Tamashi no Moribito
Gardien des Âmes
Chapitre 17
Un don mit à profit
Comme Alika n'arrivait jamais rien à cacher à Lany, elle lui fit part de son intention de vouloir guérir et reconnecter les énergies malades des parents de Maho. Ce traitement commencerait avec quatre séances par semaine; deux pour Nimka et deux pour Hiwata. Comme elle avait l'intention d'être sérieuse dans son travail, si elles restaient pour deux semaines à Toumi, ils auraient droit à avoir quatre séances. Ce qui était un bon début déjà.
« Tu y arriveras, l'encouragea sa disciple. Tu es faite pour ça, même si tu passes ton temps à dire que la médecine et la guérison ne sont pas tes points forts. »
Son mentor sourit.
« Tu sais aussi bien que moi comment encourager et redonner confiance, n'est-ce pas ?
- J'ai juste eu un bon professeur. Sans en faire un métier, essayer d'aider une personne à la fois grâce aux énergies, est une très bonne action. Qui sait quels talents cachés tu y découvriras ? »
Alika lui fit part que pour cette fois-ci, elle laisserait Nahoko prendre possession de son corps pendant toute la séance, comme elle n'y connaissait absolument pas grand-chose sur des soins énergétiques. Mais quand elle reviendrait à Kanbal, la première chose qu'elle allait faire serait d'aller voir Yuka et Messiah.
« J'arriverai à retenir Nao et Maho de venir te déranger lors de la séance.
- C'est pour ça que je prévois faire les soins en soirée, tard après que les enfants soient tous couchés. Nahoko va partir après les soins, elle va se charger que je me souvienne de tout. »
Avant d'aller plus loin dans ses soins et son projet avec Nimka, Alika arriva à aborder le sujet de sa naissance traumatisante alors qu'elle se trouvait seule à discuter avec son hôte. Bien sûr qu'elle l'avait vu dans sa vision quand elle avait accueilli l'énergie du Gardien du Mariage dans son champ aurique, mais si Nimka avait besoin de se libérer la conscience et en parler à une personne extérieure qui n'était aucunement relié à elle par le sang, ou l'alliance, ça pourrait l'aider.
« On t'a appuyé sur le ventre et forcé à rester coucher sur le dos ? s'indigna Alika, dans un ton de voix qui se rapprochait d'un grognement.
- Oui… je croyais que j'allais mourir, sanglota Nimka malgré elle.
- Bon sang… comment on peut manquer à ce point de respect à un être humain ?! Tu n'es pas un corps, tu es une personne ! C'est très, très dangereux comme pratique. Il n'y a pas que le bébé et le ventre, tu as tous tes autres organes qui en souffrent…
- Dans ces moments-là, les gens ne pensent qu'au bébé, et pas à la mère. Comme si on ne savait pas pousser, ou que notre corps nous mentait… Quand Hiwata a jeté un œil en bas, il a dit que ça ressemblait à une boucherie. Il a fallu attendre deux ans avant d'être en mesure de faire à nouveau l'amour.
- Je comprends… J'ai assisté à tous les accouchements de ma mère, et c'était presque comme dans un rêve. Alors je suis très insultée pour toi.
- En même temps, quand vous êtes seuls dans des montagnes, vous n'avez pas la pression d'un village sur le dos, je ne me trompe ? »
Nimka se moucha pour se libérer un peu.
« Effectivement, confirma Alika. Et il faut avouer que personne ne veut provoquer ma mère; pas même moi. Même si parfois, ça m'amuse un peu de la voir se fâcher.
- C'est parce que Balsa est intimidante de base… même quand elle donne naissance, dans un moment aussi vulnérable, elle semble être capable de s'imposer.
- Tu n'as pas à te sentir coupable, Nimka. Tu ne pouvais pas savoir ce que ces garces te feraient. Je suis sûre que ma mère aurait été aussi surprise que toi… Lors de mes thérapies à Kanbal, dans un cas traumatisant comme ça, le corps a trois façons de répondre à une agression ou une intrusion : la fuite, l'immobilité comme un chevreuil surprit sur le chemin, ou la contre-attaque. Ma mère fait partie de la dernière catégorie, à cause de son passé. Moi, je suis la fuite. Et toi, l'immobilité.
- Je comprends…
- Peut-être qu'au niveau du respect physique, être isolés dans des montagnes est positif, mais… Les problèmes du village sont à résoudre aux villageois. Il ne m'a pas l'air facile de vivre dans un village où tout le monde se connait. Mais quand quelque chose arrive, il y a un cercle de personnes qui vous soutiendra toujours. Ça peut être rassurant.
- Oui… mon mari a pris les devants et a exigé des excuses et des compensations. Ma mère l'a aussi accompagnée et mon histoire a fait le tour du village. J'ai reçu de l'aide… mais je ne vois les bénéfices que ça apporte…
- Peut-être que je pourrais t'aider, comme mes pratiques sont différentes de Toumi. En revanche, les gens comme moi et ma famille peuvent faire ce qu'ils veulent au jour le jour, mais n'ont pas un tel soutien. S'il arrive quelque chose, c'est malheureux, mais nous sommes les premiers à être accusés et, au final, à être détestés. »
Nimka continua de se confier et expliqua toute son histoire à Alika. Elle eut de nouveau espoir avec les futurs soins énergétiques à venir, et étrangement, parler à son invitée d'un sujet aussi intime et se sentir comprise et écouter, et pas jugée, était encore tout nouveau pour elle.
« L'accouchement me fait peur, confessa Nimka. Et je crains de ne plus être en mesure de donner naissance à un autre enfant.
- Tu n'es pas obligée d'en avoir d'autres. Deux, c'est bien non ?
- Oui. »
Le soleil déclina et Alika se régala des mets Yakue. Ça lui rappela des souvenirs quand était petite et avait visité Toumi pour la toute première fois. Elle avait regardé comme Hiwata cuisinait avec un seul bras, et Nimka, bien que portée à vouloir aider son mari, lui laissait son indépendance. S'il avait besoin d'aide, il lui demanderait.
