Note : Hello MoriFans ! Voici un nouveau chapitre pour aujourd'hui. Pardonnez-moi le temps que ça a pris, le mois d'août a été un très gros mois avec mes conventions de cosplays et j'ai fait un épuisement mental, ce qui a fait en sorte que je n'avais pas d'énergie pour avancer, même si petit à petit, j'avançais dans cette fanfic. Je vous souhaite une bonne lecture :)


Tamashi no Moribito

Gardien des Âmes


Chapitre 19

S'ouvrir aux autres

Shirufu, assise dans la cuisine à essayer d'écrire un peu dans son carnet de notes, regarda sa mère, Mishka, marcher d'un bord et de l'autre.

« Maman…, sortit-elle, sur ses gardes. Relaxe. C'est juste Alika qui vient souper avec nous ce soir après son entraînement avec Shozen.

- Oui, mais je ne peux pas l'inviter dans une maison en désordre et puis, je n'ai aucune idée de desserts à faire.

- Pourquoi pas ton sucre à la crème ? Il est le meilleur de la famille, et je suis presque sûre qu'Alika n'a jamais manger de sucre à la crème, qui est pourtant une friandise traditionnelle Kanbalese. »

Mishka se retourna vers sa plus jeune, soudain calmée.

« Bonne idée.

- Maintenant, on respire par le nez profondément et tout ira bien. Parce que si tu continues à être sur les nerfs comme ça, je ne travaillerai pas avec toi pour ramasser la maisonnée. »

Sa mère respira bruyamment. Sans doute avait-elle eu envie de rétorquer, mais étant un peu dans le jus, elle avait besoin de toute l'aide qu'elle pouvait avoir.


De leurs côtés, les deux tourtereaux, Shozen et Alika, se tenaient dans une clairière en altitude. Lany était prise dans une phase où elle n'avait pas envie de sortir et voulait rester à la maison, chez elle. Alika ne la força pas à la suivre, mais elle allait souvent la visiter. De retour à la Capitale, même si Shozen avait une chambre d'invité, Alika avait choisi de prendre une auberge. Pas qu'elle ne lui faisait pas confiance même s'ils étaient en couple, mais elle ne se sentait pas à l'aise de partager une place sans sa disciple avec elle.

Alika avait fait la rencontre de Hototo. Elle savait qu'il avait enseigné l'art de la magie en secret à Shirufu.

« Hototo, je te présente Alika Yonsa…, la présenta Shozen. Et récemment, c'est ma nouvelle petite-amie.

- Enchanté, dit-il en tendant sa main. J'ai entendu parler de toi bien souvent. Je suis Hototo, un des bergers de la Capitale.

- Bonjour, fit Alika. »

Quand il croisa le regard de la jeune guerrière, ce qu'il sortit la mit légèrement dans l'embarras.

« Bien le bonjour, Amaya. Bonjour Jiguro-Dono et Taguru-Dono, ajouta-t-il en regardant derrière Alika. Ça faisait longtemps. »

Les joues d'Alika s'empourprèrent. Shozen demanda alors à qui Hototo s'adressait.

« Oh ? Tu ne les vois pas, Shozen ? s'étonna Hototo.

- Il n'y a qu'Alika et moi, rectifia-t-il.

- Oh… je suis navré. J'ai parfois du mal à discerner les esprits des vivants, parfois. Surtout si une personne vivante semble interagir avec eux comme si elle les voyait. »

Alika vit Jiguro faire de grands signes d'arrêter et de ne pas pousser plus loin la conversation au berger. Hototo prit place sur un rocher et de petites chèvres allèrent à sa rencontre. Alika se pencha vers une petite chèvre tacheté blanc et noir qui tirait sans cesse sur sa ceinture.

« Lâche ça, ma petite ! grogna-t-elle. »

La chèvre continua de tirer. C'est alors que la jeune femme prit l'animal dans ses bras et se mit à tournoyer avec elle.

« Alors on va faire le tourniquet ! Weeeee ! »

Plusieurs « Bêêêêêê » sortir de la bouche de la chèvre alors que la gravité eut raison de l'animal. Shozen regarda le tout sans intervenir et avec un sourire niais. Alika arrêta et redéposa la pauvre chèvre au sol qui marcha de travers pendant un moment. Ils se mirent à rire.

« Alika, tourmenteuse d'animal, hein ? s'amusa Hototo.

- C'est drôle, rit-elle. »

Un bouc approcha alors Hototo.

« Ah, voici mon grand garçon, annonça-t-il. Voici Buck. Comme vous voyez, il est un peu têtu, mais il écoute bien.

- Il écoute, vraiment ? s'étonna Shozen.

- Oui. Je lui apprends à bien bêler. »

Buck sortit un bêlement rauque. Hototo tapa dans ses mains, montrant qu'il n'était pas ravi.

« Non. Ce n'est pas du fond de la gorge. C'est "bêêêê", corrigea-t-il en sortant un peu la langue et faisant un signe de main. "Bêêêê"… »

Shozen s'y mit aussi. L'animal le regarda et refit le même son. Encore une fois, le berger tapa dans ses mains.

« Non, du tout ! C'est "bêêêê"… "bêêêê"… »

L'expression de Shozen et Alika changea quand Buck fit un son doux, exactement comme Hototo l'avait dit.

