Tamashi no Moribito
Gardien des Âmes
Chapitre 22
Mémoires
Comme à son habitude, à chaque soir, Alika faisait sa routine quotidienne en compagnie d'Amaya. Après s'être occupée de son sourire, elle se rendit à sa chambre et ouvrit un livre pour s'y faire hypnotiser.
« Bon… je suppose que Jiguro a quand même une préférence en matière de gente féminine, sortit Amaya.
- Que veux-tu dire par là ? murmura son ex petite-amie.
- Tante Yuka et moi sommes toutes deux d'origine Kanbalese. Alors je pense qu'il a petit faible pour les femmes de sa patrie. Je le prends comme un compliment ! »
Amaya roula sur le ventre et s'accota contre l'épaule d'Alika pour suivre sa lecture. Au bout d'un moment, la jeune lancière commença à cogner des clous.
« Oh, c'est le temps de dormir maintenant. Ne te force pas. Aller, Alichoue', on ferme le livre et c'est dodo. »
Alika ne ronchonna pas et obéit. Le sommeil vint très vite.
Elle se vit en train de jouer avec une petite fillette qui ressemblait en tout point à Balsa. Elles s'amusaient à faire des cérémonies de thé ensembles, à Kanbal. Alika savait qu'elle rêvait, mais elle ne contrôlait pas ses gestes et actions. Ce rêve n'était pas lucide. C'était une mémoire. Plusieurs événements se succédèrent rapidement et elle se vit en train d'accompagner Yuka et Jiguro, sous forme spirite. Ce dernier était un bon vieil ami avec qui elle s'entendait bien spirituellement et Yuka possédait une énergie parfaite pour être une mère.
Alika vit son corps spirituel se désintégré en une petite sphère blanche lumineuse et voler autour de sa tante avant d'y être aspirée. Sans avoir une vision spécifique, elle ressentit plus intensément les émotions qui se présentaient à elle. Il y avait beaucoup de stress, d'incompréhension, de colère et de peine. Elle ressentit aussi une énergie extérieure, comme si on cherchait à la blâmer, ou qui démontrait qu'on ne voulait pas d'elle.
Ce fut comme si elle avait été projetée de nouveau, cette fois-ci, atterrissant dans un endroit totalement inconnu. Alika reconnut sa Tante Yuka, et Jiguro, tous les deux dans le milieu dans leur vingtaine. Yuka criait contre Jiguro alors qu'il avait posé ses mains sur ses épaules.
« Peut-être est-ce mieux ainsi…, lâcha-t-il. »
Alika arqua un sourcil. C'en fut trop pour Yuka qui craqua et explosa de colère, voire même de rage. Elle ne se gêna pas pour lui jeter ses quatre vérités en plein visage.
« Mais qu'est-ce qui est mieux d'être ainsi, hein ?! hurla-t-elle en se levant, le prenant par l'habit au niveau de son torse. Quand j'en avais besoin, tu étais où ?! »
Yuka le regarda droit dans les yeux.
« Oui ! Je le sais ! Je sais que tu n'aimes pas les enfants ! Mais, moi, je voulais vraiment cet enfant, et maintenant que j'ai le courage de t'annoncer qu'il n'y en aura plus, tout ce que tu cherches à me dire, c'est que "c'est mieux ainsi" ?! Est-ce que tu penses à moi parfois ?! Est-ce que tu t'entends parler, Jiguro ?! »
Le silence qui suivit rendit la jeune médium mal à l'aise.
« Tu ne dis rien ?! Tu n'as pas de sentiments ?! le provoqua-t-elle. T'es qu'un idiot, Jiguro, un abject idiot ! »
C'est alors qu'elle commença à le marteler de ses poings sur son torse. Jiguro lui dit qu'il ne savait pas quoi dire et finit par lui emprisonner un poing dans l'une de ses mains. Il n'avait pas le courage de lever la main sur elle… Yuka se débattit un moment et recula pour mettre de la distance entre eux. Il rajouta sans expression qu'il n'était pas la meilleure personne pour réconforter.
« … J'aurai dû me douter que tu réagirais comme ça…, murmura Yuka, en larmes. Je le savais déjà, en fait. Je maintiens que tu as une très grande fierté. Tu es tellement fier que tu n'es pas capable de mettre ton égo de côté… Même quand la femme que tu étais sensé aimer et protéger est détruite et souffre… Je suis en deuil en ce moment. J'ai mal. Et tu ne t'en préoccupes même pas ! »
Yuka se dirigea vers la porte, retirant de son poignet un bracelet en argent avant de le déposer au sol.
« Je n'en peux plus de tout ça. Je suis fatiguée. Tu n'es pas l'homme que j'ai besoin et je ne suis pas la femme que tu as besoin. Notre relation est stérile et pour ça, je mets un terme définitif à notre couple, car ça me fait plus de mal que de bien. Je ne peux pas être heureuse et épanouie avec toi. En fait, pour tout dire la vérité, je ne suis pas heureuse. La même chose s'applique à toi aussi…
- Je comprends…, finit-il par dire. On n'a fait que se causer du tort… c'est mieux que nous nous séparons plutôt que de continuer à se faire mal. Je suis désolé, Yuka. J'ai cru que nous pourrions être capables d'être un couple et construire une vie ensemble. »
Il fit une pause, visiblement mal à l'aise.
« Je suis vraiment désolé que ça n'ait pas fonctionné entre nous deux. »
Alika trouva assez d'énergie et ouvrit les yeux. Elle ignorait quelle heure de la nuit il était rendu, mais elle se sentait troublée par sa vision. Comment avait-elle pu avoir un fragment de souvenirs de la vie de Yuka et de Jiguro ? Amaya dormait profondément à ses côtés, mais elle sentit l'énergie de Jiguro dans la pièce, et il prit place sur le lit. Alika se tenait la tête, essayant de comprendre sa vision.
« Encore un cauchemar ? s'inquiéta Jiguro.
- Non…, chuchota-t-elle. J'ai eu une drôle de vision…
- Une vision ?
