d'ôter son t-shirt pour se mettre à l'eau. Après toute une matinée passée en plein soleil à surveiller les chanceux qui pouvaient profiter des trois immenses bassins qu'offrait le Poséidon, le jeune chevalier méritait bien de bénéficier d'un peu de fraîcheur lui aussi. Il plaça ses pieds sur le rebord, se mit en position et plongea la tête la première. Il émergea plusieurs secondes plus tard après avoir parcouru la totalité de la longueur en apnée, et revint à son point de départ en effectuant des mouvements de crawl d'une technicité parfaite. Choisissant de s'accorder un instant de repos, il cala son dos contre le liner et étendit les bras sur le carrelage qui bordait le bassin. Les yeux clos, Andromède savourait la caresse des rayons du soleil sur son visage en se concentrant sur le clapotis généré par les légères oscillations de l'eau. Il aurait pu rester ainsi pendant des heures, à profiter de la moindre sensation que lui renvoyait son corps toujours en alerte. Enfin si une clameur sourde en provenance de son estomac n'était pas venue subitement interrompre son introspection.

Shun rouvrit les yeux et aperçut alors une ombre familière qui se déployait juste au-dessus de lui. Il se demanda depuis combien de temps Mime se trouvait là à l'observer en silence, mais s'abstint toutefois de lui poser la question.

« Tu viens déjeuner ? Sorrento nous a apporté des sandwichs, des boissons fraîches et des fruits.

- Volontiers », répondit Shun en appuyant sur ses bras pour s'extraire de l'eau.

Le Japonais saisit la serviette qu'il avait posée sur un transat et commença à se sécher sous le regard attentif de l'Asgardien, ce dernier ne comptant pas perdre une miette du spectacle que son jeune collaborateur ne semblait même pas conscient de lui accorder.

« Sorrento reste manger avec nous pour une fois ? s'enquit le chevalier en saluant l'Autrichien qui était en train de déballer le contenu d'une glacière sur la table où Mime et lui avaient l'habitude de laisser leurs affaires.

- Non, il doit régler certaines choses avec Julian entre midi et deux. Il est juste venu nous saluer et déposer notre repas. D'ailleurs, je vais lui donner un coup de main, car je le vois lutter avec le parasol et je crains qu'il ne perde le combat.

- Ah oui, il faut avoir le coup de main pour l'ouvrir celui-là ! Bon, je me rhabille et j'arrive. »

Mime approuva d'un sourire discret et partit rejoindre le Marina qui ne put cacher sa joie en voyant une âme charitable lui porter secours pour dompter ce matériel de plage récalcitrant.

Shun passa rapidement sa serviette sur son torse et ses cheveux, enfila son t-shirt puis se pencha en avant pour ramasser ses claquettes. Et tandis qu'il relevait la tête, il surprit Mime et Sorrento qui échangeaient un baiser. Gêné d'avoir était le témoin d'un geste qu'il n'aurait probablement pas dû voir, Shun fit mine d'avoir oublié quelque chose sur le bord du bassin. Et après un délai qu'il jugea suffisamment long, il se retourna pour rejoindre Mime qui l'attendait assis sur l'une des deux chaises installées autour de la table, à l'ombre du fameux parasol à présent déplié et pleinement fonctionnel.

« Sorrento te salue, déclara le Guerrier Divin en tendant à Shun un sandwich.

- C'est gentil, merci », rétorqua le chevalier en se saisissant de son déjeuner.

Les deux hommes savourèrent leur repas en silence, n'interrompant leur dégustation que pour se désaltérer. Une fois leurs sandwichs terminés, Mime plongea sa main dans la glacière pour en sortir deux pêches à la peau rose délicatement veloutée. Shun en choisit une au hasard et la porta à sa bouche pour en croquer la chair sucrée. La douceur et la légère acidité du fruit éveillèrent ses papilles tandis que le jus qui se répandait dans sa gorge lui procurait une sensation de fraîcheur qu'il trouva délectable. Ce fruit était un délice. Une explosion de saveurs gorgées de soleil incarnant l'essence-même de l'été, mais dont le suc commençait à se répandre dangereusement le long de son menton.

