Tamashi no Moribito

Gardien des Âmes


Chapitre 23

Reprendre son pouvoir personnel

Une fois le choc passé, Alika fut capable de reprendre le contrôle de son corps. Lany lui donna même une petite douceur qui aider son taux de sucre.

« Est-ce qu'en tant que médium, tu serais capable de visualiser l'histoire de ce manoir ? demanda Shozen.

- Oh… c'est quelque chose qui ne se fait pas sur demande, soupira-t-elle.

- J'aurais cru que oui.

- Mais si les parents de Balsa sont Karuna et Laika… est-ce qu'ils sont toujours en vie ?

- Non. Tout ce que je sais, c'est que Laika, la mère de ma Maman, est décédée d'une maladie quand Maman était très jeune. Karuna, quant à lui, a été assassiné l'année suivante. D'après les dires de Tante Yuka, ils ont retrouvé son corps au rez-de-chaussée et la maison, le manoir, était en pagaille…

- Comme en ce moment donc, comprit Koda.

- Mais s'il a été assassiné, son âme est-elle encore ici en train de rôder ? frissonna Shozen. »

Alika hocha la tête négativement et elle soupira encore une fois. Elle n'avait pas envie d'étaler les informations qu'elle tenait secrète pour elle-même, mais ses amis avaient le droit de savoir l'historique de ce manoir qui l'avait appelé. Pour une raison quelconque, Alika se voyait vivre dans cette place, lui redonner de l'amour et fonder une famille après son mariage à cet endroit. Ce n'était sûrement pas un hasard.

« … Grâce à mon don de médiumnité, je suis en mesure de pouvoir vous parler de l'histoire de cette place, y comprit ceux qui y ont habité.

- Je ne pensais pas que tu étais médium, avoua Koda.

- Tu es donc le seul qui n'a jamais su que mon mentor était aussi dans les énergies, se moqua gentiment sa petite sœur.

- Je ne côtoie pas Alika chaque jour comparé à toi, petite orchidée. Mais oui, je suis intéressé à en savoir plus.

- Moi aussi, se dépêcha de dire Shozen. Dis-nous, Alika. »

La jeune médium regarda partout et commença.

« Promettez-moi que tout ce qui est dit, res—

- Reste ici, déclarèrent-ils à l'unisson, la faisant rire.

- Bon. Maman m'a raconté son histoire. Tante Yuka m'a donné de nouvelles pièces du casse-tête… et mon gardien spirituel, Jiguro, a fait la même chose.

- Jiguro Musa ? questionna Koda.

- C'est vrai, alluma Alika. Tu es le seul qui ne sait pas que nous avons tous des gardiens spirituels qui veillent sur nous. Jiguro Musa est devenu mon gardien spirituel après sa mort, mais c'est aussi le père adoptif de ma mère, Balsa.

- Ah… je vois. Continue.

- Karuna était le médecin du roi Naguru, juste avant le règne de terreur de Rogsam. Il a été entraîné dans une situation dangereuse quand ma mère n'avait que six ans. Rogsam l'a isolé de toute part et lui a ordonné d'empoisonner le roi pour monter sur le trône. S'il refusait, il assassinerait ma mère. Ayant déjà perdu sa femme l'année précédente, Laika, ma grand-mère, mon grand-père maternel a été mis dans une impasse.

- Il l'a donc empoisonné ? devina Shozen.

- Oui. Juste avant, il a demandé à Jiguro de prendre ma mère, et de fuir Kanbal à tout jamais. Jiguro a accepté. Dix jours plus tard, Karuna a été retrouvé assassiné dans sa maison, ici. Tante Yuka logeait dans une auberge car elle sentait que son frère était nerveux et sur les nerfs. Elle s'inquiétait pour sa santé… le manoir, comme vous voyez, était sans dessus-dessous. Plus personne n'a habité les lieux depuis. Tous avaient peur d'une malédiction quelconque.

- Je ne sens rien de maléfique ici, rectifia Lany.

- Moi non plus. »

Shozen et Koda s'observèrent.

« Et en ce moment, l'âme de ton grand-père est où ? demanda Shozen. Est-ce qu'il est réincarné, ou il veille une personne vivante ?

- Il n'est pas réincarné. Pas encore. Il rôde autour de Tante Yuka, mais… je suppose que je peux l'appel— »

Alika figea. Karuna apparut dans sa vision en tenant sa femme par la main, Laika. Elle avait les cheveux entièrement détachés et portait les mêmes types de vêtements Kanbalese; un chandail blanc avec un col maho rouge, doté d'une encolure en goutte, ainsi qu'un hakama rouge carmin. Elle portait une fleur qui faisait office de barrette dans sa frange. Laika était un portrait craché de Balsa. Non. Rectification : Balsa était un portait craché de sa mère. Comme quoi, les chiens ne faisaient pas des chats.

« Alika ? s'inquiéta Lany en lui secouant l'épaule.

- Hein ?

- Tout va bien ?

- … Les propriétaires viennent d'arriver dans la pièce, sous forme spirituelle. Karuna et Laika Yonsa. Ce sont leurs initiales que tu as vu sur la table en bas, gravées dans le bois.

- Oh, dit Lany, visiblement déçue, je croyais que c'était un signe de mon lien très fort avec Koda.

- Tu le peux, très chère, résonna la voix de Laika dans ses oreilles.

- Oh mon dieu ! Ta grand-mère m'a parlé ! Je l'ai entendue !

- Qu'a-t-elle dit ? voulut savoir Shozen.

- Que les initiales pouvaient aussi s'appliquer à Koda et moi ! »

Lany fit un effort considérable en fixant l'endroit où les esprits étaient censés être et parvint qu'à voir les contours des silhouettes de Karuna et Laika. Son excitation était palpable. Karuna regarda partout, avec nostalgie.

« C'était une belle place, dit-il alors qu'Alika s'occupait de transmettre tout ce qu'il disait au fur et à mesure. Dommage que personne ne s'en soit occupé, quarante ans plus tard…

- Si la place n'est pas hantée et qu'il n'y a pas de portail d'ouvert, commença Lany, on pourrait la remettre à neuf ! Si Alika veut vraiment ce manoir en héritage après son mariage, alors une grande partie sera déjà complétée !

- Mais ça va prendre des années ! se désespéra Shozen. Sans oublier le coût des matériaux, remplacer et remettre à neuf les meubles… en plus, il y a énormément de pièces.

- Ce n'est pas toi qui disais que tu voulais une maison avec plusieurs pièces et que quand la Cérémonie des Remises sera passée, tu achèteras un manoir ici ? »

Son petit-ami fit une moue.

« Il y a pourtant d'autres endroits mieux entretenus que ça…

- Non. C'est ici que je veux vivre ! rétorqua Alika.

- Bon, tu as gagné. Je déclare forfait. Je ferai les démarches pour savoir si on pourra avoir ce manoir dans quelques années, soupira-t-il.

