Tamashi no Moribito

Gardien des Âmes


Chapitre 16

Promesse de fiançailles

Les visites et le lien d'amitié qui s'étaient rapidement développés entre Maho et Nao ne passèrent pas inaperçus aux yeux de tous, même quand Balsa revint de Kanbal, un an plus tard. Au cours des trois dernières années suivant la fin de la guerre, Tanda se sentit interpellé pour peut-être choisir de futures fiançailles pour son fils. Maho et lui s'entendaient bien et ce ne serait pas de façon arrangée dans leurs dos ni forcé. Lorsqu'il parla de cette possibilité à Balsa, celle-ci n'émit pas grands mots. Et encore moins des objections. Elle n'était clairement pas celle qui imposait un mariage, mais elle n'était pas non plus celle qui refusait une union. Balsa s'en fichait, tant que les deux personnes savaient se respecter, se soutenir et s'aimer. Le mariage ne signifiait pas grand-chose pour elle.

« S'ils sont heureux et s'entendent, alors pourquoi pas ? avait-elle simplement dise.

- Alors je suppose qu'une petite visite à Toumi s'impose ? devina-t-il.

- Il semble que oui. »

L'automne était arrivé et Alika avait passé la saison estivale avec eux avant de retourner à Kanbal.

Il ne ferait ni trop chaud ni trop froid pour une belle petite balade. Cependant, Tanda et Balsa n'eurent pas à faire leurs bagages pour un voyage vers Toumi, qu'ils reçurent la visite totalement imprévue de la famille de Maho. Sois les divinités avaient lu leurs pensées, ou les esprits les avaient influencé pour mettre carte sur table. Tanda les invita chaleureusement à prendre le thé ensembles. Hiwata n'était pas gêné de son membre manquant. Plusieurs hommes sur le marché avaient des membres manquants ou avaient subi d'autres blessures évidentes. La guerre avait été terrible. La pauvreté, comme les blessures de guerre, était beaucoup plus courante qu'avant. Balsa ne put s'empêcher de trouver que Nimka formait un beau couple avec son mari.

Les jumeaux allèrent s'amuser avec Noya à l'extérieur. Motoko restait proche de son père, mais elle parlait avec Maho, la connaissant énormément maintenant. Les futurs promis ne pouvaient pas aller se balader en forêt. Les adultes leurs avaient clairement dit qu'ils devaient assister à cette visite. Nao avait treize ans et Maho allait sur ses douze ans.

« Comme nos enfants semblent bien s'entendre, je pense que vous devinez le but de notre visite ? sortit Nimka.

- Oui, confirma Tanda. C'est étrange, parce que dans la même semaine, j'ai pensé à la même chose. Balsa et moi étions sur le point de plier bagages pour aller vous rencontrer à Toumi et suggérer cette… proposition de fiançailles.

- Ça aurait été comique que l'on se rate entretemps si nous étions partis en même temps, rit Hiwata.

- Peut-être qu'on se serait rencontré en chemin.

- Mon mari a un très mauvais sens d'orientation, ajouta Nimka. Si Maho n'avait pas mémorisé le chemin par cœur, il aurait fini par s'égarer et serait sans doute atterri sois à Rota ou à Sangal… peut-être même le village d'Okka. Hé bien ! »

Elle regarda maintenant sa fille qui faisait de son mieux pour ne pas trop s'agiter sur place.

« Maho, ma belle, toi et Nao vous vous entendez bien ?

- Oui. C'est même mon meilleur ami, s'égaya-t-elle.

- Alors que dirais-tu de l'épouser, quand tu seras en âge de te marier ? »

Maho ouvrit de grands yeux surpris. Elle avait toujours voulu se marier, d'aussi loin qu'elle se souvienne. Elle avait souvent assisté à des unions dans son village et s'était souvent imaginée être l'une des mariées et avoir ce jour rien que pour elle.

« Je pourrais devenir la femme de Nao ? s'étonna-t-elle.

- Si c'est ce que tu désires, ma belle. »

Elle regarda alors son ami avec des étoiles pleins les yeux. Quand tout le monde posa son regard vers Nao, il se sentit soudainement intimidé. Contrairement à elle, il n'exprima pas autant ses émotions, et pendant l'espace d'un instant, ils ne surent pas s'il était ravi de cette proposition, ou était contre. Tanda était sur le point de rabrouer son attitude sans aucune gêne devant leurs invités, quand Maho fut plus rapide que lui et se leva pour prendre Nao par le bras.

« Nao, est-ce que tu veux m'épouser ? »

La scène était tellement charmante, que Nimka poussa un petit rire d'amusement.

« Il n'a jamais été très expressif, expliqua Tanda

- … Genre, maintenant ? questionna Nao en regardant sa promise.

- Non, rit Hiwata. Le mariage entre vous deux ne sera officiel que quand Maho aura atteint sa majorité Yogoese à quinze ans.

- Mais je vais avoir seize ans…

- Ça restera équitable.

- Nao, est-ce que tu veux m'épouser ? répéta Maho, impatiente. On pourra être encore plus amis en étant plus vieux ! Et on aura quatre enfants !

- Oh, commence par faire sortir le premier et on verra pour la suite, intervint Nimka. »

Nao croisa le regard remplit d'étoiles de Maho. Il fit un sourire et hocha la tête.

« Je le veux, déclara-t-il.

- C'est vrai ?! s'égaya Maho. Tu veux vraiment devenir mon époux ?

- Oui. À la vie, à la mort. »

Balsa regarda Nimka, satisfaite. Tanda décida alors de se lever et de sortir un alcool.

« Je crois que nous pouvons fêter ces futures fiançailles, annonça-t-il. Un de mes clients a donné comme type de paiement du tagu, une liqueur Rotan au miel.

- J'ai apporté du nectar de sikul, ajouta Hiwata. Juste au cas où Nao aurait accepté la main de notre fille… je l'aurais quand même laissé comme cadeau si la réponse avait été négative. Ce sera pour les enfants.

- Motoko, tu veux bien aller chercher tes frères et le fils de Nimka ? demanda Balsa.

- Oh, oui j'y vais. »

Les adultes se servirent après avoir signé un parchemin qui attestait l'union des deux familles avec leurs enfants. Quand Motoko était revenue, elle avait déposé sur la tête de sa future belle-sœur une couronne de fleur séchée.