« Hé bien voilà ! déclara-t-il.

- Apprendre aux boucs et aux chèvres comment bien bêler… je crois que c'est une première pour moi, avoua Alika.

- Hototo a bien des talents cachés, l'aida Shozen.

- Normal, c'est un magic-weaver.

- Tu-tu le savais déjà ?

- Shozen… je peux sentir bien des choses que des gens ordinaires ne peuvent sentir. Mais Hototo pratique de la bonne magie, je peux te le garantir. »

Shozen ébouriffa les cheveux de sa douce.

« Je te crois. Et je lui fais amplement confiance. »

Ils restèrent un long moment à discuter. Hototo en apprit un peu plus sur la vie d'Alika et se faisant, l'analysa silencieusement au niveau des énergies. Il sentit qu'elle était un peu sur ses gardes, mais elle le laissa faire sans chercher à repousser son intrusion. Elle n'avait rien à cacher, de toute façon. Shozen se redressa en regardant le cadran solaire.

« Nous avons un souper avec ma famille, dit-il. Il va falloir que l'on vous fausse compagnie, Hototo.

- Je comprends. Allez-y et ne soyez pas en retard ! »

Alors que le couple descendait la montagne, Shozen décida de sauter directement sur le sujet qui lui trottait en tête.

« Dis, Alika… qu'est-ce que Hototo voulait dire par là quand il a, soi-disant, salué trois esprits du nom d'Amaya, Jiguro et Taguru ? Je veux dire… j'ai connu une Amaya quand j'étais encore un enfant, mais Jiguro et Taguru sont des noms qui appartenaient aux Lanciers de la génération avant mon père, sous le règne de Naguru, et après, Rogsam… à moins que d'autres esprits portent aussi leurs noms ? »

Ne s'arrêtant pas, Alika fit une expression qui montrait clairement qu'on avait touché un sujet qu'elle ne voulait pas parler ouvertement. Mais comme elle aimait bien Shozen et qu'ils devaient se faire confiance, elle ne pouvait pas le laisser dans de telles interrogations.

« Euh… comment dire… est-ce que tu crois aux esprits, pour commencer ? demanda-t-elle, ne le regardant pas dans les yeux.

- Oui. J'y crois. Je ne suis peut-être pas dans les énergies, mais c'est courant dans ma famille. Je crois aussi à la réincarnation et à la vie après la mort. »

Il rattrapa Alika de justesse qui avait fait un pas maladroit et avait failli tomber sur les roches.

« … Dis donc, tu es maladroite aujourd'hui, s'amusa-t-il. Fais attention !

- J'ai juste entremêlé mes pieds, trouva-t-elle comme excuse.

- C'est ça, dit-il, ne la croyant pas du tout. Donc ? Je réponds à ta question ?

- Oui. Alors comme ça, tu te souviens d'Amaya Muga, qui était dans notre classe ?

- Je me souviens de tous mes anciens camarades, y compris elle, même si elle est partie habiter au Nouvel Empire de Yogo l'année qui a suivi ton départ. Mais si c'est bien elle que Hototo a vu, alors ça veut dire qu'elle…

- Elle est morte, lâcha Alika en ne voulant pas étirer son sujet et sa douleur. »

Elle accéléra le pas en essayant de contenir ses larmes et dans l'espoir que Shozen ne la voit pas dans cet état. Malgré sa vitesse, la grande taille du jeune guerrier lui permit de la rattraper facilement en quatre grandes enjambées. Il attrapa sa main, la forçant à se retourner et lui faire face. Alika tourna le regard, incapable de l'observer dans les yeux.

« Alika… qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi es-tu aussi chamboulée ?

- Je ne le suis pas ! nia-t-elle.

- Tu es sur le point de pleurer. Dis-moi ce qui ne va pas. Est-ce que je t'ai blessé sans le vouloir ?

- Non !

- Alors, c'est quoi qui t'a secoué comme ça ? Est-ce que ça a rapport avec cette Amaya que Hototo a vu et la Amaya qui a partagé ma/notre classe ? »

Alika jeta un regard à Amaya, sous forme esprit. Shozen fit reculer sa partenaire de vie sur le mur rocheux de la montagne et la força à s'asseoir au sol.

« Être médium…, commença-t-elle, et voir une personne sous forme esprit, quand tu l'as connu en vie, c'est une malédiction à la fois une bénédiction. »

L'abcès éclata et elle fondit en larmes, incapable de prononcer le moindre mot avant un moment, trop secouée par les sanglots. L'envie de se blesser pour contrôler sa douleur intérieure revint la hanter et elle enfonça ses ongles dans son bras. Shozen ayant vu son geste attrapa sa main et tenta de la retirer tranquillement.

« Je ne sais pas ce que tu as vécu comme période sombre, admit-il, ni le lien qui t'a lié à Amaya, mais je vois et sens très bien que tu en souffres encore aujourd'hui. »

Elle ne parvenait pas à parler, pleurant à chaudes larmes un long moment. Shozen resta tout le long à ses côtés et attendit patiemment qu'elle se calme. Une fois ses pleurs apaisés, il l'invita à faire quelques exercices de respiration pour éviter une hyperventilation.