- Je t'aime ! s'égaya-t-elle en lui sautant au cou. »

Shozen éclata de rire et l'embrassa sur les lèvres.

Ils se relevèrent et Alika décida de fouiller dans la chambre de sa mère pour y dénicher des trésors et souvenirs. Koda sortit à l'extérieur pour aller chercher une charrette et des sacs. Lorsqu'Alika ouvrit la penderie, elle y trouva les vêtements que portait Balsa lorsqu'enfant. Elle n'était pas couturière, mais elle prit néanmoins le temps de les observer pour voir s'ils pouvaient être réparés et altérés. Si le tissu était trop « mur », il ne lui servait à rien de les garder. Les couturières ne pourraient pas faire grand-chose pour, sauf si elle tenait absolument au vêtement.

Elle trouva alors deux pairs de souliers, rouge-orangé et fuchsia. Elles étaient usées et poussiéreuses, mais elle voyait bien ses futurs enfants les porter. Encore, elle pourrait tout simplement en ramener une paire à sa mère lors des vacances estivales. La charrette que Koda avait emmené se remplit bien rapidement, mais les travaux de rénovation prendraient du temps. Ils avaient encore bien des années devant eux, donc, il n'y avait pas de presse.


Shozen retourna sur le territoire Yonsa pour raccompagner Alika et Lany, avec un cheval de plus pour les choses qu'ils avaient trouvé dans le manoir et voulaient rapporter chez Tante Yuka. Lorsqu'ils prirent une auberge pendant le voyagement, Shozen se retrouva dans la même chambre que les jeunes femmes. Il y avait deux lits. Comme Lany dormait toujours avec son mentor, Shozen les laissa dormir ensemble et il prit le second lit. Même si Alika avait été seule avec lui, il aurait quand même dormi dans un lit séparé.

Lany désira retourner voir ses parents, alors le couple se retrouva seul à nouveau. Yuka invita le jeune homme à partager le repas du soir.

« Tante Yuka, tu ne croiras pas ce que l'on a trouvé à Capitale ! s'exclama sa petite-nièce.

- Qu'est-ce que vous avez trouvé ?

- Est-ce que tu te souviens où était le manoir de ton frère, Karuna ?

- Oui… mais je n'y suis jamais retournée depuis, car ça me faisait trop mal.

- Tu n'as jamais ramené des choses qui lui appartenaient ?

- Quelques-unes quand j'ai découvert sa dépouille, mais pas tout, car je ne pouvais pas transporter tout ça sur ma monture. Pourquoi ces questions ? »

Alika regarda Shozen pour savoir qui lui dirait en premier ce qu'ils avaient découvert. Il lui laissa le libre-arbitre de commencer.

« En fait, Shozen et moi s'amusions à regarder les manoirs et les maisons à vendre dans la Capitale comme petite sortie en amoureux, avoua-t-elle.

- Vous pensiez emménager ensemble ? »

Ce fut au tour du jeune homme de se mettre à rougir.

« Nous n'en avons pas parlé à tout le monde, mais… c'est un de mes désirs d'épouser Alika et la prendre pour femme dans quelques années, confessa-t-il.

- Oh ! se pâma Yuka. Et Alika a accepté ?

- On peut dire ? essaya sa petite-nièce. Shozen a dit qu'il voulait acheter une maison ou un manoir après la prochaine Cérémonie des Remises. Je veux me marier, mais… pas toute de suite. Shozen et moi, on a encore des obligations et des devoirs avant d'en arriver-là. Je commence à peine à forger des liens avec la reine de Kanbal, Naiyana, native de Rota.

- Tu as réussi à te rendre jusqu'à la reine ?

- Oui. La breloque que j'ai reçue de Radalle me donne un accès privilégié pour me rendre dans l'aile royal du palais avec ma disciple. Les choses bougent doucement pour les femmes ici. Et tu avais beaucoup de difficulté à croire que ça serait possible.

- De la difficulté, oui, mais c'était surtout dans le temps. Je ne pensais pas que ce serait aussi rapidement.

- Il faut parfois remuer les choses. »

Alika fit un clin d'œil.

« Quant au manoir, je pense avoir trouvé l'endroit idéal. Et on a trouvé plein de choses à l'intérieur ! Pas vrai, Shozen ?

- Oui. »

Elle se pencha vers le sac qu'il avait apporté et en ressortit une première paire de souliers.

« Je vois mes futurs enfants dans ces souliers… est-ce que le modèle te dit quelque chose, Tante Yuka ? »

Yuka figea. Le modèle avait été très prisé à l'époque de sa jeunesse, et avait été une tendance mode. Mais en général, ces souliers étaient plus dispendieux que la moyenne et il fallait avoir un bon salaire pour les offrir aux enfants. Elle les aurait reconnus parmi des centaines de pairs.

« C'est un modèle dispendieux. Balsa en avait des pareils quand elle était encore ici… il devait y en avoir d'autres à quelque part.

- On a aussi trouvé ce papier dans le manoir abandonné. J'ai cru que tu aimerais bien l'avoir. »

Elle passa délicatement le rouleau de certificat de naissance de Balsa à sa tante qui l'ouvrit. Des larmes apparurent dans ses yeux et se mirent à rouler sur ses joues.

« … Comment est-ce possible ? Comment as-tu pu savoir où habitait mon frère ?

- Je pense qu'il s'agit d'une question d'énergie, émit Shozen. Car Alika a été attirée par cet endroit et a immédiatement voulu en regarder l'intérieur. Il y avait pourtant d'autres manoirs et maisons en meilleur état que celui-là.

- Ces souliers… ce sont ceux de Balsa, dans ce cas ? murmura-t-elle.

- Oui, confirma Alika. J'ai aussi trouvé des livres et vêtements qui pourraient être altérés. Je suis en amour avec le manoir de ton frère, même s'il a été abandonné. Je suis prête à lui redonner de l'amour et j'ai l'aide de Koda, Lany et Shozen. On a déjà commencé à le vider et le dépoussiérer.

- Ça va prendre des lunes ! soupira Shozen, désespéré.

- Mais le mariage ne viendra pas avant quelques années. Il n'a pas été dit que c'était pour hier. »

Il la dévisagea.

« Tu ne connais pas cette expression "tout vouloir pour hier" ? se surprit Alika.

- C'est la première fois que je l'entends.

- Ça signifie tout simplement vouloir quelque chose ou un service rapidement, l'aida Yuka avec un sourire. Est-ce que le manoir était encore sans dessus-dessous ?

- Je crois qu'il est resté comme il était il y a quarante ans… après le décès de mon grand-père.

- Je vois.

- Mais la porte a lâché et je pense que le bois dans la maison est mort, car j'ai défoncé une marche…

- Ça te ressemble, effectivement.

