Le sourire de Stiles était perturbant. Large, presque solaire. Mais il était là, le hic. Presque. Jackson ne cessait de le voir, ce sourire. Alors à force, il savait décoder la moindre de ses variantes. Il était du genre à analyser tout ce qu'il voyait, tout ce dont il était témoin et ce, à outrance. Il s'agissait d'une douloureuse déformation due à la condition à laquelle on l'avait forcé à se soumettre. Ainsi… Oui, il arrivait à savoir que ce sourire-ci était faux. Comme celui de la veille au soir, lorsque Stiles était pointé pour s'occuper de ses jambes. Et même s'il continuait d'avoir peur malgré lui, Jackson se demanda si son sauveur savait qu'il pouvait voir à travers ce masque qu'il maintenait sur son visage. Peut-être ne savait-il pas que Jackson avait accès à ses sens lupins malgré sa difficulté à guérir et… C'était sans doute mieux ainsi. Le blond appréciait l'idée d'avoir encore quelques secrets, de ne pas être complètement découvert. Peut-être qu'un jour, l'ignorance de Stiles lui servirait, qui sait ?

Jackson ne saurait toutefois pas dire si l'hyperactif allait mieux que la veille ou non. Quelque chose n'allait pas, c'était certain. Il était… Etrange. Mais il s'efforçait de lui sourire, toujours. De faire comme si tout allait bien, comme si rien ne l'atteignait. Pourquoi faisait-il ça ? Jackson n'avait pas le droit d'exposer ses faiblesses, du moins… Pas directement et chaque fois que le contrôle de lui-même lui échappait, c'était involontaire. Pourquoi Stiles, de son côté, ne le pourrait-il pas ? Il était en position de force. Toujours. Il était son sauveur… Croyait-il devoir avoir l'air sans arrêt impeccable ? Même si Jackson continuait d'être terrorisé, il avait envie de lui dire de se laisser aller et qu'il n'avait pas à garder cette façade si c'était juste pour le mettre en confiance. Il avait le droit de, juste… Ressentir. Était-il pour autant capable d'ouvrir la bouche pour cela ? Non. Mais il le pensait. Très fort.

- Et voilà ton bacon. Toujours pas d'œuf ? S'enquit l'hyperactif après avoir déposé une petite assiette remplie de tranches bien grillées devant lui.

Jackson secoua doucement la tête. A ça au moins, il était capable de dire non. Toujours sans un mot. Il n'arrivait pas à parler, c'était… Dur. Et trop tôt. S'il lui arrivait parfois de répondre, c'était rarissime et uniquement lorsque ses mouvements de tête ne suffisaient pas.

- Bon, eh bien… Déjeune bien et… N'hésite pas à m'appeler si tu as besoin de quelque chose ou si tu as mal, lui dit Stiles.

Nouveau hochement de tête de la part du blond qui s'était tendu. Il n'aimait ni ce qu'il voyait, ni ce qu'il entendait. Disons qu'à force, il commençait à connaître l'humain qui lui faisait face et même si la peur obscurcissait toujours son jugement, il avait noté ses petites habitudes, ses mimiques, ses tocs. Stiles parlait beaucoup, sauf quand il allait mal. Ses mots s'enchaînaient avec fluidité, sauf quand il allait mal. Son sourire était franc, sauf quand il allait mal.

Il ne fuyait jamais, sauf quand il allait mal.

Lorsqu'il se retrouva seul dans la cuisine une poignée de secondes plus tard, Jackson se demanda s'il avait fait quelque chose de mal, parce que… Sa terreur constante ne l'empêchait pas de s'habituer, lentement mais sûrement, à sa présence. Il pouvait même dire qu'il commençait à l'apprécier. Doucement, il commençait d'ailleurs à en être de même concernant Isaac. Enfin, peut-être. Jackson n'était pas sûr de vouloir se l'avouer – à cause de cette peur qui ne cessait de le torturer. La vérité, c'est qu'il était terrifié à l'idée d'accorder une confiance qui n'avait, pour lui, pas le moindre fondement. Comment s'assurer que ni Stiles ni Isaac ne lèveraient jamais la main sur lui ? Jackson peinait à avancer et à voir la vie autrement qu'à travers un spectre de violence. Pourtant tout allait bien, avant. Avant que des personnes malintentionnées découvrent sa nature lycanthropique et décident de l'enlever pour satisfaire leurs sombres desseins. Jackson avait beau être détestable – et il s'en rendait compte –, il n'avait pourtant pas eu l'impression de mériter le traitement qu'on lui avait infligé. Ces heures de tortures qui l'avaient brisé. Ce dressage qu'on avait opéré sur lui. Alors non, Jackson n'était pas un saint – et il ne le serait jamais – mais… Sa vie n'aurait jamais dû prendre un tel tournant.

