Isaac n'aimait pas le rôle qu'il devait adopter. Jouer aux amis moralisateurs, ce n'était pas son truc, mais Stiles, aussi gentil soit-il, avait parfois besoin qu'on lui remonte les bretelles… Pour son bien. Le regard bleu ciel passa en revue les maisons voisines et les rues vides à cette heure-ci de la journée. Le quartier dans lequel habitaient les Stilinski était des plus calmes et c'était un pur bonheur d'y vivre, autant que de s'y balader. Là, il avait la certitude que l'hyperactif l'écouterait un minimum. Hyperactif qui enchaînait les soupirs depuis leur départ de la maison, quelques petites minutes plus tôt. Cela aurait pu passer pour un agacement pur et simple, mais Isaac connaissait assez bien Stiles et savait suffisamment analyser son odeur pour savoir qu'il s'agissait de bien plus que cela.
- Il va bien, ne t'inquiète pas.
Stiles piqua un fard et Isaac pouffa en voyant ses joues devenir rouges à une vitesse stupéfiante. Parfois, il le surprenait à pester contre le flair des loups-garous, en se plaignant de n'être qu'un livre ouvert à leurs yeux. En soi, c'était le cas, et Isaac trouvait cela aussi adorable que dangereux – à raison. Stiles avait une étonnante force d'esprit mais sa générosité pouvait lui causer du tort avec une extrême facilité. Il n'était pas forcément naïf, mais il avait beaucoup de mal à se détacher de Jackson en ce moment. Pour être honnête, Isaac avait été perplexe lorsque, trois mois plus tôt, le père et le fils Stilinski avaient ramené Whittemore au domicile familial. Stiles s'était tout de suite dévoué pour s'occuper de lui jour et nuit, mettant de côté sa propre santé, faisant passer celle de Jackson au premier plan. Noah et Isaac s'étaient relayés pour le surveiller. Pas que le blondinet soit des plus dangereux. Malgré sa nature lupine, il n'était pas en état de faire quelque mal que ce soit. Isaac se souvenait fort bien de l'état dans lequel il l'avait vu pour la première fois. Sédaté, Jackson gisait, inerte, dans les bras du shérif tandis que Stiles s'affairait à vider sommairement la bibliothèque de petits meubles superflus pour lui concocter rapidement un petit nid douillet. Isaac avait naturellement aidé son ami et avait sorti une trousse de soin. Une trousse de soin pour un loup-garou.
Stiles et Isaac avaient pansé les blessures de Jackson avec horreur et le jeune homme aux cheveux bouclés se souvenait de la manière dont il avait dû soutenir l'hyperactif qui avait défailli à de nombreuses reprises. Le Jackson Whittemore auquel Noah Stilinski avait été forcé d'injecter un sédatif ne ressemblait plus à l'arrogant fils du plus grand avocat de la ville qu'ils avaient connu au lycée. Ecchymoses. Brûlures. Traces de fouet. Peau râpée.
A la fin de cette première séance de soins, Stiles était allé vomir.
Et depuis, il avait tout fait pour prendre soin de l'adolescent qui ne l'était plus, dans l'espoir qu'il guérisse au plus vite, aussi bien physiquement que psychologiquement. Mais Isaac était bien placé pour savoir que ces choses-là prenaient un temps monstrueux. Et même parfois, il ne suffisait pas.
- J'ai l'impression qu'il n'avance pas, enfin… J'ai constaté quelques progrès, bien sûr, mais c'est…
- Pas assez ? Compléta Isaac avec un faible sourire.
Stiles hocha la tête, penaud, et fourra les mains dans les poches de son jean usé. L'hyperactif avait l'horrible impression que le temps pouvait, au lieu d'aider Jackson, le grignoter petit à petit.
- Il faut que tu sois patient, lui conseilla Isaac, comme tu l'as été avec moi.
Tout en continuant de marcher, le bouclé passa un bras autour des épaules de son ami. Au début, il trouvait la notion de contacts physiques étrange, mais il avait appris à apprécier cela, à découvrir que le toucher n'était pas forcément synonyme de douleur. Stiles, malgré son hyperactivité qui lui faisait parfois avoir des gestes un peu brusques, était d'une douceur étonnante, ce qu'Isaac n'aurait jamais deviné au lycée, avant que tout ne dérape pour lui, avant que son enfer s'intensifie de manière dramatique.
