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Leçon de musique.
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Harry venait juste de finir d'aider Rud à nettoyer la cuisine de fond en comble. Il était tard, il était fourbu, mais ne s'en était pas plaint. Après tout, les tâches domestiques étaient une routine pour lui, puisqu'il avait été, toute son enfance, l'esclave personnel (l'elfe de maison ?) de son oncle et sa tante.
Essuyant ses mains sur un torchon, il soupira, songeant au lit confortable qui l'attendait.
Mais, alors qu'il atteignait la porte de sa chambre, ses oreilles furent attirées par une plainte mélancolique et douce qui s'échappait dans l'air nocturne.
Un piano.
Quelqu'un jouait du piano, à cette heure de la nuit ?
Sa curiosité fut plus forte que la promesse d'un bon sommeil régénérateur et il se laissa guider par la complainte qui flottait dans les couloirs du Manoir.
Lorsqu'il atteignit une porte entrebâillée, la mélodie atteignit son paroxysme, l'invitant à entrer. Pénétrant dans la pièce, il découvrit un petit salon, plongé dans une atmosphère feutrée et éclairé par quelques chandeliers disséminés de part et d'autre de la pièce.
Au centre du tableau, trônait un piano à queue. Ses lignes élégantes et sa laque noire, brillante, reflétaient faiblement la lueur mouvante des bougies. Les touches d'ivoire, jaunies, étaient légèrement usées par le temps. Malgré son âge, l'instrument demeurait parfaitement accordé, émettant un son riche et profond qui emplissait le petit salon d'une atmosphère envoûtante.
Harry sentit son souffle se bloquer dans sa gorge quand il reconnut le pianiste ; Dos à l'entrée, Tom Riddle était plongé dans la musique, ses doigts dansant sur les touches avec une grâce captivante.
Le jeune homme resta là, appuyé contre le chambranle de la porte, fasciné, observant Tom se perdre dans la mélodie. Il profita sans vergogne de la musique, appréciant pleinement l'instant de paix qui lui était proposé.
Alors que les dernières notes s'éteignaient, la voix sarcastique de Tom résonna dans la pièce : « Monsieur Potter, dois-je déduire que vous vous êtes, encore une fois, perdu dans mon Manoir ? »
Harry répliqua : « Je m'étonne que le… Jeune Maître, ne se soit jamais vanté de son talent musical. »
Tom tourna enfin la tête vers lui et son regard brilla un instant sous les flammes. Harry esquissa un sourire avant de désigner les bougies allumées : « Vous savez que l'électricité est installée, ici ? »
« Ho ! Par pitié ! – Tom retourna à son piano – cette lumière artificielle me met toujours d'une humeur massacrante. »
Harry s'était approché du clavier. Il laissa un doigt pensif s'évader sur les touches d'ivoires : « J'ai toujours rêvé d'apprendre le piano… mais… enfin, bon, c'était un rêve d'enfant. »
Un rêve d'enfance, plus précisément. Il se souvenait comme si c'était hier de sa tante Pétunia, si désireuse de faire de Dudley un « Remarquable Petit Gentleman », qu'elle l'avait inscrit à des leçons particulières de piano. Elle avait pensé que, puisque son fils chéri adorait frapper sur tout ce qu'il trouvait, alors un instrument à « cordes frappées » était tout simplement parfait pour lui.
Harry n'était pas du même avis. À ses yeux, les percussions auraient tout aussi bien pu satisfaire les besoins de « frappes » de son cousin. Cependant, il ne pouvait nier que le piano possédait une aura noble qui l'entourait, une certaine délicatesse exigeante, comme si apprivoiser cet instrument requérait un raffinement particulier. Et il voyait très bien sur quel chemin Pétunia avait été tentée d'emmener son rejeton.
Alors qu'une nouvelle vocation avait été décidée pour Dudley, le seul honneur qui avait été accordé à Harry était d'endurer ces massacres sonores, sans jamais avoir la chance de toucher une seule touche lui-même.
À chaque nouveau morceau, l'instrument semblait mourir un peu plus sous les poings brutaux de son cousin. Harry, témoin impuissant de ce massacre musical, n'aurait jamais pu croire possible qu'un piano puisse geindre, pleurer et supplier. C'était pourtant le seul son qu'il entendait, semaine après semaine, transformant la séance de musique en un acte de cruauté quotidien.
Les leçons s'étaient abruptement interrompues, sans explication, après la démission soudaine de l'enseignant. Depuis lors, aucune autre tentative n'avait été faite pour offrir à Dudley la moindre leçon de musique.