Maintenant, le voilà incapable de se détendre, incapable d'avancer. Ses progrès étaient minces, trop minces à ses yeux pour qu'il les prenne en compte. Voulait-il s'en sortir ? Peut-être. En avait-il l'énergie ? Ça, ce n'était pas certain.

Jackson se tendit. Son ouïe lupine captait quelque chose et il l'identifia rapidement. A quelques pièces de la cuisine, le téléphone de Stiles sonnait – et bordel que sa sonnerie lui bousillait les tympans. Il se prit à espérer que l'humain décroche rapidement, ce qu'il se passa. Et il entendit la quasi intégralité de la conversation. Jackson ne cherchait pas à espionner son sauveur, au contraire. En fait, il aimerait vraiment pouvoir ne rien entendre de ce qui s'échangeait, mais il y avait un problème avec son loup intérieur. En plus de ne pas réussir à guérir à vitesse lycanthropique, le blond était incapable de brider ses sens comme il le faisait autrefois. Parfois, c'était son odorat qui l'embêtait et d'autres fois… Sa peau devenait complètement hypersensible et le moindre frottement de ses vêtements sur son corps pouvait le tendre – si l'on mettait la douleur et l'horreur de ses blessures de côté. Disons que Jackson n'avait pas la mainmise sur ses propres dons et il le vivait mal. Bien sûr, il ne disait rien, toujours dans cette optique de garder de potentiels « avantages » pour lui et de ne pas étaler davantage ses faiblesses. Alors voilà, il entendit presque tout. Reconnut le timbre de voix de Scott McCall, le meilleur ami de Stiles. Perçut son envie de passer le voir. Capta l'hésitation de l'hyperactif et une sorte de gêne. Ecouta son cœur battre alors qu'il lui disait ne pas avoir envie de voir qui que ce soit pour l'instant et avoir du travail. Un tas de choses à faire. Entendit Scott soupirer. Insister. En lui promettant que sa visite lui ferait du bien. En plus, il avait quelque chose de très important à lui dire. Quelque chose qui lui tenait à cœur.

- Je ne sais pas Scotty, je… J'ai vraiment envie d'être tranquille.

- Oh allez Stiles, fais-moi plaisir. Je te jure, tu ne le regretteras pas.

Une pause, un soupir. Jackson capta la gêne grandissante dans l'odeur de Stiles. Une odeur forte, entêtante tant elle était saupoudrée d'angoisse.

Puis, une réponse.

- Non, je… Non, pas aujourd'hui, Scott. Je veux rester seul pour l'instant. Demain, si tu veux, tu… Bref, à plus tard.

Stiles raccrocha tout de suite, ne laissant ainsi aucune occasion à son meilleur ami de répondre. Toujours dans la cuisine, Jackson se crispa en espérant que l'hyperactif n'était réellement pas au courant de la portée de ses sens lupins. Comment réagirait-il, s'il savait que le blond entendait la plupart de ses conversations ? Jackson ne le voulait pas et à vrai dire, il se bouchait parfois les oreilles, mais ça ne fonctionnait pas. Ses dons étaient très développés, plus que ceux de la plupart des loups-garous. Cependant, Jackson ne le savait pas, puisqu'il n'avait jamais pensé à comparer ses facultés avec celles d'un autre lycan.

Le jeune métamorphe peina à terminer son assiette. Elle n'était pas bien grande, mais il avait toujours du mal à manger ce que Stiles considérait comme une dose suffisante. Effectivement, Jackson avait besoin de se remplumer : les mauvais traitements et la privation l'avaient quelque peu amaigri. Son estomac avait donc perdu en taille et en capacité. Cependant, il apprenait peu à peu à remanger comme avant et faisait des efforts pour cela. Alors, il fit de son mieux et se sentit lourd lorsqu'il eut mangé la dernière tranche de bacon.