Shun attrapa une serviette pour redonner à son visage une allure acceptable, puis reposa sur la table le morceau de papier chargé de jus. Ce fut à cet instant que Mime choisit de s'adresser à lui d'une voix grave dont l'intonation n'était pas sans rappeler l'harmonie des mélodies qu'il créait en effleurant sa lyre :

« J'espère que nous ne t'avons pas choqué tout à l'heure, avec notre baiser. »

Lui qui croyait avoir été discret dans l'expression de son trouble. C'était manqué.

« Non, non, pas du tout, parvint à articuler Andromède malgré la gêne qui colorait déjà ses joues.

- Tant mieux, déclara l'Asgardien avant de poursuive : et toi, Shun, tu as quelqu'un dans ta vie ?

- Tu veux dire en dehors de mes amis et de mon frère ?

- Oui, Shun, je veux dire en dehors de ce cercle amical et familial, répéta Mime amusé par l'embarras de son jeune camarade.

- Ne te moque pas de moi, s'il te plaît !

- Je ne me le permettrais pas, voyons. Mais je trouve ta réaction tellement… Comment dire ? Adorable.

- Et voilà, tu en remets une couche ! Mime, je ne te savais pas si sarcastique.

- Tu te méprends totalement sur mes intentions. Mais je reconnais que j'ai tout fait pour te conduire à mal interpréter mon propos. Je t'adresse donc mes excuses. Je ne voulais en aucun cas me montrer désagréable ou blessant.

- Excuses acceptées.

- Merci, Shun. Mais tu n'as pas répondu à ma question.

- C'est vrai. Et voici ma réponse, puisque tu sembles tellement vouloir la connaître : non, je n'ai personne dans ma vie au sens où tu l'entends.

- Vraiment ? Et June, alors ? Que représente-t-elle à tes yeux ? Car vous paraissez très proches tous les deux.

- June est une amie véritable à qui je porte une sincère affection.

- Et rien de plus ?

- Comment ça ?

- Là, Shun, il me semble que tu le fais exprès.

- Je ne la désire pas, si c'est ce que tu veux savoir.

- C'était précisément le sens de ma question. Alors merci pour ta sincérité.

- De rien. Mais permets-moi de t'interroger à mon tour : pourquoi me demander tout ça ?

- Parce que la complicité, le désir − l'amour − sont des éléments essentiels de nos vies.

- Sorrento et toi êtes donc amoureux ?

- Je pense pouvoir qualifier la relation que nous entretenons tous les deux en ces termes, en effet, même si cette réalité ne nous prive en rien des autres plaisirs qui peuvent parfois s'offrir à nous.

- Alors là, je suis désolé, mais je ne comprends pas.

- Nous ne sommes pas exclusifs au sein de notre couple, précisa l'Asgardien devant les grands yeux ronds ouverts par son vis-à-vis.

- Ah, bredouilla Shun qui était maintenant plus écarlate que l'Aiguille du Scorpion et que les Roses Démoniaques du Poissons réunies.

- Et toi, Shun, y-aurait-t-il une ou plusieurs personnes que tu désirerais en secret ? »

Rester concentré. Ne pas paniquer. Cette question est d'un intérêt purement amical. Simple curiosité sans la moindre arrière-pensée ni signification cachée. Un peu indiscrète, certes, mais rien de véritablement choquant pour qui se trouve être ouvert d'esprit. Oui, voilà, il ne s'agit que de cela. Une discussion ouverte sur un sujet banal entre adultes éclairés. Alors pourquoi Mime me regarde-t-il de cette manière et pourquoi fait-il aussi chaud tout à coup ?

Shun se leva de sa chaise, pris d'un soudain besoin de fraîcheur. Après tout ils se trouvaient au bord d'un bassin, alors vouloir plonger ses jambes dans l'eau après le déjeuner ne constituait en rien un comportement étonnant. Et puis marcher quelques pas lui donnerait le temps de formuler une réponse un peu plus élaborée que « ben, euh, c'est-à-dire que… ». Sauf que son interlocuteur se mit debout à son tour pour le couper dans sa fuite.

« Il ne faut pas avoir peur, murmura le Guerrier d'Êta en se rapprochant de lui.

- Je n'ai pas peur.

- Alors oublie cette barrière que tu crois devoir dresser devant toi. Shun, est-ce que tu me désires ?

- Je ne sais pas…».

Shun voulut écarter ses lèvres pour laisser échapper un « peut-être » lorsque Mime plaqua sa main contre sa joue. Il ferma les yeux et un voile invisible sembla se déchirer devant lui. Il sentit ses pensées se brouiller, sa peau se couvrir de sursauts, son corps entier se mettre à trembler. Et l'instant d'après, des lèvres incroyablement douces venaient se poser sur les siennes.


