Tamashi no Moribito
Gardien des Âmes
Chapitre 2
Bien-Être Spirituel
Les deux semaines suivant cette sortie en taverne accompagnée de Balsa, Alika n'était plus sortie de la maison de Tante Yuka. Elle restait sois dans sa chambre à relaxer, à écrire, à lire ou à dormir, ou elle se promenait dans la maison de guérison, par-ci, par-là. Alors qu'elle passait dans le couloir, elle entendit Tante Yuka parler avec une jeune femme dans le salon. Elle se dirigea alors vers la pièce désignée et jeta un coup d'œil furtif et intrigué. Son cœur manqua un battement... C'était elle. La Messiah de la taverne. Elle était franchement bien habillée, de blanc comme toujours, bien assise droite sur sa chaise avec un sourire radieux. Alika remercia sa mère d'avoir récolté des informations à son sujet.
« Alika-Chan ! l'appela Tante Yuka.
- Eh bonjour..., dit-elle. Ne vous dérangez pas pour moi surtout—
- Non, ne t'en fais pas. Je vais te présenter la fille d'une de mes très bonnes amies.
- Où est Maman ?
- Partie faire quelques emplettes au lassal Yonsa. Elle ne va revenir qu'à midi. Tu sais qu'elle ne peut pas rester sans bouger très longtemps.
- Ah...
- Tire-toi une bûche. »
Alika prit place sur la chaise aux côtés de Yuka et essaya de son mieux possible de ne pas trop scruter Messiah. Sa grande tante lui expliqua à quel point Messiah était une petite artiste, et que, de temps en temps, elle venait parfois aider à la maison de guérison pour l'art du Reiki; une méthode de soins d'origine japonaise, fondée sur des soins énergétiques par apposition des mains ou de pendule. Alika connaissait la moitié des informations grâce à Balsa, mais elle n'avait pas su ni deviner que Messiah était aussi une médium dans les énergies.
« Mais avec mon nouvel emploi, je viens de moins en moins souvent, expliqua la jeune femme aux cheveux de feu.
- Ta visite nous fait toujours un grand plaisir, la rassura Yuka avec un sourire. D'ailleurs, voici ma petite-nièce, Alika.
- Enchantée.
- Enchantée, répondit Alika.
- Je dois vous laisser les filles. Je dois m'occuper en urgence d'une patiente. »
Elle les laissa toutes les deux dans la même pièce. Aucune des deux ne voulait entamer la conversation, mais au final, Messiah commença.
« Et toi, tu es ici pour quelle raison ? la questionna-t-elle. Si tu acceptes de me répondre, bien sûr. Je suis un peu indiscrète.
- Pour une psychothérapie... j'ai subi des traumatismes l'hiver dernier et je ne suis plus capable de remonter la pente. Ma Maman m'a donc envoyée ici comme dernier espoir pour m'aider à guérir.
- Je vois... »
Au fur et à mesure qu'elles parlaient, Alika sentit pourquoi Messiah était aussi imposante. Elle était comme Jin, le hunter ou comme son petit frère et Maho. Elle avait une énorme horde d'esprits qui l'accompagnait, au moins quatorze. Mais ce qui la différenciait de lui, c'était qu'elle était médium malgré elle.
Puis, elle posa une question qui laissa Alika légèrement sans voix.
« Dis, Alika, ma question va peut-être paraître bizarre... mais... crois-tu en la réincarnation ?
- Hein ? La réincarnation ? s'étonna-t-elle.
- Oui...
- Bien sûr que j'y crois.
- Beaucoup ?
- Oui, vraiment beaucoup. Pourquoi la question ? »
Messiah détourna le regard, puis soupira.
« Tu vois ma horde, pas vrai ? Je ne les vois pas ni les entends, mais je sais qu'ils sont là. Je vois légèrement les auras aussi... »
Alika fit légèrement le saut. Ainsi, elle était au courant de son énorme horde d'esprits.
