Ce texte a été écrit dans le cadre de la Nuit du fof, un événement organisé par le Forum francophone. Il s'agissait d'écrire, en temps limité, en s'inspirant du mot "moniteur".


Un accueil glacial

Avant l'assaut, l'esprit du guerrier est son propre champ de bataille. Cette victoire sur soi-même, chacun la remporte avec les armes dont il dispose, et les habitudes qu'il a prises. Natasha Romanoff s'étire et passe en revue tout ce qu'elle sait de l'adversaire. Sam Wilson vérifie son équipement jusqu'à la moindre couture, en chantant dans sa barbe ; Wanda Maximoff croise bras et jambes pour mieux sonder au fond d'elle-même la source de son pouvoir. Vision, qui n'est pas humain mais qui a appris au contact des vivants à saisir l'importance d'un moment dans l'impermanence des choses, s'efforce d'emmagasiner la beauté du monde, aux côtés de celle qu'il aime.

Pour sa part, Steve Rogers mémorise les plans et, quand il le peut, il prend une douche.

Or si le quartier général des Avengers manquait ce jour-là de nombreux éléments cruciaux – des machines et du savoir-faire de Shuri, qui lui auraient permis d'extraire tout de suite la Pierre du front de Vision, d'un arsenal suffisant pour défendre la Terre contre une armée du calibre des monstres qu'ils venaient d'affronter en Écosse, de moyens de communication assez puissants pour entrer en contact avec Spiderman et Iron Man où qu'ils fussent désormais dans l'espace et, par dessus tout, d'Iron Man lui-même... –, ledit quartier général fournissait toujours le confort moderne.

L'eau chaude (abondante et sans calcaire, s'il-vous-plaît) détendait les muscles de Steve pendant qu'il réfléchissait aux étapes à venir. Une fois sur le sol du Wakanda, il faudrait qu'il aille chercher Bucky. Les circonstances l'appelaient à reprendre les armes, ils auraient besoin de toutes…

« Hé ! »

Une eau glaciale se déversa tout à coup de la paume de douche.

Steve crut un instant qu'il avait vidé le ballon d'eau chaude (il n'était pourtant sous la douche que depuis quelques minutes ?), avant de se souvenir que le circuit d'eau, mis au point par Tony comme tout le reste de la base, ne connaissait pas ce genre de problèmes. Il coupa précipitamment l'eau, puis la ralluma prudemment, testant la température de ses doigts tendus. Sans doute était-ce une illusion, mais elle lui parut encore plus gelée.

« Pardonnez-moi pour cette interruption, M. Rogers.

‒ Friday ?

‒ J'aurais souhaité m'entretenir avec vous.

‒ Eh bien, je vous écoute », répondit Steve en secouant la tête pour chasser l'eau de ses cheveux.

Il ferma définitivement le robinet.

« En l'absence du patron, vous êtes de facto le leader des Avengers, quelle que soit la configuration de l'équipe à cette date. Si regrettable que soit cette situation, elle vous donne accès aux dossiers que j'ai compilés avec le patron pour transmettre les informations cruciales dans l'éventualité d'une attaque extraterrestre. Ces informations vous sont accessibles via tous les moniteurs de la base. Elles peuvent aussi être téléchargées sur votre téléphone, pourvu que vous ne vous serviez pas d'un modèle antique à clapet.

‒ Ah. Merci beaucoup, je vais consulter l'un des moniteurs.

‒ Ne me remerciez pas, c'est le protocole.

‒ Est-ce que le protocole condamne l'eau chaude ?

‒ Il ne prescrit rien à ce sujet. D'ordinaire, je pourrais contacter le patron pour solliciter son opinion, malheureusement, il est injoignable depuis qu'il a dépassé Proxima du Centaure, c'est donc à moi de vous réserver l'accueil que vous méritez. »

Steve inclina la tête. À l'image de leur créateur, les I.A. de Tony n'avaient jamais manqué de caractère. Et vu la débâcle sur laquelle lui et Tony s'étaient quittés en Sibérie, il pouvait se réjouir d'avoir au moins accès à l'intelligence amassée par Friday. En comparaison, l'eau chaude n'était pas une priorité.

En outre, échanger avec Friday lui permettrait d'éclaircir un point sur lequel il s'interrogeait depuis qu'il avait vu les images de Tony et de Spiderman à la poursuite de cette espèce de roue géante (le donuts volant, disait Sam).

« As-tu pu scanner le vaisseau des envoyés de Thanos pendant qu'il survolait New York ?

‒ Partiellement, car certaines salles étaient dissimulées par un blindage que je n'ai pas pu percer.

‒ Quelles sont les chances, à ton avis, que Tony parvienne à prendre le contrôle du vaisseau et à le ramener sur Terre ?

‒ Si le défi technologique est le seul paramètre et dans l'hypothèse où il n'aurait pas été blessé, la probabilité que le patron réussisse à piloter l'engin avoisine 1. Mais la férocité des émissaires de Thanos constitue dans ce cas la menace principale. En outre, il est peu probable que le patron choisisse délibérément une stratégie qui risque d'attirer Thanos sur Terre.

‒ Tu penses qu'il irait à sa rencontre ?

‒ C'est le plus probable. Il est aussi possible qu'il cherche à rejoindre Thor, ou qu'il fasse halte dans une destination tierce si Spiderman est blessé. »

Steve hocha la tête. Ça collait en effet avec le caractère de Tony, qui se montrait parfois lunatique mais qui, sur les sujets qui lui tenaient à cœur, faisait preuve d'une détermination absolument intraitable.

« Si le patron décide de rentrer sur Terre, poursuivit Friday, c'est sûrement que Thanos aura été vaincu. »

Elle n'ajouta rien de plus, mais Steve pouvait compléter ce que sous-entendait son silence : « La Terre vient de perdre son meilleur défenseur », avait-il rétorqué à Ross plus tôt dans la journée, et Friday, que ses processeurs empêchaient de se bercer d'illusion, était parvenue à la même triste conclusion.