Tamashi no Moribito
Gardien des Âmes
Chapitre 3
Se faire un nom et une place
Deux ans après son arrivée à Kanbal, lorsqu'Alika revint de ses vacances d'été à Yogo à dos de cheval, elle se dirigea directement à la Capitale de Kanbal, là où vivait le Roi.
Bien qu'elle fût en train de travailler sur cette lacune, elle avait développé un complexe bien particulier. Elle ne se sentait pas digne d'être lancière et se comparait sans cesse à sa mère, à Jiguro. À leurs talents. Eux, qui arrivaient à combattre plus de quatre ennemis à la fois, voire même, six. Et elle, dans tout ça, elle n'était même pas parvenue à protéger la femme qu'elle aimait ni sa propre personne en l'espace de quelques instants. Une autre chose cruciale la différenciait d'eux : elle n'avait jamais tué qui que ce soit de sa lance.
Quand tu pointes ta lance vers une personne, tu la pointes aussi vers ta propre âme. Comment t'en protéger, seule toi es en mesure de pouvoir trouver la réponse, résonnèrent les paroles de sa mère en tête.
Elle savait aussi que Jiguro tentait de la protéger de ce chemin parsemé de sang. Elle sentait qu'il la considérait comme « une petite fleur pur », comme sa lance n'avait jamais goûté le sang. À la Capitale, quand Shozen et ses amis disaient qu'Alika – une femme – parvenait à avoir le dessus sur un des fils des Lanciers du Roi, les autres guerriers du cercle du Roi ne les croyaient jamais. Ils pensaient que Shozen la laissait gagner car il avait pitié d'elle. Et même si elle n'était pas sensée le savoir, elle avait fini par le découvrir. Ce faisant, elle offrit, à qui le désirait, de se mesurer à elle. Jiguro ne l'ayant aidée que dans ses débuts – alors qu'elle était encore très fragile émotionnellement –, il ne prenait plus possession de son corps depuis quelques mois. Ce fut donc ses capacités seules qui arrivèrent à bout de ses adversaires masculins. Jour après jour, elle fit le tour des lanciers du cercle du Roi, un à un, prenant le dessus sur eux. La rumeur sur son agilité et ses habilités en tant que guerrière se répandit comme une traînée poudre dans toute la Capitale en moins d'une semaine.
En revenant chez Tante Yuka pour sa thérapie bimestriel, Jiguro retrouva sa protégée dans sa chambre. Il l'encourageait petit à petit.
« Ne viens pas me dire que tu n'as pas le talent quand tu arrives à combattre et à acculer les meilleurs des apprentis lanciers au pied du mur alors que tu ne t'es pas entraînée depuis une semaine, lui dit-il.
- Jiguro, tu ne comprends pas à quel point cette culpabilité me hante, murmura Alika.
- En effet, seule toi peux résoudre une énigme comme celle-ci et guérir cette blessure... mais tu as un talent naturel pour la lance et les arts martiaux, c'est certain. Grave ça en mémoire. »
Ce jour-là, de retour à la Capitale, entourée des guerriers et des gardes, Alika affrontait le dernier disciple du lancier du roi qui venait du clan Muto, Koda. Il avait les cheveux noirs et des yeux bruns, son teint était bronzé, signe qu'il restait très souvent à l'extérieur l'été.
Il avait frappé sur sa lance en utilisant plusieurs coups dans différentes directions, mais Alika les paraît avec une grâce féline et un calme impressionnant. Koda possédait des bras d'aciers et une musculature imposante. Mais la jeune guerrière savait qu'il s'épuisait rapidement. Elle n'avait qu'à guetter le moment où il deviendrait vulnérable, évitant ainsi tout risque de blessures. Elle le laissa d'abord dépenser ses forces, puisqu'il était physiquement trop robuste pour elle, puis quand elle le sentit fatigué, elle changea l'allure du combat en se portant elle-même à l'attaque. Elle força le grand guerrier Muto à dépenser une énorme quantité d'énergie pour se protéger. Koda résista à la furie soudaine de son adversaire, mais lorsque la botte de cette dernière s'enfonça brutalement dans son abdomen, il perdit le souffle. Voyant son visage tourner au rouge, Alika comprit qu'il était temps de mettre un terme au duel. Elle s'éloigna en abaissant sa lance, mais avant qu'elle puisse annoncer son intention de se retirer du combat, Koda fonça sur elle.