« Hé bien... oui, lâcha la jeune guerrière. Et à moins d'être médium, très peu de gens sont entourés d'un aussi grand nombre d'esprits. Surtout si ceux-ci sont permanents. Normalement, ils sont temporaires.
- Je vois… les miens ne sont pas des personnes décédées que je connaissais personnellement dans cette vie-ci. Ce sont des esprits qui ont choisi de leur gré de me suivre et dont j'ai accepté... tu te souviens d'il y a deux semaines ?
- Oui, je m'en souviens. Je t'ai vue pour la première fois à la taverne. Mais j'étais trop gênée...
- Moi aussi je voulais te parler, me déclara-t-elle. Ton énergie m'intriguait. Mais comme tu vois, je suis un peu timide d'aller vers les autres dans les tavernes. J'ai été contente que la femme qui t'accompagnait soit venue me voir.
- En fait... pour tout dire la vérité... la femme qui est venue te voir était ma mère.
- Oh !... hé bin, elle a sauvé ma commande de nourriture. »
Elles discutèrent quelques minutes, qui se changèrent en heures. Lorsque Balsa revint de sa sortie extérieure, Alika les présenta. Messiah et Balsa hochèrent la tête et se saluèrent. La jeune femme aux cheveux rouges dû les quitter pour faire son Reiki. Mais juste avant de quitter la pièce, elle se retourna et dit à l'intention d'Alika :
« Si tu veux, je peux t'aider à débloquer ton énergie. Ton énergie est compressée, et elle a besoin d'être relâchée afin de circuler comme avant. »
La fille de Balsa resta sans voix, et après une courte réflexion, elle hocha positivement la tête signe comme quoi, elle acceptait sa proposition. Si ça pouvait l'aider à revoir Jiguro et les autres esprits de ses propres yeux et les entendre à nouveau, ça lui donnerait un grand coup de pouce.
Après que Messiah lui eut proposé son aide, elles se recroisèrent dans le couloir après son dernier patient de la journée.
« Quand est-ce que tu aimerais que nous nous se voyons ? demanda Messiah à Alika.
- Je ne sais pas, je suis assez en mode ermite depuis mon arrivée ici... hum...
- Si tu veux, nous pourrions se voir demain en journée. Tu resterais jusque chez moi en soirée. Nous méditerons ensembles. Es-tu capable de méditer ?
- Bien sûr, quelle question ! s'exclama-t-elle. Je parviens à méditer même les yeux ouverts.
- C'est une bonne chose. Je demandais ça parce qu'une de mes amies ne parvenait pas à méditer ni même à se concentrer. Donc si tu n'avais pas su comment, je t'aurai refilée un coup de main.
- Oh, c'est gentil.
- Bien, je te laisse mes coordonnés. Voyons nous demain vers treize heures de l'après-midi, ça te convient ?
- Oui.
- Super, alors à demain, Alika-Chan.
- À demain, Messiah-Chan ! »
Elle la salua et referma doucement la porte, s'éloignant avec une grande partie de sa horde. Alika ne les voyait plus physiquement mais elle sentait leurs énergies. Yuka s'approcha d'elle et lui demanda comment s'était passé la rencontre avec Messiah. Sans gêne ni peur, sa petite-nièce lui dit que sa nouvelle amie allait lui donner un coup de main avec ses énergies bloquées et qu'elles avaient prévues de se voir le lendemain.
« Oh, c'est une bonne chose. Tu as toujours été dans les énergies Alika-Chan. Tu as dû retenir des facultés médiumniques de ton père, et, avec l'enseignement que ta Grand-Mère Torogai t'a légué, ça forgé la puissante médium que tu es maintenant. »
Elle dévisagea sa grande tante avec de grands yeux. Pourquoi avec autant d'étonnement la dévisagea-t-elle ? C'était bien la première fois qu'Alika l'entendait lui parler ouvertement des énergies et tout.
« Tante Yuka, j'ai une question pour toi...