- … Tante Yuka m'a parlé de ce qui s'était passé entre vous deux, dans votre jeunesse, aujourd'hui. Tu étais là et en as été témoin.
- Tes capacités médiumniques t'auraient-elles encore montré des informations ou souvenirs quelconques sans que tu ne le demandes ?
- Je crois bien… »
Elle leva le visage vers lui.
« Jiguro…
- Oui ?
- Cet enfant que Yuka aurait été sensée avoir avec toi, mais qu'elle a perdu… je crois savoir qui c'était comme âme.
- Je n'ai jamais cherché à savoir si cette âme nous était familière ou pas. Une poussière d'ange, comme tu l'appelles.
- Je sais, mais… je crois que j'étais destinée à être la cousine de Balsa…, jeta-t-elle enfin, causant un choc à son gardien. Et je crois sincèrement que j'étais sensée être ta fille. »
Jiguro resta silencieux un long moment.
« J'ignore quel parcours en tant qu'âme tu as dû faire pour te rendre jusque dans le ventre de Balsa, avoua-t-il. Or… tu l'as sûrement oublié, mais quand je suis décédé, tu m'as accueilli. Tu étais là. Tu avais reçu un corps physique temporaire suite à une incantation lancée par Torogai, si je ne me trompe dans mes souvenirs spirituels. Puis, tu as quitté le monde spirituel pour te réincarner dans la petite et adorable jeune femme que je connais aujourd'hui…
- … Pourquoi tu as choisi de me veiller et de devenir mon gardien spirituel ? Est-ce que c'était pour te racheter du tort que tu avais fait à Yuka ? De même que protéger Maman ? »
Il haussa les épaules. Alika s'attendait à une réponse de ce genre et savait qu'il resterait vague.
« J'ai toujours eu de la culpabilité que notre couple n'a pas fonctionné, avoua-t-il enfin. Quand j'ai su pour sa grossesse imprévue, j'ai été sous le choc. Elle avait raison que je ne voulais pas expérimenter la paternité à cette époque-là et j'avais besoin de réfléchir. Je ne voulais pas avoir de pression extérieure pendant que mes pensées allaient cent à l'heure, alors quand Yuka essayait de me parler, je l'évitai… »
Il soupira et passa ses mains dans son visage.
« J'aurai aimé être en mesure de communiquer, mais à l'époque, c'était trop difficile pour moi à faire, tu comprends ? Aujourd'hui, je suis outillé et je suis en mesure de le faire. Il est trop tard pour réparer le mal que j'ai causé, autant à moi que pour elle, mais je peux maintenant essayer d'être une meilleure personne et prendre plus soin de ceux que j'aime. »
Alika sourit, fatiguée. Elle posa sa main sur la sienne.
« Tu as bien élevé et protégé Maman. Si tu ne l'avais pas fait, je ne serai pas ici en ce moment. Tu sais prendre soin des personnes qui te sont chères et tu apprends de tes erreurs et en grandi. Mais pourquoi tu as choisi de devenir mon gardien spirituel ?
- Tout simplement que j'aime être un gardien. J'aime veiller et protéger. »
Il déposa sa grosse main ferme sur le dessus de sa tête. Elle ferma un œil.
« Pas besoin d'une justification infinie et sentimentale. J'aime ça. C'est tout.
- Est-ce que tu as souvent été mon gardien spirituel ?
- Plusieurs fois. Et toi avec moi. Et avec Balsa. Et avec Yuka.
- Oh…
- Mais je dois t'avouer, Alika, tu étais très intense en tant que gardienne. Dans le sens qu'il ne fallait pas faire chier tes protégés du moment, sinon, tu en faisais voir de toutes les couleurs. Tu ne peux pas être la gardienne de n'importe qui. Tu as des restrictions.
- Oh c'est nul ! »
Jiguro sourit.
« Aller petite fleur. Il faut te rendormir, tu seras fatiguée demain, sinon. Ai-je répondu à tes questions du moment ?
- Oui. J'ai compris pourquoi j'ai eu le droit de voir votre vision à toi et Tante Yuka. Parce que je suis liée à vous deux, indirectement. Bonne nuit, Jiguro.
- Bonne nuit, petite fleur. »
Shozen fut des plus ravis quand il croisa Alika et Lany à la Capitale, en train de se battre en groupe avec les autres lanciers. Tam semblait encore fâché contre elle, comme il était actuellement en train de se battre avec férocité contre elle sans lui donner du répit.
« Ne laisse jamais la colère te gagner quand tu me combats ! rugit Alika. Tu vas finir par faire une faute qui te sera fatale !
- Ferme-là, Alika ! Tu ne me donneras pas des conseils moraux sur le comment je dois me battre ! »
Il fit un grand cercle de sa lance et chercha le côté le plus faible de son adversaire, sois, le gauche. Mais Alika para facilement et finit presque par danser autour de lui jusqu'à ce qu'il s'épuise et commette une erreur. Elle lui donna un puissant coup de pied en cercle qui atterrit droit sur la jointure de ses genoux, lui faisant perdre l'équilibre instantanément. Il finit par se retrouver la lame sous la gorge.
« Que tu écoutes mes conseils ou non, je n'en ai rien à faire, lâcha Alika. Mais que ce soit clair entre nous, je suis fatiguée de ce conflit entre toi et moi. Donc, j'ai jeté l'éponge et si tu ne veux pas me pardonner, tu es le pire et le seul responsable de cette situation. »
Tam repoussa sa lance et resta un moment assit sur le sol. Shozen l'ignora, bien entendu, et alla proche de sa petite-amie.
« Je suppose que c'est à moi de faire une danse avec toi ? murmura-t-il.
- Là, tu parles mon langage.
- Vraiment ? »
Pour toutes réponses, Alika sourit de toutes ses dents et se positionna. Ils firent le salut des lanciers et se positionnèrent. Ils s'élancèrent à une vitesse vertigineuse, parant et attaquant. Le temps sembla figé et seuls leurs corps réagissaient d'instinct, bloquant les pensées pendant quelques secondes.