Son instinct de survie l'emporta et Alika multiplia les coups de lances et de pieds, empêchant Koda d'utiliser sa lame contre elle. Puis, dans un mouvement exécuté à une vitesse foudroyante, elle pivota en levant une jambe et heurta le bras du lancier si violemment qu'il lâcha sa lance. Stupéfait, il vit son arme décrire des arcs de cercle – l'espace d'un instant – dans les airs et atterrir aux pieds des spectateurs de la cour du roi, trop loin pour qu'il puisse la récupérer. Sa main chercha sa dague, mais Alika exécuta une nouvelle pirouette et lui asséna un puissant coup de pied sous le menton. Le choc déséquilibra Koda, qui s'écrasa durement sur le dos. Sa tête se mit à tourner, mais, rassemblant ses forces, il se releva sur ses coudes. La lame de la lance d'Alika s'arrêta à un centimètre de sa gorge.
« J'ai tout ce qu'il faut pour être lancière même si je suis une femme ! annonça Alika d'une voix forte afin que tous l'entende. Vous ne me croyez peut-être pas, mais ma mère est Balsa Yonsa ! Celle qui a été choisie comme étant le danseur pour la Danse des lances lors de l'avant-dernière cérémonie des remises ! »
Tous poussèrent une exclamation de surprise. En tant que bonne guerrière, Alika tendit la main vers Koda. Le grand lancier commença par la refuser en maugréant, trop orgueilleux, puis sous le regard insistant de Shozen, il l'accepta. Bien qu'il fût plutôt lourd, Alika parvint à le remettre sur pied.
Les lanciers, qui, au départ, étaient dubitatifs face à sa lance, finirent par s'habituer à sa présence au fil du temps. Alika n'avait plus rien d'exceptionnelle, même si elle restait la seule femme d'âge adulte à porter une lance au pays. Pour avoir ainsi mis la honte à la majorité des hommes lors de combats amicaux, lesquels l'avaient sous-estimé, elle avait gagné une forme de respect bien mérité. Ils étaient toujours contents de la voir quand elle était de passage à la Capitale.
Alika expérimenta quelque chose quand elle combattit Shozen Yonsa. Une sensation qu'elle avait déjà vécue lors de ses entraînements avec Balsa, et quelques fois avec Jiguro. De plus, Shozen était un adversaire exceptionnel, car il était gaucher ! Son côté droit était plus faible et Alika n'avait pas été habituée d'avoir des adversaires « miroir ». Malgré qu'il la prenait de court et par surprise, ils combattaient en parfaite harmonie.
Balançant sa lance en sa direction, elle expira lentement. Le calme qui venait toujours avant le combat prit place en elle, et la bouffé d'adrénaline courut en ses veines, rapetissant le monde à presque rien sauf elle et son adversaire. Au moment où elle leva sa lance vers lui, il bougea rapidement vers Alika. C'était comme regarder sa propre réflexion dans un miroir, bien que chaque clan possède une façon différente de manier la lance.
Alika avait hérité du maniement de la lance du Clan Musa, tout en copiant lentement celui de son adversaire, Shozen, qui était un Yonsa. Une profonde, crépitante, tension les lia ensembles et la chaleur défila à travers le corps de la jeune guerrière. L'énergie vint en elle, la frappant au niveau de la poitrine comme une vague s'échouant contre le rivage. Elle bondit sur Shozen et juste avant qu'elle ne puisse ramener sa lance, un frisson lui parcourut l'échine jusqu'à la moelle. Elle s'éloigna rapidement et plus vite que prévu, frappa sa lance de côté avec la sienne. Les étincelles fusèrent face à l'impact et déjà, sa lance rebondissait en décrivant un arc au-dessus de sa tête. Leurs armes se heurtèrent dans une vitesse étourdissante, poussant, parant et tourbillonnant à travers les airs comme un moulin. Alika n'avait plus recours à ses yeux ni à la conscience de son esprit ; son corps bougeait automatiquement, attendant à la toute dernière seconde avant de frapper plus loin la poussée de son adversaire et pouvoir ainsi contre-attaquer. Une étrange sensation se faufila en elle. C'est comme si elle dansait dans un rêve avec son adversaire comme partenaire, chaque mouvements menant naturellement au prochain dans un rythme confortable qui contrôlait son corps. Bien que leurs lances s'entrechoquaient dans une vitesse furieuse, le temps semblait bouger au ralentit, de façon fluide.