« Je pense que je ne t'ai pas vu dans un tel état depuis que tu as été dans les cachots, avoua-t-il.

- Je suis… encore en deuil d'Amaya, arriva-t-elle à dire. Même après quatre ans… Avant que l'empire Talsh commence à envahir notre continent… elle et moi étions en couple.

- Donc, c'était une de tes âmes sœurs ?

- Oui. On a partagé plusieurs vies antérieures ensembles… mais… elle est décédée d'une pneumonie, quelque temps après le viol collectif qu'on a vécu elle et moi…

- … C'est un viol de guerre que vous avez vécu, en fait, à la fois collectif. »

Alika haussa les épaules et se remit à pleurer. Shozen lui caressa vigoureusement le dos et la garda proche de lui. Il apprit qu'elle avait retrouvé Amaya dans le monde spirituel depuis peu de temps, après quatre ans sans ses nouvelles.

« Je ne peux pas me présenter dans cet état à ta famille, murmura-t-elle.

- Je vais attendre que tes sanglots se calment et que ton corps évacue toutes tes larmes. Ensuite, je vais te donner une serviette humide pour que tu puisses calmer tes yeux rougis. »

Toutes les pièces du casse-tête se rassemblaient dans la tête de Shozen. Sa petite-amie du moment ne lui avait peut-être pas parler de fond en comble de son passé, mais elle lui avait lancé de petites pièces ici et là. L'empire Talsh avait été le déclencheur d'une série d'événements qui avait fait boule de neige. Il n'était pas étonnant qu'Alika avait tenté d'en finir avec sa vie, saturée de tous ces malheurs.

« Je t'admire, trouva-t-il à dire.

- Hein ? Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

- … Tu es forte, Alika. Spirituellement et mentalement. Je ne connais pas beaucoup de personnes qui a su se redresser des conséquences que la guerre a laissé sur le pays.

- J'ai beau paraître forte, je crains le jour où une possible rechute pourrait me faire perdre la raison. Je n'ai pas eu le choix de continuer, Shozen. Il a fallu que je le fasse…

- Si. Tu as eu le choix ou non de continuer. Et tu as choisi de t'accrocher plutôt que de te laisser couler dans ton malheur et te plaindre. On fera tout ce qui est en notre pouvoir pour pas que des rechutes arrivent… et même si ça venait à arriver, tu ne seras pas seule.

- Tu ne m'abandonneras pas ?

- Ce n'est pas ce qu'un Lancier du roi serait digne de faire. Nous sommes trop loyaux à nos valeurs. »

On aurait dit Jiguro, pensa-t-elle.

« La dépression… c'est dur. Autant pour la personne qui la vit que l'entourage, expliqua Alika. Ce n'est pas facile de jongler entre ce qui pourrait aggraver l'état de la personne, ou l'apaiser. Et même quand les amis ou la famille tente d'aider, on repousse leur aide. On sait qu'ils nous aiment, mais on est tellement dégoûté de soi, qu'on ne voit plus ce qui est important pour nous ou pour les autres. Oui, j'ai essayé de m'enlever la vie pour retourner dans le monde spirituel, retrouver Amaya et avoir des réponses à mes questions… mais je ne voyais plus ma place en Sagu pour continuer à faire face à mon malheur. Je ne voulais plus faire du mal autour de moi. J'ai essayé, trop longtemps, d'être positive et mettre ma tristesse et négativité de côté… mais je me suis fait mal. Mais ce n'est pas que je n'ai pas essayé de ne pas l'être… tu veux vraiment vivre ta vie avec moi en sachant tout ça ? »

Shozen l'attira encore plus dans ses bras et l'étreignit fortement.

« Oui. Et je n'ai pas à me justifier. Un oui avec moi est un oui sincère. Alors crois-moi quand je le dis… et tu es une médium, donc nécessairement, tu sais reconnaître ce qui est véridique ou pas. Tu sais que je ne mens pas. Cependant, les esprits ne sont pas plus importants que toi. Si j'avais à choisir entre eux ou toi, ce serait celle qui est vivante qui passera en premier lieu : toi. Que tu te confies en toute honnêteté est un grand pas… et je voudrais que tu te confies plus à moi prochainement s'il y a des choses qui te tourmentent. Tu peux faire ça pour moi ?

- … Oui… »

Ils restèrent un long moment, assit proche du mur rocheux. Shozen l'aida à se redresser. À un point d'eau, il trempa un morceau de coton qui trainait dans ses poches et le mouilla pour le passer à Alika. Elle se le déposa sur les yeux un petit moment. La chaleur semblait s'apaiser, mais elle se sentait fatiguée et toujours sur le point de vouloir pleurer.

« Tu as aussi demandé qui étaient Jiguro et Taguru ? se souvint-elle alors qu'elle retirait la serviette de ses yeux.

- Oui.

- Hé bien… ils sont tout simplement nos gardiens spirituels à toi et moi. Depuis notre naissance, ils nous accompagnent partout et veillent sur nous. C'est leur contrat.

- Ce sont donc les fameux Lanciers qui sont passés à l'histoire ?

- Oui, eux-mêmes. Il n'y en a pas deux comme eux.

