Note : Je tiens à dire qu'une partie de ce chapitre a été directement inspirée de A Summer's Tail (and Ears) – EvilReceptionistOfDoom (sur Ao3), avec quelques changements.
Tamashi no Moribito
Gardien des Âmes
Chapitre 26
Sourire d'été
Asura termina son dernier point de broderie sur le châle Yakue. Ravie du résultat, elle sourit de toutes ses dents.
Âgée de seize ans, elle avait été sauvée par Balsa il y a quatre ans, alors que des esclavagistes avaient essayé de les vendre, elle et son frère Chikisa, car ils venaient du peuple Tal. Les Tal étaient un groupe ethnique Rotan qui était souvent discriminé, méprisé et traité pauvrement parce qu'ils faisaient partie d'une tribu de laquelle venait Sada Taluhamaya. Cette dernière était une puissante créature venant de Nayug – Noyook dans le langage Rotan et Kanbalese – qui était vénérée par le peuple Rotan comme étant un terrible dieu de la calamité.
Asura avait reçu, suite à un rituel interdit par sa mère, les pouvoirs de Taluhamaya en elle, en plus de l'entité en elle-même. La jeune femme était restée inconsciente très longtemps après avoir fait face à ce monstre en elle et l'avait scellé au plus profond de son être dans l'espoir qu'elle ne fasse plus aucun mal à son entourage. Le réveil avait été pénible et elle n'avait pas parlé avant un très long moment, aux prises avec ses propres émotions et sa culpabilité. Néanmoins, Martha avait été douce et compréhensive avec elle, ne la bousculant presque jamais. Asura avait été semblable à Balsa sur plusieurs points, notamment le fait d'avoir une carapace pour se protéger du monde extérieur. Mais comparativement à la guerrière de Kanbal, sous cette forme de protection, Asura était de nature sociale, sensible et chaleureuse. Elle avait une belle personnalité et semblait tellement fragile avec une très grande ténacité.
Martha lui avait donné des bases, un but à s'accrocher à la vie, alors qu'elle n'avait plus rien. Elle l'avait aidée à trouver ce qui lui faisait plaisir et pouvait contribuer à son bonheur personnel. C'est ainsi qu'Asura avait démontré un talent presqu'inné et naturel pour les travaux manuels tels que la couture, le tissage et la confection de vêtements. Parfois, elle jardinait et elle adorait faire des marches dans les forêts avoisinants Shirogai en compagnie de son frère. Chikisa et elle pouvaient aussi s'amuser à assembler des morceaux de bois pour en faire des armoires, des meubles ou tout autre sculpture relié à cette branche.
« J'ai fini, Martha ! annonça Asura en marchant vers Martha qui recousait une emmanchure. Comment tu le trouves ? »
Sa tutrice sourit et regarda le vêtement, émerveillée.
« Il est magnifique. Tu as très bien réussi la broderie ! »
Il y avait un doux tintement relié aux clochettes qui étaient cousues sur la lisière du châle.
« La future mariée va l'adorer. »
La clochette de la boutique retentit, indiquant que de nouveaux clients venaient d'entrer dans le commerce.
Tout avait été remis à neuf, car l'ancienne ville de Shirogai avait péri sous les flammes. L'armée de Yogo avait ordonné de brûler toutes les grandes villes pour empêcher l'ennemi de s'approvisionner. Martha avait réussi à sauver le plus de tissus qu'elle pouvait, juste assez pour pouvoir construire des tentes temporaires le temps de la guerre, et juste assez pour repartir tout doucement son entreprise.
« Asura, tu voudrais aller répondre aux clients ?
- Oui, bien sûre ! »
Elle déposa le châle soigneusement sur un meuble et alla vers l'entrée de la boutique. Il y avait une jeune femme aux cheveux bruns attachés en deux lulus basses, et à ses côtés, un homme très grand et musclé, aux belles bouclettes ondulés dorées. Ils étaient accompagnés de deux autres personnes, plus petites. Asura remarqua leurs quatre lances et pensa directement à Balsa.
« Bon… bonjour ? salua Asura timidement.
- Bonjour, répondit Alika poliment.
- Qu'est-ce que l'on peut faire pour vous aujourd'hui ?
- Nous avons quelques réparations à faire. Mais avant tout, est-ce que Madame Martha est là ?
- Oui, je peux aller la chercher. »
Un peu surprise, Asura alla dans l'autre pièce et avertit sa patronne que les clients désiraient la voir. Martha se leva et les rejoignit.
« Motoko ! Alika ! s'exclama-t-elle avec une grande joie. »
Elle n'hésita pas à prendre Motoko dans ses bras. Lany se mit un peu plus en retrait, proche de Shozen. Alika accepta l'étreinte de Martha, même si elle n'avait pas grands souvenirs d'elle. La petite bande finit par se retrouver assise dans le salon privé de la boutique.
« Je suis étonnée de voir que vous vous souvenez de moi, avoua Alika.
- Ne sois pas si formelle, Alika-Chan. Et puis, la dernière fois que je t'ai vue, tu n'étais pas plus haute que trois pommes. De toute ta fratrie, tu es celle qui ressemble le plus à Balsa. Je t'aurais reconnue n'importe où. »
Shozen fit un petit sourire de vainqueur. Il savait qu'Alika n'aimait pas que l'on lui rappelle sa ressemblance frappante avec sa mère. Mais elle ne laissa rien transparaître. Alika présenta Lany et Shozen à Martha. Cette dernière se présenta avec Asura et raconta l'histoire de sa boutique ainsi que celle de Shirogai avant qu'elle ne périsse dans les flammes. Lany apprit que la petite préférée de Martha, Asura, n'avait que trois ans de plus qu'elle. Motoko demanda s'ils avaient du temps devant eux pour qu'elle puisse apprendre de nouveaux tours de couture.
« Je ne vais pas rester longtemps dans le secteur, annonça Alika alors que sa petite sœur faisait la moue. Je voudrais être de retour à la maison avant le coucher du soleil.
- Comment êtes-vous venus ici ? À pied ? les interrogea Martha. Nous pouvons vous héberger si la route est trop longue.