- Toi, c'était plus facile, souffla l'hyperactif en regardant ses pieds avancer machinalement vers une destination imprécise. Avec Jackson, j'ai l'impression de ne jamais en faire assez… J'ai l'impression de toujours frôler de peu le truc qui pourrait l'aider à fond.
- C'est simplement différent. On est différents, précisa Isaac. Laisse-lui le temps.
Stiles soupira et sentit la main du loup lui tapoter amicalement l'épaule. Il était foutrement inquiet pour Jackson, c'était clair. Parfois, il passait des heures à réfléchir à ses possibilités au lieu de simplement dormir tant la situation le bouffait. Si besoin, il compensait ses nuits à demi blanches par une ou deux petites siestes dans la journée, à des moments où l'agitation perpétuelle de ses pensées était gérable.
- Il faut aussi que tu penses à toi et que tu ne t'oublies pas. Tu ne pourras pas continuer d'aider Jackson si tu ne prends pas soin de toi.
- C'est bon… Fit l'hyperactif sans râler d'aucune manière.
- Tu dois prendre des pauses un peu plus régulièrement, rétorqua Isaac.
- Il a besoin d'une surveillance constante, répliqua Stiles, abattu.
- Pas autant que tu ne le penses. Ce dont il a réellement besoin, c'est d'un équilibre. Jackson a toujours été quelqu'un de très solitaire. Mal en point ou non, il a besoin d'avoir ses moments à lui.
- Mais il rumine et c'est pas bon…
- Tu n'es pas dans sa tête, objecta le loup-garou.
- Je suis sûr qu'il rumine.
Isaac poussa un profond soupir mais ne put cacher l'amusement qui s'emparait délicatement de lui. S'il avait changé – pour le meilleur, sans être complètement guéri –, Stiles restait toujours le même. C'était une bonne chose, mais il devait à son tour apprendre. Apprendre à doser. Ce n'était que récemment que le loup-garou s'était rendu compte que le travail qu'abattait Stiles avait autant de bons que de mauvais effets. Lorsqu'il désirait aider quiconque se trouvait dans le besoin, il se dévouait corps et âme sans prendre de temps pour lui. C'était à cela qu'Isaac avait compris que son ami avait la mauvaise habitude de se débrouiller uniquement par lui-même et de minimiser l'importance de son propre bien-être. Sans doute avait-il grandi un peu en solo, dans l'ombre de ce géniteur qu'il adorait mais qu'il n'osait déranger. Noah Stilinski était sans conteste un père aimant et adorable, mais atrocement pris par son travail. Si Stilinski senior et junior faisaient parfois équipe lorsqu'ils enquêtaient sur quelques affaires surnaturelles douteuses, ils se confiaient assez peu l'un à l'autre, par habitude.
- Quoi qu'il en soit, je t'ordonne de te ménager et de lui laisser de l'espace, lui dit gentiment Isaac.
- Mais il fait n'importe quoi quand je le laisse s'occuper tout seul trop longtemps… D'ailleurs on va accélérer le pas. Je n'ai pas envie qu'il fasse une connerie.
Isaac s'arrêta et le retint, l'obligeant à se stopper par la même occasion. D'un pas rapide, il se plaça devant lui et posa ses mains sur ses épaules, qu'il frictionna doucement.
- Jackson va bien, d'accord ? Fais-lui confiance et laisse-le un peu seul de temps en temps, précisa-t-il.
- Mais mec, tout à l'heure, je l'ai surpris à essayer de se coiffer ! S'exclama l'hyperactif d'un ton douloureux.
- Et alors ?