Alika s'enferma dans une des chambres d'invités non occupées et prépara le tout comme indiqué par Nahoko. Une fois les enfants couchés et surveillés par Lany qui empêchait une quelconque perturbation du traitement à venir – et avec qui Motoko pouvait parler pendant des heures -, Alika laissa Nahoko prendre possession de son corps. Elle ne perdit aucun moment. Son corps était contrôlé de façon involontaire et elle se sentait spectatrice de son propre physique. Hiwata demanda s'il pouvait assister au traitement de sa femme.
« Bien sûr, répondit Nahoko avec la voix de son hôte. »
Avant toutes choses, ils firent une courte méditation, où Nahoko les guida au niveau des pensées, comment respirer et relaxer. Quand elle les sentit plus calme, elle invita Nimka à se coucher sur le petit tapis de paille. Nahoko passa ses mains sur le dessus du corps de sa patiente temporaire et Alika n'en crut pas ses yeux quand elle se mit à visualiser dans son esprit les minuscules réseaux d'énergie appelés méridiens. Elle était fascinée. Les blocages furent instantanément identifiés et ses mains, dirigées par Nahoko, sentirent des chaleurs émaner d'eux. La femme en blanc continua toujours de parler à Nimka pour la détendre et lui expliqua ses blocages.
« … La déchirure que tu as eu lors de la naissance de Noya n'a pas seulement eu des conséquences physiques, dit doucement Nahoko. Je sens beaucoup de dommages spirituels à cet endroit. »
De façon incontrôlée, Nimka se mit à avoir les larmes aux yeux.
« C'est normal que des émotions refassent surface. Laisse-les sortir et exprime-les, c'est important. Personne ici n'est là pour juger une quelconque réaction. Est-ce possible que ça a eu un impact sur le fait que tu sois toujours fatiguée ?
- Oui… parfois, j'ai l'impression d'avoir encore mal, ou que ça tire, mais j'ai toujours cru que c'était mon mental qui me jouait des tours.
- Ne t'en fais pas. Nous savons toutes deux que ce n'est pas vrai. Car vois-tu, le périnée, c'est cet ensemble de muscles, de ligaments et de membranes très solides qui forment un véritable plancher, comme un "filet" qui soutient les organes du bassin ensemble. C'est Tante Yuka qui m'a enseigné ça. On peut représenter sa forme par un losange, attaché au pubis par la pointe avant, au coccyx par la pointe arrière et aux ischions par les deux pointes latérales. »
Nahoko continua d'expliquer l'importance de cet endroit sur chaque être vivant, qui était le fondement du corps humain, sa base, son assise.
« Je l'appelle le muscle des ancêtres.
- J'aime beaucoup l'appellation, avoua Nimka.
- L'énergie entre et sort du corps par des "centres énergétiques" nommées " chakras". Mais l'un des plus important est le "racine", qui justement, se situe au niveau du périnée. C'est celui de base. Quand il y a déchirure à cet endroit, ou une quelconque agression, ce chakra devient malade et fuite. C'est pour ça que tu es constamment épuisée. Je vais donc reconnecter les méridiens sectionnés pour pouvoir leur faire trouver un nouveau point d'ancrage, et ainsi, retirer les énergie polluées et stagnantes que la cicatrice a laissé à ce niveau. C'est la première partie du traitement.
- Je te fais confiance. »
Alika écoutait le tout avec une concentration inouïe. Les connaissances de Nahoko étaient vraiment incroyables et même son hôte ignorait tout de ces canaux énergétiques. Avec des pierres préalablement réchauffées et des points de pression spécifique avec des massages, Alika regardait ses propres mains agir tout en visualisant.
Elle vit les méridiens être déplacés et se reconnecter entre eux, délaissant l'ancienne place dans le corps de Nimka. L'énergie stagnante et les fuites reliées à la déchirure s'évacuèrent et la brèche se colmata. Nahoko puisa dans la réserve presqu'infini d'énergie de son hôte et en profita pour guérir toute la région pelvienne et du bassin de sa patiente. Il y aurait beaucoup de travail à faire, mais le principal devoir qu'elle avait à faire était de reconnecter les réseaux d'énergies entre eux. Il ne manquait plus qu'au corps physique à s'adapter à ce nouveau système énergétique.
Nahoko termina enfin la séance. Elle offrit toutes les explications et le rétablissement à Nimka, lui demandant de s'armer de patience et de dire des affirmations positives suite aux soins. Elle rangea le tout en disant à Hiwata que son traitement ira dans deux jours, comme elle avait besoin de reposer, avant de quitter le corps d'Alika. Lorsque l'esprit quitta son corps, la fille de Balsa se sentit soudainement très étourdie.
« Hiwata, est-ce que tu pourrais aller chercher ma disciple, s'il te plait ? demanda Alika. Je… je suis un peu épuisée et étourdie.
- Oh, elle ne dort pas ?
- Non. Elle voulait avoir de mes nouvelles à la fin du traitement.
- J'y vais. »
Il alla chercher Lany, et bientôt, Alika vit son élève arriver. Lany prit sa main.
« Tout va bien, Alika ?
- Je suis un peu étourdie… mais je crois que les soins ont été une réussite. »
Les yeux de sa disciple s'illuminèrent.
« Je savais que tu y arriverais ! Aller, il est temps de te coucher, maintenant. »
Ils aidèrent Alika à se redresser et l'emmenèrent dans sa chambre d'invitée. Dans les deux jours qui suivirent, la médium vit l'aura de Nimka changer considérablement. Elle la sentait moins tendue et semblait avoir un regain d'énergie. Après avoir repris des forces, Nahoko recommença le même type de traitement, cette fois-ci, avec Hiwata, mais certaines choses avaient changé et étaient différentes. Elle reconnecta les méridiens sectionnés du moignon ensembles et dépollua énergétiquement cet endroit du corps.
