La vie de Harry avait perdu tout son sens et il ne savait plus quoi faire de lui-même. Il n'avait plus de travail pour le forcer à se lever et pour occuper ses journées. Il avait perdu Drago. Ses amis étaient tous pris par leurs propres vies et avaient autre chose à faire que de venir le baby-sitter. Et puis de toute façon, Harry n'aurait pas supporté ça. Autrefois, il serait peut-être allé chercher du réconfort auprès de Molly Weasley, au Terrier, mais pas cette fois-ci. Elle pensait que son amour pour Drago était une erreur, elle ne le comprenait pas, il ne voulait pas de ses commentaires. Il ne voulait pas de ceux de Ron non plus.
Harry savait que les visites à Azkaban se faisaient tous les 15 du mois mais le procès de Drago s'était tenu le 22 juillet et il allait donc devoir attendre trois semaines pour aller le voir. Ça lui semblait interminable. Harry resta des jours chez lui, à errer dans sa maison trop grande et trop vide. Il le savait déjà mais c'était toujours désespérant à réaliser : il n'avait aucun hobby, aucune passion, il n'avait rien à faire. Il n'aimait pas lire ou jardiner, il n'avait aucun talent pour l'écriture, le dessin, la peinture, la couture ou le bricolage. Il ne pratiquait aucun sport, aucun instrument de musique, aucune activité artistique. Sa vie était d'un ennui des plus mortels. Peut-être pourrait-il profiter de ce temps libre pour découvrir quelque chose qu'il aimait. Ça aurait été une bonne idée mais Harry se sentait trop mal pour se lancer dans quelque chose de nouveau. Cela demandait une motivation, une énergie et une pulsion de vie qu'il ne possédait pas.
Il faisait des paris avec lui-même pour savoir combien de temps tiendrait Hermione avant de venir le secouer et le forcer à s'inscrire à une formation quelconque. Et quand il le faisait, il se sentait pathétique parce qu'il se rendait compte qu'il attendait encore d'elle qu'elle vienne le sauver. Il devait se débrouiller tout seul, il était grand, il était adulte, il était… complètement cassé, à l'ouest, perdu, traumatisé et dépressif. Il dormait trop durant la journée, il ne mangeait pas assez, il buvait trop d'alcool, il faisait des crises, il ne dormait pas la nuit. Il reprit la manie d'aller sur les tombes de ses proches et de leur parler. Il raconta en long et en large son histoire avec Drago à Remus Lupin qui aurait sans doute été le plus compréhensif. A ses parents, il se plaignit de Long, de la corruption du Ministère, de cette prison absurde. Enfant, il avait été fasciné par le monde des sorciers et par la magie. Aujourd'hui, il se rendait compte de tout ce qui n'allait pas.
Le 31 juillet, il fut tiré de sa léthargie vers six heures du soir par Ron qui eut l'air un peu gêné. Malgré ce qu'il se racontait, Harry fut heureux de le voir.
- Nous n'avons pas beaucoup de temps, souffla Ron, pressé. Les autres veulent te faire une surprise et venir avec un gâteau pour fêter ton anniversaire. Je voulais être sûr que tu serais… euh… levé et habillé, et… enfin, présentable. Tu devras faire semblant de ne rien savoir, hein !
Harry fixa Ron avec un mélange de honte et de reconnaissance. Honte de penser que son ami avait une image de lui aussi pitoyable mais c'était la vérité et il ne pouvait le lui reprocher. Reconnaissance de penser que Ron s'était débrouillé pour venir le prévenir à l'avance, histoire qu'il ne s'humilie pas devant tout le monde en ouvrant la porte en pyjama, sale et à moitié ivre.
- Ils viennent quand ? demanda Harry.
- Tu as une grosse demi-heure avant qu'ils arrivent je pense.
- Merci de m'avoir prévenu.
Ron lui serra le bras d'un geste amical et lui sourit.
- A tout à l'heure.
Il s'en alla et Harry monta rapidement à l'étage pour prendre une douche. Il se lava rapidement, mit des vêtements propres et débarrassa le salon des bouteilles vides puis il ouvrit les fenêtres pour aérer et chasser les odeurs de sueur, de désespoir et de renfermé. Il ne se rasa pas et n'enfila rien de mieux qu'un jean et un t-shirt, il ne fallait pas non plus exagérer. Ça aurait l'air suspect qu'il soit trop bien mis.
Ses amis arrivèrent comme Ron l'avait dit et Harry fit semblant d'être surpris. Il salua à nouveau Ron, comme s'il ne venait pas juste de le voir et Hermione eut l'air soulagée de le trouver en si bonne forme. Harry se sentit encore plus reconnaissant envers Ron. Il salua également George et Ginny qui étaient là aussi. C'était la fine équipe, celle qui avait partagé de nombreux étés et de nombreuses fêtes de Noël. Il manquait Fred.
- Je sais que tu n'avais pas envie de faire une fête, expliqua Hermione. Mais nous ne pouvions pas te laisser complètement seul le jour de ton anniversaire. Nous avons donc simplement emmené un gâteau pour partager un petit moment, juste entre nous.
- C'est une bonne idée, merci.
Il se sentit touché. Il les conduisit dans le salon et ils dégustèrent le gâteau, même si ce n'était plus du tout l'heure pour ça. George avait apporté une bouteille de vin qui accompagna parfaitement le goûter puis Kreattur se proposa de faire un dîner léger pour tout le monde. Ils avaient commencé par le dessert mais ça ne faisait rien.
Au début, ils parlèrent surtout d'eux, de la boutique, de la formation de Ginny. Elle adorait le Quidditch et elle rêvait de travailler dans ce milieu-là. Elle n'était sans doute pas assez forte pour jouer pro mais être journaliste sportive lui plaisait bien. George fit quelques blagues, comme il savait si bien le faire, Hermione parla un peu de son travail au Ministère. Harry leur fut reconnaissant de ne pas tout de suite parler de Drago et du procès ou encore de toutes ces choses déprimantes qui composaient sa vie. Pendant une heure, il eut le sentiment d'être un jeune homme presque heureux, entouré de ses amis.
Il fallut bien en parler, toutefois. Hermione avait raconté le procès à Ron, qui l'avait raconté à George, qui l'avait raconté à Ginny. Ils étaient tous d'accord pour dire que quinze ans, c'était mieux que tout ce qu'on pouvait espérer, même si c'était long quand même. Ron avait l'air très satisfait qu'Agatha Greengrass ait balancé les méfaits de Long et de certains membres du Ministère. Hermione confirma qu'il y avait du remous, pas toujours pour le mieux. Plusieurs employés avaient démissionné, trop honteux d'assumer qu'ils avaient participé aux soirées de Long pour obtenir des postes. Certains membres du Magenmagot avaient été virés. Au moins, il y avait des changements.
- Quand est-ce que tu vas aller voir Malefoy ? demanda Ron.
Harry rappela que c'était tous les 15 du mois. Ginny eut une moue réprobatrice.
- Il faut toujours que les sorciers fassent des règles absurdes. Pourquoi seulement le 15 ? Ils pourraient vous laisser venir plus souvent, ça ne changerait pas grand-chose.
- Moi je ne comprends pas qu'ils ne laissent pas les prisonniers écrire des lettres, renchérit Ron. C'est vrai quoi ? Qu'est-ce que ça leur couterait de les laisser écrire à leurs familles ?
- Le système judiciaire est très arriéré chez les sorciers de toute façon, asséna Hermione. J'ai quand même l'impression que ça change petit à petit.