- Oh non, nous sommes venus avec deux montures, ajouta Shozen. Avec la tonne de vêtements que nous avions, ça aurait été un peu encombrant à pied et il aurait fallu jouer à la "poche de vêtements musicale".
- Il est vrai que mine de rien, du tissu, c'est lourd.
- Est-ce que le vêtement de Shozen pourrait être prêt avant la fin de l'été ? questionna Alika. Car nous repartons à Kanbal à la fin de la saison estivale. C'est un uniforme officiel en tant que lanciers du Roi, donc, c'est assez important… et urgent.
- Ce sera prêt au plus tard à la fin de la semaine, les rassura Martha. »
Alika lui présenta les autres morceaux à altérer et fut très spécifique concernant les vêtements d'enfance de sa mère.
« J'ai essayé de vérifier l'état du tissu. Si tu peux y faire quoique ce soit, ce serait formidable. Mais s'il n'y a rien à faire, alors ce n'est pas plus grave… au pire, nous pourrions en confectionner un nouveau à partir du modèle d'origine. »
Martha regarda minutieusement les vêtements.
« Ils sont tous en bons états, analysa-t-elle. Je devrais être capable de créer des "miracles" et leur donner un semblant de dignité tout en prolongeant leurs vies.
- C'est vrai ? s'écria Alika avec des étoiles pleins les yeux.
- Oui. Fais-moi confiance.
- Merci beaucoup !
- Peut-être que Lany et moi pourrions rester plus longtemps ici, suggéra Motoko. Toi et Shozen pourriez repartir plus vite sans avoir à nous attendre. Ça ne te dérange pas de rester un peu ici, Lany ?
- Non, non. Je couds un petit peu à Kanbal. »
Lany regarda son mentor.
« Est-ce que je peux ?
- Bien sûre que oui. Avec Martha, tu ne peux pas être plus en sécurité. Revenez quand bon vous semble.
- … Oh, je n'ai pas emmené mes vêtements de rechange.
- Si vous dormez ici une nuit, je peux vous passer des vêtements propres et des pyjamas ! annonça joyeusement Martha. »
Alika se mit en selle et Shozen embarqua derrière elle, saluant Martha et Asura avant de faire claquer les brides.
Dans les journées qui suivirent leur visite à Shirogai, Shozen rencontra Torogai. Habituellement, les gens étaient intimidés par elle – même les hommes les plus costauds finissaient par être mal à l'aise à la première rencontre. Mais le petit-ami d'Alika n'avait nullement été impressionné. Torogai lui rappelait Hototo avec sa petite taille, son teint de peau et sa façon de marcher. Poliment, il avait incliné la tête et s'était présenté. Ne mâchant pas ses mots, le chamane lui avait dit ce qu'elle ressentait en le voyant.
« Tu fais un bon parti pour ma petite-fille Alika, fit-elle. Prends soin, je te la confie. Si tu lui fais un quelconque mal, je te lancerai un sortilège. »
Shozen avait lâché un petit rire nerveux. Si elle lui jetait un sortilège, il demanderait de l'aide à Hototo pour le contrer, et encore mieux le briser.
« Je prendrai soin d'elle, quitte à mourir pour elle, se défendit-il.
- Wow, tu n'as pas peur des menaces de mon maître, s'impressionna Tanda.
- C'est parce qu'elle me fait penser à un ami de longue date. Je me demande ce que ça donnerait si les deux se rencontraient.
- Il habite à Kanbal ? s'enquit Torogai, soudain intéressée.
- Oui. C'est un Berger.
- Il est dans les énergies ?
- Bien plus que vous ne pouvez le croire, Maître Torogai.
- Hum… c'est intéressant. On se croisera sûrement une fois notre réincarnation terminée, dans ce cas ! Pour l'instant, je ne bouge pas d'ici.
- Maître Torogai n'a jamais aimé voyager en dehors du pays et elle déteste la foule, l'informa son beau-père.
- Je comprends. »
Il alla retrouver Alika à l'extérieur.
« Quoi ?! s'écria Alika à Shozen. Tu ne vas pas le faire quand même ?! »
Shozen la regarda en riant et décida de retirer sa ceinture Kanbalese.
« Il n'y a que toi que j'embrasserai au monde, rit-il. Tu as bien tenu l'alcool, mais là, je pense que tu es saoule.
- Je ne suis pas saoule ! s'enflamma-t-elle. »
Il croisa le regard de Lany.
« Elle est saoule, répéta-t-il en kanbalese.
- Non !
- Ne t'inquiète pas Shozen, soupira Lany, je suis restée pour la veiller également. On ne peut jamais être de trop pour défendre notre chère Alika. Et puis, Maître Torogai est présente et je ne pense pas que ces chers Monsieurs lui fassent un quelconque mal. »
Elle pointa du doigt Suyou, Taiga, Akira – Sun de pseudonyme – et Shuga.
La famille d'Alika avait été au solstice d'été, faire découvrir le festival annuel à leur invité. Avec la bonne nourriture, les animaux de ferme, le kingyo-sukui, les fameux tournois de rucha et les nombreux kiosques, c'était un événement à ne pas manquer. Pour l'occasion, Nao était revenu chez ses parents avec sa fiancée Maho, et ses beaux-parents, Nimka et Hiwata, avaient choisi de venir assister au festival. Il avait été intimidé par la prestance naturelle de Shozen ainsi que l'aura de guerrier qui émanait de lui. Mais quand leur invité s'était montré ouvert, accueillant et curieux à son propos, la gêne de Nao s'était doucement dissipée, même s'il restait sur ses gardes.
Shozen avait également rencontré Tomoe et Maya, via leur mari Shuga et Taiga. Tomoe en avait profité pour féliciter Alika.
« C'était donc lui, ton prétendant de l'an passé ? murmura-t-elle.
- Oui, s'enorgueillit Alika.
- C'est donc un guerrier de ton calibre, tu as bien choisi. J'espère qu'il te traite bien ?
- Il me traite en reine.
- Est-ce que… vous l'avez fait ? demanda-t-elle, un peu indiscrète.
