Tamashi no Moribito
Gardien des Âmes
Chapitre 13
Ma disciple bien-aimée
En dehors de Jiguro, Balsa n'aurait jamais imaginé se faire enseigner des choses nouvelles au niveau des arts martiaux et du maniement de la lance. Comme quoi, on continuait toujours d'apprendre, même après plus de quarante ans d'expérience. C'était majoritairement Lany qui lui montrait des techniques reliées à son clan, alors qu'Alika les regardait, assise dans l'herbe. Mais Balsa impressionnait la jeune fille car il ne lui fallait qu'une fois, parfois deux, pour réussir une nouvelle technique. Elles avaient même déjà fait quelques duels d'entraînement l'une contre l'autre, et bien qu'elle eût beaucoup de peurs, Lany n'avait jamais eu peur de s'élancer sur Balsa et mettre toute sa force dans ses frappes.
Motoko, quant à elle, s'était montrée plus réticente à affronter son amie, comme elle était intimidée par les progrès de Lany. Alors que Lany grimpait aux arbres avec les jumeaux, elle alla se confier à sa mère qui pliait le linge.
« Maman ?
- Oui, mon cœur ?
- Je peux te parler de quelque chose concernant Lany ?
- Bien sûr.
- Je promets de faire vite. »
Balsa continua sa tâche tout en laissant sa fille se libérer le cœur.
« J'aime vraiment beaucoup Lany. On s'entend tellement bien elle et moi, mais… elle est tellement plus forte que moi face aux arts martiaux. Elle apprend vite, elle s'entraîne vite, ses techniques sont spectaculaires. C'est une sorte de petite prodige comme Alika. Karuna et Jiguro passent leur temps à presque la vénérer. Et moi, je reste dans son ombre, malgré tous mes efforts pour me démarquer d'elle. »
La lancière fit un petit sourire. Le comportement jaloux et envieux de sa seconde fille lui rappelait étrangement Chagum et Alika, quand elle n'avait que six et sept ans.
« Es-tu jalouse ? questionna Balsa.
- Je suis envieuse, mais pas jalouse… je trouve pas ça juste que je sois mise de côté et que Lany ait tous les projecteurs sur elle. Pourtant, je l'apprécie beaucoup comme amie… mais ces éléments me font chier.
- Et je crois que c'est totalement normal, ma chérie. »
Balsa caressa la tête de sa fille.
« Mais tu as bien d'autres qualités que Lany ne possède pas.
- Lesquelles ?
- Hé bien, je crois que tu es beaucoup plus à l'aise de changer de langue comme tu es bilingue. Lany est réservée à ce niveau. Si elle peut avoir une personne qui interprète ses paroles en Yogoese, elle va se fier sur elle. Toi, tu lis vite, tu écris vite et tu assimiles les leçons rapidement.
- Mais pas aussi rapidement que Lany, bougonna-t-elle.
- Et alors ? Tu prends plus de temps pour peaufiner tes techniques. L'important, ma belle, ce n'est pas la vitesse d'exécution. C'est le chemin et le travail que tu fais qui te mèneront du point A au point B.
- Facile à dire… »
La mère de famille soupira. Lany entra à l'intérieur du refuge en portant un des jumeaux sur son dos, avant de le déposer sur le palier de bois.
« Encore ! Encore ! demanda Karuna.
- Ouf. J'ai mal au dos et j'ai besoin de me reposer, dit-elle en Yogoese. »
Les jumeaux firent la moue. La nouvelle arrivante remarqua Balsa qui pliait le linge avec Motoko à ses côtés.
« Vous… vous avez besoin d'aide ? demanda-t-elle.
- Oh, non. Tu es notre invitée, dit Balsa. Motoko, tu peux aller jouer avec Lany. Tu travailles demain avec ton père, alors profite de ta journée de congé pour te divertir, tu veux bien ?
- D'accord… »
Sa seconde fille se leva, et mettant son envie de côté, elle alla retrouver Lany en lui demandant ce qu'elle voulait faire. Lany lui dit qu'elle avait envie de retourner dans le petit sanctuaire souterrain qu'Alika lui avait montré.
« Et où est Alika-Onee-ny-chan ?
- On a écrit des lettres pour nos amis à Kanbal, et moi, pour ma Maman. Alika est allée les porter aux messagers qui sont en charges de faire le voyage, mais elle n'est pas encore revenue.
- Oh je vois. »
Les deux jeunes filles se rendirent dans l'une des ouvertures du sanctuaire. Elles prirent place sur les deux chevaux sculptés dans le bois comme pour les chevaucher. Quand elle se trouvait en présence de Lany, l'envie et la jalousie de Motoko retournait se terrer dans un coin de sa tête.
« Pourquoi t'as pas accompagné Alika ? demanda Motoko.
- Car depuis ce matin, je ne me sens pas très bien, avoua Lany. Elle a proposé que je reste ici et me repose dans votre sanctuaire, mais je ne voulais pas me retrouver seule… alors je suis venue te voir après avoir grimpé aux arbres.
- Oh, tu te sens malade ? Tu veux un remède pour faire passer tes douleurs ? »
La tête accotée contre ses mains qui prenaient appuie sur la tête du cheval sur lequel elle était assise, Lany hocha la tête négativement.
« Non. Pas physiquement… je ne suis jamais partie de Kanbal aussi longtemps. C'est mon tout premier voyage et j'ai eu peur d'avoir, ce que vous appelez, le mal du pays… et présentement, ma maison me manque beaucoup même si je suis bien traitée ici. »
Motoko croisa le regard brillant de son amie qui retenait ses larmes du mieux qu'elle le pouvait. Elle descendit de sa monture et alla enlacer Lany pour l'apaiser.
« Je comprends mieux pourquoi, maintenant.
- Ça fait juste trois semaines qu'Alika et moi sommes arrivées…, pleura Lany.
- Ça ne change rien au fait que tu peux avoir le mal du pays. Tu ne peux pas parler ta langue natale dans laquelle tu te sens le plus confortable, alors tu te sens coincée, d'une façon. Si je parle Kanbalese avec toi, alors que tu fais une immersion de langue Yogoese avec mes parents et le reste de ma famille, c'est parce que je veux pratiquer avec toi et te permettre de t'exprimer librement. Je veux pas brimer ta liberté d'expression.
- Je l'ai jamais prise comme si tu me rabaissais. J'apprécie beaucoup en fait. »
Motoko lui passa un petit mouchoir de soie pour lui permettre de s'alléger un peu.
« Alika a dit que si je me sentais mal, je pouvais venir ici pour recharger mes énergies émotionnelles et spirituelles.
- Cet endroit est très spécial. Je suis pas vraiment dans les énergies, mais cet endroit a été témoin de beaucoup de confessions, de crises de larmes et de jalousie, de querelles fraternelles. Des moments heureux comme tristes. Tu as bien fait, je le jure.
- Parfois, Alika et moi, on se joue des tours en tant que médium, avoua Lany. Elle peut deviner des choses que je veux garder secret, et la même chose se produit pour moi avec elle. C'est ainsi que j'ai deviné qui était son prétendant, et que je suis même parvenue à l'influencer pour accepter ses avances.
- Oh, tu es une médium toi aussi ?
- Oui, mais je vois que les esprits qui sont de la même énergie que moi : négatif. Je peux pas voir les esprits d'énergies neutre pur, neutre variant positif et positif. Je vois ta gardienne, aussi, et tu es dans la presque même catégorie que moi : négative avec de la neutralité. Tu es une neutre-négative forte.
- Ma gardienne spirituelle s'appelle Alita Kusanagi.
- Je sais, et je confirme. »
Parler un peu du monde spirituel aida Lany à se sentir mieux l'espace d'un instant. Motoko proposa encore de prendre leur bain ensembles une fois la nuit tombée. Lany accepta avec plaisir.
Le lendemain, Motoko alla travailler avec Tanda au Bas Ougi pour des appels à domicile. Alika en profita pour emmener Lany dans des boutiques ésotériques. Elle en avait deux en tête : son habituelle et une autre qui compensait ce qu'elle ne pouvait trouver dans la première.
« C'est ici, annonça Alika.
- Oh… »
Elle poussa la porte et laissa sa disciple entrer en premier. Lany ne le démontra pas, mais elle sentit ses mains brûler, de même que pour ses yeux. Elle sortit son endurance de guerrière et laissa sa curiosité l'emporter sur son mal être. Elles déposèrent leur lance proche de l'entrée. Lany alla instantanément dans le coin des pierres et des pendules : une des seules choses qui l'attiraient réellement. De son côté, Alika savait que Jiguro ne rentrait jamais avec elle dans la boutique. Mais elle vit Yugao se munir d'un collier semblable à un talisman.