- Vas-y ? l'invita-t-elle alors qu'elles allaient vers sa cuisine.
- Es-tu une sorte de médium en tant que telle, toi aussi ? »
Le petit sourire en coin qu'elle fit ne laissa planer aucun doute.
« À ton avis, pourquoi je tiens une maison de guérison ? l'interrogea-t-elle avec un sourire, la regardant comme si c'était presqu'une évidence.
- Ne me dis pas que...
- Que fait Messiah comme second métier ?
- Elle fait du Reiki. Tu l'as dit toi-même.
- En effet. Et moi ? Spirituellement, qu'est-ce qui s'allie bien avec le métier que je fais présentement ?
- ... Tu es un magnétiseur, Tante Yuka ?! s'éberlua Alika. »
Yuka hocha la tête, fièrement.
« Exactement. Je suis magnétiseur. Mon magnétisme est plus élevé que la moyenne des gens. Je l'utilise pour améliorer la santé et les problèmes physiques, parfois psychiques comme toi, de mes patients.
- Oh...
- Tu pourrais développer ton magnétisme également. Tu as le potentiel pour le faire.
- Oui, sans doute. Mais j'ai toujours préféré le mode de vie de Maman, combattre et tout.
- Ça, qui ne l'avait pas remarqué ? rit-elle. Ce n'est qu'une suggestion. Si ça ne te passionne pas, il ne sert à rien de t'embarquer dans quelque chose qui ne te fera pas plaisir. »
Alika alla s'enfermer dans sa chambre et s'assit sur son lit pour méditer. Quand elle n'avait pas de but fixe à atteindre quant à sa méditation, par exemple se calmer, elle ne savait jamais à quoi s'attendre. Fera-t-elle une réminiscence de vie antérieure ? Aura-t-elle une discussion avec un esprit de passage ? Elle ne pouvait pas prédire ce qui arriverait. Elle se concentra sur sa respiration et calma son fil de pensées. Le calme avant la tempête, comme lors d'un combat.
Instinctivement, les mots chaînes, contrat, désespoir, double maléfique, gobelin... lui vinrent en tête. Elle tenta de les tasser pour en recevoir d'autres, mais ceux-ci lui revenaient constamment en mémoire. Elle s'extirpa de sa légère transe en rouvrant les yeux, puis les referma afin d'y déceler une nouvelle réponse, de nouveaux mots.
Sa demande fut exaucée, car cette fois, les mots Jiguro, vol, garde du corps, lancier... arrivèrent très rapidement. Elle rouvrit encore les yeux et soupira avant de s'étendre dans son lit. Parfois, il était préférable de ne pas trop creuser la question et de laisser aller les choses.
Sa rencontre en privée avec Messiah se passa très bien, dans la bonne humeur. Elle lui offrit une ou deux séances de Reiki, mais Alika ne voyait aucune différence entre avant et après. Son amie aux cheveux rouge avait pourtant décelé de très gros blocages au niveau de ses chakras et ils étaient tous désalignés. Avec les lèvres pincées, Messiah décida de faire une nouvelle approche et se renseigna à son propos.
« Dis-moi, Alika, quelles sont tes connaissances quant au monde spirituel ?
- Oh, il y en a tellement que je ne peux pas répondre à une question aussi vague.
- Je vais donc les rendre plus clairs et plus précises. À quel degré peux-tu voir les esprits ? En vois-tu quelques-uns, la moitié ou tous ?
- Je les vois tous sans exception. Les gardiens, les âmes perdues, les faucheurs... enfin... je les voyais tous avant de bloquer mon don volontairement suite au décès de ma petite-amie défunte, Amaya, morte d'une pneumonie...
- Et maintenant, qu'en est-il d'eux ? Les vois-tu encore ?
- Je ne vois que des ombres sombres et lumineuses, ainsi que des silhouettes et c'est périodique. Mon don a été totalement scellé il y a de ça quelques mois... mais Grand-Mère a toujours dit que j'étais une médium trop puissante pour ce monde. En fait, je n'aurai même pas dû naître en tant qu'être incarné...