Harry fut surpris de voir que Ron était bien mieux disposé envers Drago depuis que celui-ci était en prison. Sans doute avait-il pitié de lui malgré tout. Et c'était plus facile de ressentir de la compassion pour un meurtrier qui payait sa dette. Même George ne dit rien de dur envers Drago. Harry était sûr que c'était aussi à cause du témoignage de l'elfe de Kyle Long, qui avait été relayé dans la Gazette. Quand on savait ce que Long avait fait à Drago, on ne pouvait pas être trop dur avec lui.
Finalement, Harry passa une bonne soirée. Il y eut des moments périlleux, par exemple quand Ginny lui demanda ce qu'il comptait faire, maintenant qu'il avait démissionné. Harry répondit qu'il n'en savait rien et qu'il y réfléchirait plus tard. Pour l'instant, ce n'était pas mal de profiter d'un peu de repos et de temps libre. Ginny le regarda dans les yeux, avec cette expression qui signifiait « Je sais que tu mens » et il détourna le regard.
Après cela, les journées reprirent leur cours. Harry décida que c'était le bon moment pour faire les choses qu'il repoussait depuis quelques temps et il écrivit à Andromeda Tonks pour savoir s'il pouvait venir lui rendre visite. Il écrivit une petite note pour dire que si elle voulait inviter Agatha et Serena, ça lui ferait plaisir. Il voulait les voir et les remercier mais il ne savait pas comment s'y prendre. L'idée de leur écrire directement à elles le mettait mal à l'aise, il ne les connaissait pas vraiment.
Harry y passa donc un après-midi, un dimanche d'août. Andromeda avait invité ses deux amies et Harry fut heureux de les voir. Il put remercier Serena Black de l'avoir aidé après le procès et il put remercier Agatha Greengrass d'avoir si bien défendu Drago. Sans elle, il aurait été abandonné. Agatha admit qu'elle était allée rendre visite à Drago à Azkaban et elle assura à Harry qu'il se portait aussi bien qu'il le pouvait. Harry se sentit soulagé et encore plus impatient d'aller le voir. Ils discutèrent longuement, des améliorations qu'ils pourraient apporter à la prison, de la situation du Ministère. Harry aimait être avec ces femmes, il se sentait bien, apaisé et en sécurité. Agatha lui fit savoir que s'il voulait travailler au département de la justice, elle pouvait toucher un mot pour lui. Il la remercia, hésitant encore.
- Et tu ne voudrais pas être journaliste par hasard ? demanda Serena en souriant. Mon fils rêverait de quitter la Gazette et de créer son propre journal. Avoir Harry Potter dans son équipe, ce serait assez incroyable.
Harry repensa au journaliste qui lui avait offert la photo et secoua la tête.
- Je n'ai vraiment pas de bons rapports avec les journalistes, répondit-il. Globalement, ils ont toujours été des ennemis pour moi.
- C'est parce que tu n'as jamais rencontré les journalistes d'investigation, ceux qui enquêtent pour trouver de vraies informations et dénoncer ce qui ne va pas.
Non, c'est sûr, il n'avait rencontré que Rita Skeeter et les paparazzi de Sorcière Hebdo qui parlaient de Drago et lui n'importe comment. Il eut toutefois une moue un peu dubitative, comme s'il doutait qu'il y ait beaucoup de journalistes qui valaient mieux que ça.
- Et comment crois-tu que j'aie été au courant des soirées de Kyle Long, de ses chantages et de tout le reste ? demanda sérieusement Agatha. Sans le fils de Serena et ses enquêtes, je n'aurais rien eu contre Long et Drago Malefoy aurait eu la perpétuité.
Harry la fixa, un peu déstabilisé. Bon, finalement, il allait peut-être revoir son jugement sur les journalistes. Après cela, il alla jouer avec Teddy dans le jardin et il arrêta de penser à quoi que ce soit de triste pendant quelques temps.
OoOoOoO
Pour Drago, cela avait été comme une bouffée d'air frais de revoir Agatha Greengrass. Puisqu'elle gérait son dossier, elle pouvait venir le voir quand elle voulait, 15 du mois ou pas. Et puisqu'elle travaillait pour le Ministère et que leur entretien ne regardait personne, ils avaient droit à une salle privée où ils s'étaient retrouvés tous les deux. C'était une minuscule pièce dotée d'une table et de deux chaises mais ça suffisait amplement. Agatha avait posé sur la table une boite de pâtisseries et l'avait poussée vers Drago. La nourriture d'Azkaban n'était pas aussi terrible qu'on pouvait s'y attendre mais elle était répétitive, sans imagination et sans saveur. Rien que pour les pâtisseries, il espérait qu'Agatha reviendrait régulièrement. Et il songea que c'était sidérant comme l'homme redevenait rapidement un animal quand il était maltraité. Il ne pensait qu'à la bouffe.
Agatha lui avait posé des questions sur sa vie en prison et elle avait l'air de s'y intéresser réellement donc il lui avait répondu. Il ne la connaissait pas et il n'avait pas besoin de mentir pour la protéger, il pouvait dire la vérité. Elle eut l'air soulagée de savoir qu'il partageait sa cellule avec Franck Rooney car d'après elle, ce n'était pas le pire, loin de là. Elle refusa de dire à Drago ce que Rooney avait fait pour être enfermé, c'était personnel. Elle aurait pu, il n'y avait pas vraiment de lois sur la confidentialité chez les sorciers mais c'était une question d'éthique. Drago n'avait pas insisté mais il avait été rassuré. Franck n'avait peut-être pas tué sa femme, finalement, il avait peut-être mal compris à l'époque.
Il avait posé des questions, lui aussi, surtout pour faire durer l'entretien. Comment allait Daphné ? Il se souvenait parfaitement d'elle, ils avaient été dans la même classe pendant sept ans. Il avait appris avec surprise qu'elle était devenue danseuse. Ma foi, cela lui allait bien. Il avait ressenti une jalousie dévorante pour ces jeunes gens qui vivaient leur vie pleinement en faisant ce qu'ils aimaient alors qu'il était enfermé à Azkaban. Et Harry ? avait-il demandé du bout des lèvres. Avait-elle de ses nouvelles ? Non, pas spécialement. D'après Andromeda Tonks, il passait son temps chez lui, à faire elle ne savait pas quoi. Rien, sans doute. Drago avait eu un léger tressaillement en entendant parler de sa tante. Sa tante qui avait plus de lien avec Harry qu'avec lui-même. Sa vie était vraiment de la merde.
Agatha avait promis de revenir même si au fond, elle ne savait même pas pourquoi elle voulait venir. Parce que Drago avait l'âge de sa fille et avait été son camarade de classe ? Parce qu'elle avait pitié de lui ? Parce qu'il était le neveu d'Andromeda ? Parce qu'elle se sentait toujours coupable de la situation ? Un mélange de tout cela, assurément.
Drago apprenait la vie à Azkaban. C'était facile parce qu'elle était très routinière et très répétitive et qu'il y avait peu de surprise. C'était difficile parce qu'elle était aliénante et que la privation de liberté était atroce à supporter. Franck était égal à lui-même, taciturne et fermé mais finalement plutôt aimable. Parfois, au réfectoire, Drago sentait le regard de Franck sur lui mais il faisait semblant de ne pas le remarquer. Il ne comprenait pas vraiment ce que ce regard voulait dire. Franck mangeait toujours avec les mêmes personnes, deux types qui semblaient être ses amis et Drago mangeait toujours avec son père et sa bande de Mangemorts.
La première fois que Drago avait entendu Franck se masturber, un après-midi, alors qu'ils étaient tous les deux allongés sur leur couchette, il en avait ressenti un malaise et une anxiété tels qu'il n'avait pas pu s'empêcher de se pencher.