La tournée avec Lany n'excéda pas quinze minutes. La jeune fille fut appelée par un pendule en particulier : un lapis-lazuli, sculpté et polis en forme de goutte d'eau. Mais en voyant le prix, elle se retint de faire un achat compulsif avec une moue déçue. Alika le remarqua.
« Il t'appelle n'est-ce pas ? devina-t-elle.
- Oui, mais il est dispendieux… je n'ai pas autant d'argent sur moi.
- Ne me réprimande pas.
- Hein ? »
Alika le prit par la chaîne et lui demanda si elle voulait également des pierres. Lany en pointa trois : une bleue translucide, une rose fuchsia rubanée ainsi qu'une métallique très lourde. Pour sa part, son mentor acheta des bougies en cire d'abeille ainsi que du sel noir de rituel. En arrivant devant la caissière habituelle, Lany n'osa aucun contact visuel avec elle et bougea, de sorte que la fumée de l'encens ne lui arrive pas dans les yeux. Alika déposa le pendule dans une petite pochette en jute et l'offrit à sa disciple.
« Pour toi, ma belle. »
Les yeux de Lany brillèrent et elle la prit entre ses doigts avec un grand merci. Elle y glissa également ses pierres. Lorsqu'elles sortirent enfin de la boutique, Lany respira profondément.
« Yoram ! L'air me fait du bien, finit-elle par souffler. Comment ça se fait que cette ambiance là-bas te fasse rien ?
- Eh… j'avais peut-être oubliée que c'était une boutique spécialisée en magie blanche, s'excusa Alika. Et comme je suis dans l'énergie positive, sois, archange, je ne suis jamais rendue compte d'un détail. Je viens à peine de comprendre pourquoi Jiguro ne me suivait jamais dedans, et même encore aujourd'hui.
- Que ce soit de la magie blanche ou autre qui provienne de cette boutique, j'ai les yeux qui brûlent et les mains aussi… ils faisaient brûler de la sauge, pas vrai ?
- Oui…
- J'aime pas la sauge. Autant dans les mets cuisinés, qu'en tisane et encens. Elle me brûle la peau de partout… mes poumons brûlent intenses. Pourtant, je ne suis pas une démone, comme les créatures. Je suis simplement une âme réincarnée sans plus… »
Alika comprit dès lors son erreur : les personnes à l'énergie négatives comme Jiguro, Lany et sa gardienne Yugao, ne toléraient pas les endroits positifs à l'excès. La sauge les brûlait et pouvait les rendre agressifs, même s'il s'agissait d'une des plantes les plus purificatrices connues à ce jour.
« Je m'excuse, dit-elle. Tu aurais dû me dire que tu ne pouvais plus rester là.
- Non. Je voulais vraiment voir ce qu'ils avaient en tablette. J'ai quand même trouvé un pendule et des pierres à bon prix. Un mal pour un bien. »
Lany sourit bravement. Yugao avait mis un collier pour l'aider à supporter l'énergie trop positive d'un endroit. C'était une brillante façon de pouvoir s'adapter et se protéger. Alika prit les mains de son élève et les frotta tranquillement.
« Qu'est-ce que tu fais ? questionna Lany. »
Son mentor ne répondit pas, trop concentrée à sa tâche. Au bout d'un moment, les mains de Lany se désengourdirent et le picotement cessa. La sensation de brûlure disparut rapidement. Elle regarda ses mains, curieuse.
« As-tu encore mal ? demanda Alika.
- Non… qu'est-ce que tu as fais ? Un tour de magie ?
- Pas vraiment. J'ai plutôt canalisé ta douleur et je l'ai redirigée vers moi. C'est un truc de magnétiseur que j'ai appris avec Messiah et Tante Yuka. J'ai toujours voulu l'essayer, mais l'occasion ne m'avait jamais été donnée avant aujourd'hui.
- Oh ! et est-ce que tu serais capable de retirer ta propre douleur ?
- Je ne sais pas. Mais je sais que j'ai une certaine capacité à me retirer des maux ventres moi-même. Il suffit de me concentrer un moment et la douleur disparaît d'ici cinq à dix minutes et je n'ai plus mal.
- Wow… tu es vraiment une puissante médium.
- Je suis juste une âme réincarnée par pur plaisir de goûter à la vie matérielle, répondit-elle.
- Mais tu continues toujours de m'impressionner… tu as dit que tu avais redirigé ma douleur vers toi. T'en ressens pas les contre-coups ?
- Mes mains sont engourdies et brûlent. »
Lany lui jeta un regard blasé.
« Mais alors c'est pas mieux si tu te prends mon mal…
- Je peux la rediriger ailleurs.
- Comment ? Dans quoi ? »
Alika plongea sa main dans une des poches de son kimono et en découvrit une pierre métallique : une hématite.
« Il s'agit de ma pierre d'encrage. Mon énergie en raffole; elle n'a pas cessé de les graver. J'en ai beaucoup à la maison, car elles sont toutes usées. Une fois, j'étais tellement fâchée, que l'une d'entre elle a eu une égratignure nette, droite, d'un bord à l'autre. Elle reposait dans mes poches et je l'ai serrée alors que j'étais fâchée.
- Oh, impressionnant. Je peux voir ta pierre ?
- Bien sûr. »
Elle lui déposa en main et Lany l'observa de tous les côtés. Elle brillait comme un miroir et sa surface était sans aucune égratignure.
« Je crois que tu en as même choisi une identique parmi tes trois pierres, remarqua Alika.
- C'est vrai ?!
- Elle était métallique et très lourde.
- Oui.
- C'est une hématite. »
Lany remit la pierre d'encrage à son mentor avec respect.
« Est-ce qu'on peut aller à la seconde boutique qui complète celle qu'on a fait ?
- Oui. Je crois que la prochaine boutique sera mieux que la première, même si les services à la clientèle sont toujours super.
- Pourquoi "mieux" ?
- Ils utilisent de la lavande pour purifier les pierres, les pendules et les lieux. La lavande est une plante purificatrice de type neutre. En dehors d'une allergie au pollen, la lavande ne rend pas les esprits ni les personnes incarnées agressives. Elle est peut-être moins puissante que la sauge, mais elle aide à la négociation.
- J'aime bien la lavande aussi. »
Alika tourna dans une allée, entre deux rangées de bâtiments. L'endroit était sombre et peu fréquenté. Il l'était beaucoup moins quand la boutique ne faisait que débuter, quatre ans auparavant après le déluge. Elle poussa la porte d'entrée, et la tint pour Lany qui reçut une draffe d'encens en plein visage en passant par le portique. Mais cet encens ne lui brula pas les yeux. La porte se referma avec le son d'une clochette. Elles déposèrent encore leurs lances proches de l'entrée et se firent accueillir par les deux propriétaires.
« Bonjour, les salua la propriétaire.
- Bonjour, répondit Alika.
- Je vous laisse faire votre tour.
- Oui, merci. »
Lany remarqua de petits chaudrons en fonte, des grimoires vierges et des bougies. Il y avait des herbes séchées, ainsi que des os d'animaux, des pétales de fleurs avec des racines et de l'encens. Elle y vit même des outils spéciaux pour les rituels : des athamées (dagues qui ne tranchaient pas) ainsi que des lames recourbées aux manches blancs.
« J'ai souvent vu ces deux outils chez Mimi, sortit Lany.
- L'as-tu vu les utiliser ?
- Non. Mais je sais qu'elle les possède. »
Encore une fois, elle alla vers les pendules et les pierres. Et, encore une fois, un pendule l'appela : il était fait de quart rose, facetté à six côtés. La chaînette avait des billes en verre qui rappelaient la wicca. Elle regarda le prix et vit qu'il y avait un rabais sur les pendules. Elle le prit par la chaîne et la toucha : la pierre était froide, mais elle sentait une connexion avec. Lany retourna proche d'Alika qui regardait les talismans, intriguée par celui de Yugao.
« Alika, l'interpella sa disciple.
- Oui, ma belle ?
- Je veux me payer un luxe… un nouveau pendule m'appelle. Il est en rabais et je pense qu'il est fait pour moi. »
Lany lui montra le beau pendule.
« Wow…, murmura Alika. Prends-le, ne laisse pas passer cette chance !
- Est-ce que tu crois que je pourrais trouver moi aussi ma pierre d'encrage ?
- Oui, bien sûr.
- Mais comment tu as fait pour savoir que l'hématite était ta pierre d'encrage ?