Encore une fois, lorsque la femme en blanc quitta le corps de son hôte, Alika fut de nouveau étourdie.
« Bon sang, pensa-t-elle télépathiquement. Comment vais-je continuer les six autres traitements qui restent si je suis constamment étourdie après ton passage ?
- Tu y arriveras, l'encouragea la gardienne de Yuka. C'est une pratique que tu n'es pas encore habituée de faire. Laisse-toi du temps d'adaptation, y comprit me concernant.
- Je te fais confiance, je n'aime juste pas la sensation que ça apporte comme si j'étais saoule.
- Ton corps est agréable à manipuler et facile à gérer. Peut-être parce que nous sommes dans la même énergie. Mais ne t'en fais pas, je n'abuserai pas de lui. C'est juste pour les soins. Tu te débrouilles bien. Je vois déjà des changements dans l'énergie de Nimka. »
Entretemps, Alika offrit des nouvelles à Mirogai pour la relève concernant les traitements énergétiques de Nimka et d'Hiwata. Ils se rencontrèrent tous pour être sûrs d'être d'accord sur les mêmes choses.
« Tu es naturellement douée pour les soins énergétiques et la bioénergie, murmura Mirogai en touchant les mains d'Alika.
- L'ironie, c'est que j'ai passé la majeure partie de ma vie à dire que je ne serai jamais guérisseuse comme mon père. J'ai toujours et souvent dit que je serai comme ma Maman.
- Peut-être pas physiquement comme lui, mais spirituellement, oui. C'est une belle branche qui mérite d'être connue et d'être pratiquée. »
À la fin de ses vacances, Alika remarqua un changement dans les ailes de Nimka : la pointe était beaucoup moins effilochée, comme si les plumes cicatrisaient doucement. Elle ne savait que c'était possible, mais cela signifiait que les soins énergétiques fonctionnaient réellement sur le plan spirituel.
« On ne m'avait jamais dit que l'état des ailes traumatisées pouvait changer, s'étonna Alika en parlant de façon télépathique à Nahoko. Je croyais que ses plumes resteraient à jamais marquées comme ça faisait au-dessus de neuf ans… comme mon aile droite qui ne repousse plus. Pas même une mini plume qui ressort de temps en temps sur mon omoplate.
- Tout est possible, Alika. Ce n'est pas parce que nous n'avons jamais vu, ou assister à un phénomène ou situation, que c'est impossible. Une décennie paraît énorme pour les êtres incarnés – ce qui est vrai, je concède le tout – mais pour une âme, il ne s'agit qu'un petit moment dans son apprentissage. »
De leurs côtés, Nao et Lany avaient eu quelques malentendus concernant le spirituel comme ils avaient différentes visions. Alika avait dû intervenir, car Lany était sur le point de sauter à la gorge de son petit frère qui refusait d'ouvrir son esprit à d'autres possibilités. Maîtrisant le Yogoese comme seconde langue, c'était aussi difficile pour la jeune disciple de comprendre le ton de voix de Nao, même s'il était bilingue, et ça portait à confusion.
« Pourquoi je continue d'ouvrir ma gueule dans de tels moments ? se reprocha Lany. Je suis venue ici pour décompresser, pas pour me prendre la tête avec ton frère !
- Nao est parfois dur à cerner. J'ai aussi eu mon lot avec lui, donc je comprends comment tu te sens.
- Au moins, sa fiancée Maho balance le tout. Elle n'est pas constipée émotionnellement comme Nao. »
Alika pouffa de rire suite à cette expression et analogie. Étrangement, ce fut Maho qui demanda à Nao de mieux s'expliquer et de s'excuser auprès de Lany, une fois la poussière redescendue. Maho canalisait et balançait l'attitude de son fiancé, ayant une compassion hors norme pour tous les gens qui l'entouraient et qui la côtoyaient. Elle n'était pas rancunière et cherchait constamment l'harmonie dans ses relations et semblait comprendre que Lany ne voudrait sans doute pas avoir de vacances gâchées par des différends qui pourraient être facilement éviter.
« Vraiment, termina Lany, je crois sincèrement que Maho et Nao sont faits pour s'entendre. Vu comment elle agit avec lui et à quel point elle l'influence, c'est la partenaire parfaite pour lui.
- Tu crois ?
- Oui. Mon intuition me le dit. Et tu sais qu'il ne se trompe presque jamais. Je pense que leur union a bien été choisie.
- Si c'est ma disciple qui le dit, alors je ne peux que le prendre plus en considération. »
Nahoko avait vu plusieurs fois Lany, mais cette fois-ci, elle vit Tassiani l'accompagner. La femme en blanc s'arrêta, comme si elle avait vu un phénomène rare. Alika le remarqua.
« Nahoko ? Tout va bien ? questionna-t-elle par télépathie.
- … Où l'avez-vous trouvé ? demanda l'esprit.
- Euh… Lany et moi avons croisé sa route par pur hasard en début de vacances. Il y a eu une chimie unique entre ma disciple et Tassiani. Donc depuis, elle nous accompagne partout comme elle a été presqu'adoptée par Yugao. »
Malgré ces informations, Nahoko semblait encore troublée. Tassiani croisa alors son regard.
« Alika… Tassiani… je crois qu'il s'agit de ma belle-mère rousse spirituelle, avoua-t-elle.
- Ta belle-mère rousse ?
- Ma seconde oui, la première femme de mon père. Ma mère est sa deuxième femme. Mais ma belle-mère était rousse. Elle est également dans les énergies négatives.
- Mais… si elle est Tassiani, comment expliques-tu qu'elle soit une enfant ? Ton père n'est pas un pédo-criminel spirituel de ce que je sache. Leurs âges et apparences sont bien trop différents.
- La réincarnation… Ma belle-mère a sans doute dû se réincarner et est restée coincé dans l'espace-temps. Sûrement qu'elle a dit à Lany comment s'était passé sa dernière vie antérieure.