- Je vois… c'est rassurant. Et je dois avouer que je te vois parfaitement bien t'entendre avec Jiguro Musa. »

Alika sourit.

« Comment sont mes yeux ? Ils sont encore rouges ?

- Non. Ils sont redevenus comme avant. Juste légèrement humides et comme si tu venais de te réveiller. Tu te sens prête à aller voir ma famille, ou tu veux encore un peu de temps ?

- Un autre petit dix minutes et je devrais être bonne pour ne pas pleurer pendant le repas. »

Shozen sourit et lui vola un baiser sur les lèvres. En le regardant de côté, Alika se surprit à penser que la barbe lui seyait très bien, lui donnant un air plus viril et plus mature. En plus, il avait une silhouette semblable à Jiguro et il avait la même énergie, ou presque, que lui. C'était difficile de croire qu'il avait été la petite brute populaire dans la cour de récréation qui l'avait intimidé plus jeune… mais Alika ne lui en tenait aucunement rancœur. Ils avaient mûri et étaient tous les deux des adultes responsables.


Le souper se passa dans une ambiance qui rappela la propre famille d'Alika. Mazuko, la première petite sœur de Shozen, était parvenue à avoir un congé ce jour-là et avait emmené son mari Nora, et sa fille, Eevee, âgée de deux ans avec elle. Mazuko avait les cheveux aussi blonds que sa mère, mais court, un peu en bas des épaules, avec les yeux bleus de son père. Son mari avait la peau bronzée, les yeux bruns et les cheveux noirs. Eevee quant à elle, avait une peau entre les deux teintes, des yeux verts et les cheveux noirs.

Shirufu était devenue soudainement très bavarde avec son père, Dahgu, qui, normalement était réservé. Mishka s'amusa en voyant qu'Alika n'était pas difficile quant au choix de la nourriture et mangeait de tout. Alika parlait beaucoup et entrait facilement dans les conversations.

Lorsque Eevee, la nièce de Shozen, montra un petit intérêt pour Alika – lui demandant de dessiner avec elle, Shozen se surprit à penser qu'elle ferait une bonne mère.

« Tu as le tour avec les enfants, commenta Mazuko.

- Je suis l'aînée de ma famille, répondit Alika, alors je sais comment m'occuper des plus jeunes. Mon ancienne amie, par contre, était bien plus maternelle que moi. Si tu l'avais vu, elle aurait toujours porté un enfant dans ses bras. »

Elle parlait bien sûr d'Amaya, mais comme elle n'avait pas envie de pleurer à nouveau, et cette fois-ci, devant sa belle-famille, elle ne prononça pas son nom.

« Est-ce que tu veux en avoir, un jour ? questionna Mazuko, ne sachant pas qu'une corde sensible venait d'être remuée à l'intérieur de leur invitée.

- Si la vie me le permet, oui. Pour l'instant, je ne me sens pas encore prête. Shozen et moi, on est encore un jeune couple, comme on nous le dit souvent.

- Je ne suis pas encore rendu à cette étape, ajouta Shozen pour la rassurer. Alika et moi avons de devoirs à remplir en tant que guerriers. »

Alika, pour se calmer, pensa à Tomoe. Cette simple pensée la soulagea. Shozen ne saurait rien de la poussière d'ange avant que l'occasion se présente. Ça n'ira que dans quelques années, quand elle aura appris à mieux contrôler cette culpabilité malsaine. Une fois le repas principal terminé, Shirufu insista pour sauter directement sur le dessert.

« Connais-tu le sucre à la crème, Alika ? l'interrogea Mishka.

- Eh… non, avoua-t-elle. Mais je connais les jokoms et les marros.

- Tu vas voir, c'est une de nos spécialités à Kanbal.

- Tu as fait du sucre à la crème ? s'égaya Shozen.

- Bien sûr. Tu pourras même en rapporter pour vos amis pendant vos séances d'entraînements. »

Mishka ouvrit le couvert d'un plateau et Alika vit ce qu'était le sucre à la crème Kanbalese. C'était des cubes de couleur brun, solide, et à la texture lisse.

« J'espère que les produits laitiers, que ce soit des chèvres, de yak ou même de vaches au Nouvel Empire de Yogo, ne te donnent pas mal au ventre, s'inquiéta sa belle-mère.

- Je n'ai jamais eu de difficulté avec un quelconque aliment, l'informa-t-elle.

- Tant mieux, car c'est fait avec de la crème très épaisse et naturellement, du sucre brun naturel. Sers-toi en premier, comme tu es notre invitée. »

Alika tendit la main et prit un morceau. Même si elle n'avait jamais eu peur de croquer dans de nouveaux aliments, elle y alla doucement après avoir reniflé le cube. La texture, semblable à du fudge, était plaisante et c'était la chose la plus sucrée qu'Alika ait goûté de toute sa vie jusqu'à présent.

« Alors ? insista Dahgu.

- C'est vraiment bon ! s'exclama-t-elle. Comment ça se fait que depuis tout le temps que j'habite ici, je n'en avais jamais mangé ?!

- Peut-être parce qu'on ne te l'avait jamais suggéré ?

- … Je pourrais avoir la recette pour en faire chez Tante Yuka ?