Dans un grand souffle, ils respirèrent bruyamment et arrêtèrent de tournoyer. Shozen s'inclina et Alika l'imita. Des applaudissements les sortir de leur transe.
« Mais allez-vous arrêter de faire la Danse des Lances à la fin ?! s'exclama un guerrier du cercle du roi. »
Shozen le regarda comme s'il venait de dire quelque chose d'absurde.
« Jamais, déclara-t-il. »
Ce fut sa seule réplique. Lany se dépêcha de se lever pour aller aux côtés de son mentor, fière. Koda, Lany, Shozen et Alika finirent la journée en beauté en allant manger dans un restaurant à la Capitale. Alika fut surprise de voir que Lany la poussait à avoir un rencard, seule avec son amoureux. La petite préféra suivre Koda dans une partie de jeux de société avec les autres lanciers. Le mokko était un jeu de pari et Lany adorait miser sur les joueurs qui perdraient ou gagneraient.
« Tu as d'autres endroits à me faire visiter ? demanda Alika à Shozen, une fois seuls.
- Ce n'est pas un endroit comme une forêt, une clairière ou une chute d'eau, admit-il.
- Ah bon ?
- Je veux me promener dans la partie orientale de la ville.
- Qu'est-ce qu'il y a là-bas ?
- Tu le découvriras. »
Il prit sa main et l'emmena dans la rue qui était illuminée par les flambeaux. Ils zigzaguèrent de rue en rue, contournant les maisons ou passant simplement devant les bâtisses.
« Ce sont des manoirs ? devina Alika.
- Exactement. Et certains sont en vente depuis nombres d'années.
- … Tu veux regarder notre future maison alors que nous ne sommes même pas encore fiancés ?! »
Shozen fit un sourire vainqueur.
« Bingo ! lança-t-il. Mais c'est plus pour le style que je veux les regarder. Je n'aime pas me sentir coincé, et même si ça a l'air de rien, j'ai pas mal de trucs qui attendent d'avoir la place nécessaire pour être placés.
- Donc, un manoir avec beaucoup de pièces ?
- Oui. Et de préférences avec deux étages.
- C'est vrai que ça peut dépanner… c'est comme chez mes parents. Les enfants dorment au rez-de-chaussée et les parents au second étage, même si c'était ma chambre avant quand j'étais plus jeune… tu veux des enfants plus tard ?
- Oui.
- Une préférence de genre ?
- Non. Une fille ou un garçon, ou des, tant que le petit vit et est en santé, c'est ce qui m'importe le plus.
- Combien ?
- J'ai toujours aimé le chiffre trois.
- Tu me vois soulagée ! soupira sa petite-amie. Je pensais que tu me dirais que tu en voulais une vingtaine… »
Shozen fit une grimace.
« Avec la mortalité infantile ici, ça risque d'être très dur. Déjà, c'est un miracle quand une femme a quatre enfants vivants qui survivent à la petite enfance. »
Ils continuèrent de regarder les maisons et un manoir attira l'attention d'Alika. Il y avait des murs très hauts et une haute porte voûtée. Les murs étaient envahis de vignes et de feuilles. Il y avait des arbres morts et flétris de l'autre côté. Le manoir et son jardin n'étaient clairement plus entretenus. Elle leva les yeux vers les fines branches des arbres au-dessus de sa tête.
« Alika ? l'appela-t-il. »
Sans répondre à son petit-ami, Alika poussa la porte d'entrée en bois décomposée et s'approcha du manoir. Il faisait déjà très sombre.
« Nous pourrions revenir demain, suggéra Shozen.
- Non. Je veux jeter un œil, quelque chose m'attire ici, mais je ne saurai dire quoi exactement. Tu peux aller chercher une ou deux torches ? »
Voyant qu'elle avait sorti son air têtue, Shozen n'eut d'autre choix que de lui obéir. Il soupira et fit demi-tour pour trouver des torches libres. En revenant au manoir, il vit Alika tirer sur les vignes pour en dégager le mur.
« Connais-tu l'historique de cette maison ? questionna-t-elle alors qu'elle tirait sur une vigne.
- Euh, non.
- Moi non plus. Je suis curieuse de jeter un œil à l'intérieur. »
Essayant de cacher sa nervosité en voyant la porte d'entrée défoncée, Shozen ravala sa salive et suivit Alika à l'intérieur. Elle poussa légèrement la porte et celle-ci lâcha dans un gros fracas avec de la poussière.
« Ish ! s'exclama-t-elle. La porte est définitivement morte… hé, je viens de faire une rime ! »
Elle promena la torche partout. La maison était sans dessus-dessous, comme si elle avait été cambriolée et abandonnée par la suite. Le sol était couvert de terre, de feuille et de débris. Elle s'enfonça plus loin et conclut qu'elle venait d'arriver dans un salon, où les fauteuils et les tapis étaient encore présents. Il y avait une grosse cheminée d'encastré dans le mur et il y avait des bibelots abandonnés et des livres en piteux états sur les étagères.
« Oh… c'est d'une tristesse sans fin, murmura-t-elle.
- Tout a vraiment été abandonné ici, ajouta Shozen, dans la cuisine. Il y a encore des ustensiles dans les tiroirs… et des assiettes dans les bacs. »
Il osa ouvrit la porte de la chambre froide, retenant son souffle contre une future odeur de puanteur, ou pire : la découverte d'un squelette. À sa plus grande surprise, rien. Il n'y eu que des vermines qui prirent la poudre d'escampette.
« Alika, vraiment, je propose de revenir demain… on verra plus de choses.
- Non, je vais au second étage.
- Alika, vraiment… tu ne sais même pas si les planches d'escalier vont tenir ton poids !
- Je ne suis pas si lourde que ça.
- Attends-moi ! »
En trois enjambée, Shozen rattrapa Alika et se mit derrière elle alors qu'elle étudiait la solidité avec sa lance.