J'ai déjà fait ça, il y a très longtemps, pensa-t-elle un court instant. En effet, il y avait quelque chose de familier. Leurs lances commencèrent à ralentir et la tempête qui les consumait s'atténua, jusqu'à ce que finalement, ils en arrivent à être silencieux. Elle expira une bouffée d'air, remarquant avec surprise qu'elle avait arrêté de respirer. Leur duel, lequel avait semblé durer de longues minutes, n'avait pas dépassé trente secondes. Shozen et Alika se regardèrent dans les yeux. Il s'inclina légèrement et elle fit pareil en retour. Les lanciers et apprentis lanciers les regardaient tous en silence.
« C'était... la Danse des lances ! s'exclama enfin l'un d'entre eux, Tomoki du Clan Yonro. Shozen, tu as finalement atteint ce niveau ! »
La Danse des lances ! Oui, c'était ce qu'elle vivait de temps en temps avec Balsa et Jiguro, avant ce soir-là. Dans ses années d'adolescences, alors qu'elles pratiquaient ensembles, leurs mouvements étaient si parfaitement en harmonie qu'elles fusionnaient en une seule et unique parade. Elle regarda Jiguro un instant.
« Je retrouve enfin la combattante que tu étais, lui sourit-il. J'avais raison quand je te disais très souvent de ne pas douter de tes capacités. Tu ne me croyais pas, mais j'ai gardé confiance en toi et aujourd'hui, la Danse des Lances est revenue pour te prouver le contraire. Tu as le talent, Alika. »
Ses paroles lui firent un baume sur le cœur et ses doutes s'envolèrent instantanément. Elle n'avait effectivement jamais perdu la main pour les combats, mais elle était trop terrifiée et engloutie par son passé pour s'en rendre contre. Combattre était naturel chez elle.
« Alika ! l'appela Shozen en allant à sa rencontre. J'ignore totalement comment... mais... jamais je n'aurai cru danser ainsi avec ma lance en combattant !
- Ah bon ? Tu n'expérimentes pas la danse de lance à toutes les fois que tu combats ? s'étonna-t-elle. Je croyais que les Lanciers du Roi et leurs apprentis la dansaient presque toujours quand ils se combattent amicalement les uns contre les autres.
- Honnêtement, c'est très, très rare. Et il s'agit d'une croyance populaire. Peu ici sont nombreux à l'avoir expérimenté et ce n'est pas à chaque combat que ça se produit. Je donnerai tout pour revivre ce moment avec toi. »
Alika lui sourit et détourna le regard.
« Nous pouvons combattre amicalement n'importe quand... lorsque seulement je choisirai si oui ou non, ce jour-là, j'ai envie de combattre, dit-elle doucement.
- Ça marche. »
Le souvenir de cette première Danse des lances entre lui et elle se grava dans sa mémoire. La surprise fut encore plus grande quand, encore une fois, et pour toutes les autres fois qui suivirent cette parade, la Danse des lances refit surface à nouveau. Et ce, à chaque fois que Shozen et Alika s'affrontaient. À toutes les fois où leurs lances s'entrechoquaient, ils dansaient sans réfléchir. C'est comme si leurs âmes se rencontraient, dansaient ensembles et s'analysaient dans un dangereux et féroce ballet.
Vers la fin d'une danse en privée, dans une forêt sur le territoire Yonsa non loin de la maison de Yuka, alors qu'ils s'inclinaient l'un en face de l'autre, Shozen s'approcha d'Alika, posa sa main sur sa joue et se pencha vers elle. Il eut un moment d'hésitation – comme s'il avait peur de l'effrayer et qu'elle s'enfuit – et, enfin, déposa ses lèvres contre les siennes. Ce contact, furtif, la laissa sans voix, paralysée. Lorsqu'ils se séparèrent, il vit son regard troublé.
« Eh... je suis désolé, Alika-Chan, je ne sais pas ce qui m'a pris. »
Elle ne parvint pas à sortir un mot sur le coup. Se sentant mal, ignorant tout de son passé, Shozen s'excusa rapidement et partit sous prétexte qu'il devait aller à la cour. De son côté, Alika décida de retourner chez Tante Yuka, le temps que sa gêne et son malaise passe. Elle était dans la cuisine et touchait encore ses lèvres, sentant l'énergie de Shozen contre elles, comme si ce n'était pas réel. Ses lèvres picotaient légèrement.
« Alika, est-ce que tout va bien ? demanda Yuka en entrant dans la pièce. »
Alika s'extirpa de ses pensées et balbutia sa réponse.
« Eh, oui, oui.