- Bien sûr ! confirma Mishka. Je vais te l'écrire et te la donner volontiers !

- Je me demande pourquoi Tante Yuka n'en a jamais fait…

- Peut-être parce qu'elle te veut en santé et ne veut pas te faire manger trop de sucre, hasarda Shozen.

- … Je crois que c'est parce que c'est difficile à faire. Pourtant, elle ne manque jamais sa cuisine.

- Ce n'est pas si compliqué que ça, pour être franche, admit Mishka. Mais peut-être que ce sera toi qui lui sucreras le bec. »

Leur invitée arqua un sourcil.

« Que je lui "quoi" ?

- Lui sucrer le bec, ou se sucrer le bec, est une expression courante ici qui veut dire manger très sucré, l'informa Shirufu. C'est aussi se payer la traite en mangeant des choses pas très saines pour la santé.

- Oh, je vois ! Bah, peut-être que je serai la spécialiste du dessert, alors. »

Ils terminèrent la soirée avec des jeux de société. Shozen raccompagna Alika à sa chambre, à l'auberge.

« Merci pour la soirée, et pour la journée, dit-elle, reconnaissante.

- Ça me fait plaisir. Ma famille t'adore et t'apprécie énormément. »

Il la serra fort contre lui, et huma ses cheveux qui étaient doux. Ils terminèrent sur un doux baiser et se séparèrent sur le portique. Ils avaient un conseil à tenir avec le roi Radalle le lendemain, et Alika avait été invitée pour y assister. C'était une première que les guerriers de la haute-classe acceptent qu'une femme les rejoigne pendant ces réunions importantes.


Lorsqu'Alika retrouva Koda, Shozen et Kahmuro, ils se dirigèrent vers la pièce où les attendait le roi Radalle. La jeune femme ne se souvenait pas de l'avoir vu une seule fois en personne – elle en avait simplement entendu parler ici et là. Il ne ressemblait en rien à ce qu'elle s'était fait comme image en tête, malgré ses dons de médiumnités.

Il avait les cheveux châtains et un regard noisette qui donnait l'impression qu'il se mettrait à chigner à n'importe quel moment. Alika pouvait sentir à l'aura qu'il dégageait qu'il n'était pas très confiant. Il semblait étrangement petit sur l'énorme trône. Il était épuisé au plus profond de lui-même. Cet épuisement ne s'était jamais atténué depuis plusieurs années, peu importe la durée de son sommeil. D'après les dires de Dahgu, Radalle avait toujours été un monarque isolationniste qui accordait la priorité aux besoins de son peuple et à ses propres besoins personnels avant tout.

Il y a bien longtemps, le roi Radalle demandait conseil à Yuguro Musa – le petit frère de Jiguro - à chaque fois qu'il ne savait pas quoi faire. Yuguro avait été pour lui un sage avec une longue expérience et avait toujours offert de bons conseils. La trahison et les ambitions de ce dernier avaient nui à Radalle ainsi qu'à lui-même. Yuguro n'avait jamais complètement retrouvé son esprit après ce qui lui était arrivé dans la Salle du Roi de la Montagne. Comme aucun guerrier qui avait assisté à la Cérémonie des Remises ne pouvait briser le pacte du silence qu'il avait fait, Jiguro avait tout raconté à Alika.

« Mon petit frère Yuguro n'a jamais retrouvé ses esprits… son corps physique ne répond que par les facultés de base qui sont de manger, dormir et boire. Malgré la dernière Cérémonie des Remises, son âme n'a pas pu être sauvée. Ni par le danseur choisit, ni par les autres participants.

- Alors son âme erre ici et là, tenta de comprendre sa protégée en télépathie.

- Je crois. Je ne saurai dire. Parfois, l'âme est tellement tourmentée qu'elle reste prisonnière d'une sphère intemporelle et refait toujours les mêmes actions avant sa mort. Il est impossible pour nous de l'en retirer, et je ne pense pas que même les puissants esprits comme les faucheurs désirent s'en mêler.

- Triste…

- Oui. »

Radalle, de son côté, était devenu indécis – hésitant et incertain - alors qu'avant, il était solide et sûr. Son vieil ami et conseiller lui manquait plus que jamais.

Alika écouta le conseil d'une oreille attentive, mais ne parla pas. Elle analysait les guerriers qui l'entouraient. N'étant plus en temps de guerre, le conseil avait été tenu pour parler surtout des vols, et des esclavagistes qui avaient trouvé un réconfort dans leur patrie et semaient la pagaille parmi le peuple. Elle n'ouvrit la bouche que pour parler des droits des femmes et leur sécurité avant tout, surtout concernant les agressions sexuelles et le sexisme vécue au quotidien. Et, étrangement, au lieu des railleries auxquels elle s'était attendue, tous l'avaient écouté avec respect.

Lorsque Radalle parla et offrit des suggestions, Alika entendit clairement les soupirs des Lanciers et de leurs apprentis. Ce qu'ils n'avaient pas fait avec elle. Le contraste l'étonnait. Alors que tous se retiraient tranquillement de la salle, ils chuchotaient entre eux.

« Tu viens, Alika ? demanda Shozen.

- Oui, je viendrai vous rejoindre sous peu, je dois m'entretenir un peu avec le roi.