- Oui, j'en ai souvenirs. Mais si ton père savait qu'elle était réincarnée, comment expliques-tu le fait qu'il n'a pas su la localiser ni savoir où elle était ? »
Nahoko haussa les épaules.
« Certains arbres ou endroits coupent complètement l'énergie des esprits avec le reste des mondes extérieurs. Je savais que Père la cherchait activement, mais… pour le reste, moi-même je ne le connais pas de fond en comble. Il a parfois des comportements et des fils de pensées que je ne parviens pas à comprendre, même si je suis sa fille. »
C'est alors qu'Alika vit le père de Nahoko « descendre » dans leur monde et fixer Tassiani, sous le choc. Ainsi, La Mort elle-même avait écouté leur échange. Tassiani le regarda, comme surprise.
« Monsieur, vous allez bien ? questionna Alika.
- Appelle-moi Kagi, la pria-t-il.
- Kagi… San.
- Si ça ne vous dérange pas, je vais emmener Tassiani avec moi un petit moment. Nous avons à discuter et j'ai à lui poser certaines questions.
- D'accord ! Mais à condition que tu me ramènes ma petite ! résonna soudainement la voix de Lany en parfaite incrustation.
- Je ne la kidnapperai pas, Lany, la rassura Kagi. Tassiani t'aime beaucoup trop pour te quitter. Je vous la ramène avant le coucher du soleil. »
Il posa sa main sur la tête de Tassiani et disparurent graduellement. Comme promis, la petite protégée de Lany revint avant l'heure du couché. Alika était curieuse du dénouement, mais elle poserait les questions une fois seules et de retour à la maison, pas en compagnie de sa petite sœur Motoko.
Le lendemain, ce fut au tour d'Alika de quitter Toumi avec sa disciple et sa petite sœur. Nimka et Hiwata leur offrit une boîte de douceurs qui étaient des spécialités Yakue. Ce cadeau était surtout pour remercier la médium de leur avoir offert des soins énergétiques et donner à nouveau l'espoir que d'anciennes cicatrices puissent guérir pour passer à autre chose. Lany avait ramené des bijoux et des pierres.
C'est en serrant Nimka dans ses bras qu'Alika sentit à quel point son hôte se sentait tellement mieux dans sa peau.
« Je ne pourrai jamais te remercier assez pour toute l'aide que tu m'as apporté, Alika-Chan, s'émut Nimka. J'ai l'impression de revivre. De pouvoir enfin tourner la page sur un événement traumatisant.
- Tu ne pourras peut-être pas t'en défaire totalement, comme ça fait partie de toi, la renseigna-t-elle. Mais si tu es capable de pouvoir passer à autre chose et de ne pas avoir de remords, de culpabilité mal saine et des regrets, alors ça vaut le coup d'essayer. Quand des médiums me disent qu'ils ne peuvent rien faire pour aider des personnes dans le besoin, immédiatement, je cesse de les prendre au sérieux et je leur tourne le dos. Car c'est bien pour ça que nous avons choisi de se réincarner avec ce don : pour aider notre prochain.
- Bon retour à Kanbal. Nous avons hâte de vous revoir l'an prochain.
- Soyez-en rassurés ! »
Avec un dernier regard, les visiteuses agitèrent leurs mains et repartirent vers la maison.
Lorsque Lany revint au refuge, elle demanda si elles pouvaient enfin rester à cet endroit pour le reste de ses vacances. Elle avait beaucoup aimé découvrir de nouvelles places, de nouveaux horizons, mais son corps commençait à crier fatigue à force de se balader ici et là. Et pour tout dire, Lany commençait à s'ennuyer de Kanbal.
« Bien sûr, dit Alika. Je pense que tu as fais la majorité des grandes visites ici. Et même si tu en as manqué, tu reviendras l'an prochain pour continuer à élargir ton champ de connaissances.
- Et on sera avec Shozen !
- Aussi, donc deux en un.
- Tiens, tu t'es pas fâchée quand je l'ai cité ? s'amusa Lany. Aurais-tu hâte de le revoir, par hasard ? »
Les joues de son mentor rosirent légèrement.
« Un peu… au fait, parle-moi de Tassiani. Qu'est-ce qui s'est passé avec Kagi-San ?
- Oh, tu changes de sujet abruptement. »
Lany croisa le regard blasé de son mentor et rit.
« Tassiani m'a dit qu'il l'avait questionnée et lui avait demandé si elle désirait récupérer ses souvenirs ainsi que son physique spirituelle qui était celui d'une femme d'âge mur. C'est sûr que si elle reprenait son physique, elle et Kagi pourraient récupérer le temps perdu ensembles… mais en même temps, elle est tellement attachée à moi et aime être cajolée, qu'elle lui a demandé d'attendre que je sois assez mature pour changer d'apparence.
- Donc, en gros, c'est un peu comme une pause de responsabilités qu'elle désire avoir ?
- Oui. Alors elle est encore une fillette et va grandir en même temps que suivre nos années normales en tant qu'être vivant.
- Je vois. C'est bien. »
Quand Alika croisa Tanda, elle gambada rapidement vers lui alors que Lany allait parler avec Balsa pour lui demander conseil sur le manque de Kanbal. Tanda reconnut la gestuelle de sa fille aînée et comprit qu'elle allait lui parler d'une chose dont elle était très fière d'avoir accompli.
« Papa ! Papa ! l'appela-t-elle.
- Oui, Alika ?
- Tu ne devineras jamais ce que j'ai fait en allant visiter Toumi !
- Raconte-moi, tu as l'air d'être très heureuse et fière.
- J'ai fait mes tout premiers soins énergétiques dans la guérison spirituelle ! »
Tanda fit une expression surprise.
« Je sais, je sais, l'appuya-t-elle dans sa réaction. C'est totalement contradictoire avec ma moi plus jeune qui passait son temps à dire que je voulais être comme Maman, et qui n'était pas du tout intéressée par la guérison ni la médecine. Ce qui en soi, est encore vrai à ce jour, mais m'occuper des énergies subtiles que les gens négligent… ça vient rejoindre mon côté médiumnique, car j'ai les habilités pour le faire. Je peux voir les méridiens et les chakras, avec les auras, et j'arrive à les reconnecter pour créer de nouveaux circuits énergétiques.