- Heureusement, Shozen a bien pris soin de ma jambe. Elle n'est pas cassée, mais les éraflures sont un peu désagréables par moment. »

Elle leva sa jambe et souleva son pantalon pour montrer les plaies qui avaient déjà commencé à cicatriser. Yuka se renseigna pour savoir si Shozen dormait à la maison de guérison, ou s'il dormait ailleurs comme dans une auberge.

« Nous sommes sûrement encore vieux jeu, admit-il. Mais je dormirai ici, dans une chambre à part. Alika dit toujours "pas avant le mariage", et je respecte ça. C'est devenu notre décision commune.

- Il y a pleins de chambres de disponibles ici, ça ne sera pas un problème. Qu'est-ce qu'il y a d'autres dans le sac que vous avez rapporté ? »

Alika sortit des vêtements, des jouets en bois et des livres. Ils passèrent la soirée à écouter les anecdotes que Yuka avait à raconter concernant son frère et sa nièce. Lorsque vint le moment de se coucher, Shozen surprit Alika, ayant décidé de la border dans son lit. Il plaça les couvertures par-dessus elle et l'embrassa tendrement.

« En général, c'est Maman et Papa qui me faisaient ça quand j'étais plus jeune, s'amusa-t-elle.

- Quand on sera marié, est-ce qu'ils vont devoir se déplacer du Nouvel Empire de Yogo jusqu'ici pour venir te border ? s'enquit-il avec un sourire.

- Non, rit-elle. Ils ont arrêté de le faire quand je suis devenue assez grande et que j'ai fait la demande d'arrêter.

- Alors je peux bien prendre cette responsabilité. Le premier qui ouvre les yeux demain matin va réveiller l'autre… si tu ne verrouilles pas ta porte, bien sûre.

- Ça ira.

- On commencera à raccommoder les vêtements que tu as trouvé après s'être entraînés.

- Je ne sais pas vraiment coudre…

- Moi, si.

- Mais tu es un homme ! s'étonna-t-elle.

- C'est quoi ces remarques sexistes Alika ? fit mine de s'indigner Shozen. Ce n'est pas parce que je suis un homme, que je ne sais pas coudre. Ma mère m'a montrée et je t'apprendrai. »

Il comprit qu'elle se moquait gentiment de lui quand il l'entendit rire silencieusement. Il l'embrassa à nouveau en riant et lui souhaita bonne nuit. Alika attendit un petit moment et regarda Amaya.

« Il y a de l'amélioration, commenta l'esprit. Shozen est vraiment fou amoureux de toi.

- Je sais que tu étais sur tes gardes pendant un moment.

- Je ne veux pas que l'on te fasse du mal. Mais j'ai analysé Shozen-le-jaloux. Il est authentique dans ses gestes et actions. Vraiment, tu es tombée sur un bon homme. Comme Jiguro. »

Shozen resta chez Tante Yuka pendant trois jours avant de retourner à la Capitale. Le chemin du retour était bien plus ennuyeux sans l'énergie débordante d'Alika et de sa disciple.


Depuis un moment, Alika ressentait quelque chose de différent au niveau de son chakra du cœur. Au départ, presqu'imperceptible, mais de plus en plus présent.

Un soir, dans sa chambre chez Tante Yuka, elle alla se coucher avec Amaya qui avait déjà recommencé à se faire du bien. Alika la regarda faire, sachant que ça l'excitait davantage. Elle observait comment elle se touchait la poitrine et entendait ses gémissements et les montées d'excitation quand elle touchait un point sensible qui l'emmenait très proche d'un orgasme.

« Alichoue… regarde-moi… »

La jeune médium la regarda attentivement, notant tout ce qu'elle faisait. Amaya finit par jouir avec ses doigts et se calma après la poussée d'excitation.

« Comment j'étais ?

- … Excitante.

- Super ! C'était aussi super excitant de savoir que tu me regardais. »

C'est alors qu'Alika ne pensait jamais retrouver cette habitude. Elle se redressa soudainement, osa soulever sa robe de nuit blanche et se retrouva avec pour seul sous-vêtement sa culotte et la poitrine dénudée, devant elle. Amaya se redressa, surprise.

« Alichoue' ? se surprit-elle.

- Amaya…, murmura Alika.

- Oui ?

- … dis-moi… comment on se… masturbe déjà ? »

Sa question la rendit elle-même malaisée et elle détourna le regard vers le feu de foyer qui n'était que braise rougeâtre.

« Wow, ne dit qu'Amaya, éberluée. Qu'est-ce qui a fait débloquer cette envie ?

- Je ne sais pas, avoua Alika, gênée de sa pensée.

- Tu ne sais pas ? Ou tu es gênée de l'avouer ? »

Alika prit un oreiller et se cacha la tête à l'intérieur. Shozen lui venait en tête. Amaya rit doucement et s'approcha d'elle, caressant son bras.

« Est-ce que ça a rapport avec Shozen, par hasard ? demanda-t-elle prudemment. »

- Oui…, couina-t-elle.

- … Tu sais ma belle, je crois que tu es enfin prête à te donner de l'amour.

- Comment on se touche, déjà ? répéta-t-elle. J'ai oublié la sensation et la pulsion de devoir le faire.

- Vide ton esprit. Et vas-y à l'intuition.

- Je n'ai pas osé me toucher depuis… j'ai peur…

- Si tu n'essaies pas, tu ne sauras pas. Cette phrase, tu me la répétais très souvent, tu te souviens ? Je suis là… essaie par-dessus tes vêtements pour commencer… »

L'esprit prit sa main et l'emmena proche de son entrejambe. Les cuisses d'Alika se resserrèrent de façon instinctive. Son cœur battait fort dans sa cage thoracique et elle se sentait très nerveuse, comme si elle faisait de quoi d'interdit.

« Calme-toi, n'amour… ça ira bien, je suis là. Ton corps est à toi seulement et il est beau. Tu peux le sentir tiens à nouveau. Tu n'as rien fais de mal. Commence par te frotter. Comme ça. »

Amaya guida sa main et fit des mouvements circulaires sur le bas de son pubis. Alika se replaça, mal à l'aise.

« Détends-toi. Il n'y a rien de mal à apprivoiser de nouveau tes toucher. Ce sont tes mains, ce sont tes doigts.

- Comment tu sais ce qu'il faut faire ? Tu as suivi une thérapie à ce niveau dans le monde spirituel ?

- Oui… je n'ai pas eu le choix… enfin, oui, d'une façon. Ma sexualité est une partie importante de moi et ne plus en avoir le contrôle et avoir eu mon pouvoir volé par cet événement était insoutenable. Je suis loin d'être asexuelle, crois-moi.

- Oh, je te crois sur parole. Tu as toujours aimé le sexe. Sous toutes ses formes.

