La fièvre, aussi forte soit-elle, n'atténua pas l'émotion qui prit Stiles aux tripes. L'horreur le figeant sur place, il ne put rien faire d'autre que laisser les images s'imprimer dans son esprit, s'y graver avec une brutalité certaine. Les barreaux, l'odeur, la peur à laquelle il faisait face. Et il n'avait pas besoin des yeux d'un loup pour percevoir la terreur de Jackson, dont il croisa le regard. A une vitesse étonnamment rapide malgré la maladie et l'espèce d'engourdissement qu'elle provoquait chez lui, Stiles fit état de l'endroit. De grandes cellules alignées les unes à côté des autres. Au fond, Jackson. Dans celle à sa droite, un animal. Un loup noir…
… Dans un état pitoyable.
Et si cette description aurait dû lui sauter aux yeux, c'est évidemment vers Jackson que son attention alla en premier. Pas qu'il oubliait le canidé, mais… Il voyait la façon dont son protégé se tenait, la terreur folle dans ses yeux clairs. Recroquevillé au fond de sa cellule, Jackson le regardait sans pouvoir réprimer ses tremblements. Ses vêtements partiellement déchirés laissaient entrevoir un peu de pourpre par endroit – Stiles en eut aussitôt la nausée. Imaginer que l'on ait pu faire du mal au blond le rendait malade, alors constater ce fait lui faisait mal. La douleur, il la ressentait directement dans son cœur.
- Jackson, souffla-t-il, purement choqué.
Le susnommé semblait dans le même genre d'état que lui : sous le choc. L'on pouvait ajouter à cela une certaine confusion et une terreur indicible. Le pauvre ne devait sans doute pas comprendre ce qu'il se passait, ce qui lui était arrivé… Et Stiles non plus, mais il allait le sortir de là. Il devait faire vite. Ainsi, il se précipita vers les barreaux, manipula le cadenas en tremblant et regarda tout autour de lui. Ignorant la bouffée de chaleur qui le prenait soudainement, il chercha du regard tout élément qui pourrait lui être utile. Peu idiot, il savait fort bien qu'il ne trouverait pas la clé permettant d'ouvrir le cadenas ici… Mais une grosse pince pourrait faire l'affaire… Un sécateur aussi. Et il y avait des outils accrochés un peu plus loin.
Ses yeux allèrent naturellement se poser sur le cadenas de la cellule d'à côté. Et ils croisèrent les prunelles cyan du loup noir. Si Stiles ne chercha pas à analyser son attitude, il jeta un coup d'œil aux autres cages : vides. D'un mouvement rendu vif par l'adrénaline, il s'empara de la plus grosse pince qu'il trouva et se posta devant la cellule du loup. L'humain se savait faible, mais il se connaissait. En cas de problème avec l'animal, il saurait réagir – il avait l'habitude. Il préférait donc laisser Jackson enfermé, en sécurité, tant qu'il ne s'était pas assuré que le canidé ne réagirait pas mal. Car le libérer aussi était pour lui une évidence et les plaies qui trouaient sa fourrure noire lui faisaient un effet certain. Simplement, Stiles avait le cœur battant et, dans son état, ne ressentait pas grande émotion. Son moteur : l'urgence. Il devait faire vite.
La bouche close et pince en main, Stiles se rapprocha de la cage. C'est alors que le loup se mit soudainement à grogner. L'humain, malgré son habitude du danger et de l'animalité en général, eut un mouvement de recul incontrôlable qu'il réfréna dès qu'il le put.
- Du calme, articula-t-il sans trop élever la voix.
Sa gorge lui faisait mal et puis… Il avait peur de faire du bruit, peur d'alerter. Peur de se retrouver définitivement pris au piège en attirant l'attention du propriétaire de l'endroit. La possibilité que celui-ci ait pu s'absenter lui traversa l'esprit, mais il préféra ne pas compter dessus. Stiles avait suffisamment connu le terrain pour savoir qu'il ne devait absolument pas se reposer sur des hypothèses allant dans le sens qu'il préférait.