Camping Le Poséidon, en fin d'après-midi, bureau de l'administration

Albérich cliqua sur la petite disquette située dans le coin supérieur gauche de l'écran de son ordinateur, puis referma la fenêtre du tableur que Shaina et lui venaient de compléter. Trois bonnes heures qu'ils étaient enfermés dans ce bureau pour s'atteler à la tâche que Julian leur avait confiée, et ils en étaient enfin venus à bout. Ils avaient étudié en détail l'ensemble des réservations pour les quinze prochains jours, et avaient attribué à chacune d'elle l'emplacement idéal en considérant les exigences des vacanciers et les possibilités offertes par le Poséidon dont les travaux s'étaient achevés le jour-même. Trois heures de travail acharné, qu'ils avaient accompli avec précision et rigueur sans élever le ton une seule fois. Comme quoi, s'abîmer les yeux sur des tableaux remplis de caractères alphanumériques constituait peut-être la solution miracle pour instaurer la paix universelle.

« Merci pour ton aide, Shaina. Je dois reconnaître que si tu n'avais pas été là, ce travail m'aurait sans doute occupé un temps significativement plus long.

- Quoi ? Des mots marqués de reconnaissance et de gratitude en provenance de ta bouche ? Mais que t'arrive-t-il, Albérich ? Cette multitude de lignes et de colonnes t'auraient-elles retourné le cerveau ?

- Pourquoi te sens-tu obligée de redevenir désagréable ? s'enquit l'Asgardien avec un semblant de déception dans la voix.

- Excuse-moi, je n'aurais pas dû dire ça », s'amenda l'Ophiuchus en prenant conscience du caractère déplacé de sa réaction. Pour une fois qu'Albérich faisait preuve de bienveillance à son égard, elle aurait dû chercher à l'encourager plutôt que de lui répondre par des sarcasmes. Mais en même temps, il l'avait prise par surprise avec cette soudaine cordialité.

« Mais comprends-moi aussi, poursuivit-elle sur un ton qu'elle voulut apaisé, des remerciements de ta part, je ne m'y attendais pas.

- Sache que je n'ai aucun mal à reconnaître les qualités d'un collaborateur lorsque celui-ci effectue un travail que je considère acceptable. Tu ne fais pas exception, Shaina.

- Les qualités d'un collaborateur ? Mais décidément, que de flatteries ! Je te remercie, Albérich. »

Shaina s'écarta du coin de bureau sur lequel elle était assise pour considérer avec prudence et réserve celui qui venait de la complimenter. Albérich était-il sincère dans ses propos ou s'agissait-il d'une nouvelle fourberie ? Pour une fois, ses paroles n'étaient pas empreintes du ton dédaigneux qu'il avait l'habitude d'employer avec elle, alors peut-être avait-il réellement l'intention de se montrer aimable et courtois ? Après tout, tout le monde avait le droit de changer d'attitude. Elle-même ne s'était-elle pas un temps trouvée dans l'erreur avant de se repentir et de vouer sa vie à la protection de sa Déesse ?

« Je peux te poser une question ? continua la femme chevalier dont la curiosité venait d'être piquée.

- Bien entendu, mais je ne te répondrai que si je le juge opportun.

- Tu n'as jamais eu envie d'être quelqu'un de différent ? D'être une meilleure personne ?

- Dans quel but ? Je me trouve très bien comme je suis.

- Pourquoi je ne suis pas étonnée ?! Tu ne regrettes donc aucun de tes agissements passés ?

- Le regret n'est rien d'autre que le déni de soi-même. Et je ne crois pas légitime d'oublier celui que j'ai été ni les erreurs que j'ai pu avoir commises.

- Donc tu admets t'être mal conduit ?

- Je reconnais avoir agi selon ce qui me paraissait juste à un moment donné de ma vie, pour atteindre l'objectif que je m'étais fixé.

- Qui était de dominer le monde après avoir trahi ta Souveraine et ton peuple. Beau programme !

- Shaina, comment peux-tu me juger alors que tu ne me connais pas ?

- Je sais ce que tu as fait, et cela me paraît suffisant.

- Et si ça ne l'était pas ?! s'emporta soudainement Albérich en se levant de sa chaise pour faire face à l'Italienne.