- C'est pour ça que je sais comment t'aider à ce niveau… et s'il y a des choses dont je suis incapable de pouvoir te donner un coup de main, alors, les thérapies avec Tante Yuka rempliront le tout. Abandonne-toi. »

Amaya invita Alika à se coucher, lui demandant si elle se rappelait comment elle aimait se toucher, jadis et si elle se souvenait de sa position préférée pour jouir le plus vite possible.

« Je n'arrive pas à m'en souvenir, admit-elle, triste.

- Moi, oui. Je me souviens que tu avais une grande facilité à jouir quand tu étais couchée sur ton ventre, ou sur le côté. Tiens… j'ai une idée. »

Elle pointa le second oreiller et demanda à Alika de le plier en deux pour le placer entre ses cuisses comme pour le chevaucher.

« Je vais me placer sous toi et tu te frotteras sur mon corps et te toucheras par-dessus moi. L'oreiller servira de canalisateur physique et aidera à monter un peu ton bassin, car directement sur le matelas, on n'arrivera pas à grands résultats. »

Elle bougea et se faufila sous la femme qu'elle aimait. Elle attira Alika contre elle en la serrant dans ses bras, avant de descendre ses mains vers son bassin. La sensation était étrange, et encore, Alika ne maîtrisait pas le mouvement de ses hanches; elles bougeaient à cause d'Amaya qui initiait le mouvement.

« Lâche-prise… la masturbation c'est pour soi. C'est ton moment à toi, et tu fais ce que tu veux. Ça peut prendre plus de vingt minutes pour atteindre ta jouissance, tout comme ça peut prendre moins d'une minute. »

La première vague de plaisir ressentit par son clitoris fut comme un frisson qui lui donna des fourmillements sur le dessus de sa tête.

« Respire, lui rappela Amaya. Tu as arrêté de respirer.

- Désolée…

- Mais non, ne sois pas désolée. Tu as toujours eu des arrêts de respiration quand on s'amusait antérieurement. Je vais te laisser jouir avant moi, d'accord ? »

Alika hocha la tête et continua ses mouvements de bassin. Lorsqu'elle fut sur le point de jouir, elle s'arrêta, envahit par les flash-backs et la culpabilité d'une jouissance qui n'aurait pas dû avoir lieu pendant son agression. Elle se retira rapidement d'Amaya et roula sur le matelas.

« Non. Je ne peux pas le faire, annonça-t-elle en petite boule. L'orgasme me rappelle sans arrêt ce souvenir…

- Ton mental crois donc que jouir est mal, essaya d'élucider Amaya, se collant contre elle. »

Alika se mit à pleurer, ne comprenant pas elle-même pourquoi son mental n'adhérait pas à son physique et ses gestes.

« Hey, Alichoue…, essaya de la consoler Amaya. Même si tu n'as pas joui, tu as quand même réussi à te masturber un peu contre moi… c'est une petite victoire. Ça veut dire que tu n'as pas perdu entièrement cette capacité à te faire du bien. À te faire l'amour à toi-même. »

Elle essuya les larmes sur les joues de son âme sœur antérieure.

« Moi, ça m'a excité. »

Une fois rhabillée, Alika finit par s'endormir dans les bras d'Amaya, consolée. Elle aboutit au même résultat des fois suivantes.

Même si elle n'avait pas de rendez-vous de psychothérapie dans les prochains temps, elle discuta à propos de ce « problème » à Yuka alors qu'elles mangeaient ensemble le dessert. Amaya écoutait attentivement sans parler.

« Tante Yuka ?

- Oui, ma belle ?

- … Je peux te poser une question étrange ?

- N'importe quoi. Rien ne peut m'ébranler. Que ce soit d'amputer un patient, où ramasser du vomi.

- Euh… est-ce que tu es asexuelle ou tu as besoin de sexualité pour être épanouie ? demanda Alika, en détournant la tête. »

Si elle était asexuelle, elle ne serait pas tombée enceinte de Jiguro plus jeune, pensa-t-elle. Question idiote… mais on ne sait jamais.

« Je ne suis pas asexuelle. Même si je suis célibataire, ma sexualité est importante pour moi. Pourquoi cette question ?

- Euh… bin… je me demandais si tu te masturbais, encore à ton âge ? »

Alika joua avec ses doigts et regarda son assiette, le visage cramoisi. C'était quoi ces manières de parler à sa grande tante ?! Elle fit tourner ses doigts ensembles, nerveuse.

« Ta question me surprend un peu, admit Yuka, mais si j'avais à te dire la vérité, hé bien oui. La majorité des personnes se masturbent. C'est bon pour la santé et le moral. Pourquoi voulais-tu savoir ça ?

- … J'ai de la difficulté à renouer avec ma propre sexualité depuis mon événement, avoua Alika. Maman n'a jamais été gênée de parler de sexualité et tout ce qui est relié à ça avec moi, mais… avoir un autre point de vue peut être aidant.

- Est-ce que ça t'handicape beaucoup ? voulut-elle savoir, toute ouïe.

- … Je vais t'avouer : je n'aime pas mon corps. J'ai encore de la difficulté à le considérer comme mien. C'est comme si j'avais de la dissociation par rapport à lui et que j'associais orgasme avec traumatisme… parce que j'ai joui pendant mon agression. Je n'avais pas de plaisir, mais… tu vois ? »

Yuka hocha doucement la tête, compréhensive.

« C'était réponse physique suite à stimulation extérieure, comme le chatouillement. Est-ce que tu te masturbes ?

- J'ai recommencé… très tranquillement, mais aussitôt que je suis sur le point de jouir, j'ai un blocage. J'ai beau me dire que je n'ai rien fait de mal, mon corps se sent en état d'alerte constante. J'ai tendance à culpabiliser, à avoir des crises de panique et faire de la dissociation en me recroquevillant pour me protéger instinctivement. Et quand je vois que tout est gâché par ça, je deviens fâchée contre moi, contre mon corps… et je pleure, car plus rien n'est comme avant…

- C'est sûr que tu n'oublieras jamais ce qui t'es arrivée ce soir-là, et on ne peut pas nier les conséquences et les impacts que ça a eu sur toi. Mais ce qui est différent c'est que ce tu fais au lit, le soir, avec toi-même, c'est ton intimité, c'est ton moment. Tu peux te procurer ce bien-être sans que personne ne puisse t'enlever le contrôle de toi-même. C'est ton corps, tu peux le toucher, et personne d'autre n'a ce privilège à moins que tu ne l'y autorise. Quand tu te masturbes, tu es en sécurité. Tu es dans ta chambre, à un endroit familier. Jouir n'est pas mauvais. »

Alika continua de regarder son assiette. Yuka était à 100% à l'aise de parler de sexualité. Elle ressemblait définitivement à Amaya et Balsa.

Je dois avoir plus de sang Yogoese dans mes veines que je ne le pensais de base, pensa-t-elle.