- Non. On se garde pour le mariage et Shozen n'insiste pas. Il est très compréhensif là-dessus.
- Awnn, c'est trop mignon !
- Tu seras invitée, si on finit par s'unir. Ce sera à Kanbal, par contre.
- Je verrai ça en temps et lieu. Tout va dépendre de mon mari, comme c'est le Grand-Érudit.
- Oh, c'est vrai, j'avais oublié… »
Dépassé dix heures du soir, les festivaliers qui s'étaient incrustés et collées à la famille de Tanda et Balsa avaient commencé à se séparer pour retourner à maison afin d'aller coucher les enfants. Leurs maris ayant encore l'énergie de fêter un peu, Tomoe, Sasha (la femme de Suyou) et Maya les délaissèrent afin de s'occuper de leurs marmailles.
« Est-ce que vous venez ? questionna Balsa à sa fille aînée.
- Hum, Monsieur Jin nous a invité Shozen et moi à boire un peu…, l'informa Alika.
- À boire ? s'étonna-t-elle.
- Bah, avec Shozen à mes côtés, je serai protégée. En plus, Grand-Mère aussi veut en profiter donc…
- Et moi, je serai là aussi ! s'exclama Lany.
- Tu es mineure, jeune femme ! rétorqua Shozen.
- Mais-mais…
- Lany peut rester avec vous, fit Balsa. Mine de rien, j'ai commencé à travailler doucement dans les tavernes à l'âge de treize ans avec mon mentor.
- Et puis, j'ai souvent vu mon grand frère Koda boire avec des amis alors que j'étais dans ses appartements. »
Elle tira la langue, au plus grand désarroi de son compagnon d'arme. Motoko leur souhaita de passer une bonne fin de soirée, ses yeux commençant déjà à fermer d'eux-mêmes.
Alika, Lany et Shozen se retrouvèrent mêlés à Shuga, Taiga, Suyou, Akira et Torogai. Ils furent conduits à l'ancienne maison dans laquelle les hunters en présence de Shuga avaient épié les faits et gestes de Tohya, le garçon à tout faire, quand ils avaient essayé de retracer l'endroit où se cachait Balsa et Chagum à l'époque. Depuis, ils louaient cette maison chaque année et c'était devenu une sorte de place où ils pouvaient se reposer et se détendre.
En voyant les trois lanciers déposer leurs lances à l'entrée de la maison, Akira ne put s'empêcher de commenter leurs habitudes.
« Vous venez vraiment de Kanbal.
- Ce n'est pas parce que nous ne sommes plus dans notre pays qu'il faut être rude, répliqua Shozen avec un sourire.
- J'ai plein d'alcool en réserve ! annonça Torogai en prenant une grosse bouteille de saccharon, un alcool très fort. Et grâce au festival, il y a aussi du maral et du tagu ! »
Le maral et le tagu étaient tous les deux de l'alcool venant directement de Rota, le pays voisin. Le maral était du vin et le tagu, une liqueur à base de miel. Comme Shuga avait remarqué Lany, il s'approcha d'elle avec une petite coupole et une carafe.
« Je ne pense pas que tu boives, Lany, mais voici du jus de pêche. »
Elle prit les deux objets que Shuga lui tendit, puis lui jeta un regard méfiant soudainement.
« Qui dis que tu n'as pas mis de l'alcool dedans ? Ou de la drogue ?
- Lany ! Tu sais bien que l'on ne ferait pas ça, surtout pas à la disciple d'Alika. Tu es la seule mineure parmi nous. Tu es bien ici pour veiller ton mentor afin qu'elle ne fasse pas de conneries, pas vrai ?
- Plutôt vrai. »
Elle éclata de rire et s'en versa une coupole. Suyou expliqua alors les règles du jeu.
« Il y a une bouteille vide au centre. Quand on la fait tourner et qu'elle tombe sur la personne, sois on l'embrasse ou on retire un morceau de vêtements. Est-ce clair comme explication ?
- Comme de l'eau de roche, fit Alika.
- Est-ce que je peux mettre mon petit grain de sel ? sollicita Shozen.
- Certainement ! l'invita Taiga.
- Je connais ce jeu, mais à Kanbal, nous rajoutons une option. C'est là que ça devient intéressant.
- C'est quoi ?
- On retire un morceau de vêtements, sois on embrasse la personne ou… si aucune des deux options nous plaisent, nous buvons d'une traite l'alcool qui se trouve dans notre verre. À Kanbal, les verres sont plus petits. Des shooters. Mais les coupoles ici feront quand même l'affaire.
- Je suis partante pour cette variante ! annonça Torogai.
- Moi aussi ! confirma Akira.
- Parfait, commençons ! déclara Suyou en tapant dans ses mains.
- J'y vais en premier, avança Shuga. Parce que je suis le Grand-Érudit, donc je vous surpasse tous. »
Shuga fit tourner la bouteille, regardant Taiga avec impatience comme s'il pouvait faire en sorte que la bouteille s'arrête de cette façon. Or, la bouteille finit par pointer la direction de Torogai.
« Merde…, marmonna Shuga. Je suis quand même fidèle à ma femme donc… »
Il ôta sa robe.
« À mon tour, se renfrogna Suyou en la faisant tourner. »
Encore une fois, la bouteille pointa Torogai. Suyou retira le haut de son uniforme. Lany et Alika avaient bien remarqué que les deux fois, la bouteille avait pointé le chamane. Vint ensuite le tour d'Akira. Encore une fois : Torogai. Il choisit de boire. Taiga eu le même résultat. Il ôta une chaussure et une chaussette, ne semblant pas comprendre ce qui constituait un vêtement.
« Tu es déjà saoul, Taiga ? questionna Shozen.
- Non ! »
Shozen rit et regarda Alika tourner la bouteille. Elle tomba sur Taiga. Elle grimaça.
« Hey ! Je ne suis pas si pire que ça, d'accord ? se vexa Taiga.
- Je préfère me saouler quand même. »
Elle avala d'une traite son alcool, grimaçant à la chaleur que le saccharon offrait à son estomac. Shozen tourna à son tour la bouteille qui tomba sur Torogai.