Mais le loup se mit à grogner de plus en plus férocement en le regardant méchamment. Et Stiles devrait se faire la réaction que les yeux d'un tel animal ne pouvaient pas être si clairs, si transcendants… Mais il n'était pas dans son état normal – l'épuisement menaçait son entreprise des plus périlleuses : car si l'idée de Stiles était de libérer le loup avant de s'occuper de Jackson et de l'emmener avec lui, son plan n'allait pas plus loin.
- Je vais te sortir de là mon loulou, n'aie pas peur, tenta-t-il tout en positionnant correctement la pince.
Par chance, l'interstice entre la base de l'objet et sa barre courbée était suffisamment grand pour qu'il puisse y glisser son arme.
Mais il avait parlé sans adoucir son ton, sans jeter le moindre regard au loup. Stiles était passé dans une configuration mentale qui le poussait à se montrer des plus efficaces : il limitait donc ainsi gestes et paroles inutiles, dans le but de réserver toute son énergie à sa fuite proche. Il pensa brièvement à ce qui serait sans doute une course et réprima au mieux l'angoisse qui le prenait. Car il ne savait pas si Jackson réussirait à courir, s'il était endurant à ce niveau-là… Tout comme il se demanda combien de temps lui-même tiendrait. Dans le cas où il risquait de devoir porter son protégé… Stiles stoppa ainsi sa réflexion, les sourcils froncés. Agir. Voilà ce qu'il devait faire. Le reste importait peu.
Il força mais eut bien du mal à briser le cadenas. Ses traits se déformèrent sous l'effort et même si c'était difficile, il n'abandonna pas. Persuadé que la grosse tenaille lui permettrait d'arriver à ses fins, il s'entêta… En vain. Les mains tremblantes, il laissa tomber la pince à terre mais pas dépourvu d'espoirs, il posa à nouveau les yeux sur le mur d'outils. S'il s'agissait pour lui d'outils de bricolage simplement présents sur un pan de mur à côté de la porte par souci de place, il ne put empêcher la surprise de s'emparer de lui lorsqu'il découvrit, au pied de l'établi juste à côté, quelque chose qu'il ne pensait pas trouver là mais qui pourrait bien lui servir. Dans d'autres circonstances, la tenaille aurait pu lui suffire : car sous les vêtements un peu amples de l'humain se cachaient des muscles qui, s'ils n'étaient pas forcément extrêmement dessinés, lui conféraient une force certaine. Malheureusement pour lui, la fièvre l'en privait, chacun de ses mouvements était d'une fébrilité stupéfiante et Stiles se retrouvait grandement affaibli. Le souffle irrégulier, il n'hésita néanmoins pas le moins du monde à s'emparer du chalumeau. Qu'importe la raison pour laquelle il se trouvait là, le fait est que Stiles comptait bel et bien s'en servir. Si sa capacité de réflexion se retrouvait partiellement limitée par sa faiblesse généralisée, elle était tout de même toujours là.
Un couinement parvint soudainement à ses oreilles et il se retourna sans attendre.
Le loup noir ne grognait plus, avait perdu son air menaçant. En revanche, il le fixait – et Stiles avait l'impression de lire de la peur dans ses yeux cyan. Préoccupé, l'humain jeta un coup d'œil à Jackson. Il était terrifié, lui aussi… Mais pas de la même façon.
- Tout va bien, d'accord ?
Stiles ne savait pas à qui il cherchait à s'adresser réellement. Sa voix chevrotait, n'avait pas de ton particulier, mais les mots, les phrases toutes prêtes… Ça sortait tout seul. Il devait se faire discret au cas-où, simplement… C'était comme s'il avait besoin de combler le silence pour se convaincre lui-même que tout allait bien se passer alors qu'il se savait prêt à s'effondrer à tout moment et que l'on pouvait arriver d'un moment à l'autre.
Stiles s'approcha à nouveau de la cage et parla d'instinct :
- Recule, s'il te plaît.
Comme s'il avait compris, le loup noir glapit et alla se poster tout au fond de sa cellule, la queue entre les pâtes. Il couina de peur, encore et encore. Comme pour s'éloigner davantage de Stiles et de son arme particulière, il se colla contre les barreaux, le museau entre ses pattes, les oreilles baissées.