Il y avait un stéréotype qui courait à Kanbal qui disait que les Yogoese étaient plus gênés que les Kanbalese à parler de sexualité ouvertement. Alika n'y croyait pas trop, mais maintenant, elle se rendit compte qu'une part de vérité résidait, effectivement, dans ces dires.

« Tu n'as pas à te punir et t'en vouloir de ressentir du plaisir quand ce que tu fais est agréable et t'apporte du bonheur, rajouta Yuka.

- D'accord… et quand je bloque comme ça… qu'est-ce que je devrais faire ?

- Ne lutte pas. N'anticipe pas cette vague de plaisir; laisse-toi plutôt porter par elle et lâche-prise. Je sais : plus facile à dire qu'à faire. Mais à part de laisser aller, il n'y a pas d'autres solutions que je peux te conseiller. C'est un travail progressif.

- Tu m'as déjà donné beaucoup de trucs… merci.

- Mais de rien. Et si jamais ça ne fonctionne pas plus, n'hésite pas à m'en parler.

- Est-ce que tu avais des doutes que… que j'explore mon corps et mes sensations ?

- J'ai toujours pensé que la sexualité était une partie intégrante des gens. Ce qu'ils font, une fois couché, ça leur appartient. Je n'en fais pas une fixation. »

Alika hocha la tête et continua de terminer son dessert. Yuka changea de sujets pour détendre l'atmosphère.

La sexualité de la jeune médium prit du temps pour régler une petite partie de son stress post-traumatique. Mais comme elle n'était jamais seule le soir, elle avait Amaya qui la guidait et faisait même une thérapie sexuelle de ce côté, travaillant avec son chakra sacré et son chakra du cœur. Elle y allait à son rythme. Alika finit par se rentrer en tête que son agression faisait partie de sa vie, d'elle-même et doucement, elle apprit à entretenir un lien de plus en plus positif avec cet événement. Ce qui avait jadis été une pulsion instinctive était devenu quelque chose qui lui donnait un sentiment de puissance et maîtrise, au même titre qu'une Danse de lance.

Elle reprit possession de son corps dans un rapport sain vis-à-vis sa sexualité et, comme ça faisait longtemps déjà, elle n'avait jamais été plus heureuse qu'à cet instant présent. Quand elle paniquait et culpabilisait à la fin d'une séance, Amaya avait continué à la serrer très fort dans ses bras, contre elle, et à lui parler tranquillement en caressant ses cheveux jusqu'à ce qu'Alika émerge. Elle fut d'une patience légendaire. Le fait d'être avec elle, même sur le plan spirituel, l'aida à se remettre doucement de cet événement traumatisant, d'une façon qu'elle n'avait jamais pensé que c'était possible.

Son chakra du cœur et son chakra sacré se rouvrirent lentement au fur et à mesure et Alika devait en partie leur équilibre à Amaya, qui était presque comme une gardienne spirituelle. Désormais, leurs nuits s'étaient changées en séance de masturbation mutuelle agréable. Amaya finit même par lui faire l'amour, oubliant, l'espace d'un instant, les différentes dimensions de leurs deux mondes.

« Tu seras prête pour ta nuit de noces, commenta Amaya, fière.

- Mais ce qui est différent, c'est que tu es une femme. Tu n'as pas de…

- En général, cet engin n'est pas sensé faire mal, s'amusa-t-elle. Voire même, c'est un des organes les plus sensibles et plus faibles chez un homme. Je ne comprends toujours pas pourquoi la société les met sur un pied d'estale au détriment du sexe féminin. Le sexe d'un homme ne mord pas. »

Alika frissonna, malaisée. Amaya éclata de rire et s'accota contre ses seins.

« Mais je préfère les vagins, personnellement. Mayuna dit que c'est laid, mais moi je les trouve joli.

- Un jour, tu me feras rencontrer Mio, comme je connais déjà Mayuna ?

- Bien sûre. Mio sera très contente de te rencontrer, au nombre de fois que je lui parle de toi. »


Alika s'imposa pour le reste de l'année une routine stricte qui mêlait entraînement, visites diplomatiques chez la reine Naiyana, remise à neuf tranquillement du manoir de Karuna et soins énergétiques tout ensemble. Elle trouva un bon équilibre et continua de s'améliorer avec la guérison par les énergies avec les conseils de Yuka et de Messiah, qui se remettait doucement de la perte de son oncle, même si les premiers repas de famille furent difficiles pour elle.

Lors de ses leçons sur le reiki, Alika aborda doucement le sujet d'Izara, la gardienne spirituelle que Messiah disait avoir perdu. Elle savait que c'était une corde sensible pour son amie, mais elle était curieuse, et même si le support était un peu en retard, au moins, son amie pourrait s'alléger un peu l'esprit avec quelqu'un qui se souciait vraiment d'elle plutôt que l'état émotionnel des esprits.

« Messiah… tu me permets que je te pose une question concernant ton entourage spirituel ? questionna-t-elle doucement.

- Oui. Bien sûr.

- … Tu m'as parlé d'une Izara, qui était une de tes gardiennes, ou ta gardienne. Qu'est-ce qui s'est passé pour que tu la perdes ? »

Messiah eut un petit moment de réflexion, incertaine du sujet.

« C'était… ma gardienne primaire et a souvent été ma grande sœur antérieurement, dans plusieurs de mes vies, avoua-t-elle après un instant d'hésitation. Comme toi et Jiguro.

- Je ne savais pas qu'un gardien pouvait abandonner son rôle de veiller un protégé et détruire son contrat de protection, son devoir.

- Il peut le faire, mais seulement et uniquement s'il y a un autre gardien qui veille le protégé; un gardien secondaire, même si son rôle est aussi important que le premier. Si ce n'est pas le cas, et que le gardien primaire déchire son contrat, le protégé meurt soit d'une crise cardiaque ou va être porté à se suicider. Car même s'il ne voit pas son gardien ou en n'a pas conscience, l'impact énergétique est là. Un gardien spirituel décide si oui ou non son protégé meurt. »

Cette phrase frappa Alika droit au cœur.

« … Ainsi, Jiguro a choisi que je ne meurs pas après ma tentative de suicide, comprit-elle.

- C'est très probable. Dans mon cas, je ne voulais pas perdre une gardienne… j'ignore si j'ai été négligente à ce niveau, mais ça a toujours fait partie d'une de mes plus grandes craintes depuis que j'ai voulu que d'autres esprits – de confiance – deviennent mes gardiens. Je ne sais pas par où commencer pour tout dire… mais de ce que j'ai compris, une mauvaise esprit du nom de Leesiah, s'est infiltrée parmi ma horde avec des intentions de me nuire et elle n'aimait pas Izara. Elle n'a jamais aimé Nahoko non plus.

- Nahoko… la gardienne de Tante Yuka ?