- Ah ? D'accord. »

Alors que ses camarades partaient, Alika se tourna vers Radalle. Elle lut dans son énergie qu'il savait qu'il était un roi faible qui n'imposait pas le respect des guerriers de sa nation, ni même de ses propres protecteurs, les Lanciers du Roi. Aucun d'eux ne lui avait permis de se confier. Le seul indice qu'il recevait et indiquait que ses Lanciers n'étaient pas d'accord avec lui était lorsqu'ils soupiraient ou chuchotaient dans son dos.

« Vous n'êtes pas partie, Dame Alika ? lui demanda Radalle.

- Je voulais m'assurer de votre confort, avant tout.

- Pourquoi donc ? Jamais quiconque ici ne s'est soucier de mon bien-être avant maintenant. Ne perdez pas de temps et allez-vous reposer. »

Malgré tout, Alika resta à sa place. Voire même, elle se rapprocha de lui, ne l'écoutant pas. Radalle comprit qu'elle était plus que têtue et que quand elle avait une idée fixe en tête, rien ne pouvait l'arrêter et l'en dissuader. Il remarqua à quel point elle ressemblait à Balsa – qu'il n'avait vu qu'une fois, lors de l'avant-dernière cérémonie des remises. Il avait l'impression d'avoir Balsa devant lui, et non sa fille.

« Je soupçonne que vous êtes constamment épuisé à cause du manque de soutien, sortit Alika. »

Radalle leva la tête, étonné.

« Chaque décision doit être prise par vous, et toutes les conséquences sont à votre charge. Pourquoi ne pas remettre le trône à l'un de vos descendants ? proposa-t-elle.

- Je n'ai qu'un fils. Et il n'a même pas dix ans… Je suis le seul héritier de mon père, Rogsam, et mon seul cousin est Aron, le commandant puissant de l'armée Kanbalese.

- Avez-vous envisagé de fiancer votre fils à une des princesses du Nouvel Empire de Yogo et créer une alliance entre les deux pays ? proposa-t-elle. »

Alika pensa alors à la petite sœur de Chagum, Aozora. La princesse était reconnue pour avoir des yeux extraordinaire, couleur sarcelle, et pour l'avoir côtoyé dans la grotte des chasseur, Alika savait qu'elle était un bon parti pour Kanbal. Elle devait être de la même tranche d'âge que le fils de Radalle.

« Comment s'appelle votre fils ?

- Mon fils a neuf ans et il s'appelle Loesan. Ma femme, Naiyana, le couvre un peu beaucoup trop.

- Il est donc en âge d'avoir un mariage arrangé. À l'âge de dix-huit ans, ici, il pourra se marier et accéder au trône. Sa future fiancée pourra même venir habiter ici avant le mariage.

- Mais il me resterait encore moins d'une décennie pour régner… je suis lasse, vous avez bien vu. Je suis épuisé de régner depuis que mon conseiller, Yuguro, n'est plus que l'ombre de lui-même. »

Radalle poussa un long soupir en posant sa joue contre sa main.

« Aucun de mes protecteurs n'a vraiment établis de lien de confiance avec moi, donc, je dois me débrouiller et être indépendant par moi-même. Les seigneurs des neuf clans sont tellement forts, ont tellement de prestance… et moi, pauvre roi, lâche et faible comme je suis, je fais pâle figure.

- Ne dites pas ça ! se fâcha Alika, le faisant sursauter. Ce n'est pas en vous rabaissant de la sorte que vous allez changer votre sort. Il faut des actions et de la volonté ! Je suis certaine que si vous chercher bien, vous trouverez une personne de confiance qui vous appuiera et vous aidera.

- Parmi mes lanciers ?

- Ou peut-être même parmi leurs apprentis. En attendant que ce lien se forme, vous pouvez toujours vous confier à moi, offrit-elle.

- À… une femme ?

- Quoi ? Vous mépriser mon genre ? fit-elle mine de s'indigner.

- No-non. Bien au contraire… je veux dire : en dehors de ma femme, je n'ai jamais vraiment côtoyé d'autres femmes. »

Il semblait un peu déconcerté. Cette expression arracha un petit rire chez Alika.

« Si un jour je pouvais rencontrer votre femme, il me fera plaisir de devenir sa protectrice. Je suppose que les reines n'ont pas de lancière à disposition.

- Effectivement, les lanciers sont étroitement liés aux rois. Mais… ce serait une première et je ne suis pas certain si le peuple accepterait ce genre de choses. »

Elle haussa les épaules. Sa confiance était tellement inébranlable que Radalle en fut impressionné. Cette femme avait bien plus de prestance que lui, et une volonté de fer. Finalement, se confier à elle en attendant pouvait sûrement être une bonne chose.

« Le peuple a eu de la difficulté au début de voir une femme maîtriser les arts martiaux et le maniement de la lance, c'est vrai, expliqua Alika. Il a bien sûr fallu que je fasse mes preuves, mais à force de me faire accepter et de montrer qui je suis vraiment, le peuple a fini par s'y habituer et maintenant, je n'ai plus rien d'exceptionnelle quand je viens à la cour. Pour la reine, ce sera la même chose. Il faut commencer à quelque part.