« La lance est moins lourde que toi, lui rappela-t-il.
- Hum ! »
Pour toutes réponses, elle s'appuya sur la première, puis la deuxième, et la troisième…
« HIiikk ! s'écria-t-elle alors que Shozen la tenait par le bras.
- Ce n'est pas vrai, Alika, tu t'es encore mise dans le trouble ! Petite téméraire !
- Ma jambe est à demi-coincée ! La planche a cédé…
- Pas de panique. Libère-toi doucement. »
Shozen déposa les torches dans ce qui semblait être un porte-flambeau et souleva sa petite-amie par les aisselles. Alika se plaignit un moment, mais elle finit par se libérer.
« Je crois que notre visite au second étage ira à demain, répéta-t-il.
- … Ouais…
- Je veux inspecter ta jambe et la soigner au plus vite. »
Sans attendre son consentement, il la prit en princesse et descendit le peu de marches qu'ils avaient monté pour sortir à l'extérieur et la déposer proche de leurs lances. Il retourna chercher leurs torches et observa la jambe d'Alika, en bas de son genou. Son pantalon était déchiré et il y avait quelques plaies qui saignaient.
« Il faudrait regarder si tu n'as pas d'échardes de coincer. Tu peux marcher ?
- Oui. J'ai juste la peau éraflée, pas la jambe de cassée. »
La route sembla longue jusqu'à l'appartement de Shozen, mais ils l'atteignirent enfin. Une fois bien au chaud, Alika s'assit sur le divan et souleva son pantalon pour voir les dégâts que sa chute avait causé. Il n'y avait que le derrière de son mollet qui était éraflée et un peu au niveau de son tibia et de son début de genoux.
Elle serra les dents quand Shozen désinfecta sa plaie et retirait méticuleusement les échardes coincées dans sa chair. Ses mains étaient chaudes et elles lui rappelaient celles de Jiguro, et de Balsa.
« Ça va piquer quand tu vas devoir te nettoyer, Miss.
- Je sais…
- Encore chanceuse que nous, apprentis des lanciers du roi, sachons comment bien prendre soin des blessures. »
Il termina de mettre des bandages et du cataplasme avant de se laver les mains. Alika se tassa légèrement pour qu'il prenne place à ses côtés.
« … C'était quand même amusant, avoue-le ! jeta-t-elle en riant.
- J'avoue. Il y avait des esprits ?
- Non. C'était carrément désert. Même si la place était en désordre, on aurait dit qu'un prêtre ou même un magic-weaver a purifié les lieux.
- Pourquoi ce manoir t'a autant attiré ? Il y en a pourtant pleins d'autres en bien meilleure condition.
- Je ne sais pas pourquoi… je me suis sentie attirée par lui. Il y avait… quelque chose de familier. C'était subtile, mais… c'est la vérité.
- Une vie antérieure ?
- Non. C'est une question d'énergie et de confort. Peut-être en saurons-nous plus demain… et on aura aussi Lany !
- Plus on est, et plus on pourra découvrir des choses et être prudents. »
Shozen entoura ses épaules de son bras et s'accota contre elle. Un truc brillant attira l'attention d'Alika et elle tira sa main gauche vers elle. Elle vit un jonc de cuivre reposer sur son doigt d'honneur gauche.
« Depuis quand tu portes des bagues ?
- Oh… c'était la bague de mon grand-père maternel que ma Maman a retrouvé dans ses affaires.
- Elle simple, mais jolie.
- Merci. »
Il ouvrit la main et appuya sa paume contre celle d'Alika. La main de cette dernière était de taille moyenne, ayant retenu des doigts longs et fins de Tanda. Shozen libéra son bras des épaules de sa petite-amie et tira sur le jonc pour le retirer.
« Je crois qu'il ne ferait pas dans aucun de tes doigts, analysa-t-il. Mais, ça peut être toujours intriguant et drôle à voir. »
Alika prit le jonc et le mit dans son pouce. Il était trop grand même pour lui. Elle le tourna dans tous les sens, sentant l'énergie et les souvenirs se dégager de lui.
« C'était une alliance de fiançailles, murmura-t-elle. Dis donc… ton grand-père avait des doigts énormes !
- Je ne sais pas. Cette bague fait aussi dans mon index. Mais légèrement trop grande pour l'alliance. »
Elle lui redonna précieusement. Shozen redressa la tête de sa douce et posa ses lèvres contre les siennes. Il se montra parfois insistant, mais en même temps, ces élans de passion de déplaisaient pas à Alika, en autant qu'il ne commence pas à vouloir la déshabiller et la toucher ailleurs. Après avoir échangé plusieurs coups de langue, Alika brisa leur contact et se leva.
« Bon, il est temps pour moi de retourner chez Koda.
- … Tu es vraiment sûre que tu ne veux pas dormir dans mon appartement ? minauda-t-il avec une petite moue.
- Mes affaires sont chez lui…
- Je sais que tu aimes beaucoup être avec Lany, mais je suis certain qu'elle s'en sortira bien sans ta surveillance. »
Elle ne répondit rien, comme prise au dépourvue. Comme si Shozen avait lu ses pensées, il ajouta :
« Je sais que nous sortons ensemble et que tu n'es pas prête de donner ton corps. Pas avant le mariage et je respecte ça. Mais parfois, j'ai l'impression que tu as peur que je te saute dessus si tu dors dans mon appartement et que je t'agresse dans ton sommeil. J'ai pourtant une chambre d'invitée que tu peux verrouiller la porte. »
Il se leva à son tour et Alika ne put s'empêcher de se tordre le cou pour l'observer.
« Je n'ai jamais osé te le demander avant, parce que je ne voulais pas te presser ni te stresser. Mais si on finit par aller au Nouvel Empire de Yogo voir ta famille, avec Lany, où vais-je dormir si tu n'es pas à l'aise de dormir en ma présence ? À l'extérieur ? rit-il.
- … J'admets que tu marques un point, avoua Alika. Tu dormirais sûrement au rez-de-chaussée avec ma sœur et mes frères. Et moi, bien sûr.