- Ah ? Tu me semblais troublée. S'il te plait, arrête de te toucher les lèvres si tes mains ne sont pas propres.
- Pardon... »
Elle retira ses doigts prestement. Des sentiments étranges la prenaient soudainement. Quand elle se coucha dans son lit le soir, le visage de Shozen revint la hanter, dans sa tête. Mais... je croyais que je n'aimais que les femmes..., pensa-t-elle, troublée. Ce serait sans doute un nouveau sujet à discuter et à régler lors de ses psychothérapies.
Dans les jours suivant ce contact pour le moins, inattendue de la part de Shozen, Alika ne le recroisa pas à la Capitale. Elle décida de ne pas se faire de film et mit ça de côté, se disant qu'elle se faisait des films. C'était un homme et les hommes agissaient souvent avec un instinct animal. Shozen ne l'avait qu'embrassée par pulsion. Il ne pouvait pas la désirer réellement sans attendre qu'elle lui offre son corps pour assouvir ses pulsions primaires, et de toute façon, elle ne voulait pas rouvrir son cœur. Elle ne se sentait pas encore prête.
Mais juste alors, Shozen revint à la capitale à dos de cheval, accompagné de Koda Muto et Tam Muro, un lancier qui tenait ses cheveux bruns ondulés mi longs détachés et avec des yeux vert forêt, portant une barbe trimée et bien entretenue. À la vue de l'aura de Shozen, Alika sentit qu'il était très heureux de la revoir. Ses habilitées médiumniques lui permettaient de savoir si une personne était véridiques dans ses propos ou mentait en cachant ses véritables intentions et Shozen était réellement honnête envers elle. Il sauta presqu'en bas de sa monture encore en mouvement – qui fut prise en charge par des palefreniers – et se dépêcha de courir vers elle.
« Alika-Chan ! Tu es encore venue !
- Oui. On ne s'ennuie jamais à la Capitale. Tu étais passé où ?
- J'étais en mission diplomatique pour le Roi Radalle. Son fils est promis à une des princesses de Yogo. »
Une des sœurs de Niisan, comprit Alika. Mais elle n'osa pas demander le nom.
« Ça te dirait d'aller à la taverne ce soir avec nous ? proposa Shozen.
- Oui... à condition d'avoir un garde-du-corps, dit-elle, amusée.
- Qui est dans le besoin ? Moi ?... Ou toi ? la taquina-t-il.
- Hmmmm ! »
Tam, qui commençait à trouver leur amitié homme-femme un peu trop étrange, se racla la gorge. Ils s'entraînèrent un moment et dès que le soir arriva, ils se rendirent dans la taverne principale de la Capitale. Alika prit place sur la banquette proche des serveurs, idée de voir ce qu'ils mettaient dans leurs consommations. Jiguro les observait également et vérifiait constamment le contenu. Elle ne but pas beaucoup, se contentant d'écouter les récits de Shozen et ses camarades.
Soudain, ses poils se dressèrent sur sa nuque. Son intuition de médium lui disait de surveiller certains clients. Elle vit trois hommes dont les origines indiquaient qu'ils étaient soient métis – comme elle – ou des étrangers, assit dans un coin. Elle ne savait pas pourquoi, mais ils lui donnaient une drôle de sensation. Ils regardaient la taverne et prenaient des notes. Les Kanbalese étaient de nature méfiante envers les étrangers... en général. Et Alika se surprit à s'être accoutumée à la croyance populaire Kanbalese de se méfier des étrangers. De plus, les clients qui étaient des guerriers, comme les lanciers du cercle du Roi et elle-même, devaient par respect laisser leurs lances sur le bord du mur, sur des supports prévu à cet effet; c'était pour empêcher certaines disputes de dégénérer, ayant pour déclencheur l'alcool, pouvant aller jusqu'au meurtre.
Les trois hommes cherchaient peut-être quelqu'un, mais Alika ne le pensait pas. Ils n'étaient pas en train de scruter la taverne à la recherche de visages amicaux : ils pointèrent un endroit et le fixèrent distraitement. Elle suivit leurs mouvements et regards et fut surprise de voir qu'ils ne regardaient pas un homme, mais une femme.