- … Je comprends. À partir de maintenant, vous êtes libres de venir comme bon vous semble dans mon palais et y circuler librement.

- Je croyais que je pouvais déjà le faire, avoua-t-elle.

- Oui, mais pas dans les allées principaux des appartements royaux. »

Radalle se leva et alla fouiller dans un coffre, au fond de la pièce. Lorsqu'il retourna s'asseoir sur le trône, il demanda à Alika d'ouvrir sa main. Il déposa au creux de sa paume une breloque en or en forme de sabot de chèvre, serti de péridot et de grenat.

« C'est la première fois qu'un de mes soldats prend la peine de s'asseoir avec moi et de me parler de la sorte. Ce n'était pas arrivé depuis bien longtemps, maintenant. Portez ça sur vos vêtements et les gardes comprendront que vous êtes autorisées à traverser cette aile du palais.

- Mer-merci, balbutia Alika. On n'a parlé que quelques minutes et pourtant… vous me faites déjà confiance ? Vous n'avez pas peur que je puisse vous poignarder dans le dos ?

- Vous ne le savez peut-être pas, mais vous avez une bonne réputation. Au moment où on a pu croire que vous étiez peut-être en phase de rébellion, vous avez prouvé, de façon toute naturelle, que vous ne l'étiez pas. Vous et votre disciple Lany êtes devenues des modèles. D'ailleurs, où est-elle ?

- Elle a besoin de repos et de se retrouver avec elle-même. Elle reviendra quand elle se sentira plus en forme.

- Je vois. »

Alika se redressa et s'inclina. Elle vit l'aura de Radalle devenir un peu plus brillante. Cet entretien lui avait fait bien du bien. Elle alla retrouver Shozen qui était assis sur les marches à l'extérieur du palais, à boire un lakalle avec Tam Muro.

« Je suis là, annonça-t-elle.

- Hey ! salua Tam.

- Salut Alika, ajouta Shozen. Dis donc, ça a pris du temps ton entretiens.

- Disons que… j'avais pas mal de choses à dire à Radalle. »

Elle ouvrit sa main pour regarder la petite breloque.

« Qu'est-ce que…, s'étouffa Tam. Où l'as-tu eu ?

- Le roi Radalle me l'a offert. Grâce à lui, je peux me rendre dans l'aile royal du Palais.

- Pourquoi donc ce privilège ?

- Je veux rencontrer la reine de Kanbal et devenir sa propre Lancière protectrice, annonça-t-elle solennellement. »

Elle sentit dans l'énergie de Tam qu'il était sur le point de se moquer d'elle et de sa suggestion. Avant même qu'il ne puisse exprimer sa moquerie, Alika sortit :

« Pourquoi est-ce que ce serait juste au roi de bénéficier de protecteurs et de soldats et pas la reine ? Sans les femmes, les hommes ne naîtraient pas. Et, en fait, face à la douleur de l'enfantement, on aurait très bien à s'inquiéter de la population dans notre monde. Je t'ai battu plusieurs fois en combat amical, Lany également. »

Tam continua de rire, mais ne sortit aucun commentaire. Voyant qu'Alika allait lui sauter à gorge, insultée, Shozen intervint au bon moment.

« Recevoir un objet d'une telle valeur est un cadeau inestimable. Même les apprentis des Lanciers comme nous, ne peuvent accéder aux appartements royaux. J'ignore ce que tu as échangé avec le roi Radalle, mais c'est un très grand privilège qu'il t'a accordé.

- En fait, le roi se sentirait bien mieux si les soldats comme Tam arrêtait de se moquer de lui et de ses décisions de façon condescendant !

- Je n'ai rien dit ! se défendit Tam.

- Tu ne dis rien, mais je le vois à ton regard et à ta gestuelle que tu te moques de moi. Je vais te faire ravaler ta fierté par les yeux ! menaça-t-elle. »

Elle bondit sur son camarade d'entraînement, évitant le geste de son petit-ami pour l'arrêter. Tam se mit en position de défense et, à mains nus, bloqua le geste de son adversaire. Les soldats, soudain intrigués par ce combat totalement imprévu, commencèrent à se rassembler autour d'eux, encourageant l'éclat de rage qu'Alika avait engendré. Shozen grogna entre ses dents. Il aimait bien Tam, et comprenait que son ami ne la prenait pas au sérieux, mais le jeune homme savait bien des choses sur Alika et il arrivait à comprendre pourquoi elle réagissait aussi violemment.

Il se mêla, tête baissée, dans leur bataille et arriva à repousser Tam loin d'Alika.

« C'est elle qui m'a sauté dessus ! s'écria vivement Tam. Tu n'as pas le droit, Shozen, de me retirer d'elle ! »

Alika chercha à contourner Shozen qui agissait comme un arbitre entre eux, mais elle se fit arrêter par lui.

« Effectivement, elle a commencé le combat, dit-il alors que sa petite-amie lui jetait un regard noir.

- Lâche-moi, Shozen, cracha-t-elle.

- Désolée, Alika, mais c'est non. »

Il reporta son attention sur Tam.