- Je rajoute aussi que j'ai deux sœurs plus jeunes que moi, et que je n'ai jamais cherché à entrer dans leur chambre quand elles dormaient, sauf pour les border dans leur lit si elles s'endormaient hors de leur chambre. Mes parents m'ont très bien élevé et mon père m'a souvent rappelé que les hommes, ça protège et ça respecte les femmes. Lever la main sur elles, les menacer, les agresser, c'est perdre ton honneur en tant qu'homme. Spirituellement, on se fait renier.
- Tes parents sont bons. Je lève mon chapeau à ton père de t'avoir si bien éduqué.
- Et aussi, Lany grandit. Forcément, elle va demander à avoir plus d'intimité aussi…
- … Est-ce que tu doutes de mon amour pour toi ? questionna Alika.
- Non. Je veux juste m'assurer que je ne te rende pas mal à l'aise. Si je te touche comme l'an dernier, pendant le temps des fêtes, est-ce que ça te rendait mal à l'aise ?
- Non, j'ai vraiment aimé ça.
- Et quand nous étions à la bibliothèque et que je t'ai fait asseoir sur mes genoux, est-ce que tu t'es sentie forcée ?
- Pas du tout. C'était amusant. Je… je n'ai pas le réflexe de toucher les personnes. Et j'ai un peu de difficulté à montrer mes émotions depuis le décès d'Amaya. Qu'est-ce que tu attends donc de moi, Shozen ? »
Shozen se rassit, sans doute intimidé par sa propre taille comparée à Alika.
« J'aimerais que tu te confies plus souvent à moi… et… j'aimerais vraiment ça passer plus de temps avec toi, seul à seule. Que ce soit sur le territoire Yonsa, ou à la Capitale. Je te promets que si tu dors chez moi, tu ne subiras pas de toucher non-voulu sur les parties de ton corps. Si tu n'es pas tactile, je ne t'en voudrais pas de ne pas avoir le réflexe de me coller. Mais je voulais être certain que mon comportement ne t'affecte pas.
- Non, mais je sens que mon comportement t'affecte… et je ne veux pas que tu te sentes mal non plus. Je te remercie, sincèrement, pour m'avoir partagé ça ce soir. Tu es assez ouvert avec moi pour te confier. Je ne me rendais pas compte que mon indépendance pouvait à ce point te perturber… je refais inconsciemment le même chemin émotionnel que ma mère.
- Que ta mère ? s'étonna Shozen. »
Alika soupira et se rassit sur le divan.
« Ma mère a toujours été une guerrière forte et indépendante. Tandis qu'elle partait faire son travail de garde, que ce soit avec son mentor ou seule, elle a toujours laissé mon père seul en arrière-plan à la maison avec pour seule compagnie lui-même et les esprits… elle m'a souvent emmené avec elle, d'où ma facilité pour voyager léger et rapidement. Maman a aussi de la difficulté à exprimer ses besoins ou de se reposer sur les autres. Mais je ne pensais pas que plus je vieillirais, plus je l'imiterais…
- Tu as donc plus retenu du comportement indépendant de ta mère, que de ton père ?
- Oui. Et même ses traits physiques. Et… de base, je n'étais pas sensée naître. Je suis un petit accident, une erreur de jeunesse de la part de mes parents. Ma mère m'a gardée, car mon père l'a fait changer d'idée et qu'ils ont trouvé un compromis.
- Je ne savais pas… et pourtant, tu as une bonne relation avec ta famille, selon tes dires.
- Oui. Voire… je pense être la préférée de ma mère. Même si elle dit qu'elle nous aime tous de la même façon. »
Il y eut un petit silence.
« Je vais essayer d'être plus tactile avec toi, annonça-t-elle. Et si tu me dis qu'il n'y a pas de risques que je dorme chez toi, alors… je peux bien dormir chez toi et laisser Lany grandir un peu.
- C'est vrai ?
- Si ça ne l'était pas, je ne te l'aurais pas suggéré. J'ai mis mes limites et je sais que tu les respecteras. Cependant, je ne sais pas si je serais en mesure de tenir le jugement des autres s'ils viennent à croire que l'on couche ensemble, toi et moi.
- Et je leur dirai : "pas avant mon mariage".
- Et s'ils ne te croient pas ?
- C'est leur problème. Tu dors bien chez Koda, et personne n'a jamais rien dit, pas vrai ?
- Parce que je ne sors pas avec lui, et que je suis habituellement accompagnée de Lany. Je me vois mal coucher avec un frère et une sœur en même temps… d'ailleurs, ils n'ont jamais rien dit sur Lany et moi.
- Parce que Lany est encore une enfant. Bon, une jeune femme, mais… physiquement, c'est évident que vous n'êtes pas ensemble. Tu as le comportement et l'attitude d'un mentor, bien plus qu'un adulte attiré par un enfant, ce qui n'est pas pareil. Tu ressembles à une maman. Ou à une grande sœur; ce que tu es, naturellement.
- En effet… Je vais chercher mes choses et je reviens.
- Je t'attends, bella. »
Alika sortit des appartements de Shozen et se dirigea vers ceux de Koda. La porte était déverrouillée, mais par politesse, elle cogna. Lany alla lui ouvrir, un paquet de cartes entre doigts.
« Alika-Sensei ! Tu es revenue de ta soirée ?
- Oui… hum, Lany ?
- Oui ?
- On peut aller discuter toi et moi, dans la chambre d'invités ? »
Ressentant que son mentor était sérieuse, Lany déposa son paquet de cartes et demanda une pause à Koda et ses autres amis.
« Est-ce que ça s'est bien passé, au moins ? demanda Lany, une fois la porte fermée.
- Oui. On a plutôt été voir les manoirs qui étaient libres et les maisons.
- Drôle de passe-temps…
- C'est pour après notre mariage.
- Ah, je comprends mieux.
- On ira en voir une demain…
- Qu'est-ce qui s'est passé avec ta jambe ? Ton pantalon est déchiré.