« Vive les futurs mariés, dit-elle avec un sourire. »

Maho se sentit presque comme une princesse. Elle se montra même sophistiquée quand elle prit sa petite coupe qui contenait le nectar et leva le petit doigt. Elle ne faisait pas exprès. Depuis toute petite, Maho avait toujours eu le réflexe de lever ses petits doigts dans les airs quand elle tenait ses verres, ou mangeait des collations avec ses mains. Tanda trouva ça mignon.

Ils convinrent que leur union officielle se fera quand la fille de Nimka aura quinze ans. Nao devra attendre une année de plus pour pouvoir la marier. Pour l'instant, ils étaient promis et plus aucunes demandes n'entraient en jeu. Comme leurs invités avaient pris deux jours pour aller chez Tanda, ce dernier leur offrit un hébergement d'encore deux jours, idées qu'ils puissent récupérer de la route.

« Votre première fille n'est pas avec vous ? demanda Nimka. »

Nimka se souvenait vaguement d'Alika, quand elle l'avait rencontrée avec sa famille en présence de Chagum. Mais jamais elles n'avaient eu de contact direct. À l'époque, la fille aînée de Tanda et Balsa s'était montrée particulièrement timide face à elle, et avec le récit de l'œuf et la fuite de Chagum, elles n'avaient jamais forgé de liens.

« Alika est maintenant grande, répondit Balsa. Elle vole de ses propres ailes.

- Oh, je vois. Elle a donc quitté le nid familial, si on peut dire ?

- Oui. Elle habite maintenant à Kanbal, mais viens nous rendre visite une fois par année, pendant la saison estivale. La guerre contre l'empire Talsh a été terrible… pour tout le monde. »

Par respect, Nimka n'osa pas demander ce qui s'était passé. Sa propre famille avait également subi les conséquences d'après-guerre et c'était des cordes sensibles. De son côté, pour préserver la vie privée de sa fille, Balsa ne parla pas de la période noire dans laquelle Alika avait été noyée et avait failli commettre l'irréparable.

Motoko et Tanda installèrent les futons dans la pièce qui servait de salon et de chambre pour les enfants. Nimka et Hiwata dormaient toujours collés l'un à l'autre et pouvaient facilement dormir ensemble sur un futon simple. Maho hésitait à dormir aux côtés de Nao, ou avec son petit frère. Connaissant la gestuelle de sa fille, Nimka lui demanda ce qui n'allait pas.

« Est-ce que ça va vous déranger si je dors proche de Nao ?

- Tu ne le faisais déjà pas quand il venait dormir à la maison ? lui rappela sa mère.

- Si, mais là, c'est différent. On est chez ses parents…

- Je ne pense pas que Tanda-San et Balsa-San s'y opposent. Et ça ne m'effraie pas. Nao est respectueux, il a fait ses preuves. Sinon, on ne vous aurait pas arrangé un mariage. »

Maho hocha la tête et alla proche du futon de Nao. Après avoir offert de prendre un bon bain, et que ses invités se sentaient bien et propres, Tanda leur demanda si tout allait bien avant de dormir. Tous répondirent que oui, et leur hôte rajouta de ne pas se gêner durant la nuit s'ils avaient soif ou avaient besoin d'aller utiliser les latrines.

Tanda monta les escaliers et retrouva Balsa qui avait terminé de se changer.

« Je suis en train de me demander lequel de nos enfants aura une descendance en premier, réfléchit Tanda.

- Avoir des enfants, ce n'est pas une compétition, lui rappela-t-elle. Ce n'est pas mieux si c'est fait de façon précipitée. »

À l'entente du ton de sa voix, il comprit que Balsa n'avait clairement pas la tête à penser à leurs futurs petits-enfants.

« Mon but n'était pas de te vexer, Balsa. Je ne faisais qu'émettre une hypothèse. J'ignorais que la plaie était encore à vif avec ce qu'à vécu Alika… je m'excuse si j'ai manqué de respect et de tact. »

Sa femme se tourna vers lui.

« La plaie n'est pas à vif, mais elle reste sensible. Si tu savais et voyais tout le dur cheminement qu'Alika a fait pour retrouver une vie presque normale malgré son traumatisme… je ne veux plus la revoir dans un tel état, tu comprends ? Elle-même m'a dit qu'elle n'avait aucun regret et que ce n'était pas le bon moment.

- Je comprends. On pourra en reparler quand le moment sera venu. Je ne voulais pas te peiner.

- Ça m'a juste… surprise.

- Tu n'es pas fâchée contre moi ?

- Non. Tu m'as juste un peu vexée… je préfère rester dans le moment présent, plutôt qu'anticiper et prévoir toujours le futur. Tu sais très bien que je suis comme ça.

- Oh oui. Bien sûr que je le sais. »

Après deux jours à avoir profiter de la présence de Nimka et Hiwata, les deux familles se séparèrent. Depuis, Nao allait les visiter fréquemment, au moins une fois aux deux semaines.

Il poursuivait ses leçons en tant que futur compteur et guidait les personnes qui possédaient des facultés médiumniques et cherchaient à améliorer leur qualité de vie, et leurs émotions, avec la lithothérapie et la méditation. Nao était beaucoup moins dans les énergies qu'il l'avait déjà été. Il avait pris assez de recul pour comprendre qu'il devait vivre sa vie, et non pas vivre pour les esprits ou leur faire constamment plaisir. Au final, il ne s'en sortait pas si mal que ça.

Son don avait débloqué de lui-même, sans aide extérieur. Cependant, il ne portait plus autant d'attention aux gardiens spirituels et esprits qu'avant. C'était juste une chose normale dans son quotidien de les voir, comme voir toutes les couleurs des fleurs et les petits détails de la nature.


Lany saigna pendant deux longues semaines. Les saignements avaient été abondant lors de la première, et avaient doucement commencé à réduire à partir de la moitié de la deuxième. Balsa vérifiait régulièrement son état, espérant que ses règles ne cachent aucune hémorragie, car les premières fois, le système pouvait se montrer très irrégulier.

Comme la jeune femme était encore un peu mal à l'aise avec son propre sang et apprenait encore à gérer les possibles fuites, en plus de changer les linges de coton dont les fibres étaient mélangées avec du lin, elle avait demandé à Alika d'attendre que ça se calme avant de sortir de nouveau au Bas Ougi; Lany n'avait jamais aimé les latrines publiques et elle n'y allait qu'en dernier cas de recours. De plus, elle n'avait pas envie de trimballer ses linges souillés dans un sac de cuir à part. Il y avait une odeur particulière et Lany ne l'aimait pas. Entretemps, Motoko avait fini de la bouder et lui parlait comme avant. Leurs sorties dans la forêt et leurs confessions étaient toujours aussi agréables.