- Et alors il avait mal ! Isaac, il est toujours blessé. Quand je lui laisse… De l'espace, comme tu dis, il… Il fait n'importe quoi. Ce matin, je l'ai juste laissé une demi-heure. Je n'ai pas envie qu'il force, qu'il se fasse mal lorsque je ne suis pas là. Si le processus de guérison s'était déclenché, peut-être que…
- Stiles, le coupa Isaac en le regardant le plus sérieusement du monde. Son loup est bloqué et il le restera un moment, tu le sais. Lorsque sa partie humaine et sa partie lupine iront mieux chacune de leur côté et se seront mises d'accord, il guérira comme tout bon loup-garou. Mais ce n'est pas encore le cas et il faut l'accepter. Tu te souviens du temps que j'ai mis à guérir ?
Stiles déglutit tandis qu'Isaac prenait sur lui. Repenser à cette période n'était pas chose facile et dire qu'il avait complètement dépassé les traumatismes qu'elle avait engendrés serait mentir. Honnêtement, le bouclé n'avait même pas envie d'y faire allusion, mais il le fallait. De son côté, Stiles avait les yeux écarquillés par la souffrance qui montait en flèche dans son odeur.
- Combien de temps, Stiles ? Répéta Isaac.
L'hyperactif détourna le regard et la honte se fit une place parmi les mille et une autres émotions qu'il ressentait à l'heure actuelle. Il connaissait fort bien la réponse à cette question vu qu'il s'était occupé d'Isaac aussi personnellement qu'il s'occupait de Jackson.
- Cinq mois, souffla-t-il.
Et les blessures d'Isaac étaient monstrueusement nombreuses, bien plus que celles de Jackson, qui terrifiaient Stiles tant elles recouvraient son corps. Mais le pire était celles qui ne se voyaient pas directement. Isaac avait passé ces cinq mois alité – une vingtaine de jours à l'hôpital et le reste chez les Stilinski – et plusieurs infirmières s'étaient régulièrement relayées pour s'occuper de lui. Des côtes cassées. Une jambe cassée. Certains doigts cassés. Ou plutôt brisés. Le résultat d'un passage à tabac bien plus violent que les autres. Une pulsion de violence qui avait bien failli se révéler meurtrière.
- Exactement, cinq mois, répéta Isaac. Alors tu ne dois pas t'affoler. J'ai eu un déclic. Il l'aura aussi. Peut-être plus tôt, peut-être plus tard mais ça, tu ne peux ni le savoir ni le contrôler. La différence entre lui et moi, elle est simple. Moi, c'était mon père qui me battait et ce n'était pas quelque chose de nouveau. Lui, il a été vendu du jour au lendemain pour servir de jouet. Tu es intelligent, Stiles, et je sais que tu peux comprendre que ce genre de vécu met un certain temps à être digéré.
Stiles poussa un soupir tremblant en fermant les yeux avec force et en serrant les poings. Bien sûr qu'il savait tout ça, et le rappel brutal de l'histoire de ses deux protégés n'était pas forcément ce dont il avait besoin à cet instant. Isaac avait peut-être réussi à reprendre un cours de vie plus ou moins normal, Stiles souhaitait plus que tout que Jackson y arrive aussi mais ne pouvait empêcher le poison insidieux du doute de l'assaillir.
- Tu me fais confiance ? Lui demanda le bouclé en descendant ses mains jusqu'à attraper les poings de Stiles.
A son contact, l'hyperactif se décrispa et rouvrit les yeux. Il ne répondit pas, mais son regard ambré parlait pour lui. Isaac esquissa un léger sourire.
- Alors crois-moi et laisse-lui l'espace dont il a besoin.
- Je vais essayer, promit Stiles.
Son regard était teinté d'un mélange de peur et de détermination qui faisait plaisir à voir. Car si Stiles doutait souvent de sa valeur et de ses actes, il pouvait faire preuve d'une étonnante ténacité. Il n'était pas du genre à abandonner, à laisser tomber à la première difficulté. Le conseil d'Isaac lui paraissait étrange voire contreproductif, mais lucide et empreint de vérité. Et pour essayer de l'appliquer, Stiles devait voir ça comme un défi – par chance, c'était le cas. Ainsi, il hocha la tête pour lui signifier qu'il avait compris et commença à se tourner pour repartir dans la direction de sa maison. Isaac le retint par le bras et perdit tout sourire. Stiles lui lança un regard interrogateur.
- A vrai dire, commença Isaac d'un air gêné, ce n'était pas de ça dont il fallait que je te parle.