- … Ça a rapport avec le manoir qu'on ira voir demain. J'ai juste fait ma téméraire et… et puis voilà. »
Lany ricana.
« En fait, continua Alika, ce que je désire te faire part c'est que… Shozen et moi avons eu une conversation très profonde et il a fini par se confier qu'il aimerait être plus proche de moi. Je veux dire : physiquement. »
Elle lui raconta grossomodo la conversation qu'ils s'étaient échangés avant d'en arriver à la demande de Shozen qu'elle dorme dans ses appartements, et qu'il n'y avait aucun risque.
« Je vois, comprit la plus jeune. Il commence à s'impatienter d'une façon, mais pas sexuellement. Et il pense aussi à moi, c'est comique. J'ai jamais pensé avoir besoin d'intimité quand je dormais avec toi. Je suis simplement bien avec ta présence. Mais je me sentirai pas fâchée que tu dormes chez ton amoureux et t'en voudrai pas.
- C'est vrai ?
- Quand t'es pas là, c'est Yugao qui dort avec moi. Je suis jamais seule. »
Lany sourit.
« Par contre, si Shozen te manque un quelconque respect, dépasse tes limites et se montre trop insistant, tu me le dis et je débarque ! la prévint-elle.
- Mais bien sûr ! rit Alika en ébouriffant sa petite tête. Et Jiguro va aussi veiller au grain. »
C'était mignon à voir, car Lany, bien que petite et frêle, avait un instinct très protecteur envers son mentor et était prête à la défendre coûte que coûte. Sa taille n'avait rien à voir avec sa volonté et défendre quoique ce soit. Alika ramassa son petit sac et sortit avec Lany hors de la chambre. Koda remarqua qu'elle avait plié bagage.
« Tu pars sans ta disciple ? questionna-t-il.
- Disons que… je change de logement temporairement. »
Un « ouuuhhh » remplit de sous-entendus se fit entendre parmi la gang d'amis de Koda. Lany donna un câlin à son mentor et la laissa filer, retournant ainsi à sa partie. Comme elle était jeune, ils n'osèrent pas lui demander si Alika et Shozen avaient déjà passé à l'acte et s'ils voulaient en profiter cette soirée-là.
Alika retourna chez Shozen avec son sac.
« Hey, je suis là. »
Il la guida vers sa chambre d'invitée. Tout était en ordre et les draps sentaient le savon. Le lit était double.
« Un ou deux oreillers ? demanda-t-il.
- Deux, s'il te plait. »
Il sortit de la penderie un second oreiller et le lança sur le matelas. Ils passèrent ensuite la soirée à se raconter des anecdotes et Alika fit un effort pour le coller sans se sentir gênée de le faire.
C'est quand même mon futur mari… aussi bien m'y mettre et améliorer les lacunes, pensa-t-elle.
« Hum, Shozen ?
- Oui ?
- Est-ce qu'on t'a souvent dit ceci, aujourd'hui ?
- De quoi ? »
Elle figea un petit moment, mais elle ne pouvait plus faire marche arrière.
« … Je t'aime. Vraiment.
- Awnnn, s'émut-il en l'embrassant sans gêne. Moi aussi, je t'aime, beauté.
- Je ne le dis pas souvent, et j'en ai un peu perdu l'habitude… mais je te le dis, car je suis sincère.
- Et je te crois. »
Il lui caressa la tête, gratouillant ses cheveux qui étaient soyeux et doux. Ils se souhaitèrent bonne nuit avant de se séparer. En dehors du feu de la cheminée qui se mourait lentement, l'appartement s'assombrit, entraînant dans sa noirceur le jeune couple somnolent.
Alika se fit réveiller par un chatouillement dans les cheveux. Elle ouvrit les yeux subitement et rencontra le regard chocolaté d'Amaya.
« Bon matin~~ chantonna-t-elle.
- Euh… bon matin, Amaya, bâilla Alika.
- Je suis fière de toi.
- Pour quelles raisons ?
- Bah, toi et Shozen avez discuté et avez fait part de vos attentes. Tu as déjà commencé à faire des efforts pour votre couple et je sens que ça, c'est la clé du succès. Jiguro a quand même veillé au grain, mais il parlait surtout avec Taguru, son meilleur ami. Ils ont eu de grandes discussions nocturnes. »
La guerrière s'étira dans le lit. Au dehors, il faisait encore sombre, mais elle se doutait que les petites heures du matin devaient être arriver comme son corps s'était réveillé de lui-même. Peut-être que Shozen s'entraînait ? L'appartement était silencieux. Habituellement, Alika sentait une odeur de thé – quand elle était chez ses parents – avec du gruau de riz, ou c'était des arômes sucrés chez Yuka. Elle mit un pied sur le sol froid.
« Comment tu as trouvé le lit d'invité de Shozen ? questionna Amaya, débordante d'énergie.
- Confortable. Moelleux. On était bien.
- Je confirme !
- Tu m'as l'air bien heureuse et souriante… un certain lancier t'aurait-il fait plaisir cette nuit aussi ? »
Amaya se contenta de sourire de toutes ses dents et sautilla. Alika dodelina la tête et s'habilla de son kimono avant de sortir silencieusement de la chambre, espérant que la porte ne grincerait pas trop. Les deux lances traînaient encore proche de l'entrée, ce qui signifiait que Shozen était encore dans les parages… Un ronflement se fit entendre via sa chambre. Il ronflait moyennement fort.
« Va le surprendre dans son lit, suggéra sa défunte petite-amie, en mode coquette.
- Tu es malade ?! Et si jamais il dormait nu ?! paniqua Alika, par télépathie.
- Au moins tu pourras te préparer pour votre future nuit de noce, soit, dans quatre ou cinq ans. Mais il fait tellement froid que je pense que même s'il était nu, il se couvrirait sous les couvertures. Aller, va dans sa chambre.