« La bouteille est ensorcelé, jeta-t-il.
- Qu'est-ce que tu racontes, fiston ? s'indigna Torogai. C'est vous qui ne savez pas comment bien faire tourner une bouteille !
- J'ai pourtant un joli doigté normalement. »
Il fit aller ses doigts, surtout son index, son majeur et son annulaire. Tous comprirent sa référence. Il finit par prendre une gorgée de son alcool, l'analysant en gout et en texture. Lany s'amusa de voir les invités virés tout doucement pompettes, mais elle se préoccupa surtout d'Alika.
Torogai fut la dernière à tourner pour ce premier tour. Elle sourit grandement et la bouteille se posa sur Suyou.
« Oh, non, paniqua-t-il.
- Viens par ici, petit chien galeux.
- Non ! »
Comme un éclair, Suyou disparut de la pièce.
« Quel petit chien grossier, grommela-t-elle. Je vais devoir lui donner une leçon. »
Elle commença à invoquer un sort. Shuga s'éloigna doucement d'elle. Un instant plus tard, un cri retentit et Suyou revint en courant.
« Qu'est-ce que vous avez fait ?! cria-t-il, presque.
- Ne rejetez jamais un magic-weaver ou une personne dans les énergies, répondit sagement Torogai. »
Suyou avait des oreilles qui lui avaient poussées sur le dessus de la tête et une queue.
« Ha ! s'exclama Sun, qui était également très saoul. Tu es un catboy ! Tu sais, je pense que ça te va bien !
- Change-moi ! s'écria Suyou.
- Je ne peux pas, se désola Torogai.
- QUOI ?!
- Calme-toi, minet. Ça finira par s'atténuer.
- DANS COMBIEN DE TEMPS ?! »
Torogaï haussa les épaules.
« Dans quelques mois ? »
Suyou poussa un hurlement de misère et fondit sur le sol juste à côté de Taiga. Shozen se sentit légèrement nerveux soudainement. Lany rampa proche de Suyou.
« Ça aurait été mieux si ça avait été des oreilles de lynx, commenta-t-elle.
- Ne commence pas ça, Lany ! pleurnicha-t-il, les oreilles plaquées sur sa tête.
- … Je peux les toucher ?
- Non ! »
Lany fit une moue et attrapa sa queue, le faisant sursauter.
« Oh, c'est vrai que c'est tout doux.
- Lany, lâche-moi ! »
Suyou hissa et se retira dans un coin de la pièce, loin des interactions physiques et sociales.
« Peut-être qu'Alika pourrait t'aider, suggéra-t-elle innocemment.
- Hein ? s'exclama son mentor. J'ai appris bien des sorts, mais pas celui de renverser un sort de métamorphose… »
Le garçon-chat poussa un gémissement agonisant.
Cinq tours de bouteille passèrent depuis le début de la partie. Même si les joueurs n'étaient pas pointés ou choisi par la bouteille, ils volaient quelques gorgées d'alcool ici et là. Lany remarqua que Shozen buvait à peine.
Et c'est ainsi qu'Alika s'était retrouvée dans cet état.
« Quoi ?! s'écria Alika à Shozen. Tu ne vas pas le faire quand même ?! »
Shozen la regarda en riant et décida de retirer sa ceinture Kanbalese quand la bouteille pointa Akira.
« Il n'y a que toi que j'embrasserai au monde, rit-il. Tu as bien tenu l'alcool, mais là, je pense que tu es saoule.
- Je ne suis pas saoule ! s'enflamma-t-elle. J'ai juste bu quelques gorgées de saccharon, et le tagu était bon… »
Il croisa le regard de Lany.
« Elle est saoule, répéta-t-il en kanbalese.
- Non !
- Ne t'inquiète pas Shozen, soupira Lany, je suis restée pour la veiller également. On ne peut jamais être de trop pour défendre notre chère Alika. Et puis, Maître Torogai est présente et je ne pense pas que ces chers Monsieurs lui fassent un quelconque mal. »
Elle pointa du doigt Suyou, Taiga, Akira – Sun de pseudonyme – et Shuga.
« Qu'est-ce qu'ils disent ? demanda Akira.
- Tu devrais pourtant le savoir, comme tu as un peu appris cette langue, rétorqua Taiga, étendu sur le sol.
- Je ne voyage pas aussi souvent que toi. Je suis plus spécialiste en Rotan et Sangalese. Ils n'ont pas l'air de vouloir qu'on les comprenne. Ça va toujours, Lany ?
- Je n'ai pas sommeil du tout, répondit-elle avec un air sérieux au visage.
- Aussi brute que Suyou… je l'aime bien. »
Alika avait commencé à perdre aussi des morceaux de vêtements et quand elle chercha à retirer ses pantalons, Shozen l'en empêcha.
« Mais quoi ?! s'écria-t-elle.
- Pas ici, bella.
- Mais… il fait chaud !
- Je sais, mais pas ici. Tiens, j'ai mieux comme idée. »
Il retira ses deux attaches qui maintenaient ses cheveux attachés.
« Mieux, fit-il en passant ses mains dans ses cheveux. Tu devrais te les laisser plus souvent détachés. Tes cheveux sont magnifiques comme ça et ça te donne un petit air… plus détendue. »
Il l'embrassa sur le front. Torogai tenait encore à continuer la partie, mais tous – en dehors de Lany – avaient perdu un peu le cours des événements. Lorsqu'Alika tourna la bouteille, celle-ci ne pointa aucun des participants, mais bien sa disciple. Intriguée, Lany leva les yeux et croisa le regard d'Alika.
« Sensei, tu es vraiment saoule. C'est drôle. »
Alika rampa sur le sol et s'approcha de sa disciple.
« … Tu ferais un si joli couple avec Motoko, sortit-elle.
- Eh, Alika, je— »
Sans lui laisser le temps de répliquer, Alika l'embrassa sur les lèvres. Sous le choc, Lany ne chercha pas à se débattre. Elle décida alors de se laisser prendre au jeu et finit par laisser sa pulsion prendre le dessus. Au bout de quelques secondes, Lany libéra les lèvres d'Alika et grimaça.