À la troisième semaine, après son douzième anniversaire, Lany se sentit assez à l'aise de pouvoir ressortir au Bas Ougi en compagnie d'Alika. Les saignements avaient fait place aux pertes. Alors la première chose que son mentor choisit de faire fut d'aller dans le coin des nouvelles forges de Kosenkyo.

« J'ai une commande à aller chercher chez le forgeron privé de Maman, indiqua-t-elle.

- Oh… ça veut dire que je vais visiter cet endroit, enfin ?

- Oui, c'est exact. »

La canicule étant à son apogée, elles ne tardèrent pas dans l'allée principale des forges. Même si Alika marchait vite d'une démarche naturelle, Lany arrivait toujours à la suivre, quitte à faire deux pas en surplus pour rester à sa vitesse. Koda ne l'attendait jamais et ne s'adaptait pas à son rythme de marche, alors Lany avait appris à ajuster sa vitesse avec celle des adultes, et non pas l'inverse.

Elles sortirent du chemin principal des forges, se sentant un peu mieux. Lany n'était plus étouffée par la chaleur. Au loin, elle vit un petit bâtiment à l'écart des autres forges.

« C'est là le forgeron de votre famille ? s'enquit Lany.

- Oui, majoritairement. »

La porte s'ouvrit sur un jeune homme ayant à peu près dans la quarantaine.

« Vous êtes pile à l'heure, commenta le propriétaire de la petite forge.

- Comme convenu, Kintaro-San, répondit Alika en s'inclinant.

- La commande est prête. »

Lany regarda aux alentours. Il y avait des lames de toutes sortes, mais presque pas de lances. C'était surtout des lames de sabres recourbées Yogoese, avec des outils des champs et même des couteaux de cuisine. Kintaro se leva, délaissant son travail du fer et remit une petite boîte en bois à Alika.

« J'espère qu'elle sera à la hauteur de vos attentes et vous plaira, conclut-il.

- Je vous fais amplement confiance. Sinon, la majorité de ma famille ne ferait pas à faire avec vous. J'ai toujours été très satisfaite du service. »

Elle fouilla dans son kimono et en ressortit une petite bourse d'argent. La visite n'avait pas duré cinq minutes, mais la petite disciple avait tout enregistré dans sa tête; l'endroit, l'odeur et chaque nouvel objet. Alika sortit de nouveau à l'extérieure satisfaite.

« Qu'est-ce qu'il y a dans la boîte ? demanda Lany.

- Ah, tu le découvriras bientôt. Allons à un endroit particulier.

- Hein ?

- Suis-moi. »

Elles prirent un chemin à part et Lany leva les yeux vers l'écriture du drapeau tenu par un bâton, sur lequel un petit tourniquet crée avec deux panneaux de bois tournait au gré du vent. Aux côtés, il y avait une pierre avec des écritures gravées.

« Le cimetière ? s'étonna sa disciple.

- Hé oui. »

Lany échangea un regard avec Tassiani et Yugao. Cet endroit était un lieu de calme et de sérénité. Si personne ne venait piler les tombes des morts, les esprits ne feraient jamais aucun mal à quiconque venant les visiter. Alika trouva un endroit sur la barrière de pierre et s'assit doucement. Elle tapota la place à ses côtés pour inciter sa disciple à l'imiter.

« Je voulais venir ici, parce que je ne voulais pas que mes frères et ma sœur se montrent jaloux.

- Ah, tu veux parler de Motoko ?

- En partie… elle va mieux, donc ce n'est pas le moment d'avoir une autre crise de jalousie. Tiens, fit-elle en lui tendant la boîte. C'est pour toi.

- Alika, tu n'étais pas obligée de—

- Lany, fais juste l'accepter. C'est quoi ces manières de refuser un présent ?

- C'est juste la base de la politesse, rétorqua-t-elle. Mais si c'est pour moi…

- Pour ton anniversaire. »

Lany prit la boîte et glissa le couvercle de bois. Elle bougea le tissu dans lequel était caché l'objet, mais elle sentit au travers que c'était très lourd. Elle finit par l'ouvrir et y découvrit un magnifique poignard dans son fourreau bleu marin, avec une cordelette blanche en son centre. La poignée était métallique, avec trois pierres fines verte et translucide qui étaient taillées et polies. L'une, la verte, était sur le pommeau de la poignée, alors que les deux autres étaient placées de chaque côté. Lany tira sur le poignard pour regarder la belle larme étincelante.

« Wow… le poignard est magnifique, murmura-t-elle.

- Tu es devenue une adulte maintenant, s'émut Alika. Enfin, j'avais déjà cette intention depuis longtemps de t'offrir un poignard à ton anniversaire pour tes douze ans, comme il est coutume d'en recevoir un dans ma famille depuis Nao. Et en même temps, la nature a décidé que tu sois une femme.

- Ce dernier cadeau n'était pas amusant. Et de quoi avant Nao ? T'as pas eu de poignard à douze ans ?

- Maman n'y a pas pensé… mais elle croit toujours que j'aurais pu être en mesure de pouvoir me défendre, le soir où j'ai été agressée si j'avais eu un poignard, sur moi. Elle m'en a offert un, comme tu l'as déjà vu, avant de revenir ici, quand j'allais mieux.

- Oh, je comprends.

- Est-ce que tu sais ce que l'on a dit à Kanbal, quand on transmet une arme de cette valeur entre mentor et disciple ? Ou simplement entre père et fils ?

- "Le poids de la lame est le poids de la vie. Cette lame peut représenter ta vie, ou représenter ta mort. Lorsque tu la dégaineras, prépare-toi à lui confier ta vie", récita Lany. Oui. Je l'ai souvent entendue avec Koda à la Capitale.

- Oh, oh. Ma disciple a bonne mémoire, je suis heureuse ! »

Alika montra son poing et Lany répondit avec ferveur. Son mentor lui ébouriffa les cheveux.

« Merci, Alika. C'est un présent inestimable. J'en prendrai bien soin !

- Je n'en doute pas une seconde, ma belle. Joyeux anniversaire encore.

- Si je le porte à ma ceinture, Motoko le verra… elle voudra sans doute savoir où je l'ai pris, ou de qui je l'ai reçu… je n'aime pas mentir, mais comme tu es venue ici pour me donner ce présent en secret, hors de la vue de ta famille… euh…

- Tu pourrais dire que Koda t'a envoyé ce cadeau provenant de Kanbal avec un messager.

- Ah, oui.