- Et s'il a… tu sais, le matin, les hommes… euh…
- Fais juste y aller et arrête de trop penser, merde ! Tu me tapes sur les nerfs quand tu agis comme ça ! »
Alika se fit pousser, littéralement, dans le dos, par Amaya et fut poussée de force jusqu'à la porte d'entrée de la chambre de Shozen. Jiguro offrit un coup de main à son amante en prenant partiellement possession de la main droite de sa protégée pour tourner la poignée de porte.
« … Je vous déteste, tous les deux ! répliqua-t-elle. »
Jiguro et Amaya lui tirèrent la langue en parfaite synchronisation et filèrent à la cuisine. Alika avança à pas feutrés vers le lit de Shozen, regardant à quel point sa chambre était bien rangée.
Il est plus rangé que moi-même, se compara-t-elle.
Elle le regarda dormir. Il était sous les couvertures et ses cheveux blonds formaient un tas indistinct sur son oreiller, cachant totalement son visage. Elle embarqua sur le lit et posa sa main sur son épaule. Elle ne savait pas s'il se réveillerait à la moindre secousse. L'envie de glisser ses mains dans ses bouclettes naturelles la prit. Avec sa main libre, elle osa la déposer sur sa tête et lui caressa.
« Shozen, l'appela-t-elle d'une voix basse. »
Il continua de ronfler et ne réagit pas. Elle le secoua un peu plus fort. Il grogna.
« Aller réveille-toi grosse marmotte ! C'est le matin ! »
Shozen continua d'être encore endormi. Alika se sentit donc obligée de lui libérer le visage des mèches et elle posa un baiser sur sa joue. Elle lui en donna un second, puis un troisième, jusqu'à ce qu'il réagisse. C'est alors qu'il l'attrapa par surprise et l'embrassa sur les lèvres. Il renversa la tendance et il se retrouva par-dessus elle, l'attaquant avec une crise de bisous. Alika se mit à rire et se débattit furieusement.
« Sho-Shozen arrête… ça, ça chatouille !
- J'ignorais que tu étais chatouilleuse, Alika-Chan.
- Je l'ai toujours été ! »
Il se libéra et l'observa dans les yeux.
« Bon matin, déclara-t-il.
- Bon matin…
- … Tu m'as franchement surpris.
- C'est ça que ça fait des confessions de soirée.
- … Et j'ai adoré. Jamais avant on ne m'avait réveillé de cette façon… enfin, pas quand on est dans deux chambres séparées. »
Il se retourna et attrapa un kimono de fourrure pour se couvrir le haut du corps, le reste étant encore emprisonné dans les couvertures.
« Tiens, tu es déjà habillée, nota-t-il.
- Oui. Je n'aime pas rester en pyjama pendant la journée; j'ai trop de choses à faire.
- Je comprends. Mon lit t'a-t-il plu ? Celui dans la chambre d'invité je veux dire.
- Oui. Il est aussi confortable que le miens chez Tante Yuka.
- Tant mieux. »
Il bâilla et se frotta les yeux.
« Tu veux un petit-déjeuner maison ou on mange à la Capitale ? proposa-t-il.
- On pourrait manger à la Capitale. Pour le moment, je me sens incapable de déjeuner…
- Alors ne te force pas.
- Tu t'entraines le matin ?
- Oui, parfois.
- Pas toujours ?
- Non. Toi, oui ? »
Alika hocha vivement la tête.
« Ma mère m'a refilée cette habitude. C'est sûrement parce qu'elle a été entraînée à devoir survivre et être en forme pour une éventuelle attaque, plutôt que vivre. Mais après que les Talsh m'aient agressé avec Amaya, j'ai arrêté de m'entraîner pendant un long moment. Je n'avais pas d'énergie à le faire. J'ai repris depuis deux ans seulement.
- Le physique ne suivra pas si le mental n'est pas là. »
Après avoir discuté une bonne quinzaine de minutes dans le lit, Shozen se leva et fila aux latrines. Alika lui laissa son intimité pour qu'il puisse s'habiller. Il vérifia aussi si sa jambe se portait mieux et qu'il n'y avait aucune infection en cours. Ils sortirent de l'appartement avec leurs lances et se dirigèrent chez Koda.
« Quand toi et Lany n'êtes pas là, je vais voir Koda au petit matin, la renseigna-t-il.
- Il laisse sa porte déverrouillée ? »
Shozen fouilla dans sa poche et en ressortit une petite clé.
« J'ai son doublon.
- Oh !
- Koda me fait confiance, et il lui est déjà arrivé de s'enfermer hors de son appartement et oublier ses clés à l'intérieur. Donc, on a dû s'infiltrer via sa fenêtre comme des voleurs étant donné qu'il ne voulait pas que l'on défonce sa porte… c'était drôle. »
Il vérifia tout de même si la porte était déverrouillée.
« Il a tellement peur qu'on le cambriole, rigola-t-il en tournant la clé dans la serrure. Et nous voilà chez Koda et Lany ! »
Une silhouette était assise à la table et fit le saut.
« Hiikkk !
- Bon matin, petite disciple, salua Alika.
- Bon matin ! La nuit a été bien ? s'informa-t-elle, heureuse en tenant sa tasse de lait.
- Oui. Et toi ?
- Koda est en train de s'habiller.
- Vous avez prévu de quoi aujourd'hui ? demanda Shozen en prenant place à la table.
- Pas vraiment. À part aller à la salle d'entraînement aujourd'hui, je prends ça zen.
- Bon à savoir, car on va avoir besoin de mains pour nous donner de l'aide.
- Le manoir que vous avez trouvé hier soir ?
- Hein ? Comment tu le sais ?
- Alika me l'a dit quand j'ai vu son pantalon déchiré.
- Vous vous dites vraiment tout, hein ?
- Oui. Et tu ferais mieux de prendre soin de mon mentor, parce que sinon, je viens te chercher par la peau des fesses ! Je suis peut-être petite, mais j'ai l'habitude de me battre avec des hommes plus forts et plus costauds que moi.