- Je l'ai découvert par pur hasard, en fait. Je méditais proche de l'eau, avec ma Grand-Mère. Pour me protéger, Grand-Mère m'a passée une hématite. Un esprit de l'eau est venu nous voir. On a entendu ses pas, mais on n'a pas ouvert les yeux et on a senti son toucher. Quand j'ai voulu redonner à ma Grand-Mère l'hématite, à la fin de notre méditation, elle m'a dit de la garder. J'ai alors vu les motifs spiralés qui avaient été gravées par mon énergie dessus. Encore sceptique, j'ai demandé si les motifs étaient présents avant qu'elle me la passe. Et elle m'a dit que non, elle l'aurait remarqué sur les autres pierres si c'était le cas.
- Je vais commencer par l'hématite moi aussi.
- J'en ai des tonnes à la maison qui brillent encore et sont en bon état. Tu choisiras celles qui te plairont et tu feras des expériences en plus de la tienne. »
Son élève exprima sa joie et demanda ce qu'Alika cherchait dans le coin des colliers talismans. Lany jeta un œil plus curieux. Les talismans étaient faits en acier, sous forme ronde et plates, rattachée par des cordes en cuir marron ou noir. Il y avait différentes gravures et dessins, que ce soit écrit en Yogoese ou même en Kanbalese. Les deux côtés étaient gravés.
« Devine pour qui je regarde un petit cadeau, sortit Alika.
- Oh… oui. Je vois. Shozen, pas vrai ?
- Je ne sais pas s'il va me croire, et encore, je ne me souviens plus si je lui ai dit que j'étais dans les énergies, mais comme il est négatif fort comme toi, avoir un talisman pourrait l'aider à mieux supporter l'énergie positive comme dans l'autre boutique où on a été. C'est Yugao qui m'a donné l'idée. Elle n'a pas de talisman, mais son collier en lui-même l'est. »
Alika en prit un, satisfaite et invita Lany à utiliser son intuition.
« Choisis-en un.
- Oh… mais Alika-Sensei, tu m'as déjà—
- Il s'agit de ton bien-être et de ta sécurité spirituelle. Prends-en un, celui qui t'appelle. »
Ne répliquant pas, son élève regarda les différents talismans. Elle en trouva un avec une facette sur laquelle un petit visage de lynx reposait, tandis que l'autre possédait des écritures inconnues.
« C'est du Rotan, l'aida Alika.
- Tu sais ce que ça signifie ?
- Il n'y a que des mots, pas de phrases. Je crois qu'il y a les mots force, courage, résilience et détermination. Protection et pouvoir personnel. Hum… il est fait pour toi. Est-ce que le talisman brûle ta main ?
- Non. Il ne me fait rien. Il commence même à être chaud.
- Alors il est pour toi.
- Il ressemble à quoi celui de Shozen ? »
Alika lui passa. La facette du dessin comprenait deux ailes d'anges ouvertes, et le motif du dessus ressemblait étrangement à une faux. L'envers avait des écritures Kanbalese disposées en cercle.
« Pourquoi une faux ? questionna Lany.
- Je l'ignore… quand je pense à Shozen, c'est la première chose qui me vient en tête. Tu n'as pas remarqué que quand il entre dans une pièce, ou un endroit, tout le monde semble se tenir le dos droit et ne cherche pas d'embrouilles ?
- Oui… Shozen est craint, d'une façon que je ne peux expliquer. Son père, Dahgu, dégage le même type d'énergie, mais c'est plus subtil. Mais pas Shirufu, sa petite sœur, ni Mishka, sa mère.
- Peut-être trouverons-nous la réponse un jour… ou pas ! »
Elles payèrent leurs achats. Alika dit qu'elle ferait reposer les talismans et les pierres une journée entière dans les herbes séchées pour les purifier et retirer les anciennes énergies. Alors qu'elle plongea sa main dans son kimono, elle lâcha une petite exclamation de surprise.
« Alika-Sensei ? Ça va pas ?
- … Tu te souviens que je t'ai dit que l'hématite était ma pierre d'encrage ?
- Oui.
- Et pourtant je ne me suis pas cognée.
- Non, j'en ai pas souvenir. »
Alika retira sa main de son kimono et montra sa pierre hématite. Lany écarquilla les yeux en voyant qu'elle était brisée en deux, mais de façon non-égale.
« Mais… comment ?!
- Elle a fait son travail. J'ai serré la pierre pour me débarrasser de ton mal en le projetant sur mon hématite. La douleur est partie, mais je crois que c'était tellement intense, qu'elle a brisé en la canalisant.
- Wow… j'avais jamais vu ça avant.
- Moi non plus, pour tout dire. »
Elles en profitèrent pour passer au travers une forêt. Une petite fille marcha en sens inverse et ne semblait pas regarder où elle marchait. Lany fit une étrange courbette pour l'éviter, mais pas au complet. Alors qu'elle s'attendait à entrer en collision, la petite fille traversa le corps de Lany et toucha même la main d'Alika. Sans même réfléchir, Lany réussit à empoigner une partie de ses vêtements… non. Ce n'était pas ses vêtements, mais un ruban d'énergie. Alika se retourna en même temps que son élève. La petite fille tomba au sol, son kimono blanc faisant un contraste étrange avec ses cheveux d'une couleur inhabituelle : totalement roux, ondulés. Elle se retourna. Elle ne devait pas avoir plus que sept ans. Ses yeux, vert péridot, montrèrent une soudaine colère. Sa sclère était noire.
Le temps sembla s'arrêter entre elle et les deux médiums. Lany était totalement neutre d'émotion, mais montrait de la curiosité à son égard. L'énergie d'Alika, quant à elle, était imposante et intimidante. C'est alors que Lany tendit la main à l'enfant qui était en fait une esprit errante. Pour celle-ci, le monde qui avait été figé dans le temps reprit tout à coup ses couleurs. Elle n'avait pas vu les siècles défilés devant elle depuis sa mort. Sa sclère redevint graduellement blanche, touchée par la compassion que montrait Lany. Hésitante, elle se redressa et s'approcha. Sa main toucha celle de Lany. Cette dernière s'empressa de la serrer fort contre elle et lui caressa les cheveux. L'esprit se mit à avoir les larmes aux yeux et se mit à pleurer un moment, partageant ainsi son énergie et son histoire avec les deux médiums.
« On rentre à la maison et tu deviendras mon amie, sortit Lany, les joues humides, touchées par son histoire.
- Personne avant avait montré de l'intérêt pour moi, avoua l'esprit.
- Nous sommes toutes deux médiums, l'informa Alika. C'est notre devoir de vous apaiser. Ton nom ?
- Tassiani…
- Une esprit d'énergie négative comme Jiguro et Yugao, hein ? Tu vas bien t'entendre avec nous. Enfin, plus avec Yugao et Lany. »
Comme Jiguro ne semblait pas du tout sur ses gardes, Alika comprit que Tassiani n'était pas un danger pour eux. Yugao en profita pour aller faire quelques emplettes et acheter des vêtements qui iraient à Tassiani.
« Je pensais pas que je ramènerai une esprit avec moi, déclara Lany.
- Ça peut arriver qu'un esprit s'attache à toi. Je trouve que le thème d'âmes ou esprits errants est très dénigrant. Ils ont des émotions et ont déjà été vivants. Maintenant qu'elle sera avec toi, on ne peut plus vraiment la considérer comme une esprit n'ayant aucun toit sur la tête, pas vrai ?
- T'as raison. Elle est dans la catégorie négative, comme moi. Négative faible. Toutefois, son histoire m'a troublée. Tassiani faisait partie de la noblesse, dans un pays qui n'existe plus maintenant. Son royaume a été attaquée par des barbares qui ont tout saccagé. Elle a fini être fait prisonnière et a vu beaucoup des membres de sa famille et ses servantes être massacrés sous ses yeux… elle n'a pas échappé au sort et elle a fini par être lancée à travers une fenêtre, faisant une chute de plusieurs mètres. Elle a erré pendant longtemps, marquée par sa vie antérieure.
- Et les faucheurs ne l'ont pas aidé ? s'étonna Alika.
- Je sais pas… peut-être ne savaient-ils pas qu'elle errait dans cet endroit. Ils ont tellement de travail de l'autre côté.
- J'avoue que tu n'as pas tort. Alors on ne peut pas vraiment les blâmer… et elle a croisé notre route. Enfin, ta route.
- Est-ce que tu la croisais de temps en temps, avant ? »
Alika hocha non de la tête.
« Non. Peut-être que je n'y avais jamais porté attention avant. Et ça fait quatre ans que j'habite à Kanbal.
- Tassiani va pouvoir venir voir le festival avec nous !
- C'est bien vrai. Yugao ferait une bonne maman, je trouve.
- Oh, elle a déjà une fille.
- C'est vrai ? Est-elle réincarnée ?