- Je suis là, je te signale, avait-il dit d'une voix qu'il avait voulue assurée mais qui ne l'était pas.
Franck avait arrêté ses gestes.
- Oui, et je ne vais certainement pas me priver du seul plaisir que j'ai dans ce trou à merde simplement parce que tu es là. Donc si ça te dérange, bouche-toi les oreilles. Et si ça t'excite, branle-toi donc aussi, moi ça ne me dérange pas. Dans tous les cas, fous-moi la paix.
Voilà qui était clair. Drago avait donc pris le parti de se boucher les oreilles et d'attendre que ça passe. Parfois, il écoutait un peu. Quand il le faisait, il pensait à Kyle, aux bruits qu'il y avait et aux soupirs qu'il faisait. Il essayait de penser à Harry aussi, à toutes les fois où ils s'étaient caressés ensemble. Son esprit balançait inévitablement entre Kyle et Harry, tanguait, et lui donnait envie de vomir. Il avait espéré que faire l'amour avec Harry lui ferait oublier Kyle Long mais bien sûr, cela avait été totalement naïf de sa part. Si les choses étaient aussi simples, ça se saurait.
Ce qui était simple, en revanche, c'était l'organisation de la journée. Lever, petit-déjeuner, passage dans les douches des étages inférieurs (oui, il y avait désormais des douches), retour en cellule pour trois heures d'ennui absolu puis déjeuner, sortie dans la cour pour les étages inférieurs, sortie dans la cour pour les étages supérieurs, retour en cellule pour un nouveau créneau d'ennui mortel puis dîner, douches des étages supérieurs, extinction des feux. Il n'y avait jamais la moindre variante, ce qui était aussi rassurant qu'exaspérant. Drago supportait les repas, en partie parce qu'il aimait tout de même être avec son père, ne serait-ce qu'un peu. Il détestait les douches parce que l'intimité était proche du néant et que se déshabiller devant la dizaine d'hommes qui se lavaient en même temps que lui était une torture qui entrainait généralement des vomissements et des crises d'angoisse. Parfois, il avait droit à des remarques graveleuses mais il n'était pas le seul dans ce cas-là. Parfois, il entendait nettement son voisin de douche gémir parce qu'un autre prisonnier le suçait. Tant que ce n'était pas lui, tout allait bien. C'était néanmoins dans les douches que les prisonniers se lâchaient le plus parce que les gardiens attendaient à la porte et n'intervenaient que s'il y avait des cris. C'était ça toute la subtilité, il fallait empêcher l'autre de crier. La seule chose qui rassurait Drago était de savoir qu'il ne partageait pas le temps de douche avec son père et les Mangemorts. Ça aurait été affreux, il n'aurait su expliquer pourquoi. Il restait près de Franck qui se contentait de l'ignorer, sans savoir si ce dernier le protégerait ou non en cas d'agression. Sans doute que non mais Drago préférait quand même rester près de lui.
La promenade dans la cour se faisait sans son père également. Drago l'aimait parce que sentir l'air frais sur son visage et pouvoir regarder la mer sans barreaux étaient deux choses pour lesquels il serait prêt à tuer. La cour se situait à l'arrière de la prison et il y avait une sorte de grillage bas qui séparait les prisonniers du bord. Il était donc assez facile de passer par-dessus si on le souhaitait mais on se retrouvait alors au bord d'une falaise à pic qui donnait sur des rochers acérés dépassant de la mer sur lesquels les vagues venaient s'éclater. Franck avait dit en souriant que c'était l'endroit des suicides et qu'il y en avait un de temps en temps.
- Au moins, ça rompt la monotonie, avait-il dit.
Drago ne savait pas s'il plaisantait ou non.
Dans la cour, comme l'avait dit Agatha Greengrass, c'était le lieu des échanges. En vérité, Drago comprit très vite que certains gardiens revendaient des tas de trucs aux prisonniers pour se faire de l'argent. Tout le monde avait des jeux de cartes, des dés ou des Bavboules dans sa cellule pour s'occuper. Tant que ce n'était pas dangereux et potentiellement léthal, les gardiens s'arrangeaient pour refourguer ce que les prisonniers demandaient, toujours en échange de quelque chose, évidemment. Les plus riches donnaient de l'argent, les autres donnaient autre chose. Drago préférait ne pas savoir quoi. En tout cas, il y avait un objet qui faisait fureur dans la prison et que Drago découvrit dès son deuxième jour : un petit tube blanc que les détenus fumaient dès qu'ils le pouvaient. Franck lui avait expliqué que c'était une création sorcière clairement inspirée des cigarettes moldues.
- Enfin, je suppose que tu ne sais pas ce que c'est, du coup.
Franck, qui était Né-Moldu, lui avait fait un cours sur le sujet et Drago avait écouté avec sidération le principe absurde de faire fumer des produits dégueulasses aux gens. Les Moldus étaient fascinants. Bref, deux anciens détenus d'Azkaban avaient repris le concept et, à l'intérieur du papier blanc, avaient mis des herbes magiques agrémentées d'un peu de potion. On les appelait les Oubliettes car quand on les fumait, on oubliait ses problèmes, ses souffrances et ses angoisses pendant quelques heures. Certains prisonniers ne tenaient que grâce à ça.
- N'y touche surtout pas, avait conseillé Franck d'une voix lugubre. C'est de la vraie saloperie. D'accord, pendant deux ou trois heures tu oublies tout et tu te sens bien mais il y a toujours un contre-coup. Après, tout revient et les gars entrent dans des états d'abattement terrible. Alors ça leur donne juste envie de fumer à nouveau. C'est sans fin, c'est un piège. Ça ne peut pas être bon pour le cerveau et pour le corps.
- Mais alors pourquoi est-ce que les gardiens l'autorisent ?
- Parce que ça leur rapporte du fric de nous les vendre et parce qu'ils ont tous remarqué que les gars qui fumaient ça étaient beaucoup plus dociles et calmes que ceux qui n'en fumaient pas. Mais c'est stupide parce que ceux qui sont en manque peuvent péter les plombs mais les gardiens s'en foutent.
Franck était à Azkaban depuis presque deux ans et il avait une vision totalement désabusée de la vie qu'il y menait. Drago trouvait cela étrangement réconfortant. Dans la cour, il se contentait donc d'observer avec curiosité ceux qui fumaient sans jamais y toucher. Il enviait leurs sourires, leurs éclats de rire et leurs blagues détendues. Il enviait beaucoup moins ceux qui étaient assis par terre, amorphes et le regard vide, parce que l'effet de la potion était retombé.
Drago avait également compris certaines choses lors de ses premières semaines à Azkaban. Premièrement, il avait compris que son père ne lui parlerait jamais des viols et de Kyle Long. Si la conversation déviait là-dessus, Lucius éludait, faisait comme si Long était juste un salopard ordinaire qui n'avait rien fait de spécial à son fils. Parfois il disait que Long avait « fait du mal » à Drago mais ça restait très flou et Drago comprit qu'il n'y aurait jamais plus que ça. Il n'avait pas spécialement envie de discuter des viols et des humiliations qu'il avait subis avec son père mais les ignorer était douloureux quand même. Narcissa, elle, évoquait régulièrement les souffrances de Drago. Quand il lui confiait à quel point le moment de la douche lui déplaisait, elle ne faisait pas semblant de ne pas comprendre de quoi Drago parlait. Lucius, lui, avait sans doute trop honte, honte de son fils et honte de ce qu'on l'avait forcé à faire. Et cela brisait le cœur de Drago.