« Ewwww, Sensei, tu as le goût de l'alcool…
- Pardon… ça faisait longtemps que je n'avais pas embrassé de femmes.
- Lany ne faisait pas partie du jeu ! répliqua Taiga.
- C'était juste un petit baiser entre maître et disciple, ça ne peut pas faire de mal, les défendit Shuga. Moi, c'est Tomoe qui m'a enseignée.
- Mais c'est surtout Gakaï et nous autres qui t'avons initié, je te rappelle, rétorqua Akira.
- Chuuuuuttt ! »
Quand même ravie de ce baiser, Lany ne répliqua pas. Alika essaya de se lever, mais tomba au sol à tous les coups. Elle finit littéralement à quatre pattes.
« Hmpf… je veux retourner à la maison ! insista-t-elle alors que Shozen et Lany essayaient de la redresser sur ses jambes.
- La question est : es-tu capable de faire au moins deux pas en avant ? s'intrigua Shozen.
- Je pense que oui… »
Lany et Shozen la lâchèrent et la regardèrent marcher. Elle vacilla et tomba au sol, grognant de mécontentement.
« Balsa-San va nous tuer si elle apprenait que sa fille est saoule, s'apeura Taiga.
- Peut-être bien ! confirma Torogai avec un rire narquois. Ah, la petite jeunesse ne sait pas maîtriser l'alcool… il va falloir que je vous endurcisse tous alors !
- Shozen, l'appela Alika, je vais vomir… »
Rapidement, il se leva, l'empoigna et ouvrit la porte extérieure juste à temps. Il dirigea sa tête vers les buissons où elle vomit le reste de son alcool. Lany grimaça.
« Je n'aime pas être saoule, pleurnicha-t-elle soudainement. Pourquoi j'ai décidé de boire ?
- Pour faire changement de la routine, la reprit Shozen en essuyant sa bouche avec un morceau de coton. Et c'est le solstice après tout.
- Je veux retourner à la maison…
- Je pense que l'on ferait même mieux de dormir ici, vu ton état. La route risque d'être pénible.
- Heureusement que Shozen n'a pratiquement pas bu, se rassura Lany. Sinon, il aurait fallu que je vous traîne tous les deux. »
Habitant dans la cité moyenne du Ougi, Akira décida de partir. Le chemin n'était pas un problème pour lui et il savait se défendre. Taiga, incertain de son état décida de rester dans la petite demeure; Maya s'en sortirait sans son aide et elle était au courant. Shuga, ayant envie de dormir en présence de Tomoe, prit le chemin vers sa maison. Suyou se tenait à distance respectable de Torogai, cherchant encore à cacher ses attributs de félin. Lany continua de lui dire que le lynx lui irait mieux que le simple chat.
« Dormez ici, invita Torogai au petit trio. Balsa et Tanda savent que vous êtes entre bonnes mains.
- Et qu'en est-il de toi, Maître Torogai ? s'inquiéta Shozen.
- Je n'ai pas besoin de dormir ! »
Taiga essaya de son mieux de reprendre ses esprits. Il eut assez d'énergie pour servir Alika et ses amis.
« Il y a plusieurs futons ici, et plusieurs pièces, donc vous allez pouvoir vous reposer en toute intimité.
- La même chose s'applique pour toi, dit Alika avec un sourire.
- Hein ?
- Mayuna est à tes côtés présentement. Elle n'aime pas te voir dans cet état, mais elle comprend que tu as eu besoin d'avoir du plaisir pendant le solstice. Si tu te concentres assez, tu seras sûrement capable de la sentir auprès de toi et même sa respiration. »
Il se mit à rougir violemment et balbutia quelques mots avant de quitter la pièce. Suyou était parvenu à s'enfuir loin de cet endroit sans avertir quiconque de son départ.
Shozen trouva un bac au cas où Alika aurait encore des envies de vomir pendant la nuit et laissa le soin à Lany de la changer pour la nuit. En faisant sa petite curieuse, la plus jeune avait trouvé des kimonos blancs de rechange qui avaient sûrement été apportés par les hunters au fil du temps. Elle en trouva même un à sa taille, sentant l'énergie de Suyou à travers les fibres de vêtements. Lany se souvint qu'elle était un peu plus grande que lui désormais.
« Tiens Shozen ! indiqua-t-elle. Je t'ai même trouvé un kimono blanc de coton à ta taille !
- Oh, merci c'est gentil.
- Alika et moi allons se coucher. Ça te dérange pas de dormir sur un futon à part ?
- Pas du tout.
- Aussi… tu ne t'es pas sentie jaloux qu'Alika ait choisi de m'embrasser ? »
Shozen sourit doucement.
« C'était… surprenant. Mais non, je ne vous en veux pas. Je ne peux même pas vous en vouloir en fait. Elle était saoule, et vous avez un trop gros écart d'âge. De plus, vous êtes disciple et mentor, alors la réponse est non. »
Lany hocha la tête et alla rejoindre Alika sur le futon qui était déjà partie dans un profond sommeil. Shozen ramassa un peu la pièce et retourna les vêtements du bon côté, avant de les plier et de les imiter. Sa petite-amie allait sûrement se réveiller avec la gueule de bois… une petite soupe devrait l'aider à se remettre sur pied.
Une fois dans sa pièce habituelle, Taiga prit encore un moment pour essayer de dégriser un peu de l'alcool. Les paroles qu'Alika lui avaient dit en étant saoule le hantaient. Mayuna était avec lui sous forme esprit. S'il se concentrait, il pourrait être en mesure de la sentir proche de lui et même d'entendre sa respiration… c'était ce qu'Alika lui avait dit, mais elle était saoule. Peut-être qu'elle disait des paroles en l'air. Tout en se changeant pour être confortable, il se perdit dans ses pensées.