- Parfois, un petit mensonge ne fait pas de mal.

- Mais dire la vérité non plus ne fait pas de mal.

- Toute vérité n'est pas bonne à dire. Il vaut mieux taire certaines choses à jamais, quand la situation l'exige pour garder une certaine tranquillité d'esprit.

- C'est vrai que j'apprécie beaucoup ta petite sœur, mais j'avoue que j'ai toujours peur de dire de quoi et qu'elle soit triste après, ou qu'elle se fâche. Je vais y penser. »

La fille de Balsa se redressa.

« J'aimerai rendre visite à un couple d'amis, si tu le veux bien.

- Oh, qui ?

- Nuls autres que ma Tatie Saya et mon Tonton Tohya. Ils ont trois enfants. Leur plus vieux, si je ne me trompe, est à peu près de l'âge de Motoko. Les deux plus jeunes, deux filles, sont proches de l'âge des jumeaux. »

Alika prit le chemin pour aller vers la boutique « n'importe quoi ». Elle cogna et entra avant même d'y avoir été autorisée. Lany la suivit sur les talons et posa sa lance proche de la sienne.

« Il y a quelqu'un ? demanda-t-elle, avant de remarquer une jeune femme, assise derrière le comptoir. Oh ?

- Ah ? Des clients ! Bonjour ! répondit la jeune femme en levant les yeux vers elle. »

Elle possédait de longs cheveux noirs qui ondulaient légèrement, un teint foncé comme les Yakues mais ce qui attira surtout le regard d'Alika, c'était ses yeux. Ils étaient un mélange de bleu et de vert et étaient très perçants.

« Euh, se reprit Alika. Nous ne sommes pas vraiment des clientes. Est-ce que Saya et Tohya sont ici ?

- Ah oui. Ils sont dans l'entrepôt. Je peux aller les chercher pour vous. »

Alika remarqua qu'elle était bien plus grande qu'elle, comme son père presque.

« Tu as vu ses yeux ? murmura Lany en Kanbalese.

- Oui.

- Ils sont vraiment beaux… »

Quelques instants plus tard, Saya et Tohya se montrèrent. Les yeux de Saya s'illuminèrent en voyant Alika.

« Alika-Chan ! s'écria-t-elle en s'empressant d'aller la serrer dans ses bras. Tu es venue pour la saison estivale ?

- Oui. Et quitte à être dans le coin, je me suis dise que je vous passerai le bonjour.

- Venez prendre un thé, toutes les deux, les invita Tohya en regardant Lany.

- Je vous présente ma disciple, Lany Muto. Elle est venue avec moi en voyage comme je m'occupe de son entraînement.

- Bonjour, salua Lany timidement en Yogoese. »

Elles entrèrent plus loin dans le magasin. Les enfants étaient partis jouer chez des amis au Bas Ougi entretemps. Saya et Tohya en avaient donc profité pour avancer leurs commandes en vitesse et vérifier si leur fils ainé, Nanda, du même âge que Lany, avait bien identifié chaque produit à chaque client. En voyant Lany regarder celle qui les avait accueillis, Tohya fit les présentations.

« Voici Hoshika. C'est une des employées de Tanda, et elle travaille aussi pour nous.

- Ah oui, Papa m'avait dit que sa petite entreprise avait pris tellement d'ampleur qu'il était rendu avec deux employés, plus ma petite sœur qui apprend sur le tas, se souvint Alika.

- Daiko ne travaille pas aujourd'hui, l'informa Hoshika. C'est le deuxième employé de ton père. Tanda m'a aussi souvent parlé de toi.

- Ça fait longtemps que mon père t'a engagé ?

- En début d'automne dernier.

- Oh, c'est donc pour ça que je ne t'avais jamais croisée avant.

- En général, je me tiens dans l'entrepôt avec Daiko pour préparer des remèdes et les commandes de choses à livrer à domicile. »

Saya informa ses invitées que ces deux derniers confectionnaient ensemble les remèdes et si ceux-ci étaient encore nouveaux, ils les « testaient » sur eux-mêmes. Une pratique que même Tanda ne comprenait toujours pas à ce jour. Alika arqua un sourcil, incrédule.

Pourquoi pas ? finit-elle par dire.

Juste à entendre Hoshika parler, Alika sentait déjà qu'il y avait entre Daiko et elle, une complicité sans borne et unique.

« La seule condition que Tanda nous a imposé avec nos soi-disant "tests" est de rester prudents malgré tout, termina Hoshika. »

Sans qu'Alika le demande, sa capacité médiumnique refit surface. Peu importe combien ça allait mal ou bien dans sa vie, l'employée de son père était souvent surnommée par Motoko « Étoile-Senpai ». Elle avait toujours un sourire au visage, avait le rire facile et disait toujours que ça allait bien. Tanda se renseignait quelques fois pour savoir si elle aimait toujours son travail. À chaque fois, la réponse était bien positive. Hoshika était une Yakue métisse et provenait du village de Vishuda, là, où de nombreux mariages interraciaux avaient lieu.

Lany était un peu plus à l'aise avec le Yogoese et Hoshika prenait tout son temps pour bien se faire comprendre. Quand la disciple d'Alika ne savait pas comment dire tel mot ou telle expression en Yogoese, elle demandait la bonne traduction à son mentor comme un dictionnaire sur patte et répétait ensuite ce qu'elle disait.

« J'ai toujours réussi à te comprendre, Lany, la rassura Hoshika. Tu es déjà même plus fluide que moi.

- Plus fluide ? Comment ?

- J'apprends le Rotan. Je ne suis pas très douée, mais j'avoue que quand nous ne somme pas en immersion de langue, ou n'avons pas besoin de l'apprendre au quotidien, il est plus difficile de se motiver quant aux leçons.

- Oh, oui… Au fait, Hoshika…

- Oui ?

- … Tu as de beaux yeux, tu sais, la complimenta Lany. J'ai toujours aimé les yeux bleus. »

Hoshika aurait pu rougir si son teint de peau n'avait pas été aussi foncé.

« Merci. Je les aime aussi. Ils sont plus verts quand je suis fatiguée, et ils sont plus bleus quand il fait beau à l'extérieur.

- C'est courant pour des Yakues d'avoir les yeux bleus ? Nao, le petit frère d'Alika, les a aussi bleu… mais il est métis, comme mon mentor.

- Les yeux bleus chez les Yakue purs souches sont rares, quoique pas impossible. Maître Torogai a les yeux bleus et elle confirme être une pure souche. Mais en général, les yeux bleus, gris ou vert parmi le peuple Yakue montrent seulement le résultat des mélanges de races et de cultures.