Il avait compris aussi que le groupe de Mangemorts le tolérait parce qu'il était le fils de Lucius mais ne l'aimait pas. Goyle, Parkinson et Nott l'évitaient parce qu'il leur rappelait trop ce qui était arrivé à leurs propres enfants. Crabbe l'évitait aussi parce qu'il savait que Vincent était mort brûlé vif avec Drago qui avait sauvé Gregory mais pas son fils. Certains le méprisaient de s'être donné en spectacle avec Harry Potter. D'ailleurs, certains méprisaient même Lucius et se méfiaient de lui. A la fin de la guerre, la position des Malefoy était vacillante. Narcissa n'avait-elle pas sauvé Harry Potter ? Lucius assurait que non, il semblait mort quand elle avait vérifié. Ce n'était pas leur faute si Potter était increvable. Drago savait que son père mentait mais il se taisait. Il détestait de plus en plus manger avec ces gens et leur présence lui coupait l'appétit, ce qui était un comble puisqu'ils ne se voyaient qu'aux repas. De toute façon, Drago ne mangeait jamais grand-chose. Il aurait aimé partager ses repas avec d'autres personnes mais avec qui ? Il n'avait aucun ami et tous les autres étaient des inconnus. Heureusement qu'il y avait les moments où il voyait sa mère de l'autre côté de la grille.
Narcissa, elle, restait avec Violetta Parkinson, Lavinia Crabbe et Philomena Goyle. Drago avait l'impression que les femmes se racontaient moins d'histoire que leurs époux et ne pleuraient pas vraiment l'époque de Voldemort. Il les terrifiait, il menaçait sans cesse leur famille, il ne leur manquait pas. Elles n'essayaient pas de se prouver quoi que ce soit. Elles avaient appris ce que Voldemort avait demandé à Drago quand Lucius avait échoué au Ministère et elles avaient toutes craint pour leur enfant. La suprématie des sorciers, oui, tant que leurs enfants étaient en sécurité. Bien sûr, il y en avait des plus fanatiques comme Alecto Carrow et Myrtle Rosier, la compagne de Rabastan, qui n'avaient rien perdu de leur véhémence et qui parlaient encore de Voldemort comme de leur maitre. Elles restaient toutes les deux à part mais parfois, elles s'engueulaient avec Narcissa qu'elles accusaient de trahison. Drago avait été horrifié de trouver sa mère un jour avec des marques de coups et de blessures au visage. Elle avait haussé les épaules. Alecto et Myrtle étaient dans un état pire que le sien.
La vie à Azkaban était donc aussi morne, angoissante et dangereuse que Drago l'avait imaginé. Globalement, rien ne le surprit réellement mais il y avait des petits détails terrifiants qui apparaissaient régulièrement et le déprimaient un peu plus à chaque fois. Comme ce soir où, après le dîner, il remonta dans sa cellule et entendit des hurlements. C'étaient des hurlements glaçants, pleins de folie et de douleur et ils appartenaient à plusieurs personnes. Drago se redressa vivement sur sa couchette, le cœur battant.
- Qu'est-ce que c'est ?
Franck, qui était assis sur les toilettes, tourna un visage morose vers la fenêtre.
- C'est la pleine lune. Greyback et ses amis loups-garous se transforment.
- Quoi ? s'écria Drago, horrifié encore une fois. Mais…
- Ils sont enfermés dans des cellules spéciales et ils ne sortent jamais. On ne craint rien. Ils vont passer la nuit à se blesser eux-mêmes et à hurler mais c'est tout. Essaie de ne pas écouter.
C'était plus facile à dire qu'à faire et Drago ne dormit pas de la nuit. C'était atroce à entendre. Il y avait les hurlements de détresse des loups-garous prisonniers dans leur petite cellule qui finissaient par se faire du mal, il y avait les bruits de coups sourds et de métal quand ils se jetaient contre les murs et les barreaux pour sortir. C'était comme un cauchemar éveillé. Drago réussit à sombrer dans le sommeil aux premières lueurs de l'aube quand les cris s'arrêtèrent. Il ne fit que des rêves angoissants.
Et puis voilà, sans trop savoir comment il avait tenu jusque-là, le 15 du mois arriva. Drago avait réussi à suivre les jours et les dates depuis son incarcération mais il devinait qu'il serait bientôt perdu. Tant pis, il penserait à cette idée angoissante plus tard. Depuis que le soleil s'était levé, il n'avait fait que poser des questions à Franck sur les visites. A quelle heure était-ce ? Comment cela se passait-il ? Il avait été déçu d'apprendre que toutes les visites se faisaient dans la même grande salle. Les prisonniers étaient éparpillés sur les petites tables où ils retrouvaient leurs proches. Les visiteurs arrivaient tous à la même heure, sans avoir le choix. Ils s'enregistraient puis ils attendaient que les gardiens fassent venir les prisonniers dans la grande salle. Ensuite seulement, les visiteurs entraient pour les rejoindre. Si aucun gardien ne venait chercher Drago, c'est qu'il n'avait pas de visite.
Cette angoisse rongea Drago toute la matinée, l'empêcha de déjeuner et lui donna des nausées éreintantes. Il se redressa si vite sur sa couchette en voyant un gardien ouvrir la grille de leur cellule qu'il en eut le vertige. Franck et lui avaient de la visite et ils suivirent le gardien. Franck semblait calme et impassible, comme s'il se fichait de voir du monde mais Drago avait l'impression que son cœur allait s'échapper de sa poitrine. Il pénétra dans la vaste salle, observa les petites tables disséminées dans tout l'espace et alla s'asseoir docilement à l'une d'elles, au hasard. Franck se mit à quelques tables de lui et attendit, les bras croisés. Drago constata qu'il y avait moins de visites qu'il le pensait. Peut-être les proches des prisonniers n'aimaient-ils pas venir à Azkaban ? Peut-être ne venaient-ils pas tous les mois ? Peut-être ne voulaient-ils plus rien avoir à faire avec des criminels ? La petite salle était pleine cependant, mieux valait donc qu'il n'y ait pas plus de monde. Thatcher Crabbe était là, dans un coin, et Drago n'aima pas cela. Il aurait aimé voir Harry sans qu'un Mangemort en soit témoin.
Enfin, la porte des visiteurs s'ouvrit et on les fit entrer. Une femme de l'âge de Thatcher vint le retrouver et le serrer dans ses bras. Quatre personnes s'assirent face à Franck, deux plus âgées qui devaient être ses parents et deux plus jeunes qui étaient peut-être ses frères et sœurs. Une vingtaine de visiteurs entra et s'éparpilla dans la salle avant que Harry apparaisse enfin. Tous les prisonniers se tournèrent vers lui, ainsi que leurs proches, parce quand même, c'était Harry Potter et que beaucoup le voyaient pour la première fois. Et puis, on était un peu curieux aussi, parce qu'on savait bien qui Harry Potter venait voir. Harry essaya d'ignorer les regards des gens et marcha droit vers Drago, le cœur battant. Drago, lui, ne voyait que Harry. Il se leva de sa chaise et hésita une seconde à la façon dont il devait l'accueillir. Harry eut la même hésitation mais finalement, il prit Drago dans ses bras et le serra de toutes ses forces. C'était tellement bon et réconfortant que Drago sentit les larmes lui monter aux yeux. Il enfouit son visage dans le cou de Harry et resta immobile à souhaiter que le temps s'arrête. Quand Harry voulut le lâcher, Drago le retint.
- Attends, encore une seconde, souffla Drago.