- Bloquée depuis quelques mois, alors. Vois-tu, ou voyais-tu, autres choses ?
- Je voyais aussi les ailes, les auras, les chakras et ressentais les énergies que les pierres fines émanaient. Je pouvais recevoir des informations personnelles sur des personnes que je venais à peine de rencontrer – ou qu'ils étaient juste de passage – sans même leur parler directement. Je peux prédire des tirages et des événements, ainsi que savoir le sexe des enfants à naître. Je vois aussi... l'ombre de la mort sur le visage des gens. Et ça, c'est une capacité hérité par mon père. Elle ne fait pas partie de mes préférées et j'ai réussi à la bloquer. »
Messiah avait tout écrit sur papier.
« Alors si tu es au courant de tes chakras, es-tu au courant quels chakras sont déséquilibrés ?
- ... Tous, avoua Alika. Mais je ne sais pas vraiment comment les guérir et les soigner. Je ne sais pas par où commencer. Mais je sais qu'une grande partie de mes souffrances est liée à la perte d'Amaya. Mes chakras se sont déséquilibrés, fissurés, bloqués et cristallisés.
- C'est pour ça que je suis là et t'ai proposée mon aide. Il faut les guérir, les balancer et colmater les brèches par lesquelles ton énergie primaire fuite. Tu te sens probablement plus fatiguée qu'avant, même si tu dors toutes les heures de sommeil que tu as besoin.
- Oui, effectivement. Ça va paraître étrange... mais au moment où j'en ai fait le constat, je t'ai rencontré à la maison de guérison de Tante Yuka...
- Rien n'arrive pour rien. »
Messiah sourit.
« Commençons par le principal, le racine : l'instinct de survie, qui se trouve entre tes jambes. Ton racine est bloquée. Ton sacré : la vitalité, la capacité de mouvement, l'équilibre et la sexualité. Il est fissuré et s'est cristallisé en même temps... et, je ne sais pas pourquoi, mais je sens un résidu d'énergie. Dans ma vision, c'est gris très pâle. »
Alika se raidit. Elle avait fait une barrière avec ce qu'elle avait vécu et avait peur de se faire juger. Elle détourna légèrement les yeux. Messiah n'insista pas plus, mais Alika, se sentant mal de ne pas lui dire cette importante information, finit par céder.
« ... J'ai avorté d'urgence après m'être faite agresser par viol collectif..., dit-elle de façon lasse. Ce n'était pas le bon moment... et cette âme ne méritait pas que je déplace ma haine sur elle. Elle n'a jamais demandée, non plus, à se réincarner. On l'a forcée et emprisonnée dans mon ventre... je n'étais pas en mesure de mener à bien une grossesse avec mon état psychologique et élever un enfant dont je ne pouvais même pas savoir qui était le père... je n'ai pas eu le choix, Messiah, je n'ai pas eu le choix... »
Le voile se déchira et elle se mit à pleurer. Messiah se leva et posa doucement sa main sur son dos.
« Hey Alika-Chan. Je ne suis pas là pour te juger et je comprends parfaitement. Tu n'es pas responsable de quoique ce soit.
- Mais mon frère qui est aussi médium dit le contraire..., pleura-t-elle. Il m'a tellement jeté d'affreuses choses.
- Quel âge a-t-il ? Est-il plus vieux que toi ?
- Non. Il n'avait que dix ans à l'époque.
- C'est très étonnant qu'un gamin puisse dire de telles choses.
- Justement… alors la seule réponse que j'ai pu confirmer fut qu'une mauvaise esprit l'a utilisé pour me rabaisser et m'humilier, me traitant d'assassin et d'irréfléchie. Qu'à cause des femmes qui avortent comme moi, les orphelinats spirituels débordent à craquer d'âmes... l'esprit n'a pas réussi à comprendre que je n'avais pas le choix... encore aujourd'hui, même si je connais la vérité derrière ces dires, j'en veux encore à Nao, même s'il s'est excusé. Je suis rancunière et je le reconnais. Concernant mon choix, même les esprits comprennent à ce stade-là !