- Je vois… c'est intéressant ! »

Entretemps, Alika avait plié des origamis comme cadeau pour les enfants de Saya et Tohya. Elles ne restèrent qu'un petit deux heures chez eux à prendre le thé, parmi lesquelles la fille de Balsa avait fini par annoncer qu'elle avait un prétendant, comment elle s'était retrouvée avec Lany sous son aile et combien elle se sentait enfin heureuse et en paix à Kanbal. Lany avait vivement ajouté qu'il ne fallait pas trop taquiner Alika au sujet de Shozen, jusqu'à ce que ce soit officiel.

Avant de partir, Tohya leur offrit chacune une boîte de thé avec diverses saveurs, souvenir de leur boutique pour quand elle retournerait à Kanbal.


De retour au refuge, quelques journées après le beau cadeau que Lany avait reçu et portait constamment à sa taille, Alika décida d'aller au village de Toumi. Sa disciple ayant enfin terminé ses règles, elle aurait la conscience tranquille et pourrait se concentrer à fond sur son exploration. Lany demanda si Motoko voulait les accompagner, ce que, bien entendu, la petite sœur d'Alika accepta avec joie. Elle avait remarqué le poignard à la ceinture de son amie et lui avait demandé la provenance. Lany finit par dire que c'était son grand frère adoré qui lui avait offert avec sa mère et qu'un messager lui avait livré au Nouvel Empire de Yogo, comme exceptionnellement, elle fêtait son anniversaire loin de la maison. Par chance, Motoko ne posa pas plus de questions, rêvassant que l'an prochain, ce serait son tour d'avoir un poignard de cette qualité.

La route se passa bien. Alika complimenta même sa petite sœur pour lui redonner un peu d'aplomb.

« Je vois que les excursions et voyages avec Maman t'ont endurci, remarqua-t-elle.

- Ah bon ?

- Oui. Tu ne chiales plus autant parce que tes pieds te font souffrir.

- C'était il y a longtemps, ça. Maintenant, j'ai l'endurance nécessaire. Maman dit que c'est mon point fort.

- Et je confirme. »

Elles se baignèrent ensemble dans une petite source pour se rafraîchir, retirant tous leurs vêtements. Alika fut soulagée de voir que Lany ne semblait plus complexée par son corps qui changeait. Il lui semblait même que sa poitrine avait encore grossi, légèrement. La baignade se changea en guerre d'eau et elles la terminèrent, étendues sur le sol, à se faire sécher au soleil. Lany demanda par télépathie à Yugao si elle pouvait prévenir Nao de ne pas partir du village, comme elles venaient faire une petite visite. Aussitôt, sa gardienne se volatilisa pour aller prévenir le petit frère d'Alika.

L'entrée du village de Toumi se profila à l'horizon. Elles agitèrent les os de nahji pour activer le charme de séparation et marchèrent sur le chemin.

« Il y a de fortes chances que l'on attire l'attention sur nous, les prévint Alika. Ne vous sentez pas intimidées, ils sont simplement curieux. En autant qu'on ne dépasse pas vos limites avec des questions plutôt privées et intrusives. »

Elles pénétrèrent le village et comme Alika l'avait prévu, les villageois tournèrent leur attention sur elles. Des femmes étaient assises sur des tapis et tressaient des paniers ou équeutaient des fruits et légumes. En peu de temps, un adolescent courut à leur rencontre.

« Ouah, Nao se confond tellement dans la foule qu'il passerait pour un villageois ici, commenta Lany en le reconnaissant.

- Alika-Oneechan, Motoko-Imouto, Lany-Chan ! les appela-t-il. J'ai eu le message que vous viendriez !

- Un message ? se surprit Alika. Mais je n'ai envoyé personne, à l'exception de t'avoir dit que je viendrai faire un tour il y a quelques semaines.

- Euh…, lâcha sa petite disciple. J'ai peut-être envoyé Yugao prévenir Nao de ne pas bouger…

- Alors c'est donc toi qui as prévenu mon frère de notre arrivée. Petite cachotière. »

Le doyen Saika les accueillit. Après avoir expliqué qu'elles faisaient une visite de courtoisie, Nimka les invita à sa maison.

« Je ne sais pas si votre place sera assez grande pour toutes nous hébergées, avoua Alika. Nous sommes un peu à l'improviste…

- Oh non. Nao nous l'a dit. La maison a été choisi en fonction d'avoir une grande famille, l'informa-t-elle. Mais, euh… les plans ont changé et nous n'avons que deux enfants. Ce qui est suffisant. »

Alika eut un mal de ventre soudain. Elle fit de son mieux pour canaliser son mal, et cacher sa soudaine crampe, mais la douleur était vraiment aiguë. Ses yeux de médium virent alors un esprit en particulier s'approcher d'elle. Il était complètement vêtu d'une cape à capuche qui couvrait ses yeux, en velours qui rappelait celles des sorciers. La couleur dominante était rouge, avec des reflets en or. Les petits motifs et ficelles qui servaient à attacher la cape sur le devant était argent. Il mesurait environs 5'11".

Un gardien du mariage, bien sûr… celui de Nimka et de son mari, comprit Alika.

Un Gardien du Mariage était le résultat de deux gardiens spirituels fusionnant ensemble après que leurs protégés se soient mariés, ne se séparant qu'à la mort des deux mariés. Si l'un des deux décédaient avant l'autre, le Gardien du Mariage restait pour veiller le veuf ou la veuve restant jusqu'à son décès.

Certains Gardiens du Mariage étaient clairement de genre féminin, portant des robes médiévales à crinoline, ou des kimonos, alors que d'autres étaient des hommes, portant une cape de couleur. Mais il y en avait où on était incapable d'attribuer un genre. Si les deux gardiens qui avaient fusionné ensemble étaient de sexe opposé avant le mariage, l'énergie du Gardien du Mariage était influencée par le « protégé » qui était le plus dominant ce jour-là. Cela signifiait donc que sa voix pouvait être féminine la veille, et le jour suivant, être masculine. Vice-versa.