Être un hunter signifiait mener une double vie : celle au service du mikado, agissant dans l'ombre et n'obéissant qu'à lui, et celle qu'il était réellement, quand il était en société et remplissait ses devoirs en tant qu'époux et père de famille. Se concentrer sur la présence de Mayuna et savoir ce qu'elle pensait et faisait dans le monde spirituel se relevait être comme une troisième vie, et Taiga ne s'en sentait pas capable. Il devait avancer et penser à lui. Par précaution, il prit aussi un bac et l'emmena proche de son futon qu'il avait peiné à dérouler. Il s'écrasa dessus et sentir sa tête tournoyer.
Il était sur le point de s'assoupir quand il sentit un mouvement proche de sa jambe, comme si quelqu'un avait accoté sa propre jambe contre la sienne. Il sursauta et passa une main pour être sûr que ce n'était pas un drap ou un insecte.
« Argh, Alika, c'est quoi qui t'a pris de me tourmenter comme ça ? grogna-t-il. »
D'abord Suyou avec Torogai, puis Alika avec lui… les femmes de cette famille n'étaient pas à prendre à la légère. La terreur le prit d'assaut quand il sentit invraisemblablement une main au niveau de son flanc comme un câlin.
« L'alcool a vraiment été plus fort cette année… je suis sûr que Torogai a ajouté une sorte de drogue dedans ! »
Il regarda partout dans la pièce, prêt à faire n'importe quoi pour briser un quelconque sortilège de magie. Au point de paraître fou, il osa parler à haute-voix.
« Écoute… Mayuna… si c'est vraiment toi… je veux que tu saches que je vais bien… tu-tu me manques, c'est vrai, mais j'ai ma vie à vivre et tu as tes expériences à vivre… hum… je sais que tu t'inquiètes de mon état, mais… ne t'en fais pas. Je m'en sortirai et tu le sais… »
Il arrêta son monologue et se tourna sur son futon. Il était en transe entre le sommeil et le réveil quand il crut entendre une respiration calme et régulière. Elle était douce. Taiga calma son fil de pensées et finit par s'abandonner dans les bras de Morphée.
Le réveil fut pénible, mais il combattit les effets secondaires de la gueule de bois et s'habilla après s'être nettoyé le visage. Il entendit du bruit à l'extérieur, comme des coups fouettant l'air. En arrivant dans la cuisine, il fut surpris de voir un chaudron dont le contenu mijotait tranquillement. Ça ressemblait à une soupe, et aux côtés à du riz cuit à la vapeur. En ouvrant la porte coulissante, il tomba nez à nez avec la lame d'une lance. Rapide comme l'éclair, son premier réflexe fut de tirer son sabre et de bloquer l'attaque.
« Oh… bon matin, Sir Taiga, résonna la voix de Shozen. Je ne voulais pas vous attaquer réellement.
- Évite d'être trop formel avec moi, Shozen. J'aime me détendre moi aussi en dehors de mon travail. »
Shozen ramena sa lance et s'inclina poliment.
« Jolis réflexes, le complimenta le lancier.
- Tu t'entraînes à tous les jours comme ça ?
- C'est ce qu'un guerrier doit fait, non ? Comment te portes-tu ?
- J'ai mal à la tête, à la mâchoire aussi… C'est toi qui as mis une soupe sur le feu ?
- Oui. J'en connaissais deux qui allaient en avoir de besoin aujourd'hui. Tu en fais partie.
- Est-ce que la vieille chouette est encore ici ? questionna Taiga.
- La vieille chouette ?
- Celle que vous appelez si souvent "Maître Torogai" ou "Grand-Mère" pour les intimes.
- Maintenant que j'y pense… non, je ne me souviens pas de l'avoir vue, ni même entendue. Elle ronfle tellement fort que même la personne la plus sourde au monde pourrait savoir où elle se trouve.
- Elle est sûrement repartie vagabonder en sachant que sa petite-fille est en sécurité. »
Les deux hommes rentrèrent à l'intérieur, continuant de faire plus amples connaissances. Les escaliers grincèrent et des voix accompagnèrent les pas. Lany apparut avec Alika qui semblait avoir mal dormi.
« Bon matin, mes dames, les salua Shozen. Comment on se sent aujourd'hui ?
- Bien, répondit Lany.
- Amochée, lâcha Alika.
- As-tu encore vomi ? se renseigna-t-il. »
Elle hocha négativement de la tête.
« Tant mieux. Mais ta voix est étrange.
- Ça me fait ça quand je ne dors pas bien…
- Tenez, les invita Taiga, prenez un bon thé pour vous réveiller. »
Alika s'assit mollement sur le coussin et sirota le thé jusqu'à ce qu'elle reçoive un petit bol de soupe et de riz en même temps que Taiga.
« De la soupe au petit déjeuner, s'exclama Lany. J'ai toujours rêvé de pouvoir faire ça !
- Alors quand tu seras en âge de boire, c'est ce que tu feras, s'amusa Shozen.
- Taiga m'a l'air songeur, sortit Alika.
- Hein ? Non. Je repense seulement à ce qui s'est passé hier soir.
- Après avoir été te coucher ?
- No-non… la soirée. »
Elle déposa son bol après avoir avalé quelques gorgées du bouillon épais et salé. Elle ne le croyait pas, alors elle fila droit au but.
« J'étais saoule, mais à ce niveau, j'avais pleinement conscience des enjeux spirituels. Tu as senti les touchers de Mayuna et tu as entendu sa respiration. »
Taiga sursauta.
« Je savais que ça te tourmenterait. Alors je vais t'expliquer pourquoi et comment cela a été possible.
- Mais… Lany et Shozen…, s'étrangla-t-il. »
Shozen fit un signe de main comme quoi ce sujet était des plus anodins et Lany se contenta simplement de sourire, reprenant encore du riz pour le mettre dans son restant de bouillon.
« Ils sont habitués à mon jargon spirituel. Quand tu n'es pas médium de base, et que tu es saoul, ou dans un tout autre état de conscience, altéré par des substances illicites qu'est la drogue, ou fumer d'autres trucs pas très bons pour la respiration, tu ouvres des portes quant à voir des choses.
- Des hallucinations, donc ? essaya de réconforter Taiga.