- Les esprits ne sont pas des êtres dénudés d'émotions. Nous sommes bien placées pour le savoir. »
Lentement, Alika se calma. Messiah lui dit qu'en travaillant avec ses techniques et les chakras, l'énergie résiduelle de cette petite âme allait disparaître au fil des séances. L'âme n'était plus là en tant que telle, mais la trace de son énergie demeurait encore à cet endroit.
« Continuons. Ton plexus solaire : les énergies émotionnelles, les désirs, le pouvoir personnel, l'instinct de propriété. Il est palpable avec le niveau de rancœur et de colère que tu possèdes en toi. Il est immobile et dur comme du crystal.
- Je m'en doutais...
- Ton chakra du cœur est fissurée : l'amour, la compassion, l'altruisme. Lorsqu'il est malade, c'est la dépression, la tristesse et le dégoût de soi. Sa couleur est représentée comme étant verte, mais dans ton cas, quand je le visualise, il ressort de couleur rosée... est-ce que je me trompe ? »
Malgré ses yeux rougit, Alika fit un petit sourire.
« Non. Le rose est ma couleur préférée, peu importe les tons. C'est une harmonisation entre la couleur rouge du racine, et la couleur blanche du chakra couronne. Ensembles, ça donne le cœur, le rose.
- Quelle belle vision des choses. Ton chakra de la gorge est bloquée – communication, expression et jugement.
- Je n'avais peur de rien, je fonçais et je disais tout spontanément plus jeune et avant cet événement. Maintenant c'est... il y a un blocage, effectivement. J'ai des crises de panique.
- Ton troisième œil – intuition, imagination, intellect, intelligence et clairvoyance... il me donne du fil à retordre. C'est comme si on avait posé quelque chose par-dessus.
- Un sceau, par hasard ? l'aida Alika.
- Oui. Et ça, je ne peux même pas le retirer.
- C'est le sceau que ma grand-mère a apposé... mon frère et moi n'arrêtions pas d'utiliser le monde spirituel pour se foncer dessus et s'attaquer. Nous avons perdu contact avec la réalité, nous étions déconnectés. À un tel point, que c'en est devenu dangereux... alors voilà pourquoi.
- Je vois. Et enfin, ton couronne. Il est fermé. La mort de ta petite-amie l'a beaucoup affecté, de même pour ton cœur. Est-ce que ça t'aide à les identifier ?
- Oh oui. En plus des psychothérapies avec Tante Yuka, ça va me permettre de soigner aussi les blessures spirituelles. »
Grâce à l'aide de Messiah, Alika put identifier les faiblesses de ses chakras et connaître les différentes façons de les soigner. Son amie proposa de commencer par le racine, afin d'avoir une bonne base solide. Doucement, mais à une vitesse toutefois phénoménale, les chakras d'Alika se réalignèrent et s'harmonisèrent avec ses émotions. Les fissures se colmatèrent, et les chakras qui étaient cristallisés se liquéfièrent doucement. Bientôt, tous ses centres énergétiques recommencèrent à tournoyer en harmonie et luirent de leurs belles couleurs de l'arc-en-ciel.
Messiah vit également une amélioration à propos de son aura au fils de ses progrès et efforts. Dans leurs débuts, Alika avait principalement une aura noire-grise et au fil du temps qu'elle travaillait de concert avec les énergies et ses psychothérapies, son aura blanchissait à vue d'œil. Bientôt, des couleurs firent leurs apparitions. Les gens étaient plus portés à aller vers elle. Alika semblait moins intimidante.
« Dis Messiah... as-tu une bague spirituelle autour de ton annulaire gauche ? »
Messiah eut les joues qui se teintèrent de rose. Alika pouvait sentir qu'elle était amoureuse et possédait cet aura destinée aux âmes sœurs : blanche, avec un soupçon de vague d'énergie rose.