Discuter de Jackson était important, faire comprendre à Stiles qu'il devait être patient l'était également et Isaac le referait si besoin. Néanmoins, il devait passer à un registre encore plus sombre et plus sérieux. Pour être honnête, il n'en avait pas la moindre envie, mais la sécurité de l'humain comptait énormément à ses yeux. Il devait l'empêcher de faire une erreur. L'empêcher de se mettre en danger.
Et puisqu'il fallait que l'hyperactif l'écoute, Isaac lui fit reprendre leur marche. Si Stiles rentrait maintenant, il profiterait de la moindre échappatoire pour se soustraire à lui et éviter la discussion. Il se mettrait à crier également, ne serait-ce que pour parler plus fort que lui. De son côté, Jackson avait besoin de calme et entendre l'hyperactif hurler son désaccord ne l'aiderait pas. Isaac avait alors trouvé ce stratagème un peu particulier mais efficace.
- J'ai été à la vente aux enchères des Calaveras, comme prévu, commença-t-il.
Stiles et Noah Stilinski menaient une double-vie depuis quelques années. Une double-vie des plus particulières. L'hyperactif croisa les bras sur son torse. Dans ses yeux brillaient une lueur d'intérêt tandis que son visage gardait un air des plus sérieux et que son odeur prenait une fragrance d'inquiétude. Dès qu'Isaac en avait été capable, il s'était proposé pour s'ajouter à l'équipe du père et du fils et il fallait avouer que son aide était précieuse.
- Elle a commencé avec de simples objets de collections, rares et coûteux. Les enchères sont vite montées, continua le bouclé.
- Viens-en au fait, s'il te plaît.
Parce que Stiles se doutait bien qu'Isaac ne le gardait pas à l'extérieur pour parler babioles et antiquités. La famille de chasseurs originaire du Mexique avait des choses à se reprocher, mais les ventes d'objets obtenus plus ou moins légalement n'avait rien d'inquiétant. Stiles avait ses soupçons et c'était pour cette raison qu'il avait mis Isaac sur le coup. Le blondinet était un loup-garou mais qui savait camoufler ses instincts lupins et passer pour un simple humain. A noter qu'il avait commencé à développer un semblant de résistance à l'aconit tue-loup. Disons qu'il en retardait les effets, assez pour tromper un chasseur.
- Ils annonçaient une enchère spéciale à la fin de la vente, « une rareté comme on n'en voit plus », qu'ils disaient. C'était un loup noir.
Stiles hocha la tête. Et puisque la famille Calavera était une famille de chasseurs, l'animal devait être un métamorphe, un garou.
- Il était en piteux état, mais ça n'a pas empêché de faire monter les enchères.
- Il était sous sa forme complète ? S'enquit l'hyperactif.
- Oui.
Ce qui ne signifiait qu'une chose : le garou était un loup de naissance et non un mordu, comme Isaac et Jackson. Une véritable rareté. Une espèce en voie de disparition certaine car trop chassée il y a de cela des années. Pas étonnant qu'il soit encore en vie. Les Calavera avaient dû le mater, mais tout faire pour le garder vivant et s'en débarrasser pour un prix exorbitant. De véritables ordures.
- Tu as pu récupérer les informations personnelles de son acheteur ?
Au hochement de tête hésitant et silencieux d'Isaac, Stiles fronça les sourcils. Il s'attendit alors à ce que son ami lui déballe son identité sans attendre, comme il avait coutume de le faire chaque fois qu'il revenait d'une mission de ce genre. Mais Isaac baissa les yeux et regarda le sol sans cesser d'avancer, avant de souffler en mettant ses mains dans ses poches.
- Pourquoi tu ne dis rien ? Demanda-t-il, la voix adoucie par l'inquiétude.
La gêne et le mutisme d'Isaac n'étaient jamais annonciateurs de bonnes nouvelles.
- Disons que c'est la partie qui va te faire hurler et qui m'a poussé à te faire sortir pour éviter d'avoir les tympans détruits, répondit le loup-garou en se grattant nerveusement l'arrière de la tête.