- Ça peut arriver, et c'est majoritairement ce qui arrive. Mais une petite portion de gens arrive à se connecter aux esprits et communiquer avec eux de cette façon. Ce n'est pas pour rien que Grand-Mère passe son temps à fumer dans sa pipe. »
Taiga déposa sa cuillère sur la table. Son appétit s'était soudainement envolé.
« Donc, je n'aurai pas halluciné à cause de l'alcool, mais bien ouvert une porte pour…
- Communiquer ou entrer en contact avec Mayuna, confirma Alika. Mayuna ne veut pas te mettre de bâton dans les roues. Elle a juste senti le besoin de te veiller et sentir un peu de ta présence. Il ne faut pas que tu te sentes mal, et même si tu la repoussais, elle ne bougerait pas.
- Je ne boirai plus jamais d'alcool à partir de ce jour.
- Ou peut-être seras-tu tenté d'en boire pour communiquer avec elle plus souvent. »
À cet instant, la famille de Taiga apparut dans sa tête. Ses trois enfants, et sa femme Maya.
« Je ne veux pas devenir alcoolique. J'ai une famille à m'occuper et à nourrir.
- Je suppose que s'il y a un quelconque problème, tu pourras toujours le communiquer à mon père si je ne suis pas là; je veux dire, lorsque je serai à Kanbal. Au fait Shozen, ta soupe est vraiment bonne !
- Lany en est à son troisième bol, rit Shozen.
- Ten no Kami, Lany, tu es affamée, s'exclama Taiga en changeant de sujet.
- Ou simplement en poussée de croissance, s'émerveilla Alika. »
Comme ils se sentirent tous un peu mieux, ils rangèrent la petite maison et finirent par se quitter, pour retourner chacun chez soi. En cours de route, Lany raconta que Shozen n'avait presque pas bu la veille.
« Il y avait une raison particulière ? demanda-t-elle. Tu aurais pu le faire, comme on a dormi là.
- C'était une promesse, finit-il par avouer.
- Une promesse ?
- J'ai promis à Balsa que je prendrais soin d'Alika si elle devait être trop saoule hier soir. Je me suis donc improvisé en tant que garde du corps personnel. Pas que je ne faisais pas confiance aux autres membres de la gang, mais avec le passé d'Alika… je n'ai pas pu m'empêcher de vouloir la couver un peu.
- Ainsi, ma mère t'a demandée de veiller sur moi, comprit Alika. L'aurais-tu quand même fait si elle ne te l'avait pas demandé ?
- Ça aurait été mon intention numéro un, même sans devoir. Comme je suis dans un pays étranger, je ne me sentais pas à l'aise totalement de laisser aller mon fun. Simple mesure de précaution. Et aussi, Alika, je te rappelle que tu as embrassé Lany, hein ? »
Alika changea d'expression. Ça aussi, elle s'en souvenait. Et pour tout avouer, elle ne savait pas ce qui lui avait pris d'embrasser sa petite disciple. Elle n'était pas capable de mentir comme Lany le sentait. Ça faisait parti de ses dons innés en elle.
« Y a-t-il quelque chose de mal à avoir embrassé une femme ? Serais-tu jaloux ?
- Moi ? Jaloux ? Non.
- Shozen-le-jaloux…
- Alika !
- Moi, ça ne m'a pas dérangé ! intervint Lany pour détendre l'atmosphère. J'ai même bien aimé ce contact pour tout dire.
- Ah oui ? se surprit Alika.
- Si je n'avais pas voulu que tu m'embrasses, je me serai poussée hors de ta portée. Et… tu es la première personne avec qui j'ai échangé un baiser sur les lèvres.
- … J'ai donc volé ta magie du premier baiser amoureux ! se scandalisa-t-elle. Hé merde ! »
Lany arqua un sourcil.
« Je n'ai jamais vu ça comme sacré, rassure-toi. Je préfère que ce soit une personne en qui j'ai confiance et que je connais, plutôt qu'un inconnu qui m'abuse émotionnellement. »
Alika attira sa disciple dans ses bras en pleine marche. Elle serra fort contre elle.
« Merci d'avoir pris soin de moi et m'avoir veillé… même chose pour Shozen.
- Hé bien… tout ce qui a été fait et dit là, reste là, conclut-il.
- Oui, secret ! affirma Lany. »
Tanda sortit la tête hors du refuge en entendant des éclats de rire. Il fut soulagé de voir que la soirée s'était bien passée et qu'ils avaient eu du fun. En isolant un instant Shozen de ses amies, Balsa le remercia d'avoir rempli son devoir. Il venait de créer un lien de confiance avec sa belle-mère.
« Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu heureuse comme ça… et elle se sent bien et en sécurité, observa Balsa. Enfin, l'an passé, elle l'était aussi, mais cette année, elle resplendit encore plus qu'avant.
- Si elle est heureuse, je le serai aussi. Et si elle retombe et redevient malheureuse, je serai là pour la soutenir et l'épauler. Je ne l'abandonnerai pas.
- Si vraiment ça ne va vraiment plus et que tu as épuisé toutes tes ressources… retourne-là-nous, d'accord ? Ne la laisse pas seule ni dépérir.
- Je le promets. »
Il fit le signe des lanciers, un poing sur son cœur et inclina la tête.
Le milieu de l'été s'annonça. Lany fêta ses treize ans, quelques jours après que les jumeaux eurent fêté leurs neuf ans. Ensembles, ils organisèrent une grande fête pour célébrer les trois anniversaires.
Motoko décida alors d'exposer son second projet pour visiter les différentes places avant la fin de leurs vacances.
« J'avais dit que l'on visiterait Rota, mais je proposerai de faire ça juste au dernier mois. Je me suis trompée quant à la date du festival Hanma. Donc, d'ici-là, on pourrait aller visiter la péninsule de Sangal.
- La péninsule ? déglutit Lany. Ça veut dire… proche de la mer ?
- Oui ! »
Motoko s'arrêta soudainement, comprenant le malaise de Lany.
« Oh, oui, c'est vrai… tu n'aimes pas la mer.
- Je peux toujours venir, mais si vous allez à la plage, ce sera sans moi… ou il va me falloir me bander les yeux.