- Tu m'intrigues de plus en plus. C'est une branche dont je n'ai pas l'habitude de m'occuper ni même d'entendre. Viens me jaser de tout ça en face d'un bon thé à la cuisine. »
Devenant un vrai moulin à parole, Alika lui expliqua comment le Gardien du Mariage de Nimka lui avait demandé de l'aide. Elle avait eu une vision de Nimka qui avait eu une naissance difficile pour son dernier et en avait été marqué. En dehors des blessures physiques et émotionnelles, celles qui furent le plus négligées avaient été énergétiques. Sans toutefois dire à Tanda que Nahoko avait pris possession de son corps – et éviter tout un discours prononcé sur la sécurité spirituelle – elle lui raconta comment elle avait eu la vision des méridiens et avait reconnecté les circuits. Tout ça avait été un total hasard, et si elle n'avait pas choisi de faire une visite à Toumi, elle n'aurait jamais pu découvrir ce don qui dormait en elle.
« J'ai réussi à faire huit traitements en deux semaines !
- Et tu n'as pas été épuisée ?
- Juste lors des deux premiers traitements. Les autres, mon corps semblait savoir quoi faire pour récupérer, et mes mains savaient où se diriger naturellement. J'espaçais mes thérapies de deux jours. Et le chamane Mirogai a dit qu'elle prendrait ma relève.
- Hé bien. Je n'aurai jamais imaginé que ma fille viendrait me rejoindre dans la guérison.
- Pas physiquement, mais énergétiquement, le reprit-elle. J'ai l'intention en revenant à Kanbal de demander à mon amie Messiah, maître en reiki, et Tante Yuka, de mieux m'apprendre dans cette branche et m'y perfectionner. »
Tanda arqua un sourcil.
« J'ignorai que Tante Yuka était dans les énergies.
- Tante Yuka est une magnétiseuse. Elle me l'a dit. C'est pour cette raison qu'elle tient une maison de guérison. Touche mes mains et dis-moi si tu sens de quoi se dégager d'elles. »
Alika lui tendit ses deux mains. Son père les prit et les examina, les retournant de tous les côtés et les massant.
« Elles sont chaudes…
- J'espère, sinon, je serais morte. »
Il éclata de rire.
« Et je sens une énergie, comme un petit picotement. Tu sais que tes mains dégagent une lueur blanche avec un soupçon d'or ?
- Euh… non ?! Tu ne vois pas les auras généralement ! Et moi, je les vois, mais je ne vois pas celles de mes mains.
- Je ne les vois pas aussi clairement que toi autour du corps. Mais par contre, les énergies qui passent dans les mains des personnes, je peux les voir à la perfection si elles sont guérisseurs ou magnétiseurs. Les gens normaux ne dégagent pas toujours des auras à chaque jour via leurs mains.
- Tu as vu celle de Tante Yuka ? Quand tu nous as accompagné là-bas ?
- Légèrement. Ses mains dégageaient une énergie vert pâle. »
Tanda finit par délaisser les mains de sa fille, toujours impressionné par ses capacités spirituelles.
« Je t'encourage à continuer dans cette branche. On manque cruellement de magnétiseurs et de praticiens dans les bioénergies, ou juste avec les chakras.
- Mirogai m'a dit à peu près la même chose. L'an prochain, je retournerai voir Nimka. On verra ce que ça donnera.
- Bien sûr. »
Lany de son côté était assise sous le cerisier de Kasem, à discuter avec Balsa, de son manque léger mal du pays.
« Quand j'avais ton âge, Kanbal me manquait aussi, avoua la mère d'Alika. Alors je comprends comment tu te sens.
- Oh, c'est vrai ?
- Oui, sauf que tu as toujours une place où retourner là-bas. J'ai quitté ma patrie de force quand je n'avais que six ans, même si je n'ai jamais demandé à être sauvée. J'ai toujours eu espoir de pouvoir y retourner, mais je me serais sûrement fait assassinée, et ensuite, je n'avais plus de maison, plus de parents. La seule place qui me restait était ici, au Nouvel Empire de Yogo, avec Maître Torogai et Tanda, mon mari.
- Mais… et Tante Yuka ?
- Elle a cru que j'étais morte… et mon père adoptif ne pouvait pas la mettre en danger. Je ne savais même pas si elle était encore vivante pour tout dire. Je ne l'aurais probablement jamais su si Alika ne m'avait pas forcé la main pour faire un voyage familial là-bas, quand elle avait sept ans.
- Tes parents faisaient quoi ?
- Ma mère était fleuriste. Il semble qu'elle était assez forte dans l'ébénisterie et elle s'émerveillait de toutes les petites choses anodines. Elle s'appelait Laika.
- Un nom semblable à Alika, en fait.
- Oui. Inconsciemment, j'ai offert une anagramme du nom de ma mère à ma fille. Peut-être m'a-t-elle influencé de là-haut.
- Peut-être ! Et ton père ?
- Mon père s'appelait Karuna.
- Comme les jumeaux ! s'exclama la plus jeune.
- Oui. J'ai offert ce prénom à son hommage. Mon père est devenu le médecin du roi de Kanbal, Naguru. Il faisait la fierté du territoire Yonsa. Tout le clan en était très fier. »
Lany sembla confuse un moment.
« Attends… ça veut donc dire que tu es née dans un rang de haut-placé dans la société Kanbalese ?!
- Tu peux le voir comme ça, oui. Même si je ne me suis jamais considérée comme telle, il est vrai que mes souvenirs d'enfance se résume à une vie dans un grand manoir, et des jeux de rues avec d'autres enfants de mon âge dans la Capitale. Je n'ai jamais manqué de rien dans mon enfance. Je n'ai jamais connu la pauvreté quand j'y pense. J'étais toujours bien habillée et cajolée.