- Oui. Elle fait aussi partie de ma horde. C'est ma belle-sœur par alliance et Nahoko voyait dans son jeu. »

Leesiah disait quelque chose à Alika, mais elle se retint d'en faire part à Messiah. Ce n'était pas le moment de lui demander si elles parlaient de la même esprit.

« Oh, je vois. Continue. Pourquoi elle n'aimait pas Izara ?

- Parce qu'Izara était puissante et qu'elle était ma principale source de protection. Sans Izara, il est plus facile pour un esprit malintentionné ou rancunier de m'attaquer et de me manipuler.

- Combien avais-tu de gardiens à l'époque ?

- Quatre. Mon double, mon mari Niran et une de ses petites sœurs, Sheena. Et Izara, bien sûr.

- Ton double ?

- J'étais sensée savoir un frère jumeau semi-identique. Mais il n'a pas réussi à se réincarner dans cette vie-ci, décédé dans le ventre de notre mère.

- Oh, oui. Je sais, je l'ai vue quelques fois, mais il passe majoritairement son temps à se cacher de moi. Il est timide.

- Tu connais son nom ? Devine-le.

- … Ame, n'est-ce pas ?

- Oui.

- Il dit souvent "yolo swag"… je ne sais pas d'où vient cette expression.

- Je crois que ça a rapport avec nos années d'adolescence, où une certaine mode était en train de passer à l'académie de la Capitale. Tu sais à quoi il ressemble ? »

Alika éclata de rire.

« C'est ton portrait craché, sauf que c'est un garçon et qu'il a les cheveux courts qui ondulent légèrement, comme toi. Si tu te coupais les cheveux, vous seriez presqu'identiques et les gens auraient de la difficulté à savoir s'ils voient Ame ou toi en premier lieu. Il a un physique un peu androgyne.

- En plein ça. Pour revenir au sujet d'Izara, on pense fortement que Leesiah l'a affaibli en aspirant petit à petit son énergie. Mais comme j'étais, et suis encore, la principale source d'énergie de mes gardiens, c'est comme si mes réserves énergétiques n'arrivaient plus à se renouveler et se remplir, comme une fuite. Et c'est là que tout se corse.

- Comment ça ?

- Ma horde avait des doutes, mais elle ne pouvait rien faire ni accuser Leesiah d'aspirer l'énergie d'Izara. Quand les membres de ma horde s'en sont rendu compte, il était un peu trop tard… mais ils ont évité le pire.

- Je ne comprends pas.

- Ils m'ont fait accroire qu'Izara était partie à jamais et s'était changée en particules car elle était trop malheureuse, que je n'avais pas fait assez attention à elle, qu'elle croyait qu'elle ne me servait à rien et que je ne m'en étais pas assez occupée.

- Accroire ?

- Sa mort et son changement en particules ont été une mise en scène… »

Même pour une médium expérimentée, Alika avait de la difficulté à cerner la situation dans laquelle Messiah avait été entraînée. Mais une chose était sûre : c'était douloureux et cruel.

« Izara est donc encore en vie mais tu ne sais pas où ? essaya d'élucider Alika.

- Exactement… Izara ne m'a jamais abandonnée, elle n'a jamais détruit son contrat et n'en a jamais eu l'intention non plus. Elle aime trop la vie pour se tuer, pour se changer en particule, et je sais elle est où… Seuls Niran et Sheena connaissaient la vérité et ils ont dû faire un pacte de silence avec leur père. Mon mari et sa sœur ont mis la confiance que je leur portais en jeu et ils risquaient de la perdre ou de l'abîmer profondément. C'est ce qui est arrivé, malheureusement et ils savaient ce que je courais comme conséquences de cette décision. Tu sais à quel point je me repose sur Niran…

- Oui.

- Mais… la confiance est différente maintenant. Même si je sais qu'il n'a jamais voulu me mentir et qu'il se sentait littéralement fâché contre la décision de son père, je ne sais pas, c'est… différent. Il n'aime pas me cacher des choses, c'est lui-même qui m'a demandé de me confier plus à lui, mais ça, tenir sa femme dans l'ignorance, lui cacher la vérité… je ne sais pas.

- Tu as toujours une crainte qu'un scénario comme celui-ci se reproduise. Votre confiance a été plutôt abîmée. Tu voudrais lui faire confiance aveuglément comme avant, mais ça ne marche pas comme ça. Parfois Niran est sec et cru dans ses paroles, et ça te blesse plus qu'il ne l'avait appréhendé de base… il tente de faire attention, même s'il te blesse parfois. Il sait que tu fais des efforts, et tu es sensible. Plus que lui… »

Messiah hocha la tête.

« Izara a été tellement affaiblie qu'elle a failli disparaître s'ils ne faisaient rien, continua-t-elle. Elle a été placée dans un coma artificiel et je ne sais pas quand elle reviendra. Peut-être dans deux ans, peut-être dans cinq ans…

- Et depuis cette mise en scène, combien de temps s'est écoulé ?

- … Sept ans. Les deux premières années, j'ai souffert et culpabilisé en silence sa soi-disant "mort", avec personne à qui me confier, autant spirituel que physique. J'ai su la vérité quand je n'en pouvais plus et que j'ai osé recontacter une ancienne connaissance pour qui j'étais, soi-disant, une "dépendante émotionnelle" parce que je faisais toujours les premiers pas pour discuter ou voir la personne. »

Elle soupira, de plus en plus mal à l'aise.

« Je me sens encore trahie à ce jour… je meure à chaque jour à petit feu spirituellement, me demandant quand Izara reviendra parmi nous… si elle veut encore de moi… »

Alika lui offrit un câlin.

« Ne sois pas si dur envers toi, Messiah. Et je peux te rassurer que cette esprit, Leesiah, n'est plus parmi nous depuis un bon cinq ans.

- Comment tu le sais ?

- Car j'ai fait parti de ses victimes aussi… quand j'ai parlé de l'esprit qui m'a reproché ma décision sur la poussière d'ange qui a élu domicile en moi, c'était d'elle que je parlais.

- … Étrange coïncidence. Mais voilà, c'est l'histoire derrière Izara… et vivre ça, quand tu es seule, je ne le souhaite à personne. Quand la confiance est une question de vie, ou que la vie est une question de confiance, c'est vraiment très dur. J'essaie de vivre au jour le jour. Je fais de mon mieux. Mais parfois c'est dur. Très dur.

- Oui. Mais tu es désormais rendue stable. Tu es retombée les deux pieds sur terre et je suis là, s'il y a quoique ce soit. Je suis peut-être en retard pour te soutenir, mais mieux vaut tard que jamais, je suppose ? »

Messiah confirma. Elles continuèrent les soins énergétiques avec le reiki.