C'était une jeune femme, pas plus vieille que seize ans, dans son coin. Ses cheveux blancs comme neige et son teint très pâle lui donnaient l'illusion d'être une petite fée dans ce pays nordique. Alika comprit qu'elle devait être albinos et pourtant, elle la trouvait magnifique. Ses yeux semblaient être violets ! Mais elle était seule et Alika fût surprise de voir qu'elle n'était pas accompagnée de qui que ce soit. Shozen se redressa vivement, disant qu'il devait se vider la vessie. Alika lui fit signe que tout ira bien et qu'elle l'attendrait. Puis, elle attira l'attention du garde de la taverne, Zeya, qui la connaissait bien. Il se tenait près du mur. Elle inclina la tête vers lui. Zeya hocha la tête en signe de compréhension – il les avait vus aussi, cependant, il ne donna aucun signe que quelque chose n'allait pas. Il maintenait sa garde à la taverne, sans prêter une attention particulière aux trois hommes.
Puis, au même moment, la jeune femme se leva et sortit hors de la taverne. Peu de temps après, les trois hommes sortirent en prenant leurs lances. Le cœur d'Alika accéléra et elle ne put s'empêcher de mettre sa cape sur ses épaules.
« Koda, je sors un moment prendre l'air, si jamais Shozen me cherche. Je ne veux pas qu'il croit que je vous ai faussé compagnie, s'empressa de dire Alika en se dirigeant vers sa lance.
- Pas de soucis. Je lui dirai.
- Merci ! »
Elle récupéra son arme au passage pour suivre les trois hommes à l'extérieur. Alika repéra rapidement l'énergie de la jeune femme aux cheveux blancs, plus loin. Son aura semblait briller dans la nuit, alors elle n'eut aucuns problèmes à la retrouver. Puis, il y eut des éclats de rire masculins – un peu trop bruyant pour ses oreilles. Elle les vit courir et tourner dans le coin d'une ruelle, là où, justement la jeune femme presque féérique avait disparu. Elle entendit un faible cri et se mit à courir dans la même direction.
« Lâchez-moi, je ne vous ai rien fait ! criait la jeune femme. »
L'un d'entre eux éclata de rire. Alika arriva sur les lieux au moment où l'un d'entre eux avait posé sa main sur la poitrine de la jeune femme qui leur criait d'arrêter et se débattait. La vision de la jeune guerrière se voila et elle vit rouge. Alika n'avait pas eu de garde ni même un sauveur pour la défendre lors de son agression dans la taverne de Yogo conquise par les Talsh. Alors non, Alika n'allait pas rester-là, à ne rien faire et à voir une femme se faire violenter sous ses yeux.
« Lâchez-là ! rugit-elle. »
Sa voix rauque sembla surprendre les hommes. Son cri venait de son ventre et non pas de sa gorge. Elle sauta sans scrupule sur l'homme qui tenait son emprise sur la jeune femme aux cheveux de neige pour faire barrière entre eux. Elle lui asséna un coup de pied bien placé dans ses parties sensibles. L'homme cria en se penchant de douleur.
« Espèce de salope ! la traita-t-il. »
Elle le repoussa durement d'un coup de genou sous le menton, contre le deuxième plus grand qui se tenait juste derrière lui. Alika les contourna et sauta sur le troisième telle une tigresse enragée. Ses traits de visage étaient déformés par la rage pure et le reflet de la lune la rendait encore plus pâle que d'ordinaire. Si le troisième homme riait un moment, il ne riait plus en voyant la lame d'Alika devant ses yeux. Il avait entendu parler d'elle à la Capitale, mais jamais il n'avait cru à de telles rumeurs, se disant qu'elles avaient été enjolivées.
Tout se passa en l'espace d'un instant. Sans préambule ni pause, il essaya d'enfoncer sa lance dans sa poitrine. Elle s'écarta du chemin de la frappe. Elle n'avait pas prévu de changer de direction. Son corps avait simplement réagi instinctivement. Il réduisit rapidement l'espace entre eux, ne lui laissant pas le temps de réfléchir. Alika s'accroupit et leva sa lance, bloquant l'autre lance avec un bruit strident. Il recula d'un pas et dirigea sa frappe suivante vers son côté gauche, mais la guerrière le bloqua rapidement avant de se précipiter sur lui, en grognant. Il fut si surpris qu'il ne bloqua pas son coup. La pointe de lance d'Alika traversa sa poitrine, près de son cœur. Il grimaça, montrant toutes ses dents. Il saisit l'arme et la sortit de sa propre poitrine. Du sang éclaboussa le visage de la jeune guerrière et ses épaules, ainsi que ses vêtements. Puis, il mit ses mains autour de son cou et usa de ses dernières forces pour l'étrangler.