- Non. Elle est dans le monde spirituel, mais elle est très indépendante et va voir Yugao souvent. Elle s'appelle Usagi Gekko. Je demanderai à ma gardienne si elle veut bien te présenter sa fille.
- Ce serait amusant. »
Une fois de retour à la maison, Lany déposa ses objets dans un mélange d'herbes séchés. Elle ne parlait pas ses capacités médiumniques ouvertement, mais elle ne cachait pas ses achats de la famille d'Alika, sûrement habituée à ce genre de choses. Nao était en train de faire ses bagages, et il semblait indécis l'espace d'un moment.
« Qu'est-ce que tu fais, Nao ? s'enquit Lany, en Yogoese.
- Oh, je fais mes bagages. Je veux être sûr de ne rien oublier. Après le festival du solstice, je retourne au village de Toumi.
- Tu y vas seul ou accompagné ?
- Je connais le chemin par cœur, ainsi que des raccourcis. Je n'ai plus besoin d'avoir ma Grand-Mère sur le dos pour me garder comme un petit enfant. Je n'ai plus besoin non plus de me cacher comme la guerre est terminée et qu'il n'y a plus d'espion au pays depuis longtemps. Je dois continuer ma formation de compteur du village.
- Je vois. Et ça te prend combien de temps te rendre au village de Toumi ?
- Deux jours. Trois, si je flâne en cours de route. Toi et Alika êtes invitées à venir me rendre visite, si le cœur vous en dit.
- Tu vas revenir avant la fin de la saison estivale ?
- Oui. Papa s'ennuie trop souvent de moi. »
Lorsqu'Alika entra de nouveau au refuge, Lany porta le message de l'invitation de son petit frère.
« Je n'avais jamais pensé à te faire visiter un village Yakue, mais tant qu'à être dans le coin, c'est une idée de visite.
- Je suis très intéressée !
- Alors on mettra ça dans notre horaire de vacances. »
Tassiani revint avec Yugao au refuge. Elle avait été coiffée et son kimono blanc était maintenant un de couleur mauve et bleu. Elle ne lâcha pas la gardienne de Lany d'une semelle.
Le solstice d'été arriva. Le temps était chaud et humide. C'était la journée la plus longue de l'année avant que les journées ne rapetissent graduellement jusqu'au solstice d'hiver. Cette période rendait toujours Alika plus joyeuse et optimiste, et elle contamina Lany avec sa bonne humeur. Ils allaient être tous réunis au festival en famille. Il semblait y avoir tellement d'activités que Lany ne semblait pas savoir par où commencer ni quoi faire. Il y avait de la musique, et quand le soleil se coucherait et ferait place à la nuit, des feux de joie allaient être allumés de chaumières en chaumières, donnant l'illusion qu'une rivière brillante de feu traversait la nouvelle Capitale de la vue du Palais.
Les villageois chantaient déjà, riaient et dansaient pour célébrer. Les enfants couraient en criant de joie, se pourchassant entre les festivaliers. Les flûtes offraient un rythme joyeux. Tellement que Lany se surprit à bouger la tête d'un côté et de l'autre.
« Oh, dit-elle, mon oreille musicale est revenue.
- Ton oreille musicale ? questionna Motoko.
- Oui.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Disons que depuis toute petite, j'entends constamment de la musique. Même quand c'est silencieux. Mon esprit ne peut pas se mettre sur pause. C'est pas toujours la même chanson, et elle change dépendant les matins où je me réveille.
- Oh, je comprends. Tu veux danser ?
- Je danse pas très bien.
- Moi non plus. Ça peut être drôle.
- On va juste avertir ta mère avant qu'elle nous cherche…
- Même si elle nous perdait de vu, elle serait capable de nous retracer n'importe où. Maman a un instinct de traqueur qui peut rivaliser avec des chiens de chasse. Mais j'aime bien ton esprit préventif. »
Balsa baissa le regard vers sa plus jeune fille. Motoko lui dit qu'elles avaient envie de se mêler à la foule pour danser quelques parades. La lancière hocha la tête et les laissa filer.
« Maman, les jumeaux veulent jouer au kingyo-sukui, sortit Nao. »
Le kingyo-sukui était un jeu traditionnel Yogoese, importé quand les premiers pionniers avaient foulé ces terres et crée les premières alliances avec le peuple indigène Yakue. C'était un jeu dans lequel le joueur attrapait de poissons rouges avec une épuisette spéciale, le poi, ronde et plate, fait avec un papier pas trop dispendieux, donc, de basse qualité.
« Nous allons attendre que Lany et Motoko soient trop épuisées pour continuer de danser. Je suis certaine que notre invitée voudra essayer cette petite activité.
- C'est vrai. »
Nao demanda à Karuna et Jiguro de calmer leur impatience et proposa plutôt d'aller voir les petites fermettes qui avaient des animaux importés spécialement pour l'occasion comme les chèvres, les moutons, les lapins et les cochons. Tanda remarqua Alika, assise sur un petit banc en retrait. Inquiet, il alla la voir.
« Tout va bien, ma grande ?
- Oui, ça va. Je me sens un peu fatiguée.
- Est-ce que tu dors bien ces derniers temps ?
- Oui, étrangement. »
Tanda caressa ses cheveux.
« Est-ce que par hasard tu aurais aimé que ton prétendant soit avec toi, en ce moment ? demanda-t-il doucement, espérant que sa question ne la fasse pas monter sur ses grands chevaux. »
Alika soupira. Son père avait visé juste.
« Motoko et Lany sont très proches en âge, alors nécessairement, bien sûr qu'elles s'entendent à merveille. Je ne peux pas être constamment sur le dos de mon élève. Mais je vois aucune activité qui pourrait m'égayer cette année, pas même les tournois de rucha.
- Ça arrive des années où l'on se sent moins dans l'ambiance.
- Je suis quand même contente de participer avec la famille. Ça faisait longtemps.
- Tiens, moi je sais ce qui pourrait te redonner un peu le sourire.
- Quoi ?
- De la bonne nourriture ! »
Sa fille exécuta un petit sourire. Décidemment, même son père savait ce qui pouvait réellement la rendre heureuse.
« Aller, viens. On va aller chercher de la nourriture pour toute la famille ! »
Alika se fit lever de force et elle suivit son père à travers les différents kiosques. Une petite femme âgée faisait cuir des morceaux de volaille au-dessus d'une flamme nue. La viande était trempée dans l'huile avant d'être saisie, et la cuisson de la viande scellait tout le jus. L'odeur de la cuisson et la fumée provenant de l'étal était douce à la fois salée et très invitante, alléchante. La viande était saumurée dans une sauce secrète et transmise par la famille de la cuisinière depuis des générations.
Tanda se retrouva avec huit morceaux de poulet poêlés dans une boîte en bois. Alika acheta également des onigiris. Elle chercha aussi le kiosque Kanbalese qui faisait les fameux lossos, sans toutefois y parvenir. Balsa les retrouva et indiqua une table libre assez grande pour toute sa famille.
« Bon, je vais aller chercher mon élève et ma petite sœur, déclara Alika. Voici ce que Papa et moi avons dénichés pour manger lors du festival.
- Ça va bien vite disparaître, commenta Balsa. »
Alika laissa ses parents et retrouva Motoko et Lany qui avaient justement terminé de danser.
« Beurk. Je suis couverte de sueur…, se plaignit Lany.
- Mais on s'est bien amusées, pas vrai ? s'égaya Motoko.
- C'est vrai.
- Les filles, si vous avez faim, on a été chercher de la nourriture, Papa et moi, les renseigna Alika.
- Oh ! oui, je veux manger ! s'exclama la petite sœur. Ils sont où ?
- Là-bas, indiqua l'aînée de la famille avec son doigt. Je vais chercher Nao et les jumeaux et je vais vous rejoindre. »
Les jumeaux étaient en train de se nettoyer les mains dans la rivière quand Alika les retrouva avec Nao.
« Contente de voir que vous vous êtes lavés les mains après avoir flatté les animaux, soupira-t-elle.
- Après avoir mangé, on veut aller jouer au kingyo-sukui, sortit Karuna.
- Oui, on va jouer, mais après avoir mangé. Aller ! Sinon, je vais me fâcher parce que je vais avoir trop faim. »
Lany sourit en voyant Alika revenir. Cette dernière fut surprise de voir un losso proche de sa place avec le poulet poêlé et un onigiri en plus d'une tasse de thé bien chaude.
« Lany a trouvé le kiosque de lossos et nous en a tous commandé un, dit Tanda.
- Salé ou sucré ? questionna son mentor.