- Que veux-tu dire par-là ? »

Shaina ne comprenait pas. L'homme qui se tenait les poings serrés devant elle paraissait déstabilisé, sur la défensive. Lui qui était toujours si sûr de lui, que lui arrivait-il ? Était-il réellement affecté par les mots qu'ils étaient en train d'échanger ou bien jouait-il la comédie ? Albérich l'observait en silence, mais à cet instant, quelque chose dans le vert de ses yeux lui semblait différent. Un trouble, une forme de vulnérabilité qui ne lui appartenait pas. Il passa une main dans ses cheveux, cligna des paupières, puis reprit la parole d'une voix que Shaina trouva étonnamment douce :

« Je veux dire que parfois, j'aimerais que l'on me perçoive autrement, que l'on cherche à comprendre qui je suis. Mais mon besoin de maîtrise et de domination finit toujours par reprendre le dessus pour dresser une barrière entre moi et les autres. Pourquoi ? Sans doute le sentiment d'avoir quelque chose à prouver, le désir d'obtenir ce que je considère comme me revenant de droit eu égard à mon intelligence et à mon rang. Mais aussi... le besoin de montrer que j'existe. »

Ah oui, quand même ! Mince, est-ce que tout ceci était réel ? Albérich pouvait-il vraiment être un homme plus complexe que le tyran assoiffé de pouvoir qui avait voulu mettre Asgard et le monde entier à ses pieds ? Shaina commençait à s'interroger. Où se trouvait la vérité ? Et pour quelle raison s'ouvrait-il de cette manière à elle ?

« Mais enfin, pourquoi tu me racontes tout ça, à moi ?

- Parce que je te considère comme une personne intelligente, une femme forte qui inspire la confiance et le respect. Parce que j'apprécie ta détermination, ton esprit d'analyse et ton sens de la répartie. Et parce que derrière l'impression de froideur que tu veux dégager et la distance que tu t'obstines à imposer entre toi et les autres, je peux lire l'empathie et la douceur dans tes yeux. Tes yeux que je ne peux m'empêcher de trouver magnifiques. »

Quoi ?! Mais qu'était-il en train de se passer au juste ? Pourquoi acceptait-elle d'écouter tout ce baratin ? Pourquoi semblait-elle capable de croire ce qu'elle venait d'entendre ? Pourquoi ne répondait-elle pas ? Pourquoi restait-elle là sans bouger alors qu'Albérich se rapprochait d'elle ? Pourquoi ses yeux ne pouvaient-ils plus se détacher de ceux de l'homme qui la regardait avec ce qui pouvait passer pour de la sincérité et même… pour de l'affection ? Et pourquoi était-elle incapable de réagir alors que les lèvres d'Albérich venaient effleurer les siennes sans même vraiment chercher à les toucher ?

Shaina resta un instant immobile, prisonnière de ses propres émotions. La surprise, l'incompréhension. Le doute, la compassion, le pardon. Le désir ? Non, impossible ! Elle plaqua sa main contre le torse d'Albérich qui pressait déjà sur sa poitrine et recula d'un pas :

« Je dois y aller » déclara-t-elle simplement avant de quitter la pièce sans se retourner.

Albérich l'observa s'éloigner en silence, les poings toujours serrés le long du corps. Comment avait-il pu dévoiler ses faiblesses en exprimant ses états d'âme et ses sentiments de cette manière ? N'avait-il donc plus aucune pudeur ni le moindre amour-propre ? Mais surtout, comment Shaina avait-elle pu sembler prête à l'écouter voire à le croire ? Car il en était persuadé : il avait lu de l'hésitation et de la tendresse dans ses yeux, juste avant de poser ses lèvres sur les siennes. Ses lèvres qui cette fois-ci ne l'avaient pas rejeté, même si elles étaient restées inertes sans chercher à répondre à son baiser.

Mais quelle pouvait être l'origine d'un tel changement d'attitude ? Cette soudaine bienveillance à son égard était-elle vraiment le fait de la jeune femme ou ne s'agissait-il que d'une conséquence inattendue des trop nombreuses séances d'hypnose qu'il lui avait fait subir à son insu ? Il connaissait les pouvoirs de son améthyste et l'efficacité avec laquelle celle-ci pouvait pénétrer les méandres les plus secrets du cerveau de ses victimes pour soutirer les informations dont il avait besoin, mais il n'avait encore jamais été confronté à un tel comportement. D'habitude la terreur et la haine demeuraient les seules traces de ses interventions, mais avec Shaina tout était différent, à commencer par ce qu'il éprouvait au plus profond de lui. Était-ce cela que certain appelait l'affection ? L'attachement ?