« Si je meurs maintenant, je t'emmène avec moi ! »
Alika tripota sa taille pour récupérer son poignard, offert par sa mère avant son départ pour le Nouvel Empire de Yogo. À l'instant où elle le dégaina, elle renfonça sa lance dans la poitrine de l'agresseur. Un bruit écœurant se fit entendre, confirmant qu'elle venait de traverser les os et le cartilage de sa cage thoracique. Elle continua d'enfoncer l'arme, sans se soucier du reste. Elle mit de la force et bougea la lame en même temps dans un grognement. Les mains qui l'étouffaient se relâchèrent. L'instant d'après, l'homme s'effondra à demi sur elle, baignant de sang.
Le sang dans sa vision, elle se jeta sur le second homme qui avait été tout aussi surprit par le sort imprévu de son ami et elle enfonça sa lame dans l'abdomen aussi facilement que si ça avait été du beurre. Alika mettait toute sa force, puis remonta vers le haut. Le sang continua d'éclabousser son visage, et tomba même dans sa bouche, libérant le goût métallique du liquide. Et enfin, elle se tourna vers le dernier homme. Elle lisait la peur dans ses traits et elle s'en délectait, étrangement. Elle sauta sans scrupule sur le dernier des hommes.
Elle lui empoigna les cheveux, le tira vers elle. Il cria, même si le son de sa voix était un peu étouffé à cause de son nez cassé. Alors que le sang coulait de ses narines, elle plaqua sa poitrine avec un genou. Elle finit par lui asséner des coups de poings à répétition jusqu'à ce que son visage soit inondé de sang, le faisant crier encore plus. Elle était tellement en colère d'avoir failli assister à l'agression d'une autre femme, qu'elle n'avait plus conscience de ce qu'elle faisait. Au bout d'un moment, il n'y eut plus aucune résistance et le silence revint, ponctué du martèlement de ses poings contre la chair.
« ALIKA YONSA ! tonna durement une voix derrière elle, au bout de la sombre ruelle. »
Elle leva finalement les yeux. Alika voyait toujours rouge. Le rouge était tout ce qu'elle pouvait voir. Elle se souvint de la sensation de sa lance transperçant la poitrine des agresseurs de la jeune femme. Shozen était là, avec Koda et Tam. Il y avait des gardes avec eux et ce fut Zeya qui avait parlé.
Lorsque Shozen revint, libéré et léger, il apprit par Koda qu'Alika était sortie prendre l'air. L'ayant rapidement analysé, Kosa l'informa que son amie semblait préoccupée et avait également récupéré la lance.
Il s'était rassit lorsqu'un passant entra dans la taverne et dit au garde qu'il attendait des bruits de lances ressemblant à des personnes qui se battaient entre elles. Shozen était donc sorti rapidement et retraça l'endroit grâce aux bruits avant d'accourir dans la ruelle. Et ce qu'il vit lui glaça le sang. Alika baignait dans du sang, trois corps d'hommes à ses pieds, et elle continuait de frapper avec rage le corps inerte d'un des agresseurs. Au moment où il fit un pas en sa direction, ses amis et les gardes de la taverne étaient derrière lui.
« ALIKA YONSA ! Arrêtez vos méfaits toute de suite, vous êtes arrêtées pour meurtre et usage de la violence ! Nous jugerons vos actions plus tard ! »
Shozen regarda Zeya, surprit. La jeune femme se redressa et poussa un rugissement.
« LA FERME ! Je suis un tigre ! Et je vais vous manger si vous approchez trop ! gueula-t-elle. Ces hommes allaient agresser cette jeune femme et vouliez que je reste là, à ne rien faire ?! IL S'AGIT DE VOTRE DEVOIR EN TANT QUE GARDES ET GUERRIERS DE PROTÉGER VOS CLIENTS, PAS EUX-MÊMES ! »
Son regard n'avait plus rien de la Alika qu'il avait connu dans ses débuts. Ses yeux luisaient d'une lueur sombre inconnue et elle respirait une aura sanglante de guerrière.
Zeya fit signe à Shozen de récupérer sa lance. À contrecœur, il obéit. Alika lui jeta sa lance à ses pieds dans un grognement rauque. Les autres gardes attachèrent ses bras dans son dos et l'emmenèrent vers le Palais du Roi, en direction des cachots. Shozen jeta un regard à la jeune femme aux cheveux de neige et, sévèrement, lui fit un signe de tête de les suivre également. Elle baissa les yeux et les suivit sans rien dire, enjambant les cadavres qui jonchaient le sol.