« Personne... n'est sensé la voir.
- Je sais. Sauf les médiums. Ma Maman ne l'a jamais vue alors que je l'ai toujours repérée sur ton doigt.
- Mon mari spirituel... est ma première âme sœur et c'est un faucheur. Son nom est Niran.
- Un fils de La Mort également, comprit Alika. Est-il parent avec une certaine Nahoko, par hasard ?
- Oh ? Oui. Nahoko est sa petite sœur. C'est la gardienne de Yuka.
- Il me semblait que ton gardien me disait de quoi...
- Comment ça ?
- Hé bien... nous nous sommes déjà croisés il y a deux ans. Quand il est intervenu dans le monde de Sagu. »
Un matin, Alika se regarda dans la lame de sa lance alors qu'elle paressait au lit. Le reflet d'une plume attira son regard. Elle regarda au-dessus de son épaule et remarqua qu'elle pouvait voir de nouveau ses ailes. Son cœur se gonfla d'une joie immense. C'était six grosses paires, blanches translucides avec des brillants à l'intérieur, étendues tout le long de sa colonne vertébrale. La guérison prenait du temps, car elles étaient encore un peu abîmées. Son agression avait fait en sorte qu'elles étaient déchirées, arrachées et trouées avec des plumes manquantes. Mais les voir de nouveau la remplit d'une joie indescriptible. Cependant, un détail attira son attention : une seule aile était manquante – l'omoplate droite, de la paire principale. Et Alika avoua avoir mal de temps en temps à cet endroit. Elle retrouva Messiah et lui en parla, désirant avoir des réponses.
« Hum..., réfléchit-elle. Je ne peux pas dire si elle va repousser ou non, il va falloir attendre les années pour le savoir. Il arrive que les ailes soient arrachées si proche du cœur, qu'elles ne peuvent pas repousser et sortir du corps. C'est mon beau-père spirituel, La Mort elle-même, qui m'a dit ça.
- Du cœur ?
- Comment dire ça... nous avons notre cœur physique, l'organe en tant que tel. Même les esprits. Mais à l'intérieur de cet organe de chair, nous en avons un plus petit. C'est le cœur spirituel. Les ailes y sont rattachées, tout comme notre connexion aux autres univers spirituels.
- Peut-on... arracher le cœur spirituel ? déglutit Alika, nerveusement.
- Nous ne pouvons pas l'arracher aux humains, mais aux esprits, oui – si on les assassine et leur ouvre le corps. Le changement de l'âme en particule est impossible à éviter. Et encore là, je n'ai connu qu'un esprit ayant reçu ce genre de traitement.
- Qui ? la pressa-t-elle.
- ... La sœur aînée de mon beau-père. Elle a été tuée par leur père, La Mort, à l'époque.
- Pour... quoi ?
- ... Elle devenait trop forte et allait le remplacer. La faute à la soif du pouvoir, il ne voulait pas se faire remplacer. Alors il l'a assassinée. Tout ça pour t'expliquer que ce petit cœur spirituel est quand même assez vital pour l'âme... et les ailes.
- J'avoue avoir mal de temps en temps...
- Je pourrai demander à Niran s'il a un produit spirituel qui pourrait calmer la douleur. Ton gardien spirituel, Jiguro, pourrait l'apposer pour toi... ou Nahoko-San. »
Messiah fut l'aide qu'Alika avait besoin dans un domaine très peu connu des vivants. Cette Messiah fut l'élément déclencheur de son mouvement spirituel mit sur pause depuis trop longtemps... elle n'avait cessée de la remercier sincèrement pour tout le travail et l'aide qu'elle lui avait offert.
Ses énergies équilibrées et soignées, Alika revit graduellement le monde spirituel qui avait été bloqué et scellé par sa Grand-Mère. Cela se fit doucement. Telle ne fut pas sa surprise quand elle revit clairement Jiguro, en chair et en os, boire un thé et discuter avec ses anciens collègues et amis lanciers de sa génération, à la table de la cuisine de Tante Yuka !