Manger était d'autant plus dur qu'il continuait de se sentir mal. Parce qu'il pensait beaucoup et ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine forme de culpabilité. C'était comme ça à chaque fois que son ouïe surnaturelle s'activait alors qu'il ne le désirait pas. Et ça le rendait malade, même s'il faisait en sorte que personne ne le sache. En fait, c'était aussi ça qui l'empêchait de se détendre en présence de Stiles. Il l'épiait parfois sans le vouloir et… Forcément, ses dons pas toujours contrôlables rendaient l'intimité de l'humain parfois obsolète. Si l'hyperactif finissait par le découvrir… Que se passerait-il ? Lui en voudrait-il ? Lui ferait-il payer son indiscrétion, même si elle était involontaire ? Jackson ferma les yeux un instant. Son cœur battait vite, trop vite. Il entendit un nouveau bruit. Un raclement de chaise, des doigts taper sur un clavier. Stiles devait être en train de travailler. Jackson se maudit, serra les dents et pria pour que son don se mette en pause. Bordel, il avait l'impression de l'espionner réellement et il détestait ça ! D'un coup, sa panique prit de l'ampleur et, sentant la crise arriver à grands pas, Jackson rouvrit brusquement les yeux. Il fallait qu'il aille dans sa chambre, et vite. Alors, il se leva un peu vite, ignora les légers vertiges qui firent un instant valser son monde. Se dit qu'il devait au moins débarrasser, autrement Stiles pourrait lui en vouloir. Déjà qu'il ne faisait pas grand-chose pour l'aider et qu'il lui donnait du travail supplémentaire avec sa seule présence… Mais voilà, il paniquait et cet état rendait ses gestes encore plus gauches et tremblants que d'habitude. Alors en voulant débarrasser, il fit tomber quelque chose. Quoi ? il ne le sut pas vraiment tant sa vision devint floue. Le bruit qu'occasionna l'assiette en se brisant – elle lui avait glissé des mains – s'insinua en lui et le terrifia. Parce qu'il lui rappelait des choses. Ses jambes cessèrent de le porter et Jackson, tétanisé, ne sut que faire. Incapable d'esquisser le moindre geste, il resta au sol, tremblant de tous ses membres. Dans sa tête, des tas de scénarios, des images passées au ton de présent. Les mains des autres, la tête de Stiles. De la colère, de la haine, de la douleur. Des scènes entières se reproduisirent dans son esprit, identiques à ce qu'il avait vécu, mais le personnage principal avait changé. Cette fois, c'était Stiles qui prenait un malin plaisir à le faire descendre plus bas que terre, à le réduire à l'état d'esclave, de punching ball, de… De rien.

- Jackson ! Cria-t-on.

La voix forte ne le fit se crisper que davantage. Serrer les dents. Appréhender la suite dans un chaos mental le plus total. Mais le pire c'est que… Jackson savait par expérience qu'il devrait d'ores et déjà être en train de protéger sa tête pour éviter qu'un coup mal placé ne lui nuise. Le fit-il ? Non, parce que sa tétanie l'empêchait de faire quelque mouvement que ce soit. Il était au sol, les yeux fermés et ne pouvait rien faire d'autre que de trembler de tous ses membres. Il avait mal, aussi. Mal, parce que ses blessures mettaient trop de temps à guérir et sa peau… Elle était si sensible. Trop. Et Jackson ne savait pas ce qu'il était capable de supporter dans cette situation, son hypersensibilité et ses problèmes lupins s'étant développés après qu'on l'ait sorti de l'enfer. Alors, il espéra que Stiles soit bref ou alors… Que lui-même s'évanouisse rapidement. Il en avait besoin. Il avait trop peur des conséquences de son indiscrétion involontaire et… Du bruit qu'il avait causé, de ce qu'il avait peut-être cassé.