Alors forcément, entendre Tom jouer était pour Harry comme du miel divin qui coulait directement au creux de ses oreilles. Chaque note était un élixir enivrant qui apaisait les cicatrices auditives laissées par les séances de piano brutales de Dudley. Cette musique était une oasis de délicatesse dans le désert agressif de son enfance. L'instrument ne souffrait plus : il chantait, subtilement et avec raffinement.
Tom l'observa un long moment, sans un mot, puis, il se décala légèrement sur le tabouret, laissant un espace à Harry pour prendre place à ses côtés.
Une invitation silencieuse.
Harry déglutit, hésitant. C'était une chose d'écouter un musicien de loin, c'en était une autre de s'assoir, collé à lui, sur un tabouret destiné à une seule paire de fesses.
Il était tiraillé entre la proposition tentante et la répulsion profonde qu'il éprouvait envers celui qui avait brisé son enfance, son adolescence… toute sa vie en fait.
Son regard se posa sur la courbe délicate de la nuque pâle de Tom, penchée sur le piano, et il se demanda s'il pouvait réellement partager cet espace intime avec le futur assassin de ses parents.
Il savait aussi que le Lord n'aimait pas être touché. Maddy le lui avait répété des dizaines de fois : « Quoi qu'il arrive, on ne touche pas le Jeune Maître. Jamais. »
Plusieurs anciens serviteurs avaient été blessés en faisant cela, d'après les rumeurs.
D'un autre côté, Harry avait déjà rompu cette requête et Tom n'avait pas montré plus de signe d'hostilité que ça. C'était même lui qui proposait désormais un contact.
Cependant, malgré le fait que ce dernier semblait laisser le choix à Harry, il avait fortement l'impression d'être manipulé, sans vraiment comprendre de quelle façon.
Finalement, Harry céda à la tentation et prit place à côté de Tom.
Leurs jambes se frôlèrent légèrement.
Harry observa attentivement ses mains agiles caresser les touches du piano avec une aisance déconcertante.
« Faites une mesure ou deux de noires, avec le "la", en gardant le tempo Adagio. », ordonna soudainement Tom.
Harry le regarda, les yeux écarquillés, complètement perdu. Tom soupira : « Êtes-vous certain de venir d'une famille noble, Monsieur Potter ? »
Un peu honteux, Harry rétorqua dans sa barbe : « Il me semblait déjà avoir précisé que j'étais d'une branche éloignée ! »
Sans prononcer un mot, Tom continua calmement de jouer de sa main gauche. Lorsqu'il posa sa main droite sur celle d'Harry, ce dernier eut un mouvement instinctif de recul, surpris par cette intrusion. Cependant, la poigne de Tom se raffermit doucement sur ses doigts, le contraignant à céder sous ses gestes assurés.
Leurs mains entrelacées, Tom guida celle d'Harry jusqu'au « la ».
Puis, lorsqu'il estima que son binôme avait assimilé le rythme, il relâcha sa prise, non sans un frôlement superflu, et se plongea dans une mélodie plus complexe à deux mains.
Les doigts fins et agiles couraient sur le clavier et Harry observait avec fascination. Une pointe de regret traversa son esprit à la vue des gants qui masquaient ces mains virtuoses.
Son regard remonta le long des bras fermes de Tom, s'étirant jusqu'à ses épaules tendues. Le visage de Tom, perdu dans la musique, révélait une intensité captivante. Ses traits étaient d'une perfection presque irréelle, chaque détail sculpté avec une précision saisissante. Ses yeux, profonds, presque envoûtants sous les lumières vacillantes, reflétaient la passion qui l'animait. Harry, captivé, contempla ce visage divinement beau, réalisant que c'était la première fois qu'il pouvait le détailler ainsi.
Un instant, la tentation de provoquer une erreur pour ramener l'attention de Tom vers lui, le traversa.
Perdu dans son observation, Harry ne s'aperçu pas tout de suite que la musique avait cessé. Ce ne fut que lorsque les yeux de Tom plongèrent dans les siens qu'il réalisa que le son s'était éteint.
Il retira vivement sa main du piano, comme s'il avait craint troubler le silence qui s'était installé. Lorsque ses doigts quittèrent les touches, il eut l'impression fugace de s'être brûlé et un frisson parcourut sa peau.
Se levant rapidement du tabouret, il trébucha maladroitement sur les pieds de celui-ci, accentuant sa démarche précipitée.
Tom arqua un sourcil amusé.
« Merci. » articula Harry d'une voix mal assurée avant de se hâter de quitter la pièce, s'éclipsant dans le couloir silencieux en direction de sa chambre.