Les auras des personnes qui l'entouraient furent plus visibles également. Elle ressentait l'énergie traverser ses mains de nouveau quand elle touchait des objets ou des éléments de la nature comme les fleurs ou les arbres. Elle parvenait à lire de nouveau les vies antérieures dans les habitudes et manies des personnes à qui elles parlaient. Ces « redécouvertes » de facultés innées en elle lui firent un bien immense et elle avait la douce impression de s'être enfin retrouvée. Elle était comme une enfant : émerveillée de par l'univers qui l'entourait et faisait ses propres découvertes.
Elle s'enferma dans sa chambre et médita un moment, tenant dans ses mains un Eulalie : une plante qui servait à effectuer un appel d'âme. Alika n'était plus une débutant en la matière, la pratique ne s'avéra donc pas aussi dangereuse pour elle. Jiguro décida toutefois de la veiller.
« Âme, prend la fuite, invoqua-t-elle. Élève-toi tels des oiseaux dans le ciel... »
Alika ne prit pas beaucoup de temps et son âme se changea en un bel oiseau de lumière dorée, dont la queue était étonnamment longue et ressemblait à des rubans. Dans l'un de ses serres, elle tenait sa lance matérialisée spirituellement pour le sortilège. Elle tournoya sur elle-même dans les airs et suivit le ruban d'énergie de sa Grand-Mère, à Yogo. Cette dernière était en train de se reposer dans la forêt, après avoir vagabondé par-ci, par-là. Torogai ouvrit les yeux en sentant l'énergie de sa petite-fille.
« Ça faisait un moment que je ne t'avais pas vue, dit-elle avec un doux sourire.
- Bonjour Grand-Mère. »
Torogai la regarda d'un œil nouveau.
« Je vois que ta thérapie chez ta Tante Yuka t'a grandement aidée et fait du bien.
- Oui. J'ai eu la chance de croiser et de rencontrer des gens qui m'ont aidée à guérir. Parmi eux, je dois une fière chandelle à Messiah. Elle a su comment réaligner mes chakras et travailler avec les énergies de nouveau, de façon saine.
- Ton énergie est redevenue saine et tu n'as plus cette aura grise et noire que tu avais quand tu es partie. Balsa avait raison de t'envoyer chez Yuka. Tu sembles aller beaucoup mieux. Je suis heureuse de le savoir. »
Alika s'agenouilla devant elle.
« Merci, Grand-Mère.
- Ah ? Pourquoi ai-je le droit à un merci ?
- ... Maintenant, je comprends ton action. Du pourquoi tu as choisi de sceller mes pouvoirs spirituels. C'était pour que je me redécouvre, que je fasse la paix avec moi-même et m'offre le pardon, l'amour et le bonheur que je refusais obstinément de m'accorder sans m'appuyer constamment sur le spirituel, que je sois plus indépendante à ce niveau. Tu désirais que j'apprenne de nouveau à être heureuse avec moi-même.
- C'était le but, tu as bien deviné. Et tu as travaillé très dur pour y parvenir. Je suis si fière de toi.
- Oh oui... Nao et moi avions été submergés dans ce monde immatériel, perdant contact avec la réalité, oubliant de vivre notre vie ci-présente en tant que vivants. Et c'est uniquement de cette façon que tu as pu me permettre de me réveiller à nouveau et de retomber les deux pieds sur terre. La reprise a été brutale et sec. Par moment, ce ne fut pas facile, voire même c'était très dur, mais honnêtement, avec le recul, ce fut une des meilleures choses qui me soit arrivée. Désormais, je sais que le spirituel – bien que c'est toujours une partie importante de moi-même – ne prendra pas toute la place dans mon quotidien et je pourrai vivre une vie épanouie dans l'instant présent... c'est pour ça que je désirai te remercier en personne. »
Ce qui se passa ensuite surprit Alika. Torogai était en train de pleurer en l'écoutant. Légèrement troublée, sa petite-fille était sur le point de s'excuser quand la chamane lui dit qu'elle n'était pas responsable de son état.