- Salé. Ça allait mieux avec notre thème. »
Ils mangèrent avec appétit, même si les jumeaux avaient laissé des restants que Balsa et Tanda se contentèrent de terminer pour eux. Libérant la place pour les autres festivaliers, Balsa et Tanda allèrent profiter d'un moment entre eux alors que les enfants étaient partis jouer à la pêche aux poissons rouges, le kingyo-sukui. On expliqua les règles à Lany et elle regarda les jumeaux faire pour avoir une idée. Ce jeu nécessitait de la prudence et de la rapidité, car le poi pouvait se déchirer facilement. La partie se terminait lorsque l'épuisette était complètement brisée. Dans l'éventualité où seulement une partie était déchirée, le joueur pouvait quand même continuer à jouer en autant qu'une partie restait intacte.
Alors que Lany se concentrait pour attraper ses poissons, Alika leva les yeux croisa le regard de Tomoe. Et pas seulement elle : il y avait Taiga avec sa femme et ses enfants, habillés en vêtement civil.
« Tomoe ! s'écria-t-elle en faisant aller sa main. »
Tomoe lui rendit son salut. Alika contourna le stand et sourit en voyant Nhiva dans les bras de Shuga qui était très concentré à pêcher ses poissons.
« On avait fait cette activité pour notre fille, expliqua Tomoe. Mais Shuga est encore plus intéressé que Nhiva.
- Je fais partie d'une famille de pêcheur, rétorqua-t-il avec la langue sortit. Je devrais être en mesure de pouvoir y arriver ! »
Sur ce, il retourna à sa partie, attirant l'attention de sa fille qui regardait attentivement ce que son père faisait.
« Je ne savais pas que Sir Jin serait aussi au festival ce soir, s'étonna Alika.
- C'était l'occasion pour nous de sortir, ajouta Taiga. Et juste Taiga, quand je ne suis pas au travail. »
Alika laissa sortir un petit sourire taquin, démontrant clairement qu'elle était d'humeur à le taquiner.
« Je savais que tu me demanderais ça.
- Elle te taquinait, mon amour, s'amusa Maya. »
La jeune guerrière remarqua alors que Maya tenait un petit bébé dans un foulard attaché autour de son corps, tandis que Mayuko et Touji essayaient d'attraper des poissons. Le bébé accoté contre la poitrine de Maya ne devait pas avoir plus que deux mois.
« Oh, vous avez eu un nouveau petit bébé ?! se pâma Alika.
- Hé oui, s'émerveilla Maya. Nous étions en essaie de bébé trois depuis un moment. Et nous voilà enfin comblés : une belle fille, Mikura.
- Elle est adorable.
- Pour le moment, elle a réussi à s'endormir. Elle peut dormir n'importe où, ce qui est un avantage.
- Combien d'année se sont écoulées sans que l'on ne se voie ?
- Trop pour m'en souvenir.
- À quel âge sont rendus tes enfants ?
- Mayuko a eu sept ans, Touji en a cinq.
- Le temps passe si vite…
- Je n'aurais pas mieux dit. Ta mère n'est pas là ?
- Elle est avec mon père. Ils profitent d'un moment entre amoureux pour relaxer, loin des "enfants". Je suis au Nouvel Empire de Yogo avec ma disciple pour toute la saison estivale.
- Une disciple ? se surprit Taiga. »
Pour toutes réponses, Alika pointa Lany en disant son nom. L'interpellée leva la tête et montra son contenant. Elle avait fait équipe avec Motoko et en avait récolté une bonne dizaine. Alika expliqua comment elles s'étaient rencontrées et comment Lany était devenue sa disciple afin qu'elle mette son talent à profit.
Après avoir remporté leurs poissons, ils finirent tous par s'agglutiner en un groupe pour se promener un peu partout à travers la cité. Motoko, Lany et Nao surveillaient Karuna, Jiguro, ainsi que Nhiva, Mayuko et Touji. Étant dans l'allée des confiseries, ça ne prit pas long avant que Jiguro demande à avoir quelque chose de sucrée comme dessert.
« Mizuame, bonbons à l'eau ! criait un vendeur d'une voix claire et forte comme une cloche. Mizuame, bonbons à l'eau pour célébrer le Festival du solstice ! Mizuame, bonbons à l'eau...
- On dirait des marros…, murmura Lany, proche de son mentor. Mais je sais que ce n'est pas ça.
- Après les hekimooms, ces bonbons sont les meilleurs, sortit Nao. »
Ils se dirigèrent droit vers le kiosque et firent la queue. Les bonbons étaient de couleur rouge, jaune, verte et translucide – sans doute naturel. Le vendeur était un homme dont la cadence de la voix sonnait presque musicale. Le bonbon était composé d'une boule collante reliant deux bâtons. Chaque enfant en reçut un d'abord, puis les adultes. Voyant que Lany ne semblait pas quoi en faire, Maya, avec une gâterie en main, s'approcha d'elle et lui parla en Kanbalese.
« Tiens, Lany. Je vais te montrer comment on fait. »
Le bonbon étant assez mou, Maya commença alors à faire tourner les bâtons autour. Lany, visualisant rapidement, l'imita.
« Il faut faire tourner le bonbon une bonne minute pour ensuite séparer les deux bâtons.
- Oh, je vois. Merci, Maya-San.
- Mais de rien. Quand j'en ai l'occasion, je parle Kanbalese.
- En tout cas, je sais que bien des parents ne veulent pas voir leurs enfants jouer avec de la nourriture.
- C'est vrai. C'est pour ça que ce bonbon est vraiment amusant !
- C'est bon ? demanda Tomoe avec un sourire.
- Oui ! confirma Lany. J'adore. C'est du sucre, après tout. »
Balsa et Tanda les retrouvèrent, alors que la bande se tenait un peu à l'écart de la foule. Maya sauta presque de joie en croisant son idole et lui présenta Mikura fièrement. Lorsqu'elle lui proposa de prendre sa fille dans ses bras, Balsa accepta. Ça faisait étrange pour Maya de voir son idole devenir soudainement maternelle.
« J'avais oublié à quel point tenir un bébé dans ses bras ramenait des souvenirs, s'émut Balsa.
- Est-ce que tu en veux d'autres ? questionna Maya.
- Oh non. Je suis bien comblée maintenant. La porte est fermée. Les prochains bébés de la famille que je tiendrai dans mes bras seront, je l'espère, mes petits-enfants. »
Motoko leur rappela qu'il y avait des tournois de rucha qui allaient bientôt commencer et qu'elle voulait les montrer à Lany.
Ils se rendirent donc à la place dédiée pour les tournois de rucha. Ils trouvèrent une bonne place aux premiers rangs et s'assirent tous ensembles. Les cris d'encouragements de la foule résonnaient très fort, désirant voir qui réussirait à vaincre le « champion » du rucha. Mikura bougea et commença doucement à gémir. Maya se leva pour l'éloigner un peu du brouhaha de la scène. Un autre homme se fit jeter au sol, alors qu'un autre prenait place pour le défier.
C'est alors que Taiga se leva et annonça qu'il allait être le prochain adversaire.
« Ouuhhh, s'émerveilla Alika. Je sens que ça va être un bon tournoi !
- Tu crois que Monsieur Taiga va réussir à le vaincre ? demanda innocemment Motoko.
- C'est clair. Mon intuition me le dit, pas vrai Lany ? »
Lany hocha rapidement la tête avec enthousiasme.
« Il a eu beaucoup de commotion cérébrale, murmura Tanda. Je me demande si tout ira bien pour lui ? Il ne doit pas avoir de coups sur sa tête ou tomber…
- Je suis sûre que Taiga connaît ses faiblesses mieux que quiconque ici, tenta de le rassurer Balsa.
- Mon mari a fait quoi ?! s'exclama Maya en arrivant soudainement.
- Taiga veut se mesurer au champion de rucha, il semblerait. »
Maya se donna une claque sur le front et alla s'asseoir proche de Tomoe et de Shuga.
Taiga analysa rapidement son adversaire, sa posture, sa musculature ainsi que sa personnalité. Ses gestes inconscients que renvoyaient son corps parlaient beaucoup, mais il sentait que toute cette apparence n'était qu'un masque. Il devait être plus jeune que lui, à peu près le même âge que le Mikado Chagum, deux ans tout au plus.
Même Alika le regardait avec curiosité, comme si son énergie lui disait de quoi.
« Je ne vais pas esquiver, lâcha Taiga. Donne tout ce que tu as.
- Tu sembles bien confiant comme adversaire, sortit le champion de rucha.