Stiles s'arrêta et fronça d'autant plus les sourcils. Isaac se stoppa également et se mentalisa pour annoncer la nouvelle en espérant que l'hyperactif fasse, pour une fois, dans la demi-mesure. Isaac avait peur de sa réaction, mais pas dans le sens que l'on pouvait imaginer. Il n'était pas terrifiant, au contraire. Simplement, le sujet était épineux et était sans cesse source de disputes entre eux.
- Tu connais l'acheteur, souffla Isaac en relevant les yeux vers son ami.
Cette fois, l'étonnement se peignit sur le visage encore juvénile de l'hyperactif. Il portait une barbe de trois jours, mais elle n'enlevait rien à sa jeunesse et à cet air adorable qu'il ne faisait pas exprès d'arborer.
- Pardon ? Fit-il, incrédule.
- Tu connais l'acheteur, répéta le loup-garou avec un peu plus de conviction.
Stiles secoua la tête. Il eut l'air de réfléchir et sans doute le fit-il sérieusement puisqu'il se mit à arborer une moue concentrée. Isaac fut incapable de dire si c'était bon signe ou non. Sans doute l'humeur perplexe et sceptique de Stiles se dégraderait-elle lorsqu'il se déciderait à lui donner la pièce manquante du puzzle. Au bout d'un moment, l'hyperactif releva un air perdu dans sa direction :
- Je ne vois pas du tout qui pourrait… Non, en fait, je ne peux pas connaître l'acheteur. Tu sais très bien que je fais attention à mon entourage et que je ne parle pas à n'importe qui… Ces gens-là, je les condamne. Si j'en côtoyais un…
Il grimaça de dégoût.
- … Je pense que je l'étriperais avant de le jeter aux bêtes sauvages, continua-t-il, mal à l'aise. Tu sais, que je déteste ces ordures. Tu n'imagines pas que…
Isaac étouffa un rire.
- Actuellement, tu es le seul à t'imaginer des choses.
Stiles leva les yeux au ciel. Avec si peu d'informations, aussi… Le loup-garou reprit alors son sérieux. Là. C'était là que son ami allait devoir se faire violence pour ne pas hurler.
- Scott, lâcha-t-il simplement.
Stiles eut l'air interdit une seconde, comme s'il n'avait pas réellement compris ce qu'Isaac avait dit. Comme s'il n'avait pas réellement prononcé ce prénom. Le bouclé profita de son trouble pour lui révéler ce qu'il avait découvert lors de sa mission :
- Il était à la vente aux enchères. C'est lui, l'acheteur du loup noir. Je suis désolé… Mais j'aimerais que tu évites de le revoir.
Stiles regardait Isaac d'un air ahuri teinté de reproches, l'air de dire « tu ne penses pas ce que tu dis, n'est-ce pas ? » et c'était exactement les mots qui traversaient son esprit à l'heure actuelle. Puis, voyant que le loup-garou ne revenait pas sur ses paroles, l'hyperactif se raidit et l'on vit enfin un début de colère apparaître dans ses prunelles. Il savait où il se trouvait. Il savait que l'on pourrait entendre son esclandre s'il laissait ses émotions dicter sa conduite. Isaac avait de la chance qu'il soit raisonnable. Autrement, il serait parti en courant pour rentrer chez lui et attendre son retour pour enfin se mettre à crier comme il en avait envie. Lorsqu'il était en colère, Stiles pouvait se montrer fort démonstratif, sans jamais basculer dans la violence. Il n'était pourtant pas du genre à hurler, mais Isaac et lui entretenaient un différend qui l'énervait de plus en plus à chaque fois qu'il était énoncé.
- Isaac, je t'adore, commença Stiles en serrant les poings.
Sa voix était chaude et glaciale en même temps. Un mélange étrange entre sang-froid et colère contenue. Isaac était conscient de la manière dont son sang devait bouillir dans ses veines, mais il n'en avait cure. Le sérieux et l'inquiétude primaient. Il ne dit rien et attendit alors que l'hyperactif développe sa pensée qui, assurément, serait fort sucrée à son égard.