Le temps passa si rapidement, que quand Alika se rendit compte que la nouvelle saison estivale commencerait sous peu, elle fut prise d'une légère panique. Cette année, âgée de vingt-quatre ans désormais, elle rendrait encore visite à sa famille au Nouvel Empire de Yogo. Mais ce qui était différent, c'est que Shozen allait être de la partie. Ils étaient encore en relation après plus d'une demi-année. Ce n'était pas sans embûches, mais ils s'étaient adaptés à l'un et l'autre et respectaient leurs limites imposées. Shozen fut également témoin des cauchemars d'Alika reliés à cette terrible nuit, même s'ils étaient beaucoup moins fréquents qu'au début. Elle lui en avait fait part, et lui avait dit quoi faire si jamais ça arrivait en grande période de stress, mais les premières fois furent déroutant pour lui. Heureusement, il avait observé comment Lany faisait.

Il avait demandé à prendre vacances en même temps qu'Alika et sa demande lui avait été accordée. Beaucoup de rumeurs disaient que le jeune couple se marierait en dehors du pays et que quand ils reviendraient, ils seraient des époux. Shozen les laissa parler. Il savait que ce n'était pas vrai. Tam finit par jeter l'éponge et il raccompagna ses amis lorsqu'ils faisaient des sortis en taverne, acceptant aussi de combattre à nouveau contre Alika de façon honorable et en tant que bon perdant.

Shozen se retrouva chez les parents de Lany, comme elle faisait les derniers préparatifs pour le voyage.

« Mon petit lynx, disait Kasha, ça va être le second été où tu ne seras pas là pour fêter ton treizième anniversaire.

- On le fêtera quand je reviendrai de mon voyage, Maman, tenta de la consoler Lany. Comme l'an dernier. Je veux vraiment revoir Motoko et la famille d'Alika.

- Bien sûr. Je veux que tu profites de tes vacances et que tu t'amuses. Il est juste difficile pour moi de voir que notre tradition annuelle d'anniversaire a légèrement changé.

- Oh, ma petite maman adorée. »

Lany lui sauta dans les bras et l'étreignit fortement. La ligne du temps avait changé bien des choses et elle avait maintenant un corps de jeune femme, avec des hanches et bien plus de poitrine qu'avant. Elle était presqu'aussi grande qu'Alika, lui manquant peut-être quatre pouces pour être à égalité.

« Il va y avoir des étés où Alika et moi resteront à Kanbal… surtout quand elle se mariera avec Shozen. Rien n'est perdu.

- Ça va aussi faire proche de deux ans que tu es sous sa tutelle en tant que disciple. Tu as beaucoup progressé et je suis fière de toi. Es-tu sûre que tu n'auras pas le mal du pays ?

- Je ne suis certaine de rien, mais il sera sûrement moins fort que ma première fois.

- C'est bien. »

Kasha regarda sa monture et les bagages de sa fille. Elle avait un sac de plus que l'an dernier, mais elle était parvenue à ne prendre que le nécessaire. Après une longue étreinte avec sa mère, Lany partit en direction de la Capitale avec Alika et Shozen pour ramasser les derniers préparatifs de ce dernier.

« Tu te débrouilles bien avec la langue Yogoese ? questionna-t-elle à Shozen.

- Oui. Je suis trilingue.

- Quoi ?! s'écria-t-elle. Tu parles de façon très fluide le Yogoese et une autre langue ?

- Oui, le Rotan.

- Je me sens gênée maintenant…

- Mais non. Il ne faut pas. Sois plus confiante envers ton Yogoese, je suis certain que tu te débrouilles super bien. »

Alika regarda sa disciple avec un regard qui disait qu'elle approuvait les dires de son petit-ami. Une fois dans les appartements de Shozen, les deux jeunes femmes furent surprises de voir qu'il n'apportait qu'un sac de vêtements et un autre pour ses effets personnels.

« Je suis habituée de voyager léger grâce à ma mère, expliqua Alika, mais… pas aussi "léger". Surtout si c'est pour trois mois.

- Je n'ai pas besoin d'autant de choses que vous, mesdames, s'amusa-t-il.

- Sexiste ! lâcha Lany. »

Shozen lui tira la langue. Ils croisèrent Koda dans les couloirs du palais.

« Ah, ma petite sœur qui commence à voyager, s'émut-il en la prenant dans ses bras. Aucun frère n'est prêt à ça, n'est-ce pas ?

- Je confirme, dit Shozen. J'ai deux petites sœurs.

- J'en ai une, ajouta Alika.

- Tiens, continua Koda. Comme tu ne seras pas là pour ton anniversaire, je voulais te donner ton cadeau en avance. »

Il offrit à Lany une petite boite en bois. Elle glissa le couvercle pour l'ouvrir et y découvrit un pendentif en bois polit de forme ovale, sur lequel une étrange spirale était peinturée en rouge, qui rappelait la forme d'une flamme. Les yeux de Lany se mirent à pétiller à sa vue. La corde était même ajustable.

« C'est notre signe d'ANBU ! s'écria-t-elle.

- ANBU ? questionnèrent Alika et Shozen à l'unisson, n'y comprenant rien à l'argot de fratrie de leurs amis.

- Oui ! ANBU veut simplement dire force spéciale dans l'ombre. C'est un mot valise qui signifie en fait Ansatsu Senjutsu Tokushu Butai – équipe spécialisée d'assassinat et de tactique.

- Et qu'est-ce que ça représente pour toi et Koda ? demanda Alika de nouveau. Est-ce un inside, ou quelque chose reliée à votre famille ?

- Notre famille en particulier, ajouta Koda. La lignée des guerriers et lanciers Muto a toujours été liée aux assassinats dans l'ombre sous les ordres directs du roi. Dès l'âge de treize ans, les membres peuvent commencer à s'initier à cette forme d'art. Mais Lany est définitivement la première femme de notre clan à en faire partie. C'est pour ça que c'est si significatif.

- C'est le même signe que ton tatouage sur ton biceps gauche, commenta Shozen à son ami.

- Vraiment ? s'étonna Alika. Je ne l'ai jamais vu avant…

- Parce que tu n'étais jamais là quand Koda était torse nu en été… comme tu allais voir ta famille depuis quatre ans déjà.

- Oh…

- Et qu'en général, il porte son épaulette du côté gauche comme tous les autres lanciers et guerriers ici présents.

- Logique.

- Même si Lany est la première de notre clan, expliqua Koda, si elle veut le tatouage, ce sera sur son bras droit. Je ne me souviens plus où j'ai entendu ou lu cette information, mais la tradition veut que ce soit le bras opposé pour une femme.

- Peut-être qu'il y a eu effectivement des femmes dans votre clan qui en ont fait partie, hasarda Alika. Mais étant donné que les récits ont sûrement été rédigés par des hommes, ils ont omis ce détail par peur de se faire surpasser par notre genre.

- Peut-être… qui sait ? »

Lany sauta dans les bras de son grand frère qui la souleva de terre. Alika nota que Koda était presqu'aussi grand que Shozen, mais il était physiquement un peu plus massif et carré que son petit-ami.