- Et… pourquoi tu as dû fuir ton pays ?
- Ah ça, c'est une très longue histoire.
- Je bouge plus du tout d'ici jusqu'à la fin de mon séjour. Je suis trop fatiguée de me balader ici et là.
- Et ma famille est très contente de recevoir de la visite. Peut-être que je te raconterai mon histoire lorsque nous aurons du temps et serons seules.
- Je voudrais bien… si tu acceptes, bien sûr.
- Si je ne voulais pas t'en parler, je ne te l'aurais jamais proposé, Lany.
- Oh, oui. C'est vrai. »
La nuit tomba, et alors que Lany prenait son bain avec Motoko, Alika se rappela soudainement ce qu'elle avait fait à Kanbal, l'an dernier, en désirant protéger Shirufu de possibles violeurs. Est-ce que Balsa comprendrait et lui reprocherait son acte téméraire ? Elle devait sûrement comprendre mieux que quiconque comment on se sentait face à ce dilemme.
Elle entra dans la cuisine et s'assit aux côtés de Balsa.
« Je connais cette gestuelle, Alika, dit la lancière avec un sourire. Quelque chose te tracasse.
- Euh, pas vraiment, mais disons que j'ai… quelque chose à te dire.
- Je t'écoute. »
Balsa déposa son parchemin et se mit à l'écoute de son enfant.
« Euh… est-ce que tu m'as toujours vu comme une petite fleur pure ? commença sa fille.
- Pure dans quel sens ? Ta virginité ?
- Non. Dans le sens que… même si j'aime les arts martiaux et suis quand même douée dans cette branche, tu as eu, ou as, des attentes envers moi en tant que guerrière.
- Hum, pas vraiment. Il s'agit quand même de ta vie et tu es responsable de tes propres décisions et propres actions. Je peux te conseiller, t'aider dans la mesure que je suis capable de pouvoir le faire, et te picosser sur le dos pour la même raison, car c'est ce que fait une maman, en général. Mais non, je n'ai jamais cherché à transposer sur toi ce que j'aurais aimé que tu sois.
- D'accord… alors, s'il te plait, je ne veux pas que tu fâches pour ce que je vais t'annoncer prochainement.
- Je ne me fâcherais pas, c'est promis. Sur la tête de Jiguro, mon père.
- Bon, je suppose que je n'irai pas par quatre chemins dans ce cas… »
Alika inspira et sortit rapidement, sans point ni virgule :
« J'ai tué des hommes… avec ma lance… »
La révélation avait été tellement imprévisible que Balsa resta un petit moment figée, comme incertaine d'avoir bien compris ce que lui avait dit sa fille.
« Tu l'as fait… Ici, cet été ? demanda-t-elle.
- Non… à Kanbal… au début de l'automne dernier.
- Combien d'hommes as-tu pris la vie à ce jour ? »
Le regard de sa mère prit une lueur sérieuse qui fit presque peur à Alika. Elle détourna la tête.
« Seulement trois, finit par confesser Alika, au bout d'un long moment de silence. Mais je l'ai fait pour une bonne raison, je te le jure.
- Quelle est-elle ?
- … Des hommes ont essayé de violer une jeune femme alors qu'elle sortait de la taverne où je me trouvais. Il se trouve que c'était, coïncidence, la sœur benjamine de Shozen… De fil en aiguille, mon traumatisme a été secoué, s'est réveillé et j'ai vu rouge. Je n'ai presque pas souvenir de ce qui s'est passé… c'est comme si c'était vague, comme un rêve. »
Balsa inspira profondément et se rapprocha de sa fille pour l'accoter contre elle.
« Jiguro, mon gardien, m'a boudé un long moment. Lui, il a transposé ses envies et ses désirs sur moi. Il voulait m'éviter un avenir de sang et de mort. Il ne voulait pas que ma lance goûte le sang. Même si je me sentais indigne de votre rang à toi et à lui, car je n'avais jamais tué avant ce soir-là, je n'ai pas fait ça par pur caprice. C'était de la légitime défense… tu comprends ?
- Oui. Maintenant, je comprends pourquoi tu as agi ainsi. Alika. Tu es libre de considérer les vies humaines comme tu le veux. Un initié aux arts du combat est nécessairement conduit à se battre. Comme l'aimant attire le fer, la maîtrise des techniques de combat attire une vie de batailles, de blessures et bien sûr, de mort.
- Tu n'es pas fâchée ?
- Non. Je comprends. Crois-moi que je te comprends parfaitement.
- Avec le père de Shozen, Dahgu, un des lanciers du roi Radalle, nous avons parlé à propos de cette contradiction de tuer des vies pour en sauver d'autres… il ne connait aucun moyen pour la contourner.
- Je n'en connais aucun également… c'est quelque chose que nous, les guerriers, apprenons à gérer à notre façon. »
Elle termina en caressant la tête d'Alika, comme quand elle était petite.
« Je suis contente que tu me fasses assez confiance pour m'en parler. Ça a dû être dur pour toi de conserver tout ça à l'intérieur de toi.
- Je n'en ai parlé à qu'à Shozen et sa famille. Tante Yuka aussi et Lany. Donc, j'ai quand même libéré ma conscience, mais en parler à des amis et à sa mère, c'est deux choses différentes. Et comme tu as un lourd passé, je savais que tu étais la mieux placée pour me comprendre et ne pas me juger. Enfin, j'espérais que tu ne me juges pas, et j'ai eu raison de ne pas m'inquiéter. D'ailleurs, c'est grâce à ce meurtre que j'ai rencontré Lany. J'ai été puni de ne pas retourner à la Capitale pendant un mois, ou plus, le temps que ma sentence soit levée. Si je ne l'avais pas fait, peut-être que ma disciple ne serait même pas avec moi, en ce moment. »
Elle raconta à Balsa comment elle et Lany s'étaient rencontrées et comment elle avait remarqué que sa disciple avait aussi le don des armes. Balsa trouvait que les hasards et coïncidences étaient bien spéciales. Le destin semblait tourner en faveur d'Alika. Elle était heureuse de la voir à nouveau épanoui. Elle espérait de toute son âme que la période de grande noirceur que sa fille avait vécu ne reviendrait plus jamais.