Alika en avait côtoyé plusieurs. Les couleurs représentaient la dynamique d'un couple, mais parfois, c'était simplement les couleurs préférées des mariés. Ses propres parents en avaient un, de couleur turquoise; ils s'accrochaient à l'amour avant tout malgré les nombreux conflits qu'ils pouvaient avoir. Celui de Taiga et Maya avait une cape bleue, avec la capuche vert printemps très pâle avec des reflets lavande sur le tissu bleu; c'était un amour qui avait pris du temps à se développer, mais qui grandissait à chaque jour et qui avait su transgresser les lois des statuts entre personne de différentes classes. Celui de Tomoe et Shuga était mauve pâle; une complicité comme frère et sœur. Et celui de Tohya et Saya était rose pâle et bourgogne; la couleur préférée de Saya et un soutien mutuel, un amour très pur.

La médium savait qu'il ne fallait jamais provoquer un Gardien du Mariage, ou se le mettre à dos. C'était quand même la force combinée de deux esprits dans un même corps. Cependant, il pouvait se séparer quand les deux protégés devaient aller à des endroits différents et avaient besoin de protection. Les gardiens reprenaient alors leur apparence d'origine, ne gardant que la cape comme vêtement. Quand les protégés étaient de nouveau réunis, ils se « re-fusionnaient ».

« Alika-Oneechan, tout va bien ? s'inquiéta Nao.

- Aouch… pardon, est-ce que vous n'auriez pas des latrines à quelque part ? demanda-t-elle. Je ne me sens pas très bien, soudainement…

- Juste derrière la maison ! Si jamais ça ne va pas, on a des remèdes.

- Merci… »

Alika fila à l'endroit, ordonnant au Gardien du Mariage de Nimka de la suivre. Son mal de ventre n'était pas une attaque spirituelle. Elle devait avoir une discussion, car on lui demandait en urgence de l'aide. Et pas n'importe quelle aide : une aide spirituelle.

Une fois dans les latrines, elle laissa le Gardien entrer avec elle dans la cabane. Elle se concentra sur sa respiration et parvint à apaiser son mal de ventre graduellement.

« Nous pouvons parler en paix, ici, murmura Alika. Mais pas trop fort.

- En te voyant, j'ai toute de suite su que tu étais celle qui pouvait aider ma protégée, lui dit le Gardien avec une voix d'homme.

- Je sais, vous n'êtes pas responsable de mon mal de ventre. Mon instinct de médium a juste donné un gros coup… ça m'arrive de temps en temps, mais là c'était intense… donc je suppose que c'est particulièrement grave.

- Oui. Personne dans ce village ne peut aider Nimka, même pas ton petit frère, ou si c'est le cas, elle ne sait pas vers qui se tourner malgré Yane, sa thérapeute.

- Je ne suis peut-être pas la plus douée pour ce genre de guérison, mais si je peux y arriver, je le ferai avec joie…

- Puis-je me permettre de te toucher et t'envoyer les informations ?

- Oui. Montre-moi ce que Nimka a vécu de traumatisant.

- D'accord… »

Le Gardien posa sa main sur la tête d'Alika. Elle fut plongée dans des souvenirs et assista à la naissance complète du second fils de Nimka et Hiwata. La violence et la brutalité étaient si agressives, qu'elle se mit à trembler de rage. Lorsque Nimka avait légèrement repris son énergie, ses belles ailes blanches, duveteuse, étaient effilochées sur les pointes comme si on les avait trimés. Elle avait perdu aussi beaucoup de plumes, et pendant un long moment, elles étaient constamment entourées autour de son corps comme pour se protéger de toutes intrusions. Mais ce qu'Alika remarqua le plus fut ses chakras fissurés et les méridiens sectionnés. C'était ces fuites d'énergie qui faisaient en sorte que Nimka ne retrouvait pas son énergie d'avant et avait du mal à accepter le déroulement de la naissance. Le Gardien du Mariage avait été assez fort pour influencer les autres esprits et bannir les deux sage-femmes du village.

Lorsqu'Alika reprit contact avec la réalité, elle se retourna vers le trou taillé dans le bois pour vomir ses tripes. C'est à ce moment qu'on cogna à la porte et qu'elle reconnut la voix de sa disciple.

« A-Alika, est-ce que ça va ? »

Alika vomit à nouveau, alertant Lany qui s'empressa d'ouvrir la porte. En général, elle ne voyait pas les esprits d'énergie positive, mais cette fois-ci, elle se trouva face à face avec celui de Nimka et Hiwata. Il devait donc sûrement avoir un peu de neutralité en lui.

« Est-ce que… c'est cet esprit qui te rend à mal ? murmura-t-elle, soudain sur ses gardes.

- Non, gémit Alika. Il m'a demandé de l'aide…

- Oh ? Et pourquoi tu te sens malade ?

- En tant que médium… les souvenirs sont parfois tellement intenses pour notre sensibilité que le corps physique ne peut pas le tenir. Mais, s'il y a une boisson qui pourrait apaiser les spasmes, les tremblements et les nausées, je la prendrai volontiers. J'ai juste besoin de me calmer… »

Elle resta assise sur le plancher des latrines, essayant de se calmer. Lany ne fit que la serrer dans ses bras, demandant ce qui l'avait rendu à ce point malade. Le Gardien du Mariage permit à la médium de partager ce qu'elle avait vu. Peut-être qu'à plusieurs médiums, la guérison serait plus facile.

« J'y connais rien en reiki ou en magnétisme humain, avoua Lany. Je peux donc pas aider.

- Heureusement que Tante Yuka m'a appris un peu le magnétisme et que Messiah m'a montré les bases du reiki… je pense que je n'aurai pas le choix de demander de l'aide aux esprits qui sont experts en cette branche. Oh, je m'en veux de ne pas m'avoir perfectionné dans cet art.

- Tu en connais qui peuvent t'aider ? »

Alika reçut l'image de Nahoko, la gardienne de Yuka. Elle pourrait donc lui demander de prendre possession de son corps si elle arrivait à convaincre Nimka de faire un traitement énergétique en sa compagnie. Voyant qu'elle était plus calme, Lany lui demanda de ne pas bouger. Quelques instants plus tard, Nimka se montra avec sa fille et Nao, inquiète du malaise qu'Alika avait eu.

« Sens-tu tes doigts ? la questionna-t-elle en prenant sa main.

- Oui… mais je continue de trembler. Ce n'est pourtant pas la canicule, murmura Alika en mentant.

- Il en faut peu pour faire un malaise parfois. Une mauvaise déshydrations ou une indigestion. Es-tu capable de te lever ?