- Il n'y pas juste de petits kiosques sur le bord de la mer, ajouta Balsa. Certains sont plus en retrait et proches des terres.
- Est-ce qu'on va louer une auberge ? demanda Shozen.
- Non, on va dormir sur la plage et sur les quais de port ! s'ironisa Alika.
- Très drôle. Pauvre Lany… »
Contente de sa réaction, elle lui offrit un petit coup de coude ainsi qu'un baiser sur la joue. Tanda proposa d'y aller tous ensembles – ou presque comme Nao était retourné à Toumi – et qu'il ramènerait les jumeaux avec lui quand ses congés seront terminés. Le voyage à Sangal terminerait avec uniquement Balsa, ses deux filles, Lany et Shozen.
« Surtout, n'apportez rien de valeurs, les avertit Balsa. Le vol est monnaie courante à Sangal, mais le meurtre est extrêmement rare. La plupart des habitants de Sangal ne considèrent pas la vie humaine comme quelque chose qui peut, ou devrait, être volée. »
Voyant que Lany était quand même intriguée par Sangal, mais qu'elle angoissait à cause de la mer et des bateaux, Motoko alla proche de son étagère et tira un moyen coquillage de couleur orangé et rose.
« Il est joli, complimenta Lany.
- Merci. C'est un cadeau que j'ai eu quand Maman est revenu d'un travail de garde de là-bas. »
Elle colla son oreille contre le coquillage.
« Tu peux entendre la mer quand tu y colles ton oreille. Ça me réconforte quand je vais pas bien. »
Motoko lui tendit son coquillage et doucement, Lany l'imita. Elle pouvait effectivement entendre les bruits de vagues. Elle sourit et lui redonna.
Sans comprendre pourquoi son esprit s'était arrêté sur ce détail, Alika se rappela du collier de la reine Naiyana de Kanbal. C'était un bijou qui lui avait été offert par les Talsh, lequel elle chérissait jour et nuit. Elle avait dit à Lany qu'elle trouverait un moyen de le remplacer par un bijou encore plus dispendieux. Est-ce que Sangal possédait des bijoux de bonne qualité, assez pour arriver à la cheville des familles royales ? Bien que Kanbal était un pays pauvre et qu'un bijou de moyenne gamme était l'équivalent d'un trésor haute gamme pour son pays d'accueil, Alika se refusait de donner des trésors de qualité moyenne. Devait-elle en faire part à sa mère ? Et si elle osait dire le mot Talsh, est-ce que ça ne mettrait pas Balsa dans tous ses états ?
Incertaine, elle préféra en glisser un mot à Shozen pour commencer. Lui expliquant sa situation précaire, il l'écouta d'une oreille plus qu'attentive.
« Ouf, tu t'entraînes sur un terrain dangereux, bella, s'essouffla-t-il. Mais je comprends que ce bijou te mette les nerfs à vif. Je ne connais pas assez bien Sangal malheureusement pour te conseiller, mais il me fera plaisir de t'aider à dénicher ces trésors.
- Nous pourrions essayer… sinon, mon dernier recours sera de demander à mon Niisan.
- Ton Niisan ? s'étonna Shozen.
- … Hé bien… c'est une longue histoire, mais j'ai côtoyé l'actuel Mikado avant son règne.
- Vraiment ? »
Tout en préparant ses choses pour le voyage, elle lui raconta comment Chagum avait fait partie de sa famille un moment, quand elle n'était que fillette. Quand Shozen apprit que la famille immédiate d'Alika était encore en communication avec Chagum, même s'il était Mikado, il l'arrêta aussitôt dans son plan de trouver des bijoux à Sangal.
« Profitons du voyage à Sangal pour se reposer et renforcer notre relation. Ne te casse pas la tête, bella. Envoie une missive à ton Niisan, explique-lui ta situation; si c'est vraiment ton Niisan et qu'il te porte encore dans son cœur, je suis certain qu'il dénichera un merveilleux collier Yogoese que tu pourras offrir à la reine Naiyana. De plus, si je me trompe, tu as proposé une alliance avec sa petite sœur Aozora et le prince Loesan… ce serait aussi un moyen de pouvoir promettre une future union. Et comme tu seras la lancière et protectrice de notre reine… tout s'enchaîne à merveille ! »
Alika réfléchit à la proposition de Shozen. Il avait raison que ça sonnait plus facile, et c'était effectivement un avantage d'avoir le Mikado de son côté et être aussi proche de lui.
« Sois égoïste, lui proposa-t-il. Ce n'est pas donné aux roturiers d'avoir un lien aussi étroit avec la noblesse, encore moins la famille royale.
- … Alors, devrais-je lui envoyer une missive avant notre voyage, ou après ?
- Ça dépend toujours de comment votre messager est rapide.
- Je ne pense pas te l'avoir dit… mais notre messager privé n'est nul autre que Sir Jin.
- Taiga ? »
Elle hocha rapidement la tête avec ferveur.
« Si tu veux offrir le collier toi-même à la reine Naiyana, alors le plus vite sera le mieux.
- D'accord… alors ce soir, je commencerai à rédiger la lettre. Par après, j'irai la porter à Oncle Tohya qui se chargera de la faire parvenir au Palais.
- Et comme ça, on ne mêle pas ta mère dans l'histoire ! Tout ce qui est relié à la politique Kanbalese reste du ressort des Lanciers du Roi… et de la Lancière de la Reine. »
Il fit un clin d'œil et l'embrassa sur les lèvres.
« De quoi parlez-vous ? J'ai entendu mon nom, résonna la voix de Balsa derrière eux.
- Politique ! déclarèrent Alika et Shozen en parfait synchronisme d'un sérieux à faire peur, surprenant Balsa.
- … Euh, je suppose que cela ne me concerne d'aucune façon. »
Elle tourna les talons. Shozen regarda par-dessus son épaule et pouvait voir ses épaules être agitées. Balsa riait. Son rire le contamina et il finit par l'imiter. Le soir-même, Alika écrivit une belle lettre pour son Niisan et se promit d'aller voir Saya et Tohya dès le lendemain.