« Continue de profiter de chaque moment de bonheur, ma fille, conclut Balsa. Ça faisait tellement longtemps que je ne t'avais pas vu heureuse comme ça.
- Je fais de mon mieux à chaque jour, crois-moi, Maman.
- Je te crois sur parole. »
Elles se serrèrent très fort dans les bras.
Lany n'avait pas vu l'été défilée à toute vitesse devant ses yeux. Avec les vacances pour décrocher, elle en avait même perdu la notion du temps et des jours. La famille d'Alika avait été tellement bonne avec elle, accueillante. Tous lui avaient montré différentes parties du Nouvel Empire de Yogo, la faisant même participer à des festivals et des événements nationales. Et en dehors du premier mal du pays qu'elle s'était prise trois semaines après son arrivée, Lany en avait eu un autre tout petit, beaucoup moins fort que la première fois. Heureusement, Balsa l'avait réconfortée et elle avait trouvé du temps libre, en soirée, pour lui parler de son histoire et de son passé. Cette partie d'elle n'était pas tabou et elle en parlait avec honnêteté.
D'un autre côté, avec Motoko, Lany avait remarqué que leur relation était très différente de celle avec Alika. Elle aimait Motoko pour tout ce qu'elle était : ses qualités et ses défauts. Et même si elles avaient eu quelques petites prises de tête, ça s'était réglé naturellement entre elles, bien que les conseils de Balsa et de Tanda eussent été d'un très grand secours parfois. Elle se sentait plus à l'aise avec son Yogoese désormais, même si de temps en temps, par écrit, elle avait encore un peu de difficulté avec les nuances et les temps de verbes. Mais elle-même voyait une amélioration depuis qu'elle était arrivée.
Elle referma son sac qui contenait plusieurs souvenirs de ce pays : deux petits couteaux de chasse pour son grand frère Koda et son père Towa, ainsi qu'un livre Yogoese sur différente façon de perler le tissu pour sa mère Kasha. Pour son amie Mimi, elle avait une pierre, achetée lors de ses visites au Kosenkyo. Le reste était surtout de la nourriture non-périssable comme la boîte de thé offert par Tohya, la boîte souvenir du village de Toumi, du riz, des gâteaux secs et des hekimooms, même si elle s'attendait à ce qu'il n'en reste plus quand elles arriveraient à Kanbal. Lany ramenait Tassiani, la petite esprit adoptée par Yugao et qui ne voulait plus les quitter. Elle avait aussi acheter quelques vêtements Yogoese, des yukatas et rapportait même une robe qui appartenait à Motoko.
« Tu pourras continuer de la porter au fils des mois et des saisons, avait expliqué la petite sœur d'Alika. L'an prochain, je la récupère et c'est moi qui la porterai ! Un vêtement pour deux !
- J'approuve ! »
De nouvelles montures étaient prêtes pour leur départ. Ce n'était pas des chevaux de Kokku, mais ils étaient bien robustes et endurcis pour les longs trajets. Les montures à leur arrivée avaient été reconduites à la Capitale de Kosenkyo, ayant toutes les informations pour un retour au pays de Kanbal par d'autres voyageurs. Elle avait aussi écrit un parchemin pour remercier la famille d'Alika et avait plier des chèvres et des yaks en origami. C'était son petit cadeau de départ.
« Lany, j'ai quelque chose pour toi, annonça Motoko.
- Qu'est-ce que c'est ?
- J'ai travaillé fort dessus depuis un moment… »
Elle sortit de ses poches un petit collier de cuir, dont la breloque ressemblait à une moitié de Yang. Il avait été teint par un verni foncé qui donnait l'impression que les reflets qui y miroitaient étaient bleu !
« J'en ai un second… il est à moi, par contre… »
Motoko tira sur son collier autour de son propre cou et montra une autre moitié de Ying. Le sien était encore de la couleur bois, mais avec un vernis translucide. Lany, généralement pas démonstrative au niveau de ses émotions, eut les larmes aux yeux. Malgré son amie qui lui tendait son collier, elle semblait avoir de l'hésitation à le prendre.
« Lany ? s'inquiéta Alika. Voyons, petite orchidée ? Il est pour toi ce collier.
- … Je ne veux pas que l'on se quitte pour toujours, avoua sa disciple.
- Oh, ma chouette… »
Lany finit par recevoir son collier d'amitié. En y touchant, elle pouvait sentir l'énergie de Motoko à l'intérieur, signe qu'il était bien associé à elle. Elles se serrèrent très fort l'une l'autre dans les bras, malgré les larmes. Quand elle se rendit à Tanda et Balsa, son étreinte dura un peu plus longtemps, mais c'était surtout Balsa qui eut droit au plus long câlin. Elle frictionna le dos de la disciple d'Alika qui continuait de verser des larmes silencieuses.
« Tu es presque comme ma fille, maintenant, s'amusa-t-elle. Nous te considérons comme telle dans la famille.
- Merci pour tout. Pour l'hébergement, la nourriture, les conseils, les visites…
- Allons, on ne vous aurait pas mis à la porte après tout ce long trajet ! J'accepte d'être Maman Balsa. À condition que ta propre mère ne se montre pas jalouse.
- Non, ça ira avec elle. Elle comprendra et elle fait amplement confiance à Alika ! Elle savait que j'allais être en sécurité et bien ici. »
Balsa libéra Lany de son étreinte avant de regarder sa fille aînée.
« Et l'an prochain, tu n'oublies pas d'apporter Shozen avec vous ! lui rappela-t-elle. On veut le voir. Si tu ne l'emmènes pas, je te force à retourner le chercher, d'accord ?