« Mais il faut avouer que tu la quand même cherché sur un sujet qui était vraiment sérieux. Cette breloque a une forte signification, et je ne pense pas que tu en saches sa véritable valeur. En tant qu'apprentis, nous l'avons lu et vu dans les livres, mais jamais en personne. Qui sait où ça va tous nous mener ? Ce n'est pas juste pour les rois et les reines de Kanbal, mais bien pour l'avenir de la population. Peut-être que ça te fait rire sur le coup et que ça semble totalement saugrenue, et tu as le droit, mais le jour où tout cela deviendra concret, ne viens pas pleurnicher ni te plaindre sur mes épaules ! »

Koda, perdu, ne savait pas du tout où se placer. Il fit écarter les soldats en leur disant que le combat entre Alika-Zilla et Tam était terminé et que tous pouvaient retourner à leur occupation.

« Pourquoi est-ce que soudainement, toute la cour vire sans dessus-dessous depuis l'arrivée d'Alika ici, hein ? s'écria Tam, rouge vif. Ce n'est rien qu'une femme, rien de plus ! Et les gens en perdent la raison juste parce qu'elle sait manier la lance ! C'est quoi la prochaine connerie ici ?! Accepter que les bergers deviennent aussi des lanciers et des soldats avec des lances faites pour leur taille ?!

- TAM ! rugit une voix derrière lui. ÇA SUFFIT ! »

Alika, Koda et Shozen levèrent les yeux vers les escaliers de pierre. Un des lanciers du roi s'y tenait, l'air grave.

« Qui c'est ? demanda innocemment Alika.

- Le mentor de Tam. Son oncle, Loha Muro. »

Loha était bâti et massif. Il n'avait pas les muscles de Jiguro ni de Shozen. En fait, c'est comme s'il avait le double d'eux. Il descendit les escaliers et retrouva son neveu.

« Elle m'a sauté dessus, avoua Tam, non intimidé par l'aura de guerrier que Loha dégageait.

- Je me fiche de savoir qui entre vous deux a commencé. Tu crois qu'il s'agit d'un discours digne d'un apprenti d'un Lancier du Roi, ce que tu as dit là ? Depuis fais-tu de la discrimination envers les bergers ? Et depuis quand es-tu à ce point misogyne ? As-tu peur que des personnes en dehors de ton genre surpassent les hommes ? »

Cette révélation prit Alika de stupeur. Elle n'avait jamais pensé que Tam la détestait à ce point parce qu'elle était du sexe opposé. Ce n'était donc pas que de la simple jalousie ni une rivalité malsaine. Tam n'aimait pas les femmes et les méprisait. Pourtant, il avait toujours été correct avec elle avant ce jour. Était-ce la breloque qui le rendait vert de jalousie à son égard ? Cette révélation lui fit un choc.

« Non, répondit Tam avec honnêteté, mais qu'on me dise qu'une reine a aussi besoin de lancier— non, je veux dire : de lancières pour se protéger, c'est ridicule ! »

Loha arqua un sourcil.

« Pourquoi ce serait ridicule ? Les membres de la famille royal, femme ou homme, sont souvent en danger lors de mission, et même quand ils sont chez eux. Mettre plus de sécurité à leur disposition n'est qu'une façon de renforcer les forces du pays et empêcher une invasion. Au lieu de diviser pour mieux régner, mieux vaut s'unir et faire la force. Tu as de la chance que les bergers ne t'aient pas entendu, ou si oui, espère leur pardon dans les plus brefs délais ! »

Alika préféra se taire face à la réprimande que Tam se prenait. Elle l'avait humilié de façon involontaire en faisant intervenir Loha du clan Muro, alors qu'au départ, elle voulait juste lui faire ravaler ses moqueries. Tam tourna les talons et s'en fut dans la salle d'entraînement, poussant un juron et un cri de rage. Le trio que formaient Shozen, Alika et Koda, resta immobile. Loha s'approcha d'eux.

« Tam était pas mal à cran ces derniers temps… je me demandais pourquoi, avoua-t-il.

- Il déteste les femmes ? questionna doucement Alika.

- Hé bien… c'est dur à dire. Je sais qu'il ne s'est jamais entendu avec sa mère, coupant les liens avec elle pendant nombres d'années. Et il n'a jamais cherché à faire des liens plus en profondeur avec ses deux sœurs.

- Pour le coup d'aujourd'hui, je plaide coupable. Tout ça, parce qu'il s'est moqué de cet objet et de mon but. »

Elle sortit de son kimono la breloque dorée. Loha poussa une exclamation de fascination.

« Oh, dit-il en la prenant dans ses gros doigts. C'est un objet d'une grande valeur. Il peut faire bien des jaloux.

- Tam a commencé à se moquer de mon projet. Même s'il n'a rien dit, sa gestuelle l'a trahi et… hé bien, j'ai éclaté et lui ai sauté dessus, impulsive comme je suis.

- Shozen a bien fait d'intervenir, alors. »

Shozen ne fit qu'un petit sourire alors qu'Alika reçut de nouveau sa breloque dans la paume. Loha les laissa, leur proposant de laisser Tam tranquille jusqu'à ce qu'il revienne de lui-même, et leur dit de ne pas s'en faire. Il n'en voulait même pas à Alika d'avoir sauté sur son neveu, comme elle avait reconnu ses torts.