Il fallait qu'il se reprenne, il ne pouvait pas avoir l'air de pleurer. Drago inspira profondément le parfum de Harry, refoula ses larmes et le lâcha enfin. Il passa rapidement une main sur son visage pour chasser l'humidité de ses yeux d'un geste discret. Pas si discret que ça puisqu'il s'aperçut que tout le monde ou presque les observait. Drago tressaillit, rougit et s'assit en détournant la tête. Harry s'assit face à lui et se tourna vers la salle. Les gens reprirent leurs conversations mais beaucoup continuaient à lui jeter des coups d'œil.
- Est-ce que quelqu'un t'a fait du mal ? demanda brutalement Harry.
Drago se crispa, Harry parlait trop fort.
- Non, assura-t-il en baissant la voix.
- Tu es sûr ? insista Harry, toujours aussi fort. Parce que si quelqu'un te fait du mal, je lui ferai payer.
Drago secoua la tête, effrayé.
- Parle moins fort ! Et ne dis pas n'importe quoi. Je suis à Azkaban, que pourrais-tu faire ?
- J'ai tué Voldemort, ce ne sont pas quelques barreaux qui m'arrêteraient.
Il y eut un tressaillement général dans la salle et une seconde de silence tendu. Drago écarquilla les yeux, sidéré. Harry ne parlait jamais de lui-même de cette manière, il ne se vantait jamais de ce qu'il avait fait. Qu'est-ce qui lui prenait de faire ça ? Harry se tourna vers le reste de la salle et balaya les gens d'un regard furieux.
- Quoi ? demanda-t-il d'un ton hargneux. Vous allez passer l'heure à écouter notre conversation ? Occupez-vous de vos affaires !
Tout le monde se détourna d'eux et la salle se mit à bruire de discussions, comme on pouvait l'attendre d'une salle de visite. Harry regarda Drago.
- Désolé mais au moins, ils savent à quoi s'en tenir maintenant.
Drago comprit seulement à cet instant que les menaces de Harry n'avaient pas été dites pour lui mais pour les prisonniers qui les écoutaient. Drago en ressentit autant de peur que de jubilation. Il n'était pas sûr que ça fonctionnerait mais il était stupidement content que Harry essaie de le protéger.
Maintenant qu'ils n'étaient plus observés, ils purent se détendre et parler plus librement. Harry voulut tout savoir sur la vie de Drago mais ce dernier ne voulait pas tout lui raconter. Il décrivit ses journées, toujours les mêmes, assura que personne ne l'embêtait. Il ne parla pas du type qui l'avait traité de catin et qui lui faisait régulièrement des œillades et des remarques quand ils se croisaient aux repas et à la douche. Il parla de Franck et le montra discrètement à Harry. Il s'ennuyait dans sa cellule, il se sentait seul, Harry lui manquait mais sinon, ça allait. Il avait retrouvé ses parents.
Harry l'écoutait attentivement, en essayant de démêler ce qui était faux et ce qui était vrai. Il était certain que Drago lui cachait des choses et cherchait à l'épargner. Il se doutait que, derrière sa voix trainante, se cachaient des angoisses et des douleurs que Drago ne disait pas. Tant pis, il respectait ça. Au fond, peut-être que ça l'arrangeait aussi de croire que Drago ne souffrait pas trop.
- Je mange avec mon père et les autres Mangemorts, avoua Drago à voix basse. Ils sont persuadés que je te mens et que je ne t'aime pas vraiment et je le leur laisse croire. C'est plus facile comme ça.
- Je vois… Tu m'aimes vraiment alors ?
Drago leva vers Harry un regard étonné.
- Bien sûr.
- Tu ne vas pas me dire, au bout de la deuxième visite, que finalement tu ne m'as jamais aimé et que tu m'as menti pour que je t'aide lors de ton procès ou quelque chose comme ça ?
- Quoi ? Mais non, bien sûr que non !
- D'accord, répondit doucement Harry.
Il y eut un silence étrange et Drago se sentit dépité par les questions de Harry. Il baissa la tête vers la table.
- C'est vraiment une peur que tu as ? Demanda-t-il.
Harry haussa les épaules.
- Disons que j'ai eu beaucoup de temps pour penser durant ces dernières semaines. Mes pensées n'étaient pas toutes réjouissantes. Tu m'as déjà trahi une fois, tu ne peux pas me reprocher d'avoir douté.
- Non, admit Drago. Je ne peux pas te le reprocher.
Drago hésita puis tendit la main sur la table. Harry la saisit.
- Je t'aime, assura Drago. Tu ne peux pas savoir comme j'étais impatient de te revoir, je suis complètement stressé depuis ce matin, je n'ai rien pu avaler, je… Actuellement, tu es la seule idée de joie et d'espoir de ma vie.
Drago eut un rire amer et désabusé. Il fut incapable de regarder Harry dans les yeux, trop embarrassé par ce qu'il venait de dire. Il aurait aimé que Harry dissipe le malaise en l'assurant qu'il l'aimait aussi mais il n'y eu pas de réponse de ce genre. Harry se contentait de le regarder, incapable, lui, de cacher ses regrets et sa tristesse.
- Et toi ? demanda enfin Drago. Qu'as-tu fait ces derniers temps, à part penser ?
- Pas grand-chose, avoua Harry. Je n'ai plus de travail donc je reste chez moi, je traine, je pense à toi, je tourne en rond.
- Tu vas chercher un autre travail ?
- Je ne sais pas.
Une expression de culpabilité apparut sur le visage de Drago. C'était sa faute si Harry avait été renvoyé du bureau des Aurors, il le savait. Harry semblait presque aussi enfermé que lui, dans des barreaux invisibles qu'il se construisait lui-même. Cela attristait Drago mais en même temps, il aimait égoïstement cette idée. C'était cruel bien sûr mais que ressentirait-il le jour où Harry lui dirait qu'il avait passé de très bonnes semaines, qu'il avait vu ses amis, que son travail lui plaisait et qu'il avait rencontré de nouvelles personnes géniales ? Un nouvel homme, même, peut-être ? Une nouvelle femme ? Cette idée terrifiait Drago. Alors oui, même si c'était vile de sa part, il aimait que Harry ne fasse rien et dépérisse en pensant à lui. Il se sentait moins seul, moins isolé, moins hors du monde. Son temps à lui s'était arrêté et il allait s'arrêter pendant quinze ans. Il trouvait affolant de penser que le temps de Harry allait défiler sans lui.
Ils discutèrent encore un peu puis ils se turent, partageant un de ces silences qu'ils aimaient tant. Harry posa son front sur la main de Drago et resta ainsi, courbé sur la table. Drago aurait adoré poser son visage contre celui de Harry mais il n'osa pas. Il y avait trop de monde dans la salle.
- Est-ce que tu vas vraiment aussi bien que tu le dis ? demanda Harry en chuchotant.
Drago glissa ses doigts dans les cheveux de Harry et les caressa doucement.
- Non.
- Je t'aime.
Harry s'en alla, non sans avoir embrassé Drago avec tension et frustration. Il disparut de la salle avec tous les autres et les prisonniers retrouvèrent leur cellule. Pendant une heure, peut-être, Drago se sentit presque heureux. Il avait revu Harry, ce dernier lui avait dit qu'il l'aimait, ils s'étaient touchés et il avait senti les bras de Harry autour de lui. Il demanda à Franck qui étaient les gens qui étaient venus le voir.
- Mes parents, mon frère et ma sœur, répondit-il laconiquement.