- T'es comme un frère pour moi et je te respecte énormément. Mais il va falloir que tu arrêtes de faire une fixette sur Scott. Je sais que tu ne l'as jamais apprécié et je ne t'en veux pas : on ne peut pas s'entendre avec tout le monde. Pour autant, ce n'est pas une raison de lui trouver des points noirs chaque fois que tu penses à lui ! Et inventer cette histoire… Non mais t'es pas bien ?!
Il avait haussé le ton, mais pas assez pour alerter les voisins. Isaac croisa les bras sur son torse et dissimula ses émotions à la perfection. Ne pas être cru était toujours une épreuve, l'une des pires à ses yeux. Pour être honnête, il s'attendait à cette réaction mais se disait qu'il ne pouvait, de toute façon, pas garder cette information pour lui. Tant pis s'il passait pour un idiot, un obsessionnel.
Il n'avait jamais aimé Scott. Jamais. Non, jamais il n'avait pu voir son visage en peinture. Mais Isaac n'était pas stupide et savait mettre cette espèce de haine instinctive de côté lorsque cet idiot de McCall passait à la maison Stilinski. Mieux : il évitait de se montrer et préférait rester dans sa chambre ou bien s'éclipser plutôt que de voir cet homme, qui avait leur âge. Mais avec ce qu'il avait appris, la haine s'était transformée en quelque chose de bien plus profond.
Il était inquiet.
Isaac savait parfaitement ce qu'il avait vu, ce dont il avait été témoin et le déni de Stiles ne le ferai pas douter. C'était même tout l'inverse.
Scott McCall était bel et bien présent lors de cette vente aux enchères, vêtu d'un costume hors de prix et les cheveux plaqués contre son crâne, arborant la panoplie complète de l'homme d'affaires aguerri et froid. Drôle d'accoutrement pour celui qui disait être vétérinaire… Isaac se souvenait dans les moindres détails de son expression lorsqu'il avait remporté l'enchère concernant le loup noir. Il avait vu une espèce de satisfaction perverse apparaître dans son regard. Quelque chose de morbide. Honnêtement, il avait peur pour l'animal-garou.
Pour Stiles aussi.
Néanmoins, même s'il était au courant de l'ampleur du déni de son ami et que ses mots seraient bien différents s'il connaissait la vérité concernant le latino, Isaac fut blessé. Blessé parce que Stiles lui faisait confiance, mais pas au point de remettre en doute l'intégrité de celui qu'il considérait comme son frère de cœur depuis des années.
- Sérieusement Isaac, arrête ça ! Je t'en supplie, arrête ça ! J'ai vraiment pas envie qu'on s'engueule alors juste… Fais un effort s'il te plaît et garde tes suppositions pour toi. Scott est véto, on se connaît depuis qu'on est gosses ! Pour la vente, on enquêtera, je mettrai mon père sur le coup. Non, mais soupçonner mon meilleur ami ! S'exaspéra l'hyperactif en contenant au mieux sa colère.
Isaac avait beau avoir un certain self-control, il ne put s'empêcher de rétorquer d'un ton agacé :
- Je l'ai vu !
- Tu as mal vu ! S'exclama Stiles, sur un ton ferme qui n'appelait pas de réponse.
Isaac ravala la bouffée de colère et de souffrance qui l'envahit. Il serra les poings : il devait mettre ses émotions de côté et surtout ne pas les laisser le submerger.
- On rentre, décréta-t-il d'un ton froid, le visage fermé.
De toute évidence, Stiles ne l'écouterait pas, alors à quoi bon insister ? Ce qui comptait, c'était le fait qu'il ait semé les graines de ce qu'il avait appris. Du reste, il faudrait attendre. Être patient. Isaac attrapa un peu sèchement le bras de son ami qui râla et continua d'épiloguer sur ce qu'il considérait comme absurde. Mais Isaac s'en fichait. Stiles n'avait pas conscience qu'il le blessait avec ses mots, tout comme il n'avait pas conscience que son attitude renforçait le besoin d'Isaac de faire d'autant plus attention à lui.
Il se fit notamment la petite note mentale d'informer Noah de sa découverte. Après tout, il faisait partie de l'équipe et chacun de ses membres se devait d'avoir toutes les cartes en main.
Qu'importe ce qu'en pensait Stiles.