- Sous-estimer ses adversaires est la pire des erreurs. »
Ils se mirent en position et tournèrent un moment. L'homme Rotan utilisa le porak et se lança sur Taiga. Habilement, ce dernier l'évita et bloqua toutes ses attaques directes. Il y avait plusieurs faiblesses dans sa position, mais pour un roturier, ses attaques n'étaient pas si médiocres que ça. Mayuko se cacha les yeux de voir son père sur le ring, mais Touji était tout excité et agitait son poi qu'il avait gardé comme souvenir en tant que drapeau. Ce fut au tour de Taiga de passer à l'action. Il renversa la balance en utilisant la force de son adversaire et le projeta complètement sur le ring. Une exclamation de stupeur s'éleva parmi le publique.
Alika se leva et alla proche du ring alors que Taiga en descendait. Elle observa le visage de l'homme.
« Tu t'appelles comment ? sortit-elle.
- Yarsum… et pourquoi est-ce qu'une femme me demande mon nom ?! »
Yarsum se redressa et la dévisagea.
« Ah… je vois qui tu es, lâcha Alika.
- Pas moi. Les femmes ne sont pas autorisées à utiliser le rucha.
- Je suis la fille dont la mère a vaincu ton père, il y a de cela, très, très longtemps. »
Elle fit un grand sourire en voyant son visage remplit de confusion. Yarsum sursauta en voyant Balsa assise aux premières loges, et ne dit rien de plus. Personne n'oubliait le visage de Balsa.
« Je suppose que je ne suis plus le champion ni l'homme le plus fort de cette ville, maugréa-t-il en se redressant.
- C'était amusant, dit Taiga en s'approchant. Je ne compte pas remporter de prix, alors tu peux toujours être considéré comme le champion de cette année. »
Il y eut une pause sur les tournois de rucha, jusqu'à ce que Yarsum se remette de son choc. Le publique quitta peu à peu les lieux, mais il reviendrait quand la pause sera terminée au son des gongs. Maya réprimanda Taiga de s'être exposé à un art martial aussi brutale que le porak, à cause de sa fragilité.
« Avoue que j'ai été super, lâcha-t-il avec un sourire. Et tu m'aimes.
- Taiga, ta tête est fragile !
- Mais je suis un hunter. Et je vais bientôt avoir une relève avec Touji.
- Taiga, tu n'es pas croyable ! »
Lany les regarda se quereller comme deux enfants, quand elle vit un jeune garçon sur le ring qui se cherchait des adversaires à combattre, et en faisait l'annonce. C'était le fils de Yarsum; une mini copie conforme. Il dit tout haut son nom : Sokhan. Des adolescents et de jeunes garçons se présentèrent.
« Alika-Sensei, l'appela-t-elle.
- Oui, Lany ?
- Moi aussi, je veux faire du rucha !
- Tu connais cet art martiaux Rotan ?
- Non, mais je sais que je peux le battre, car j'ai observé Taiga faire. Je peux ?
- Tu peux faire ce que tu veux. Moi, j'ai confiance en toi. Montre de quoi sont fait les femmes à Kanbal ! »
Son élève sourit de toutes ses dents, contente d'être le centre d'attention aux niveaux des arts martiaux, et demanda si Motoko voulait aussi se joindre à elle, mais la petite sœur d'Alika déclina l'offre. Lany retira sa cape et remit sa lance à son mentor. Elle sentait les regards de leur petite bande sur elle. Lorsqu'elle se présenta la suivante, Sokhan la dévisagea.
« Tu te moques de moi ?
- Non, pourquoi ? rétorqua Lany, sortant son air têtu.
- J'ai jamais vu de filles me défier en combat singulier.
- Ça va être ta chance ! »
Lany monta sur la plateforme. Le jeune garçon ne l'intimida d'aucune façon, car elle avait tellement combattu Koda et ses amis, et même Alika et Balsa, qu'avoir un adversaire de son âge lui paraissait très étrange. Il semblait réticent, mais elle entendait surtout les remarques moqueuses des garçons qui attendaient leur tour pour participer. Elle fit le vide de son esprit et se concentra sur sa cible.
L'arbitre semblait aussi un peu déconcerté, mais il offrit néanmoins le signal. Tout se passa rapidement : les deux jeunes s'élancèrent sans peur ni crainte, confiant de leurs habilités. Lany attaquait et parait chaque attaque, ne le lui laissant aucun instant de gloire. Sokhan commença à montrer de l'agressivité de ne pas parvenir à la toucher. Ses attaques étaient plus basées sur l'instinct bestiale que la maîtrise de soi. Elle finit par l'attraper solidement par l'abdomen et le plaqua solidement au sol en poussant son plus puissant rugissement de guerre.
« Quoi ?! C'est pas vrai ! C'est de la triche ! cria Sokhan, mauvais perdant.
- Tu as touché le sol au-dessus du genou, tu as perdu, lâcha haut et fort Motoko.
- Non. Elle a triché ! »
Il se jeta sur Lany comme pour lui faire payer son malheur. Alika se leva rapidement pour intervenir, mais la main de Balsa se posa sur son bras.
« Ton élève est assez forte pour se défendre elle-même.
- Mais, Maman…
- Tu as dit que tu avais confiance en elle. Prouve-lui.
- … Tu as raison. Mais si ça vient à dégénérer, j'interviens. »
Lany bloqua ses attaques dans des mouvements rotatifs, faisant face à l'agressivité de son adversaire, le contrôlant sans faire dommage. Sa stabilité et son calme olympien impressionna toute la cour. Sokhan ne la lâcha pas pour autant. Il continua de chercher vengeance. C'est alors qu'elle finit par faire une prise d'aikido, l'immobilisant au sol dans un gros bruit sonore.
« Je pensais pas que les jeunes hommes Rotan étaient aussi mauvais perdants, lâcha Lany en Yogoese, du mieux qu'elle le pouvait. Mais je viens de Kanbal et là-bas, tout le monde est fort. À Kanbal, tu aurais fait ça après un tournois amical, on t'aurait tout simplement viré et renié. Apprends de tes erreurs et sois bon perdant. Une femme peut être aussi forte qu'un homme. J'en suis la preuve ! »
Yarsum arriva pour calmer son fils qui avait de la difficulté à gérer sa colère. Il l'empêcha de sauter sur Lany qui descendait du ring, alors qu'Alika s'empressait d'aller proche d'elle. C'était maintenant à eux de gérer cette défaite, le pouvoir de Lany s'arrêta là.
« Sokhan, tonna Yarsum. En agissant ainsi, tu me fais honte, devant les spectateurs et nos compétiteurs. Les règles du rucha sont claires et tu les connais. Ne les détourne pas parce que tu as combattu une fille. Concéder le tournoi est une des choses les plus respectable que l'on puisse faire. Ton adversaire a gagné, te venger sur elle ne te donnera pas la victoire que tu n'as pas pu avoir, de toute façon. Tu as bien vu comment elle a repoussé toutes tes attaques à la fin ? Même après dix tournois, elle continuerait de te vaincre, car elle possède les techniques pour te terrasser. »
Il descendit du ring avec son fils par le bras. Lany tendit sa main et attendit le geste de Sokhan. Grognant entre ses dents, il finit par prendre la main de son adversaire et la serrer.
Taiga applaudit Lany, de même que tous les adultes présents.
« Wow, et tu es restée humble tout le long ! Et dire que c'est Alika qui t'a entraînée ?
- En grande majorité, oui. Elle m'a juste aidé à développer mon plein potentiel ! se venta Lany.
- Tu étais super sur scène ! s'émerveilla Motoko en lui sautant dans les bras. Par contre, il est vraiment mauvais perdant et j'ai eu peur pour toi.
- Oh non. Je sais me défendre.
- Et tu l'as bien prouvé. C'est une belle fierté kanbalese. »
Balsa confirma avec un hochement de tête. Ils avaient décidé d'aller voir le spectacle qui relatait les aventures du Mikado Chagum, mais les enfants avaient commencé à fatiguer. Nhiva commença à chigner et Touji pleurnichait. Karuna et Jiguro s'étaient pris d'une obsession à tourner autour des adultes pour se garder réveillés. D'un commun accord, la petite bande qu'ils étaient se séparèrent un à un, pour retourner à la maison.
La famille de Balsa fut surprise de voir que le bain avait déjà été préparé et était chaud. Torogai les salua, assise à l'intérieur, savourant un bon bouillon de poulet. Tanda comprit que son maître s'était occupé de tout lors de leur absence. Alika déposa leurs poissons gagnés lors du festival dans le petit étang en face de la maison : les poissons rouges pourraient devenir gros au fil du temps.