Il avait de la chance que sa famille le soutienne et lui rende visite. Sans doute, admit Franck. Drago ne posa pas d'autres questions, c'était compliqué de parler avec Franck. Ce dernier se leva de sa couchette et s'accrocha aux barreaux de la fenêtre pour faire des tractions. Drago le contempla sans le voir. A chaque minute qui passait, il se sentait un peu plus déprimé et anxieux. Harry était reparti, avec sa chaleur et son amour et Drago restait là. Encore un mois à attendre avant de le revoir, toujours trop brièvement. Ce ne serait jamais assez long, jamais assez satisfaisant. Il ne pourrait jamais embrasser Harry comme il le voulait vraiment, il ne pourrait pas lui dire ce qu'il pensait vraiment, il ne pourrait pas s'allonger contre lui pour s'endormir. Ce ne serait toujours que des moments frustrants et amers, comme donner une goutte d'eau à un assoiffé.
Et il allait vivre cela pendant quinze ans, à guetter les miettes de présence de Harry. Non, pas pendant quinze ans, il le savait bien. Un jour, Harry se lasserait, Harry arrêterait de l'aimer, Harry rencontrerait quelqu'un et tout s'arrêterait. Ce serait terrible, ça détruirait Drago, il le savait. Pourquoi était-il coincé ici alors que Harry était dehors ? Un raz de marée de désespoir et de terreur le submergea et Drago se mit dans son lit. La solitude était étouffante, la douleur aussi. Au loin, Drago entendait Franck marmonner. Il devait compter ses tractions et Drago avait envie de lui hurler de se taire. Il mit quelques temps à comprendre que Franck ne comptait pas mais qu'il parlait. Drago distinguait à peine sa voix, ce n'était que des murmures. En tout cas, il parlait tout seul, face aux barreaux de leur cellule et cela acheva de plonger Drago dans la terreur.
Il n'avait pas faim mais il descendit quand même dans le réfectoire. Il ne pouvait pas rester tout seul dans sa cellule. Il prit son bol de soupe et s'assit pesamment sur le banc comme si c'était un effort trop difficile pour lui. Lucius s'assit près de lui comme tous les soirs et ils mangèrent en silence. Dans la salle, Drago entendait les prisonniers parler de Harry. Ceux qui avaient reçu une visite racontaient comment il avait menacé quiconque s'en prendrait à Drago. On chuchotait, on se demandait si Harry Potter serait réellement capable de venir leur faire du mal à Azkaban. Certains étaient persuadés que non, qu'il ne pourrait jamais. D'autres assuraient que si, il avait tué Vous-Savez-Qui, il était fort et dangereux.
- Tu as proposé une mise en scène très convaincante, dit soudain la voix de Thatcher Crabbe à la table de Drago. Tu étais tellement heureux de le voir que tu as même pleuré dans ses bras.
Drago rougit violemment et se tendit.
- Je n'ai pas pleuré.
- Si, tu avais les yeux rouges et humides et le menton tremblotant, insista Thatcher avec cruauté. Tu étais là à lui faire des déclarations d'amour et à lui caresser les cheveux. Répugnant. Tu sais quand même que c'est lui qui a mis la plupart d'entre nous en prison, pas vrai ? C'est aussi lui qui t'y a mis, d'ailleurs, pauvre crétin.
- Thatcher ! s'indigna Lucius. Qu'est-ce que tu essaies de dire ?
- Tu n'étais pas là Lucius, tu ne les as pas vus ensemble mais moi si. Ton gamin ne fait pas semblant d'aimer Potter, il l'aime, ça crève les yeux. Sinon pourquoi s'embêter à continuer la mise en scène ? Pendant qu'on croupit en prison, Drago passe du bon temps avec Potter. Tu te rends compte à quel point c'est révoltant ? Potter a tué le Seigneur des Ténèbres, il a tué mon fils, il a arrêté Rabastan et plusieurs d'entre nous. C'est de la trahison.
- Harry n'a pas tué Vincent, répondit Drago d'une voix blanche. Il a allumé l'incendie lui-même.
- Harry… minauda Thatcher avec un regard haineux. Regarde un peu ce que ton fils est devenu, Lucius ! Toi tu es en prison et lui il fait la une des journaux en embrassant Potter !
- Pendant que vous étiez en prison, j'ai vécu des choses bien plus dures que vous, siffla Drago entre ses dents.
Il sentait la fureur monter en lui. Son désespoir d'avoir vu Harry et de se l'être fait arracher presque aussitôt ne faisait qu'accroître sa colère et son exaspération. Comme s'il passait de bons moments pendant que son père était en prison ! Comme si Harry ne valait pas mille fois mieux que ces salauds réunis. Drago avait les mains moites et le cœur battant. Que dire ? Devait-il mentir et assurer qu'il trompait Harry ? Avant qu'il puisse trouver une réponse, des hommes de la table voisine se tournèrent vers eux.
- Eh ! Vous y étiez, vous, quand Potter a tué Vous-Savez-Qui. C'était si impressionnant que ça ?
- Bien sûr que non, cracha Rodolphus avec mépris. Potter a eu de la chance, c'est tout. Il a lancé un pathétique sortilège de désarmement, il ne savait rien lancer d'autre, il ne savait même pas se battre. Le Seigneur des Ténèbres aurait dû le tuer mais son sortilège a ricoché, va savoir pourquoi. Ce n'est pas Potter qui l'a tué, ce ne sont que des rumeurs. C'est un imposteur, ce n'est qu'un gamin cinglé qui se prend pour un héros.
Drago se sentit froid. Il les avait écoutés se foutre de Harry pendant des années puis ça avait recommencé depuis trois semaines, depuis qu'il était arrivé à Azkaban. Il détestait se retrouver avec ces hommes, il les détestait, il ne les supportait plus. De toute façon, Crabbe avait raison, il était amoureux de Harry et les regards peu amènes qu'on lui avait lancés un peu plus tôt lui confirmait que tout le monde le savait. Alors puisqu'ils savaient, puisqu'ils le considéraient comme un traitre, pourquoi ne pas dire ce qu'il pensait ? Plein de rage contre Voldemort et Kyle Long qui avaient gâché sa vie, contre Harry qui était reparti trop vite, contre lui-même et contre eux tous, Drago se tourna vers Rabastan.
- C'est faux, dit-il d'une voix forte et assurée. J'étais là moi aussi quand Harry a tué Vous-Savez-Qui et c'était l'une des choses les plus impressionnantes que j'ai vue de ma vie. Il se tenait seul face à lui, il n'avait pas peur. Il se moquait de lui, il n'arrêtait pas de l'appeler Tom. Vous savez que c'était le vrai prénom de Vous-Savez-Qui, n'est-ce pas ? Personne n'aurait osé l'appeler de cette manière, pas même vous, mais Harry si. Harry le provoquait, il disait « Tu as perdu Tom, j'ai une arme que tu n'as pas » et le Seigneur…
Drago hésita. Harry n'avait jamais appelé Voldemort par les surnoms stupides qu'on lui prêtait. Et de toute façon, il était mort, il avait perdu, pourquoi ne pas dire son nom ? Drago avait bien murmuré le prénom de Kyle en le regardant mourir. C'était jouissif d'avoir ce pouvoir-là.
- … Et Voldemort était furieux, il était furieux que Harry puisse se foutre de lui de cette façon. Ils ont lancé leur sortilège en même temps et c'est vrai que Harry a utilisé celui du désarmement mais ce n'était pas de la chance s'il a gagné. Il était tellement fort que son sortilège a arrêté celui de Voldemort et le lui a renvoyé. Alors si, c'était impressionnant !
Il y eut des discussions enflammées dans la salle après la tirade de Drago. Tout le monde avait sursauté quand il avait prononcé le nom de Voldemort mais tout le monde avait écouté son histoire avec passion. Maintenant, ils commentaient le récit, donnant leurs points de vue.