« J'ai mis une corde ajustable comme je sais que le cadeau de Motoko t'est précieux et que tu ne l'enlèves presque jamais en dehors des sessions d'entraînement. Tu pourras donc les superposés.

- Tu penses à tout ! Merci ! »

Il la redéposa sur le sol. Ils quittèrent ainsi la Capitale sur leur propre monture, après une dernière vérification. La frontière qu'ils avaient choisi les mèneraient directement au Nouvel Empire de Yogo.

Kanbal était si étendu, que s'ils allaient plus dans l'ouest où se tenaient les territoires Muga, Muto, Yonga et Yonto, ils auraient franchi les frontières communes de Rota et Kanbal. Les cinq autres territoires tels que Na, Muro, Yonro, Musa et Yonsa donnaient un accès direct au Nouvel Empire de Yogo.


Après une journée à cheval, à serpenter les sentiers, le trio que créaient Alika, Shozen et Lany arriva proche d'une prairie : les plaines de Tarano, où avait eu lieu la grande bataille contre l'empire Talsh, cinq ans auparavant. La verdure recouvrait le tout et la nature avait repris le dessus. C'est comme si aucune guerre physique n'avait eu lieu à cet endroit.

Au pied des monts Yauru, le chemin tourna brusquement à droite. En contournant un virage serré, ils découvrirent un chariot qui semblait être remplis de vivres. Cinq hommes entouraient le chariot avec leurs épées dégainées. Les paysans terrifiés criaient, suppliant leurs agresseurs de ne pas les voler ou les tuer. L'un des marchands lançaient de la farine pour se protéger. Cette zone était probablement une ferme. Les personnes étaient sans aucun doute des agriculteurs et leurs assaillants devaient être des bandits qui parcouraient la région autour des plaines de Tarano, pillant et volant les biens.

Sans réfléchir, Shozen donna un léger coup de pied à son cheval dans le flanc et se précipita pour les aider. Alika le suivit de proche. Le lancier s'approcha des bandits par derrière et ne fit aucun effort pour dissimuler son approche. Lorsqu'ils virent les guerriers de Kanbal se diriger droit sur eux, ils se dispersèrent dans les bois. Lany réagit rapidement et en poursuivit quelques-uns. Shozen leva sa lance, renversant trois des bandits avant qu'ils ne puissent imiter leurs camarades. En un instant, ils furent assommés aux pieds de son cheval. Alika arrêta les rênes de son cheval devant le chariot et regarda autour d'elle en scrutant les bois. Comme ses deux compagnons se chargeaient déjà des bandits, elle resta proche des paysans pour les couvrir et les rassurer.

Lany poursuivit les deux voleurs restants. Elle porta le fer de sa lance à la mâchoire du quatrième et le frappa sans hésitation. Il perdit connaissance, ses mains se tordant vers son visage ensanglanté. Elle rattrapa le chef et l'attaqua, l'assommant comme pour son autre compagnon. Une fois certaine qu'ils étaient hors d'état de nuit, elle retourna vers les paysans Yogoese.

Les trois hommes qui transportaient des marchandises les regardèrent avec curiosité.

« Vous devriez probablement vous remettre en route avant qu'ils ne reprennent conscience, déclara Shozen d'une voix forte et rauque. Ils ne se réveilleront pas avant un moment, mais je suis certain que vous voudriez être loin de cet endroit quand ils le feront. »

Ils hochèrent la tête en silence.

« Excusez-moi, mais êtes-vous des guerriers Kanbalese tous les trois ? demanda l'un d'entre eux.

- Non, on fait semblant, se moqua Shozen, limite insulté de cette question pourtant banale.

- Ne l'écoutez pas, les rassura Lany avec un grand sourire, parlant Yogoese.

- Nous venons effectivement de Kanbal, annonça Alika. Nous venons rendre visite à ma famille. Vous pouvez repartir, le danger est passé… temporairement. »

Ils tremblaient encore alors qu'ils préparaient leurs chevaux pour partir et déplacer leur charrette. Alors qu'ils furent presque hors de vue, un jeune homme leur dit :

« Merci de nous avoir sauvés !

- Mais de rien, fit Alika. Soyez simplement prudent et en sécurité. »

Le plus jeune homme arrêta sa cargaison.

« Nous devrions au moins vous payer quelque chose, annonça-t-il lorsque le trio trotta vers lui.

- Nous n'avons pas besoin d'argent, dit-elle avec politesse. Vous en avez bien plus besoin que nous. Juste le fait de vous avoir aidé nous suffit.

- Vous êtes sûrs ?

- Oui, oui. Allez-y maintenant. »

Ils ne se firent pas plus prier et partirent. Alika se retourna ensuite vers Shozen. Son comportement soudainement agacé face à la réplique qu'un des paysans avait jeté sur leurs origines l'intriguait.

« Pourquoi as-tu semblé aussi indigné quand il t'a posé la question si nous étions Kanbalese ? demanda-t-elle doucement.

- Car des questions aussi innocentes que ça, j'en vis à chaque fois que je viens au Nouvel Empire de Yogo, répondit-il, irrité. Comme si les Yogoese n'avaient jamais vu de Kanbalese, ou de Rotan, ou même de Sangalese !

- Ils ne demandaient pas ça pour être méchants volontairement, essaya de le réconforter Lany. C'est sûr que quand on est trois à posséder une lance, et qu'on vient de la direction du nord, la réponse s'impose d'elle-même et que ça a l'air stupide sur le coup. Je l'avoue.

- Au Nouvel Empire de Yogo, deux peuples sont mélangés : les Yakue et les Yogoese, expliqua Alika. Ces derniers sont des immigrants dont les pionniers sont venus du continent du sud pour s'établir ici. Au fils du temps, les mariages interraciaux se sont multipliés et il est très dur de savoir si la personne est native, immigrée ou métis. J'en sais quelque chose.

- Je le sais, mais il me semble que mon physique et mon visage laisse montrer que je suis bien Kanbalese pur souche.

- C'est sûr que tu n'as pas un physique ni une carrure Yogoese. Alors ce serait sois Kanbalese ou Rotan. Dans mon cas, ici, il semblerait que je ressemble plus à une Kanbalese d'origine, plutôt que Yakue et Yogoese. Mais si je vais à Kanbal, les gens voient ma différence et j'ai l'air plus Yogoese.

- C'est vrai que les gens à la Capitale te considère plus comme métisse que Kanbalese pur souche… mais bref. La question était stupide.

- Je te l'accorde. Tu pourras en parler avec ma Maman ! Elle voyage tellement souvent que je suis certaine qu'elle a dû faire face à cette question plusieurs fois. Aller, en route. »

Alika mit un peu plus d'énergie dans le rythme de son cheval et bientôt, ils finirent par galoper dans les sentiers montagnards du Nouvel Empire de Yogo.