L'amour ?

Albérich serra les dents et frappa de toutes ses forces le guéridon en acajou que le hasard avait eu la mauvaise idée de placer devant lui. La matière se désintégra sous l'impact, emplissant le bureau d'un nuage de poussière qui vint un instant masquer la lumière du jour.

Il devait se ressaisir. Il n'y avait jamais eu de place dans son cœur pour l'amour ou pour toute autre forme de faiblesse. L'existence de ce genre de sentiments n'était pas tolérable pour un homme de son clan et de son rang. Tels étaient les commandements de l'illustre famille dont il portait le nom, même si pour la première fois de sa vie, il se sentait prêt à ployer sous le poids d'un tel héritage.

Shaina attendit d'avoir descendu plusieurs marches avant de se mettre à courir. Elle devait sortir d'ici le plus vite possible, pour oublier chaque détail de ce qu'il s'était passé dans ce maudit bureau. D'ailleurs que s'était-il passé au juste ? Si peu ou presque rien. Il ne s'agissait même pas d'un véritable baiser. Alors pourquoi ressentait-elle un tel niveau de rage contre elle-même ? Parce qu'elle avait permis aux lèvres d'Albérich d'effleurer les siennes sans réagir ? Parce qu'elle avait eu envie de ce baiser ? Non ! Une telle chose était inconcevable. Désirer Albérich de Megrez ?! Mais merde, qu'est-ce qui ne tournait pas rond chez elle ?!

Shaina poussa la porte du bâtiment de l'administration du Poséidon avec précipitation, et manqua de bousculer l'homme qui avait eu la mauvaise idée de se tenir devant l'entrée à ce moment-là. En relevant la tête pour s'excuser, elle reconnut Camus du Verseau qui lui souriait avec la pudeur qui le caractérisait.

Un chevalier. Tiens, c'était précisément ce dont elle avait besoin. Un combattant sur lequel elle pourrait défouler ses nerfs au cours d'un entraînement bien corsé. Alors Shaina quitta le Poséidon au pas de course pour aller retrouver Jamian et lui coller une raclée. Et elle reviendrait ici plus tard pour terminer son paquetage et ranger la caravane dont elle devait rendre les clefs le lendemain.

Car heureusement pour elle, son calvaire au Poséidon était enfin terminé, et elle n'aurait plus à seconder Albérich dans l'exercice de ses fonctions quotidiennes. Elle allait donc pouvoir oublier leur dernière discussion et ces honteuses secondes d'égarement pour reprendre ses bonnes vielles habitudes au service du bar du Zodiaque. Le Zodiaque où elle allait retrouver ce cher Dohko et ses amis Marine et Misty. Et où elle allait aussi retrouver Ikki.


Plus tard ce soir-là, sous une tente du Zodiaque, assez rudimentaire mais de taille acceptable malgré tout

Après avoir mis en place les tapis, la théière et les deux tasses assorties, Mû craqua une allumette pour brûler le bâton d'encens dont Shaka lui avait recommandé l'achat. Le Bélier avait trouvé opportun d'instaurer ce petit rituel pour encadrer les séances de méditation dans lesquelles la Vierge et lui avaient pris l'habitude de se plonger depuis plusieurs semaines déjà. Il savait l'importance que revêtait ce genre de détails aux yeux de son ami, même si ce dernier niait dépendre de tels artifices pour parvenir à élever son degré de spiritualité (ndla : la mauvaise foi n'épargne donc personne dans cette histoire, pas même ce cher Bouddha).

Mû considéra son travail préparatoire d'un air satisfait, et s'assit en tailleur pour attendre son ami. Après quelques secondes d'hésitation, il retira l'étole qui recouvrait ses épaules ainsi que la tunique qu'il portait en dessous, la température toujours caniculaire malgré la nuit qui venait de tomber rendant la moindre couche de tissu superflue difficile à supporter. Et puis Shaka l'avait déjà vu torse-nu de nombreuses fois au Sanctuaire, alors il ne s'offusquerait probablement pas de le trouver si faiblement vêtu, surtout un jour comme celui-ci.