- Ecoutez-le donc défendre son amoureux, susurra Rabastan avec un ton moqueur.
Ses yeux étaient plus froids que la glace quand il regarda Drago et son sourire était haineux. Lucius, assis près de son fils, le fixait avec stupeur, aussi pâle que ses cheveux.
- Il est bien plus courageux que vous, dit Drago. Il se tenait debout devant Voldemort alors que vous étiez toujours courbés comme des serviteurs.
Drago avait perdu tout contrôle de lui-même. Pourtant, il se sentait calme, comme quand il avait lancé le sortilège du Sectumsempra à Long. Il avait eu peur un peu plus tôt, c'est vrai, mais maintenant, il était prêt à faire n'importe quoi. Il n'avait plus tous ses esprits. Drago sourit à Rabastan et s'inclina comme un elfe de maison.
- Maitre, oui maitre, tout de suite maitre, bien sûr maitre, singea-t-il avec une voix nasillarde et méprisante.
Autour de la table, les Mangemorts le regardèrent avec fureur. Edward Nott avait rougi et détourné le regard, c'était le seul. Rodolphus serra le poing sur la table.
- Comment oses-tu ? Si ce n'était pas ton fils, Lucius, et si ce n'était pas mon neveu, je le tuerais.
Drago se leva brutalement et lui tourna le dos. Derrière lui, il entendit son père supplier.
- Il n'a plus toute sa tête, disait-il précipitamment. C'est Kyle Long et Potter qui lui ont retourné le cerveau, il ne sait plus ce qu'il dit.
Les excuses de son père étaient pitoyables et Drago eut envie de lui hurler dessus. Il fit quelques pas, sans trop savoir où il allait et se heurta à Rabastan qui s'était levé du banc. Ce dernier baissa vers Drago des yeux flamboyant de colère.
- Où est-ce que tu crois aller petite merde ? Tu n'es pas mon neveu et je me moque de ton père. Je te jure que tu vas ravaler ce que tu viens de dire. Comment oses-tu dire son nom de cette façon ? Comment oses-tu ridiculiser notre loyauté ?
Le calme que Drago avait ressenti se dissipa pour faire place à de la peur. Que pouvait donc lui faire Rabastan ? Du coin de l'œil, Drago vit son père se lever et s'approcher avec angoisse. Lucius agrippa l'uniforme de Rabastan.
- S'il te plait, du calme, ne lui fais rien.
- Dégage Lucius. Ta famille et toi êtes des traitres, nous le savons tous ! Mais lui, c'est le pire ! De quel droit nous parle-t-il ainsi ? Pour qui tu te prends Drago ? T'es juste une petite fiotte qui vend son…
Rabastan avait serré le poing, comme s'il voulait frapper Drago et ce dernier s'était crispé. Avant que Rabastan aille au bout de son insulte, une main attrapa l'épaule de Drago et le tira en arrière pour se mettre devant lui. Drago leva les yeux vers la nuque de Franck, stupéfait.
- Laisse-le, c'est bon, dit Franck de sa voix morne. Tu cries trop.
- Quoi ? éructa Rabastan. Ferme-la sale Sang de Bourbe, occupe-toi de ce qui te regarde !
Drago vit les muscles de Franck se tendre sous sa chemise rayée.
- Attention, Mangemort, souffla Franck d'un ton très calme. Tu es peut-être plus fort que moi avec ta magie, si tu veux, mais tu n'as pas ta baguette. Ici, tu n'es qu'un petit sorcier de rien du tout. Tu peux m'affronter à la façon moldue si ça te chante, mais là, ce sera moi le plus fort.
Franck fit rouler ses épaules de façon menaçante. Il avait une tête de plus que Rabastan et ses muscles de batteur étaient impressionnants. Rabastan eut un rictus furieux et humilié. Il finit par reculer d'un pas, sachant bien qu'il n'avait aucune chance mais ses yeux promettaient une vengeance. Franck l'ignora, attrapa Drago par le bras et le tira avec lui dans les escaliers. Il marcha vite, comme s'il voulait l'emmener loin d'ici avant que ça dégénère.
- Complètement cinglé, marmonnait Franck. Tu es complètement malade. Tu veux mourir, c'est ça ?
Drago ne répondit pas. Il se sentait étonnamment léger et en sécurité dans ces escaliers, avec la main de Franck sur son poignet. Quand ils arrivèrent dans leur cellule, Franck le poussa vers les lits superposés et se tourna vers la grille, comme pour surveiller que personne ne les avait suivis.
- C'était quoi ton plan ? demanda Franck sans regarder Drago. Mettre les Mangemorts le plus en colère possible ? Bravo, tu as réussi. Et maintenant ?
- Je n'avais aucun plan, je ne les supportais plus, c'est tout. Je les déteste et je déteste la façon dont ils parlent de Harry.
- Oui mais maintenant ils te détestent aussi. Je pense que la plupart vont se contenter de t'ignorer mais les frères Lestrange sont complètement fous. Ils vont surement essayer de t'en faire baver.
- Je les connais mieux que toi.
- Et c'est justement pour ça que tu es cinglé.
Drago s'assit sur la couchette du bas sans réfléchir, épuisé et trop en colère pour avoir encore réellement peur.
- Peut-être, admit-il. Peut-être que je suis fou. J'ai sans doute de bonnes raisons pour ça.
- Et que vas-tu faire maintenant ?
- Rien, que veux-tu que je fasse ? Je ne les vois qu'aux repas de toute façon, ils ne peuvent pas me faire grand-chose. Il y a des gardiens partout.
- Et ? Ils vont rester à Azkaban à vie, ils se fichent pas mal des gardiens.
Il y eut un silence. Franck surveillait toujours la grille ouverte et Drago essaya de refouler sa peur. Qu'allait-il se passer demain ? Et les jours suivants ? Il ne pourrait plus aller manger avec son père, il ne pourrait plus s'approcher d'eux. Ils ne lui manqueraient pas, assurément, mais l'incertitude de l'avenir effrayait Drago. Il regarda Franck, soulagé de le savoir là.
- Et toi ? demanda Drago. Tu es ici à vie aussi ?
- Plus ou moins.
- C'est-à-dire ?
- J'ai eu une peine de soixante ans de prison. J'ai trente-sept ans. Je te laisse faire le calcul.
Drago baissa la tête. C'était peut-être la première fois que Franck répondait réellement à une question personnelle. Drago décida d'en profiter.
- Pourquoi m'as-tu aidé ? Tu t'es mis en danger aussi.
- Je déteste les Mangemorts.
- C'est tout ?
- Oui.
- Qui est Gabriela ?
Franck se figea et se tourna vers Drago avec un regard noir et menaçant.
- Comment connais-tu ce prénom ?
- Tu… tu pleures en le disant, la nuit.
Franck abandonna la surveillance de la grille, personne ne viendrait. Il fit un pas vers les lits et Drago se tendit, brusquement inquiet. Franck baissa les yeux vers lui.
- Tu es sur ma couchette, dégage, ordonna-t-il froidement.
- Désolé, souffla Drago.
Il se leva et se faufila entre Franck et l'échelle pour s'en aller mais ce dernier lui bloqua le passage.
- Je ne te pose pas de questions sur ce que Long t'a fait, dit Franck. Tu ne poses pas de questions sur Gabriela. C'est clair ?
- Oui.