Une fois que tout le monde se soit nettoyé, la maisonnée tomba silencieuse alors que chacun des habitants sombraient dans le sommeil. Alika avait aimé le solstice d'été, mais il est vrai que la présence de Shozen aurait été super. Elle soupira, en se disant qu'il l'accompagnerait l'été prochain, et se tourna sur son côté gauche. Elle pensa à l'étreinte forte qu'avait Shozen, et à la douceur de ses lèvres et sa voix basse et rauque. En temps normal, avant son agression, Alika aimait fantasmer et avoir des relations sexuelles et se toucher. Elle adorait ça. Or, depuis, tout était complètement différent. Elle avait arrêté de se toucher, ne voulait plus rien savoir de la masturbation et du sexe. Ça lui levait le cœur. La libido que qu'elle possédait autrefois était totalement éteinte. Elle avait bien sur des souvenirs de cette routine le soir, qu'elle avait dans son lit, discrètement, mais la joie et le plaisir qu'elle ressentait autrefois ne se faisait plus sentir.
Un problème à la fois, pensa-t-elle pour elle.
Lany remarqua qu'elle allait fêter son anniversaire pendant ses vacances estivales au Nouvel Empire de Yogo. Elle aura douze ans une fois de retour à Kanbal. Alika était partie au Bas Ougi, mais Lany n'avait jamais demandé ce qu'elle allait faire là-bas. Elle avait décidé de rester à la maison pour se reposer. Motoko travaillait avec Tanda ce jour-là et Nao était parti à Toumi. Il n'y avait que les jumeaux et Balsa avec elle à cet instant. Lany alla aux latrines et s'arrêta net en regardant dans ses pantalons.
« Oh non, murmura-t-elle. C'est pas vrai… »
Elle regarda partout où elle pourrait trouver des morceaux de coton pour étancher son sang. Sa mère, Kasha, lui avait déjà parlé de ce tournant dans la vie d'une fille et l'avait préparée pour y faire face… mais pendant son premier voyage au Nouvel Empire de Yogo ?! Alika n'était pas là. Sentant sa panique, Yugao retrouva sa protégée.
« Lany, tu ne vas pas bien ? Je te sens toute chamboulée…
- J'ai mes premières règles, Yugao…, pleura intérieurement Lany, en télépathie.
- Dis-le à Balsa.
- Je suis gênée…
- Lany, commença à la réconforter Yugao. Balsa a eu des enfants. C'est grâce à ce sang qu'elle a mise au monde Alika et ses frères et sœurs. J'ai aussi mes règles, même en étant une esprit. Balsa va comprendre. Elle a sûrement dû expliquer à sa fille aînée comment faire quand elle a commencé. Tu ne peux pas retenir ce sang en serrant constamment tes cuisses, c'est impossible et hors de notre contrôle. C'est quelque chose que toutes les femmes vivent, sauf si tu as un problème génétique et es infertile. »
Rassemblant son courage à deux mains, Lany sortit des latrines et chercha Balsa. Elle la retrouva à l'intérieur en train de justement polir sa lance.
« Euh… Balsa ? l'appela-t-elle timidement.
- Oui, Lany ?
- Euh… est-ce que je peux te demander de l'aide ?
- Bien sûre. À quel propos ? »
Balsa déposa sa lance et regarda Lany. Elle n'avait jamais vu la disciple de sa fille être aussi réservée, sauf dans les premiers temps qu'elle était arrivée au Nouvel Empire de Yogo. Lany commença à parler Kanbalese, et Balsa comprit qu'elle ne désirait pas être comprise par des oreilles extérieures indiscrètes.
« Je… je suis gênée d'en parler, mais Alika n'est pas là…
- Si je peux aider, tu n'as pas à être gênée avec moi.
- Maman m'a déjà expliqué ça, mais… je saigne… »
Lany rougit.
« Oh ! comprit Balsa avec une exclamation. Oohh ! et c'est la première fois que ça t'arrive ?
- … Oui…
- J'ai ce qu'il faut, jeune femme. Viens avec moi. »
Balsa se leva avec un doux sourire et se dirigea vers une armoire. Elle trouva des morceaux de coton propres et neufs, trouva une ceinture, et s'empara de médicaments contre les douleurs menstruelles. Alika et elle possédaient chacune leurs propres protections; jamais elles ne prenaient les linges l'une de l'autre par mesure d'hygiène personnelle. Balsa en avait préparé de nouvelles pour sa seconde fille, mais elles serviraient plutôt à leur invitée. Elle se permit aussi de fouiller dans les pantalons de Motoko pour en passer un à Lany.
« J'ai des pantalons de rechange dans mes bagages, l'informa-t-elle.
- Oh, si tu te sens mieux avec, tu peux les prendre. Si par malheur tu n'as plus rien, le linge de Motoko devrait te faire en attendant que le lavage se fasse. Est-ce que ta mère t'a montrée comment on attachait le linge avec la ceinture ? »
La jeune femme ne savait pas si elle devait parler de sa gardienne spirituelle, alors elle se retint de dire le nom de Yugao. Cette dernière allait sûrement l'aider à ce niveau.
« Oui, dit-elle rapidement. Ça ira bien. Je sais aussi qu'il faut que je change les linges et que je dorme avec…
- Il y a trois caisses en bois vides dans les latrines où tu peux mettre les linges de coton tâchés. L'une d'elles n'est pas encore identifiée… enfin, elle était destinée à Motoko, mais elle est à toi pour le moment. Ça nous permet de ne pas mélanger nos protections ensembles. Question d'hygiène, bien sûr.
- Je me sens pas à l'aise que les gens voient mon sang…
- Il y a un couvercle sur chacun d'entre elles, alors personne ne verra rien.
- Mais c'est mon sang, et c'est sale… »
Balsa sourit et s'agenouilla au niveau de Lany.
« Je te rassure que ce sang ne me dérange pas, Lany. Tu n'es pas sale, aucunement. C'est naturel et ça fait partie de la vie. J'ai vu beaucoup de sang dû au fait de ma profession. Tanda est aussi habitué, tu n'as pas à être gênée, mais je comprends que tu veuilles rester discrète. Et je me souviens quand Alika est devenue aussi une femme. J'ai également accouché et j'ai saigné pendant un mois. Voire même, un mois et demi après la naissance des jumeaux. Et j'ignore si ma fille t'a parlé un peu de son passé et de son histoire ? »
Lany hocha la tête, timidement.
« Elle fait parfois des cauchemars et elle m'en a parlé quand elle a commencé à m'enseigner comme nous allions être constamment ensemble, dit-elle. Elle m'a parlé de la poussière d'ange qu'elle a dû renvoyer dans le monde spirituel.
- Donc avec tout ce que je t'ai dit, j'ai également manipulé ce sang, car Alika a fait une hémorragie et était incapable de s'occuper de ses propres linges car elle avait des malaises. Je vais m'en occuper, ça ne me dérange pas, et sûrement Alika quand elle reviendra.
- Elle est partie où ?
- Je ne sais pas. Elle n'a pas voulu me le dire. Je la connais et je crois qu'elle manigance une sorte de surprise… peut-être pour ton anniversaire ?!
- Qui sait ?
- Je te laisse te changer. Si tu as un problème, fais-moi signe et n'hésite pas.
- Merci, Maman Balsa…, sortit Lany en s'amusant. »
Balsa rit à l'entente de son nouveau surnom. Elle arrêta la jeune femme et lui demanda de se mettre dos à elle, pour vérifier si sa robe bleu poudre avait été tâchée. Il y avait trois taches de sang. Alors Lany se munit d'un kimono Yogoese en plus de ses nouveaux pantalons et alla aux latrines se changer. Yugao arriva et l'aida à bien se sentir confortable.
« J'ai l'impression d'être un bébé, se plaignit Lany par télépathie.
- C'est vrai que ça donne cette sensation, mais tu finiras par t'habituer.
- Et si je tâchais en public ?
- Alors apporte une cape qui pourra te sauver la journée. Ma petite protégée est maintenant une femme ! »
Lany sortit des latrines et donna son linge à Balsa qui les déposa dans un grand bac. Elle reçut aussi deux petites gélules avec un verre d'eau.
« C'est pour les inconforts reliés aux règles, l'informa Balsa.
- Ah, merci.
- Si tu as mal au ventre, je te passerai une bouillote chaude. »
Après avoir avalé les gélules, Lany posa sa tête sur la table basse. En tant que bonne maman, Balsa lui frictionna doucement le bas du dos.
« Tu as mal au ventre ?
- Un peu, mais je suis fatiguée…
- Le corps demande beaucoup d'énergie dans ces moments-là. Ne te sens pas coupable de te sentir épuisée. Tu as même commencé avant Motoko.
- Ah ? Elle n'a pas encore eu ses règles ?
- Non, pas encore. Elle est plus jeune que toi d'un an, mais l'âge ne veut rien dire. Chaque corps est différent. »
Alika revint au bercail et retrouva Lany qui discutait avec sa mère.