« Je reste une femme avec des émotions malgré tout... mais tes mots m'ont profondément émue. Jamais je n'aurai cru qu'une de mes interventions se montrerait aussi efficace dans le cheminement de la guérison... »
Torogai posa sa main sur sa joue pour la caresser.
« Alika, tu es une âme merveilleuse. Tu ne cesses de surprendre tous ceux qui t'entourent, et tu es dotée d'une telle volonté de vivre. Oui, petite fleur, va et continues de voler de tes propres ailes. Je suis si heureuse d'être ta Grand-Mère bien-aimée. »
Alika sourit et se jeta dans ses bras. Bien que Torogai ne puisse serrer à volonté son corps spirituel, Alika, elle, pouvait le faire.
« On se revoit cet été, comme promit ! s'égaya sa petite-fille.
- Bien sûr. Je t'attendrai avec impatience.
- Sinon, on s'appelle avec l'appel d'âme ! C'est notre secret et notre moyen de communication.
- Petite espiègle. Va ! »
Elle se changea en oiseau de lumière à nouveau et retrouva son corps à Kanbal avant de rouvrir les yeux et de sourire à Jiguro.
Balsa quitta le pays de Kanbal après un an de thérapie. Les séances et rendez-vous d'Alika avec Yuka étaient maintenant mensuels. Elle avait plus ou moins abandonné ses entraînements vigoureux quotidiens à la lance – le temps de se sentir prête à nouveau – ne s'entraînant qu'une à deux fois semaine quand elle ne s'entraînait pas avec Shozen.
Alors qu'elle mangeait en compagnie de Messiah et de Yuka, Alika ne put s'empêcher de faire une introspection. Elle se remémorait – comme un film – son comportement durant l'année qui avait précédé et suivi son arrivée à Kanbal.
« Tante Yuka, Messiah-Chan, je peux vous poser une question ?
- Oui Alika-Chan ? l'invita gentiment Yuka.
- ... Je me regarde dans le passé... j'étais vraiment différente ! Mon comportement, mes pensées, mon énergie. On ne dirait pas que c'était moi... moi-même j'ai l'impression de voir une autre personne... je ne comprends pas ce qui s'est passé pendant cette phase sombre... je n'étais plus là, je crois... »
Yuka prit une gorgée de lakalle et sourit.
« Alika, ce que tu as vécu, on appelle ça : avoir eu le nez collé au coin du mur. Tu ne voyais plus rien, tu ne pouvais pas voir quoique ce soit. Ta vision a été noircie comme si on t'avait jeté de l'encre dans les yeux. Ça été une très sombre période de ta vie.
- Tout de même...
- Ne sois pas si dur envers toi, ma chérie. Ça fait partie de ton histoire et tu as réussi à te sortir de ce trou noir sans fond. Tu as réussi à triompher les ténèbres. Tu as touché le fond et as bondi de nouveau. La résilience dont tu as fait preuve est exemplaire. Et je ne peux qu'être fière de ton cheminement et de la merveilleuse femme que tu es. Pas vrai, Messiah-Chan ? »
Messiah hocha vivement la tête alors qu'elle avait la bouche pleine et que, malgré tout, elle souriait. Alika remercia la vie de lui avoir permis de rencontrer des gens merveilleux qui l'avaient aidé à guérir, plutôt que l'enfoncer dans les méandres de la mélancolie et du regret. Plus jamais elle ne se laisserait abattre de cette façon-là. Elle ne voulait plus jamais revivre une telle tristesse qui la pousserait à commettre l'irréparable. Maintenant, Alika était armée. Et elle savait quoi faire dorénavant pour ne plus permettre à qui que ce soit de venir troubler sa paix intérieure.
« Un jour à la fois, petit à petit, cita Yuka. »