- Je pense que oui, mais je me sens très faible. »

Nimka l'aida à se redresser et l'emmena s'asseoir à un endroit frais dans sa demeure. Avec ce contact, Alika se permit de récolter le plus d'informations à son sujet. Elle regarda ses chakras, et même ses ailes. Ses ailes étaient redevenues normales, mais elles continuaient d'être effilochées sur les pointes. Elle n'avait pas beaucoup échangé avec Nimka quand elle était encore une enfant, mais elle savait qu'elle avait un devoir à faire avec la mère de Maho. Elle seule pouvait l'aider. Nimka souffrait en silence, sans savoir la véritable raison, depuis bien trop longtemps déjà.

On servit une tasse qui sentait bon à Alika et celle-ci but à petite gorgée, traitée aux petits oignions. On lui donna même une petite douceur sucrée pour l'aider à remonter un peu sa glycémie.

« Comment faire une entrée remarquable au village ? plaisanta Alika. Faites un malaise, youpi !

- Tu n'as pas à te sentir mal, la rassura Hiwata. Les gens ici sont tous prêts à aider leur prochain. Que tu sois une étrangère ou une amie. Prends le temps qu'il faut pour te remettre. »

Elle regarda les ailes d'Hiwata : elles étaient trouées et des plumes manquaient ici et là. Alika écouta les récits de Nao avec ses entraînements en tant que futur compteur. Maho désira encore entendre l'histoire de rencontre entre ses deux parents. Distraite, Alika chercha la meilleure façon s'aborder le sujet avec Nimka. Comment Messiah avait-elle faite avec elle, déjà ?

« Maho, et si on allait montrer la chute des miracles ? proposa Nao.

- Oh, oui ! Et où il y a les mizuyue, renchérie sa fiancée.

- Est-ce que tu viens avec nous, Alika-Onee-ny-chan ? demanda Motoko.

- Non merci. Après mon malaise, je préfère prendre ça relaxe. »

Elle remarqua que Lany attendait son accord.

« Tu es sûre ? questionna sa disciple.

- Oui. Va t'amuser avec eux. Je suis en bonne compagnie avec Nimka et Hiwata. Je ne serai pas toujours sur ton dos à regarder ce que tu fais.

- D'accord. On se voit tout à l'heure. »

Les quatre préadolescents sortirent rapidement de la maison avec Noya qui se faisait déjà materner par Motoko. Hiwata soupira.

« La tranquillité ça fait du bien. »

Alika remarqua également que les énergies d'Hiwata étaient débalancées. Ce couple était très résilient et très fort avec toutes les épreuves qu'ils avaient vécues. Pas étonnant que leur Gardien du Mariage avait demandé de l'aide en urgence.

« Dites-moi, est-ce que vous avez une chamane ici ? commença Alika.

- Oui. Elle s'appelle Mirogai. Je ne suis pas vraiment proche d'elle, mais elle a toujours été agréable à côtoyer, même si elle adore l'alcool.

- Hum, c'est probablement une amie de ma Grand-Mère.

- Effectivement, Maître Torogai va souvent la voir quand elle vient en visite au village.

- Est-ce que vous savez ce qu'elle a comme capacité ? Je veux dire… est-ce qu'elle communique avec les esprits, fait des rituels magiques, travaille avec les énergies de la nature ?

- Oui, elle fait tout ça, confirma Hiwata.

- Et… est-ce qu'elle est capable de faire des soins énergétiques ? Dans le sens qu'elle peut réaligner les chakras ? »

Nimka et Hiwata se jetèrent un œil surprit.

« Ça, on l'ignore complètement, avoua Nimka. Personne au village n'a jamais vraiment abordé le sujet des chakras ni des énergies de nos corps.

- Comme c'est dommage, avoua Alika. À Kanbal, lors de ma toute première année de thérapie intensive, j'ai eu la chance de croiser la route d'une guérisseuse et maître dans l'art du reiki, Messiah, et qui guéris les énergies malades. Ma grande tante, Yuka, est aussi magnétiseur. Elle tient une maison de guérison. Les deux m'ont énormément aidée.

- Je sais que Nao a des dons médiumniques et travaille avec les pierres et les esprits. Maho a été un peu entraînée dans cette branche avec sa curiosité. Maître Torogai l'a bien initiée. D'ailleurs, je pense que Tanda-San est également dans les énergies, alors je me demandais si c'était courant dans ta famille d'être des médiums ?

- En fait, dans ma famille, je suis la plus puissante spirituellement. Et en dehors de mon père, Grand-Mère Torogai et mon petit frère Nao, personne d'autre n'est dans les énergies comme nous.

- Ah, je vois. »

Alika sentit dans ses trippes que le moment d'aborder le sujet était venu. Le Gardien du Mariage plaça ses mains sur ses épaules lorsque Nahoko arriva à son tour pour aider. Alika se pencha vers l'avant.

« Nimka… je vais paraître très indiscrète à ce niveau comme ce n'est pas de mes affaires, et il se peut que je joue dans des cordes sensibles. Je comprendrai que tu ne veuilles pas en parler… mais quelle est la véritable raison qui vous a poussé tous les deux à ne plus vouloir d'enfants après Noya, alors que vous aviez choisi votre maison en fonction d'une grande famille ? »

L'aura de Nimka vira soudainement violette. Hiwata caressa le dos de sa femme qui n'était pas capable de dire un mot. Il le dit alors à sa place.

« Une naissance traumatisante, fit-il. On lui a fait beaucoup de tort.

- Je vois, répondit Alika, ne révélant pas que sa vision lui avait clairement montré comment ça s'était produit. Et depuis, comment se porte la santé physique ? Des douleurs ? De la fatigue ? Du stress ?

- Tout ce que tu as dit, confirma Nimka, la gorge serrée. Ça fait au-dessus de neuf ans… je n'en parle pas, car j'ai peur que les gens disent que tout ça est psychologique, dans ma tête. Pas même à ma mère qui en a été témoin… enfin, elle était là dans les premiers temps, mais après, j'ai dû me débrouiller seule. Quand je suis très stressée ou nerveuse, les flash-backs de la naissance de Noya me reviennent en mémoire, sous forme de cauchemar ou en boucle de pensées incessantes qui m'empêchent de terminer mes tâches quotidiennes. Je suis épuisée d'être constamment épuisée.

- Je peux te rassurer, ma belle. Rien de tout ça n'est psychologique. »

Nimka leva des yeux embués de larmes vers elle. Une personne qui la comprenait réellement, était-ce possible ?

« Ton énergie et tes principaux chakras sont fissurés. C'est par là que fuite ton énergie. Ta fatigue physique est reliée à tes énergies débalancées.

- Tu peux le sentir ?