« Maman ! lâcha-t-elle.
- Oui, Alika ?
- Je viens de tomber dans ma semaine… deux jours en avance !
- Tu es contente ? s'étonna Lany.
- Bien sûr que je le suis ! C'est toujours un soulagement de les avoir, car je peux redevenir moi-même, sans avoir une sensibilité aiguë qui me suit et une irritation monstre. Ça ne me fait pas stresser, non plus.
- Hé bien, fit Balsa en regardant la disciple de sa fille, devrait-on lui annoncer, Lany ?
- Annoncer quoi ?! »
Lany redressa la tête et fit une petite moue.
« Je suis devenue une femme en même temps que toi, aujourd'hui. Maman Balsa m'a aidée et réconfortée. »
La nouvelle arrivante reçut un coup dans sa poitrine. Son élève était maintenant une jeune femme, donc, une adulte. Alika se sentait comme si elle avait reçu un coup de vieux soudainement.
« Ma disciple est maintenant grande !
- Mais en vacances, c'est pas drôle, rétorqua Lany.
- Ne t'inquiète pas, Lany. Ça ne durera pas un mois. Tu seras libre au bout d'un moment et pourras de nouveau te baigner et prendre des bains. On se nettoiera ensemble et tu verras comment je fais. Et… comment tu as appelé ma mère ?
- Euh, Maman Balsa, se gêna-t-elle.
- Tu es donc rendue assez confortable avec mes parents pour te sentir comme faisant partie de la famille !
- Ça te dérange pas ?
- Non. C'est même drôle, et même Maman trouve ça comique, pas vrai ? »
Balsa hocha la tête avec un sourire. Lany se fit serrer dans ses bras et la mère de famille décida qu'elles mangeraient un souper spécial ce soir-là pour fêter le tout : des lossos à la façon Yogoese. Motoko entra au refuge avec Tanda. Étant bonne amie avec la sœur de son mentor, Lany se sentit à l'aise pour lui dire en privée qu'elle avait commencé ses premières règles.
Motoko se sentit de nouveau envieuse, mais elle se souvint que son amie était plus vieille qu'elle d'un an. Or, elles étaient tellement proches et complices qu'elle en avait oublié leur écart d'âge. Lany, en tant que médium, sentit que Motoko était un peu fâchée contre elle. Elle n'avait pas peur de confronter.
« Motoko, je t'aime vraiment beaucoup, mais je voudrais savoir pourquoi tu me boudes ?
- Je te boude pas, se défendit Motoko.
- … Je suis médium, et je sais reconnaître les comportements et énergies que les gens qui m'entourent dégagent. Tu peux pas me mentir. »
Son amie garda ses sourcils froncés.
« Dis-moi ce que je t'ai fait qui t'a déplu ? C'est parce que j'ai eu mes règles avant toi, c'est ça ?
- Tu as toujours tout plus que moi, sortit Motoko, bouillonnante.
- C'est pas la joie de les avoir, tu sais ? J'ai l'impression qu'une partie de mes vacances est gâchée ! Je peux plus me baigner et prendre de bain jusqu'à ce que ça arrête. En plus, j'ai mal au ventre et j'ai la poitrine douloureuse. Toi, tu n'as pas encore tes règles et tu as plus de formes que moi…
- Mais tout le monde te regarde comme si tu possédais une autorité exemplaire ! Ils ne cessent de dire que tu es forte, agile, téméraire, apprends vite. Même avec tes entraînements, tu as des capacités hors-normes ! Alika t'a entraînée, mais elle a à peine passé du temps avec moi, qui es de sa famille ! »
Lany prit un moment pour analyser les dires de Motoko.
« Tu es jalouse de moi, en gros ?
- Oui, et je le cache pas !
- Mais tu me fais sentir comme la coupable sur des choses extérieures dont je n'ai pas le contrôle… et ça, ça fait mal. Je croyais qu'on était amies.
- On l'est toujours, c'est juste que… »
Motoko ne parvint pas à terminer sa phrase.
« Alika m'a pas entraînée pour te remplacer, ajouta Lany qui essayait de garder un sang-froid. On habite à Kanbal. Elle a pas choisi d'aller dans mon pays natal pour devenir la meilleure guerrière au pays, mais parce qu'elle a essayé de s'enlever la vie et a voulu se reconstruire après son traumatisme de guerre. Elle a eu besoin d'avoir de nouveaux buts, un nouveau cercle d'amis. Et elle a toujours su que toi et moi, on s'entendrait à merveille car on est proche en âge ! Moi, je suis pas fâchée contre toi. Tu restes toujours mon amie et je voudrais que ta jalousie ne vienne pas faire un nœud dans notre amitié… »
Mal à l'aise, Lany préféra laisser Motoko se calmer dans un bon bain. Comme Alika semblait déjà au milieu de leur conflit et que Motoko pourrait croire que sa grande sœur préférait une personne non liée par le sang à elle comme un complot, Lany alla vers un intermédiaire neutre : Balsa. Même si elle était avec Tanda, elle entama la conversation.
« Maman Balsa ? l'interpella-t-elle.
- Oui, ma belle ?
- … Je me sens encore mal de venir te parler, mais je sens que je pourrai pas dormir si j'en parle pas.
- Tu peux tout dire ici sans te sentir mal, la rassura Tanda. Enfin, si je peux aussi savoir ce qui se passe. »
Lany leur expliqua sa chicane avec Motoko et sa jalousie et envie envers elle. C'était pire depuis qu'elle avait ses règles.
« Je vois, comprit Balsa. Motoko a toujours été un peu jalouse d'Alika, même quand elle était plus jeune. Elle est affectueuse, mais son envie et sa jalousie sont de grands traits de caractères chez elle. Ne le prends pas personnel, elle a un fort caractère et ce n'est pas toujours facile avec elle. J'ai tenté de lui en parler, car Motoko m'a avoué qu'elle t'enviait énormément, mais elle a peut-être plus de difficulté à l'accepter. Elle a plein d'autres qualités, mais elle ne les voit pas encore.
- Es-tu rancunière ? se renseigna Tanda.
- Oui, mais juste avec certaines personnes, et dans certaines circonstances, confirma Lany. Mais je vous rassure que je le suis pas avec Motoko. Ça me rend… juste triste et je suis mal à l'aise.
- On s'occupe de tout, Lany. Concentre-toi sur tes vacances. Et si tu le peux, continue de bien traiter Motoko et n'entre pas dans son jeu de boudage.
- Je ne le ferai pas, Papa Tanda. »
Tanda éclata de rire et ébouriffa ses cheveux, content de recevoir un second titre. Lany alla ensuite se laver avec Alika qui lui montra comment elle faisait. Elle avait apporté deux petits bancs et avait rempli deux seaux d'eau chaude.
« Mais… et si mon sang tachait le petit banc ? s'inquiéta sa disciple.
- Ce n'est pas grave. On rince à la toute fin. Ou sinon, tu peux toujours plier une serviette et la mettre à cet endroit le temps de te savonner. Tu n'auras qu'à la rincer une fois terminée.
- Je vois. »
Lany en profita pour regarder le corps d'Alika. Elle avait quelques cicatrices apparentes, sois liée à ses entraînements et combats, ou ses anciennes marques d'automutilations, mais elle possédait de bonnes hanches et une poitrine qui faisait sûrement des envieuses. Sa taille était fine. Elle remarqua aussi sa pilosité à certain endroit, montrant qu'elle était vraiment une femme, tandis que la sienne ne faisait qu'un petit duvet plus foncé.
Le lavage se passa bien et Alika termina en rinçant une première fois l'excès de savon. Elle plongea à nouveau le seau dans la cuve chaude et se le versa au complet sur la tête.
« Quand j'ai froid, c'est ce que je fais, la renseigna-t-elle.
- Mais il fait chaud… mais j'avoue que la chaleur, c'est toujours agréable. »
Lany l'imita et elles se séchèrent pour se préparer à aller dormir. Encore une fois, la plus jeune des deux guerrières craignit de tâcher le futon.
« Ce sont des choses qui arrivent. On nettoiera le futon à la fin de tes règles, mais si c'est trop tâché, on peut le faire avant, il n'y a pas de problème. Ce que je fais normalement, je mets deux ou trois serviettes par-dessus mon matelas et ça aide un peu. »
Alika posa le surplus de serviette sur le futon de Lany. Elles lurent un moment et Lany finit par s'endormir, hypnotisée par la lecture. Son mentor souffla la bougie dans le pot en fonte. Juste avant de fermer les yeux, elle remarqua que Motoko n'était toujours pas aux côtés de son élève. Elle devait sans doute veiller un peu plus tard et viendrait se coucher quand elle en sentirait le besoin.