- C'est sûr que Koda est un format difficile à battre. »
En parlant du loup, Koda sortit de sa pièce, disposé et frais.
« De quoi ? J'ai entendu mon nom !
- On parlait dans ton dos, se moqua Alika. »
Après avoir fait part de leurs plans de la journée, la petite bande se dirigea vers le manoir que le couple avait trouvé la veille. Shozen avait eu raison d'attendre le lever du jour, car tout était bien plus clair. Lany retira la poussière et saleté de la table. Il y avait des motifs de fleurs gravés sur la majorité des meubles.
« … Il y a des initiales ici…, annonça-t-elle. K et L… Oh ! comme Koda et moi !
- Drôle de coïncidence, s'amusa son grand frère. »
Shozen poussa un cri de terreur, alarmant tous les guerriers-ci présents.
« Qu'est-ce qui se passe ?! paniqua Alika.
- A-araignée ! Je déteste les araignées ! »
Il sauta limite sur Koda, suppliant un des trois de la retirer du mur. Lany soupira et prit une branche pour l'enlever.
« … Qui l'eut cru ? Un grand baraqué qui a peur d'une toute petite araignée, plaisanta-t-elle. Elle était quand même chez elle. Tiens. Lany t'a sauvé la vie.
- … Merci !
- Les petites bêtes ne mangent pas les grosses, cita Alika.
- Non, mais en quantité industrielle, oui !
- À chacun ses phobies, annonça la plus jeune. Moi, j'ai une peur monstre des poupées et des profondeurs d'étendus d'eau.
- Moi, ce sont les orages, ajouta Alika.
- Et Koda ? questionna Shozen. »
Tous se tournèrent vers lui.
« Euh… je n'ai jamais vraiment eu de peur spécifique, avoua-t-il. Dès que je l'aurai identifié, je vous en ferai part.
- Peut-être que tu n'en as pas, non plus, émit comme hypothèse Alika.
- On peut aller voir le second étage ? s'impatienta la petite sœur de Koda.
- Bonne chance, parce qu'Alika a essayé hier soir et une des planches a cédé… d'où le fait qu'elle a déchiré son pantalon, indiqua Shozen.
- Je suis la plus petite d'entre vous.
- Ça ne veut rien dire. »
Lany le regarda avec un air de défi collé au visage. Il y avait neuf planches d'escaliers, dont la quatrième qui avait été défoncé par le pied d'Alika. La plus jeune remarqua que les côtés étaient vissés sur des poutres de métal; c'était sûrement l'endroit le plus solide des planches.
« Fais attention, murmura Alika. Je me suis blessée pour éviter d'autres accidents de ce genre.
- Si on y va un à un, la pression devrait ne pas être trop forte. »
Elle arriva au second étage avec succès. Alika l'imita en se tenant fermement contre le mur, vite suivit de Shozen puis Koda. L'endroit donnait sur un grand espace rectangulaire, et non pas allongé comme un couloir. Il y avait six pièces ! L'étage était aussi bordélique que le rez-de-chaussée. Ils se séparèrent pour découvrir les pièces.
La pièce dans laquelle Alika était entrée devait être une chambre à coucher. Un lit avec une base de bois sculpté reposait proche du mur dans un des coins, perpendiculaire à la fenêtre. Il y avait un grand bureau face à une grande fenêtre dont les rideaux verts étaient maintenant effilochés, et mangé par les mites. Sur le dessus, une très vieille lampe à l'huile y reposait. Il y avait aussi une plus petite vitre en forme ovale au-dessus du lit. À côté du bureau se trouvait une commode verticale comportant cinq tiroirs et à la droite complètement sur l'autre mur se tenait un autre meuble avec des étagères. Sur le sol, un tapis composé de carré avec des motifs floraux ornait le plancher de bois.
Un vrai manoir de riche…, pensa-t-elle.
Alika fut plus que curieuse et commença à ouvrir les tiroirs du bureau, dans l'espoir d'y trouver des choses ou informations sur les anciens propriétaires des lieux. Il y avait des feuilles fait en canevas jaunies, mais l'écriture et les dessins ressemblaient à ceux des enfants. Elle ouvrit un autre tiroir dans lesquels il y avait de simples cailloux ramasser ici et là, typique des enfants encore une fois. Dans un autre, elle y découvrit de petits livres qu'elle retira délicatement et déposa dans son sac pour mieux les observer plus tard. Un tiroir était vide, et le dernier au fond comportait enfin ce qu'Alika convoitait tant : une identité des propriétaires. Ça ressemblait plus à un certificat de naissance.
Lorsque ses yeux arrivèrent à lire le nom inscrit, son cœur se serra et elle fut prise de panique.
« Respire Alika, tout va bien, l'apaisa Amaya.
- Je n'y crois pas…, murmura Alika. Il faut que j'appelle les autres… »
Elle sortit de sa transe et appela ses trois compagnons d'armes. Ils arrivèrent un après l'autre.
« Qu'est-ce qu'il y a Alika ?! Tu es toute blanche ! s'effraya Lany.
- J'ai eu une légère crise de panique… mais ça va se calmer.
- As-tu trouvé quelque chose ? questionna Koda.
- Oui… »
Elle passa le certificat de naissance à Shozen.
« Lis-le à haute voix, ordonna-t-elle.
- Qu'est-ce que tu veux que je lise ?
- Les informations, pardi ! s'impatienta Lany.
- Certificat de naissance. Parents : Karuna Yonsa et Laika Yonsa… Bienvenu au monde, Balsa Yonsa. »
Lany regarda Alika avec de grands yeux.
« Ce manoir qui t'a guidé qu'à lui… serait-ce la maison d'enfance de ta mère et où elle a vu le jour ?!
- Je crois bien que oui…, admit Alika, un peu sous le choc. Et c'était probablement la chambre à coucher de ma mère. Il faut que je m'assoie un moment… je suis étourdie. »
Koda l'aida à prendre place sur le plancher, à l'endroit le plus propre. Ils l'imitèrent tous, également sous le choc.