- Oui, mes capacités médiumniques me le permettent. Tu aurais besoin d'un soin énergétique, voire même, plusieurs. L'acuponcture est également une bonne solution pour ça.

- Des aiguilles ? »

Voyant qu'Alika bloquait, Nahoko se permit de transposer son énergie sur elle. Ses lèvres bougèrent seules.

« Si ça t'effraie, il y a toujours la méthode alternative qui utilise des pierres chaudes pour activer la circulation. C'est sûr que le travail ne se fera pas en une séance, mais bien en plusieurs.

- Mais toi et Lany n'avez pas l'intention de rester indéfiniment au village de Toumi, n'est-ce pas ? questionna Nimka. Pour passer le reste de vos vacances ailleurs, je veux dire.

- Nous pourrions rester jusqu'à une, voire deux semaines, mais après, effectivement, il va nous falloir retourner à la maison de mes parents. Il faudra donc trouver une remplaçante à mon travail entamé. Et je propose aussi des séances pour Hiwata.

- … Quand commencerons-nous, dans ce cas ?

- Ce serait mieux quand les plus jeunes seront couchés. Je pourrai ainsi être tranquille d'esprit et je dois aussi préparer certaines choses, donc disons demain soir ? »

Le couple acquiesça. Alika demanda à aller voir le chamane Mirogai en personne. Hiwata lui indiqua que sa maison était la plus reculée du village et la plus proche de la forêt. Ne se sentant pas en danger, elle n'apporta pas sa lance avec elle. Plusieurs villageois la saluèrent lors de sa route. Elle remarqua que le village de Toumi ne portait jamais de sandales. Ils étaient tous nus pieds. Sur le chemin du retour vers la maison de ses hôtes, Alika se dit qu'elle les imiterait. Elle cogna.

« Entre, jeune médium, résonna la voix de Mirogai. »

Alika obéit et entra.

« Bonjour, s'annonça-t-elle. Vous saviez que je viendrai ?

- Oui. »

Elle regarda partout et trouva un seau pour se nettoyer les pieds, même si elle avait porté des souliers durant son trajet. Alika entra plus en profondeur : la maison était plus petite, mais il y avait des herbes suspendues au plafond, avec des tiroirs qui servaient de classeurs, des bougies et des pierres. Mirogai avait les cheveux en broussailles, blanc, et un visage très ridé, plus que Torogai.

« Je suppose que ma Grand-Mère a dû vous parler de ses petits-enfants, devina Alika en prenant place devant elle.

- Oh oui. De fond en comble. Je connais particulièrement Nao.

- Je n'en suis pas plus étonnée. Pour tout dire, je suis venue vous voir pour m'assurer d'une chose, avant de m'embarquer dans un long traitement d'énergie.

- Je t'écoute, belle enfant. »

Alika lui parla alors des soins énergétiques, la bioénergie, le reiki et l'acuponcture. Elle l'informa que Nimka aurait besoin de son aide dans les jours à venir, mais qu'après coup, Alika ne pourra plus la suivre sur une base régulière, car elle devait repartir à Kanbal jusqu'aux prochaines vacances estivales l'année suivante.

« Je me demandais si vous étiez outillée pour prendre la relève et continuer d'aider Nimka sur la voie de guérison. C'est un traitement qui s'annonce long, et je n'ai pas encore beaucoup d'expérience en la matière. Mais je promets qu'à mon retour à Kanbal, j'y travaillerai d'arrache-pied. »

Mirogai inspira dans sa pipe et expira, en faisant bien attention à ne pas envoyer la fumée expulsée sur son invitée. Simple principe de base de respect.

« Le peuple Yakue est en général très lié à la nature et aux traditions, expliqua Mirogai. Comme ils sont constamment en harmonie avec leur environnement, très peu pensent à aller vers des soins énergétiques.

- Je suis étonnée, avoua Alika. Je pensais que la spiritualité était plus au cœur de la mentalité Yakue.

- Nous pratiquons toujours notre magie, ce que le peuple de descendance Yogoese ont perdu au fil du temps, par une vision déformée de la vraie pratique ancestrale que sont les rituels et le spirituel. Mais pour ta demande, il existe très peu de spécialistes pour pouvoir reconnecter les méridiens entre eux et débloquer les anciennes énergies polluées.

- Ne pouvez-vous vraiment rien faire pour vos villageois, Maître Mirogai ? insista-t-elle. Vous voyez si souvent ma Grand-Mère… »

Le chamane croisa le regard insistant, à la limite implorant, d'Alika. Elle sentit que la jeune femme devant elle voulait vraiment aider son prochain, sinon, elle ne serait pas venue jusqu'à elle.

« J'ai appris un peu de cette base, finit-elle par dire. Mon Maître précédant me l'a enseignée. Les notions sont peut-être loin dans ma tête, mais une fois replongée au cœur de la pratique, tout devrait naturellement me revenir.

- C'est vrai ?! s'exclama Alika, des étoiles dans les yeux.

- Oui. Commence les soins de bases pour Nimka, reconnecte ses nadis et ses méridiens ensembles pour crée de nouvelles circulations dans son corps. Quand tu partiras, je prendrai la relève.

- Il y aura aussi Hiwata… avec son bras en moins, qui est une dure perte.

- Je le prendrai aussi. As-tu besoin d'outils ? »

Prise de court, Nahoko arriva en renfort. Mirogai sembla la voir, car elle figea un moment, de même pour la gardienne de Yuka. Leurs regards se croisa.

« … Une faucheuse avec toi, hein ? murmura Mirogai. Ou plutôt, une femme en blanc.

- Elle est gentille ! s'empressa de clarifier Alika. C'est la gardienne de ma Grande Tante Yuka. Elle ne veut aucun mal ! Mais en général, à moins d'être un puissant médium, les faucheurs ne sont pas visibles aux yeux des mortels et même des médiums.

- Je sais. J'ai simplement été étonnée de la voir arriver. Tu vas travailler de concert avec elle ?

- C'est l'esprit la mieux placée pour ce genre de soins énergétiques. »

Nahoko demanda alors plusieurs pierres « normales » et plates, des bougies ainsi que de l'encens. Mirogai prépara le tout et offrit le sac qui contenait les outils à son invitée. Elle eut peur qu'Alika ne soit pas assez forte pour transporter toutes ses pierres, mais quand elle vit ses biceps, elle ravala sa crainte. Alika la remercia et lui dit qu'à partir de maintenant, elle saurait quoi en faire. En descendant du petit palier de bois, elle prit ses sandales dans ses mains et choisit de marcher pieds nus comme les autres villageois.