Mais Jackson n'eut à subir aucun déferlement de violence. Aucune colère. La voix de Stiles, au départ forte tant il était affolé, se transforma en un murmure. Quelque chose de doux, de faible, de tremblotant. Et puis il attrapa Jackson, le redressa doucement, le pressa contre lui. Passa sa main dans ses cheveux. Les caressa avec une douceur maladroite. Lui parla, beaucoup. L'aida à respirer normalement. Le berça. Lui répéta longuement que tout allait bien. Jackson ne comprit pas l'entièreté de ses paroles, son attention s'évaporant quelque peu de temps à autres, mais il se raccrocha à ce qu'il entendait pour se sortir de cette crise difficile à vivre. Il chercha à se contrôler, à reprendre l'ascendant dans cette situation tout en se sachant incapable de le faire. Ce n'est que lorsqu'il céda complètement à son angoisse et qu'il lâcha prise que les choses changèrent. Il laissa sa tête reposer contre le torse de l'hyperactif, fondit dans son étreinte désespérée et retrouva peu à peu une respiration normale. Il ne le fit pas par confiance, mais plutôt parce que sa crise, qu'importe le temps qu'elle avait duré, l'avait tout simplement épuisé. Et Jackson n'avait pas l'énergie nécessaire pour se battre contre ce dont il avait besoin. La patience de Stiles l'aida beaucoup même s'il ne s'en rendit pas vraiment compte. Parce qu'il n'était pas conscient du temps qui passait et des efforts déployés par l'hyperactif pour le calmer. Mais il se reposa contre lui, longuement, jusqu'à ce que Stiles en décide autrement.

Fut un moment où Stiles lui demanda doucement d'ouvrir les yeux. Evidemment, Jackson s'exécuta, non sans crainte et eut le cran de relever légèrement la tête pour croiser ces orbes ambrées qu'il savait dépourvues de toutes trace de colère. Parce qu'en fait, c'était ça le problème. Il était conscient du fait que Stiles ne lui voulait que du bien et ne lui en voudrait pas pour quoi que ce soit. Mais sa peur l'empêchait de garder ça à l'esprit. Alors, il doutait en permanence même là, alors que Stiles continuait de caresser ses cheveux avec une douceur fébrile.

- Je vais te ramener dans ta chambre, d'accord ? Fit doucement le châtain.

Jackson baissa les yeux et hocha faiblement la tête. C'est à ce moment-là, un peu plus calme, qu'il aperçut des morceaux blancs éparpillés sur le sol. Il s'affola, les pointa du doigt, sans doute pour signifier qu'il avait cassé quelque chose et qu'il devait nettoyer.

- Je m'en occuperai, ne t'en fais pas.

Sans laisser le temps à Jackson de s'en vouloir davantage, Stiles l'aida à se relever. Si Jackson grimaça, l'hyperactif garda une expression qui se voulait neutre.

Stiles ne demanda pas à Jackson s'il pouvait marcher, tout simplement parce qu'il l'épaula d'autorité en le soutenant avec toute la force qu'il avait. Et le loup-garou se reposa sur lui, tout simplement parce qu'il n'avait pas le choix. L'épuisement était là, réel. Il écrasait tout autant son corps que son esprit et si sa culpabilité était toujours présente, elle semblait comme… Endormie, anesthésiée. Parce qu'il n'en pouvait plus, que sa crise l'avait éreinté. Alors, il ne résista pas, tout comme il chercha à suivre ses mouvements au mieux même s'il sentait clairement les efforts que fournissaient l'humain pour l'aider à marcher. Le constat qu'il se faisait souvent lui revint en pleine face : Stiles ne lui ferait pas le moindre mal. Et il voulut le croire, sincèrement.

Peut-être qu'il se détendit un peu, lorsque l'hyperactif l'aida à s'allonger et le borda – il était un peu maniaque à ce sujet – avec patience. Qu'il prit le temps s'assoir au bord du lit et de continuer à lui parler, un peu, à caresser ses cheveux avec cette patience qui semblait innée.

Jackson ne sut pas vraiment pourquoi il perçut un soupçon de joie dans l'odeur pourtant toujours nauséabonde de l'hyperactif. C'était petit, très léger. Cependant, c'était toujours mieux que cette colère qu'il redoutait tant mais qui n'arrivait pas. Alors cette fragrance, aussi peu tangible soit-elle, lui fit du bien et le rassura sans doute un peu plus que les mots de Stiles.

Peut-être était-ce pour cela que pour la première fois depuis son arrivée ici, Jackson le laissait lui caresser ainsi les cheveux.