Une douce brise imprégnée d'une odeur de jasmin lui indiqua l'arrivée imminente du Sixième gardien. Et c'est donc sans surprise qu'il le vit pénétrer sous sa tente, habillé de son éternel kurta blanc retenu à la taille par une grosse ceinture en chanvre.

« Bonsoir, Mû.

- Bonsoir, Shaka. Sois le bienvenu et assieds-toi, je t'en prie. »

L'Indien s'installa sur le tapis inoccupé en face du Tibétain, et adopta la posture du Lotus qu'il affectionnait tant.

« Pardonne mon accoutrement un peu désinvolte, mais il a fait si chaud aujourd'hui que la température sous ma tente n'est pas encore descendue malgré la nuit.

- Tu n'as pas à t'excuser de laisser ton corps guider ton âme vers ce qui lui semble être le plus juste » déclara la Vierge en ajustant la position de ses mains pour se préparer à réciter son premier mantra.

Shaka ferma les yeux, et commença à élever sa pensée pour apaiser son esprit et se connecter avec la paix intérieure qu'il était venu chercher auprès du Bélier. Ce camarade charitable qui avait accepté de lui venir en aide et grâce auquel il avait retrouvé une part de ce qu'il croyait avoir définitivement perdu. Cet ami dont le cosmos chaud et bienveillant emplissait l'espace autour de lui, l'enveloppant de l'écrin protecteur dont il savait avoir besoin pour atteindre la sérénité qui lui avait fait si cruellement défaut depuis son difficile retour à la vie.

« Om mani padme Hum. Que la Sagesse soit ton Joyau, et la Compassion, ton Lotus. Om mani padme Hum. »

Mû entreprit de répéter à son tour ce mantra ancestral, mais irrité par les effluves de l'encens, il se mit à tousser.

« Pardon. Je suis sincèrement désolé », parvint-il à balbutier, profondément gêné.

« Encore une fois, tu n'as pas à prononcer de tels mots. Tu dois laisser ton corps s'exprimer selon ses besoins pour parvenir à élever ton âme » murmura Shaka en soulevant une paupière.

Il observa alors Mû se pencher sur le côté pour verser un peu de thé dans l'une des tasses disposées de part et d'autre de leur tapis. Et Shaka se surprit à contempler la manière dont ce geste d'apparence anodine mettait parfaitement en valeur l'anatomie du Bélier.

Stupéfait par un tel égarement dans sa méditation, l'Indien rabaissa sa paupière dans l'intention de recouvrer un niveau de concentration acceptable. Mais dans l'obscurité de ses yeux clos, point de Bouddha ni de Shiva. Seulement le torse dénudé de l'homme qui se trouvait face à lui, et dont il pouvait entendre le souffle s'apaiser grâce à une gorgée de thé bienfaitrice.

Mais que lui arrivait-il ? Etait-il attiré par son ami ? Son âme était si belle que tout être appréciant la beauté ne pouvait que tomber en admiration devant elle. Mais qu'en était-il de son corps ? Mû avait des qualités physiques indéniables ; une puissance insoupçonnée mais dévastatrice pour qui faisait l'erreur de le sous-estimer, une résistance sans limite, des muscles à la fois vigoureux et élancés. Shaka se souvenait de la facilité avec laquelle il venait à bout de ses adversaires lorsque les malheureux pensaient avoir gagné le combat. Combien de chevaliers éconduits avaient quitté les arènes du Sanctuaire en baissant les yeux après avoir affronté le Bélier qu'ils croyaient pourtant si facile à terrasser.

Lui-même ne l'avait jamais combattu, parce que l'occasion ne s'était jamais présentée malgré leurs nombreuses séances d'entraînement communes, et que le Destin leur avait épargné le déchirement d'une telle épreuve. Pourtant, ce soir, Shaka aurait aimé pouvoir se souvenir de la sensation du corps de Mû contre le sien. Pouvoir se souvenir de l'odeur de sa peau, de la texture de ses cheveux glissant sous ses doigts. Il aurait aimé avoir connu ne serait-ce qu'une seule fois la chaleur de ses bras, la force de son étreinte, la puissance de son aura. Il aurait aimé avoir pu le toucher, le serrer contre lui, pour l'amener à lui. Pour le guider en lui.

« Shaka, tout va bien ? »

La Vierge sursauta et se contenta pour toute réponse d'ouvrir ses grands yeux à la beauté azuréenne incomparable.