- Oui, Maman, vous le verrez, soupira Alika.
- Et mettez ça comme officiel dès que tu mets les pieds à Kanbal, l'obligea Tanda. »
Alika roula les yeux et alla vers sa monture alors que ses parents riaient. Plus vite elle partirait, plus vite ils arrêteraient de l'agacer à ce niveau. Balsa vérifia que tout était bien sécurisé sur leur monture et Lany se mit aussi en selle. Après de derniers au revoir, elles partirent tranquillement vers la route principale qui mènerait à Kanbal. Lany se doutait que Motoko pleurerait aussi un moment, après avoir passé autant de temps en sa compagnie.
« Alika ? l'interpella-t-elle.
- Oui, Lany ?
- … Maintenant, on dirait que je me sens partagée.
- Comme quoi ?
- Une partie de moi appartient à ta famille maintenant, alors que l'autre est toujours à Kanbal. Je sais que je vais m'ennuyer de Motoko, de Maman Balsa et compagnie, et en même temps, ma famille à Kanbal me manque.
- C'est normal, petite orchidée. Tu t'es habituée à ma famille, et tu as fait partie de celle-ci assez longtemps pour créer des attaches et former de très forts liens.
- Je sais que les verrai à nouveau l'an prochain, mais… j'ai un petit pincement au cœur. Je peine à croire que nos vacances sont terminées, ça a passé tellement vite.
- Oui. Kasha va être heureuse d'avoir de tes nouvelles.
- J'ai mis à jour mon journal quotidiennement ! Alors elle en aura tout plein ! »
C'est alors qu'une pensée lui arriva en tête et Lany s'empressa d'en faire part à son mentor avant de l'oublier.
« Dis, Sensei, je me demandais une chose.
- Oui ?
- Tu sais comment les gardiens du mariage sont crées ? Je repense à Toumi. Je veux bien comprendre que ce soit deux gardiens spirituels qui ont fusionné ensemble… mais comment ils font ? Il y a sûrement pas de formule magique ou de sortilège qui fait en sorte qu'ils fusionnent ensembles comme par magie ! »
Alika se souvint alors d'une conversation qu'elle avait eu avec Jiguro, quand ses parents s'étaient mariés et qu'elle avait huit ans. Elle avait posé la même question à son gardien et elle n'avait jamais oublié ces renseignements.
« Sans doute quand les protégés s'unissent en faisant l'amour après le mariage…, supposa-t-elle. Après ce n'est que théorie comme je ne me souviens plus du tout d'avoir été un gardien du mariage, si un jour, j'ai été la gardienne spirituelle de quelqu'un. Mais je suis certaine que ça ne dérange pas du tout un Gardien du mariage de regarder ses protégés faire l'amour et avoir bien du plaisir sous les couvertures…
- Même si ce gardien primaire était le parent d'un des protégés ?! s'horrifia Lany. Eeewwww !
- Hé bien… ce gardien a fusionné, donc, c'est une nouvelle entité, qui conserve quelques traits de l'ancienne personnalité. Enfin bref. Évitons d'aller dans le trop théorique de la chose, si tu veux bien.
- … Oui, bien sûr. Ça me perturbe… Est-ce que le mariage garantit un Gardien du mariage presque spontanément ?
- Pas forcément. Il y a des couples mariés qui peuvent n'avoir aucune vie passée commune antérieure et posséder un Gardien du mariage pour la première fois. Chaque esprit/gardien peut devenir un Gardien du mariage. Mais il arrive que certains gardiens choisissent de ne pas fusionner ensemble.
- Pourquoi ?
- Car en devenant un Gardien du mariage, ils perdent leur individualité. En ne se fusionnant pas, ils conservent leur identité. Il se peut que les gardiens spirituels attendent d'être certain que leurs protégés vont bien avant de fusionner. Donc, ça peut prendre des années. D'autres, par simple raison de logique, ne le font pas car il s'agit d'une décision du protégé. On a peut-être essayé de le séparer trop de fois de son ou sa gardienne spirituelle et iel ne veut plus prendre de risque de le ou la perdre à nouveau dans une entité.
- Je vois… hé bien ! Maintenant, je comprends mieux le rôle de l'esprit qui suit mes parents constamment. Tu savais qu'ils avaient un gardien du mariage ? »
Alika hocha rapidement la tête.
« Bleu marine avec des reflets argentés. Il est dans la catégorie d'énergie négatif, comme toi. Ce qui explique pourquoi tu le vois.
- Ça signifie quoi la couleur de mes parents ?
- Laisse-moi y réfléchir… »
Elle appela Jiguro par télépathie afin de recevoir un peu d'aide. Les réponses lui arrivèrent instantanément en pensées.
« Je ne pourrais pas donner une signification à la couleur en particulier, mais globalement, leur Gardien du Mariage montre que tes parents se sont très souvent retrouvés dans la même famille, dans différents liens familials.
- De… de l'inceste ?!
- Non… plus comme des cousins éloignés à différent degré, ou tout simplement comme belle-fille et beau-fils qui tombent en amour. S'ils ont été frère et sœur reliés par le sang, je ne saurai jamais, mais ça existe. Bref, dis-toi que tes parents s'aiment beaucoup et qu'ils ont des liens spirituels antérieurs très forts.
- L'argent veut dire quoi ?
- La richesse et le pouvoir; la richesse des liens de famille, ou les relations avec autrui. La richesse d'une vie épanouie. L'argent symbolise la luminosité, la brillance et la modernité. Couleur de la perfection en devenir, la voie de la réalisation intérieure. La route est encore longue, l'argent n'est pas l'or. Mais l'encouragement est certain.
- Ohhhhh ! Et celui de tes parents, il est quel couleur ?
- Turquoise. »
Alika lui expliqua la signification de cette couleur et Lany approuva qu'elle exprimât bien le lien entre Tanda et Balsa, pour le temps qu'elle les avait côtoyé et observé. Les frontières entre les deux pays s'approchaient tranquillement à l'horizon.