« Tu n'as pas entendu ma question ? »

Un clignement de paupières fit comprendre au Bélier que son vis-à-vis n'avait effectivement pas saisi le moindre mot de la phrase qu'il venait de prononcer.

« Veux-tu un peu de thé ? J'ai préparé celui que tu préfères. Et étant donné que j'ai gâché le début de notre séance, je me dis que nous pouvons sans doute nous accorder un bref moment de détente avant de reprendre notre méditation.

- Très volontiers, Mû. Merci pour ta bienveillance et pour cette gentille attention », finit par articuler Shaka, convaincu qu'une gorgée de ce liquide frémissant et délicieusement parfumé lui ferait le plus grand bien.

Sauf qu'il n'en fut rien. Car Mû, qui ne pouvait soupçonner l'état inattendu dans lequel il l'avait plongé, se pencha vers lui pour remplir sa tasse et effleura ainsi la peau de son bras de son torse chaud et musclé.

Shaka contracta tous ses chakras pour contenir le frisson que cette soudaine proximité fit naître au plus profond de lui. Mais son trouble était trop grand pour passer inaperçu à un esprit aussi avisé que celui du Bélier. Ce dernier plongea donc des yeux surpris dans ceux de son ami, et ce qu'il put y lire le remplit d'une joie certaine. Car les pensées de la Vierge venaient de se mêler aux siennes, et ce fut avec un sourire bienheureux que Mû y répondit.

Les deux chevaliers s'observèrent encore un instant en silence, puis se jetèrent l'un sur l'autre en oubliant mantras, sérénité et Bouddha.

Au même moment, un autre chevalier à l'esprit particulièrement aiguisé sursauta en constatant une explosion inhabituelle de chakras. Celui-ci reposa le verre d'eau qu'il venait de vider pour retourner vers son amant qui se trouvait dans son lit, entièrement nu mais à moitié assoupi.

« Misty, tu dors ?

- J'étais sur le point de m'endormir, en effet. Tu n'es donc pas rassasié ? Ton appétit est sans limite, Aphrodite.

- Certes, mais il ne s'agit pas de cela. Concentre-toi un instant, tu ne remarques rien d'inhabituel ?

- Tu n'as jamais vu un homme porter la nudité avec un tel niveau de grâce étendu dans ton lit ?

- Non, c'est juste. Mais je te demande d'être sérieux une minute. Ne ressens-tu pas cette effusion d'énergie, comment dire ?... profondément érotique ?

- Maintenant que tu le dis, si, en effet. J'en connais certains qui sont en train de passer du bon temps.

- Je n'en reviens pas. Je n'aurais jamais pensé cela de ces deux-là !

- Parce que tu es capable d'identifier de qui il s'agit ?

- Évidemment ! Tu parles au plus perspicace des chevaliers de toute la garde dorée d'Athéna, je te rappelle.

- Bien entendu ! Pardon pour cet instant d'égarement. Et alors, qui sont les deux chanceux ?

- Shaka et Mû.

- Tu en es certain ? s'étonna Misty sans feindre la profonde incrédulité dans laquelle cette affirmation l'avait plongé.

- Sans le moindre doute.

- Eh bien, je ne les aurais jamais imaginés enclins à réaliser de telles prouesses moi non plus.

- Quelle surprise, n'est-ce pas ? Et j'en connais un autre qu'une telle révélation risque de laisser pantois.

- Qui ça ?

- Notre cher Grand Pope. Et d'ailleurs, sa venue prochaine au Zodiaque ̶ car oui, Saga m'a informé justement aujourd'hui que Shion avait prévu de nous rendre visite d'ici une dizaine de jours tout au plus. Un besoin urgent de contrôler certaines choses d'après ce que j'ai compris », jugea opportun de préciser Aphrodite avant de reprendre : « Donc je disais, la venue prochaine de Shion en ces lieux promet d'être assez savoureuse lorsque celui-ci constatera à quel point son petit protégé s'est dévergondé en son absence.

- Assez savoureuse, en effet. Mais d'ici là, si tu venais me montrer que nous n'avons rien à envier aux performances et à la souplesse de la Vierge et du Bélier ? »

Aphrodite ne résista pas à une telle injonction, et s'attacha à montrer avec la plus grande application que la pratique du Yoga n'était en rien indispensable pour atteindre le Nirvana.


A suivre...

Merci pour votre lecture.

Référence pour le titre du chapitre 20 : Losing My Religion, R.E.M. 1991.