Drago s'empressa de monter dans sa couchette et s'y recroquevilla, tremblant. Des prisonniers passèrent devant leur cellule pour regagner la leur, signifiant que le dîner était terminé et un gardien vint refermer les grilles. Drago s'en voulut d'avoir contrarié Franck. Il était idiot, il avait mis de mauvaise humeur la seule personne qui l'avait défendu. Il espérait que Franck ne lui en voudrait plus le lendemain. Gabriela, c'était surement sa femme, celle qui était morte. Il n'aurait jamais dû poser la question. Il se fit quand même la réflexion qu'il ne savait toujours pas pourquoi Franck était en prison et soixante ans, c'était une longue peine, il avait dû faire quelque chose de grave. Ça n'avait pas vraiment d'importance, songea Drago. Ici, ils étaient tous des criminels de toute façon.
OoOoOoO
Rendre visite à Drago avait complètement déprimé Harry. Il était content de l'avoir revu, content d'avoir constaté que Drago ne semblait pas avoir été maltraité outre mesure et content d'avoir entendu sa déclaration d'amour. Harry n'avait pas réellement douté que Drago l'aimait mais tout de même, c'était réconfortant d'en avoir la confirmation. En dehors de cela, Harry se sentait anéanti. Bien sûr, il savait que Drago était à Azkaban, mais il n'en avait vraiment eu conscience qu'en allant le voir. Désormais, sa relation avec Drago se résumerait donc à cela, à une visite d'une heure tous les mois où ils se raconteraient les platitudes de leurs vies en dissimulant tout ce qu'ils pensaient sincèrement. C'était atroce. En vérité, cela aurait été largement supportable si Drago avait été enfermé pour un an ou deux, ils auraient surmonté l'épreuve, Harry aurait attendu. Mais là, à quoi donc allaient servir les visites ? Qu'allait-il advenir de leur amour et de tout le reste ? C'était complètement déprimant.
Puisqu'il était malheureux et qu'il n'avait rien à faire de sa vie, il eut envie de voir Hagrid. Ça faisait longtemps et il avait honte d'être un si piètre ami. Il lui envoya un mot et Hagrid, de son écriture approximative, lui donna rendez-vous à Pré-au-lard, à la Tête de Sanglier. C'étaient les vacances scolaires et il n'y avait plus grand monde à Poudlard. Harry aurait pu venir directement chez Hagrid sans que ça dérange qui que ce soit mais il soupçonnait son ami d'avoir envie de sortir. Pré-au-Lard convenait à Harry. Il entra dans la taverne, un peu étonné du choix de rendez-vous et trouva Hagrid assis au comptoir en compagnie d'Abelforth. L'endroit était moins sale et lugubre que dans les souvenirs de Harry. Il y avait même un peu de monde. Harry demanda une bière et s'installa près de Hagrid.
- Votre auberge a plus de succès qu'autrefois, fit remarquer Harry.
- Oui, grogna Abelforth. C'est à cause de toi, en partie. Les gens savent que c'est par ici que tu as rejoint Poudlard alors ils viennent voir. J'ai été obligé de faire quelques efforts et de rendre l'endroit un peu plus accueillant.
De fait, les vitres et les tables étaient presque propres et les visiteurs n'avaient pas tous l'air d'être des bandits en plein trafic. Harry était content pour Abelforth même si ce dernier ne paraissait pas enchanté par ces changements. Il écouta Hagrid poser des questions à son ami sur sa santé et Abelforth rit avec cynisme en se plaignant d'être vieux et fatigué.
- Tu devrais embaucher quelqu'un pour t'aider, suggéra Hagrid.
- Non, ça m'obligerait à parler à quelqu'un et à devoir passer derrière lui. Je veux qu'on me fiche la paix.
Harry comprenait le sentiment du vieux misanthrope et il ne fit aucune remarque. Abelfort s'éloigna d'eux pour nettoyer des verres et Hagrid sourit à Harry.
- Je suis content d'te voir, assura-t-il. J'ai préféré venir ici, c'est calme, y a moins d'monde.
Ils bavardèrent un peu, de Poudlard, de l'année qui venait de s'écouler. Hagrid était seul à l'école en ce moment, tous les autres étaient rentrés chez eux. Le professeur McGonagall était chez sa sœur qui habitait non loin d'ici. Cette dernière était veuve depuis quelques années maintenant et appréciait un peu compagnie. Harry hocha la tête, trouvant presque déplacé d'en savoir autant sur la vie privée de son ancien professeur. Hagrid parla des bestioles qu'il avait adoptées ces derniers temps et Harry sourit pour lui-même en imaginant la tête de Ron et Hermione s'ils entendaient ça.
Enfin, quand il ne put plus y échapper, Harry parla de lui. Hagrid avait lu les journaux comme tout le monde et il avait vu Molly et Arthur Weasley. Il savait donc ce qui était arrivé à Harry. Il était désolé pour lui, il n'avait pas grand-chose d'autre à dire. Kyle Long n'avait pas volé ce qui lui était arrivé, en tout cas. Et heureusement, Azkaban était bien moins dure qu'autrefois. Harry baissa la tête dans son verre de bière.
- Dès que j'aime quelque chose, on me le prend, murmura-t-il.
Hagrid le regarda d'un air accablé et lui toucha l'épaule avec plus de délicatesse que d'habitude.
- Tu es comme mon frère, dit la voix bourrue d'Abelforth. Lui aussi est tombé amoureux du mauvais garçon.
Harry releva la tête, effaré par cette déclaration. Il essaya de rassembler ses idées.
- Vous parlez de Gellert Grindelwald ?
- Lui-même, répondit sombrement Abelforth. La plupart des grandes idées de Grindelwald, elles sont nées dans le lit de mon frère.
Il éclata de rire, avec cynisme et un peu de cruauté. Harry rougit de ce que l'autre venait de dire.
- Ne parle pas comme ça de Dumbledore, dit Hagrid, outré.
Abelforth haussa les épaules, fataliste, pas vraiment chagriné par le reproche.
- Je trouvais ça révoltant qu'Albus passe autant de temps enfermé dans sa chambre avec Gellert au lieu de s'occuper d'Ariana mais elle m'interdisait toujours d'aller les déranger. Elle disait qu'elle n'avait jamais vu Albus aussi heureux. Ma foi, tu parles ! J'aurais dû virer Gellert d'ici, ça aurait empêché que ma sœur se fasse tuer pour rien. Ma seule consolation c'est de savoir qu'Albus ne s'en est jamais remis. C'est dur d'être trahi par la personne qu'on aime. Ça a dû être d'autant plus dur d'aller l'affronter et de le mettre en prison lui-même.
Harry cilla et serra ses mains autour de son verre.
- Ce n'est pas pareil, dit-il à voix basse. Grindelwald est devenu quelqu'un de mauvais alors que Drago n'est pas une mauvaise personne. Je ne voulais pas l'envoyer en prison.
- Trop tard de toute façon, conclut Abelforth d'un ton lugubre.
Harry l'observa. Il aurait pu être indigné de l'entendre parler de cette manière de son frère et de Drago mais il n'y arrivait pas. Il n'avait sans doute plus assez de force pour cela. Harry songea tout de même que Dumbledore n'était pas le seul à ne s'être jamais remis de cette histoire. Abelforth qui vivait ici tout seul, sans ami, sans famille, sans joie et sans avenir n'avait pas l'air d'avoir mené une vie de rêve lui non plus. Harry ne put s'empêcher de se dire, soudain, qu'il allait finir comme Abelforth, sans personne, dans un lieu sombre et déprimant, blasé de la vie et grognon. Il en eut le vertige. Durant les quelques semaines de bonheur et d'insouciance qu'il avait passées avec Gellert, le professeur Dumbledore avait-il débordé d'espoir lui aussi, comme Harry ? Et quand Gellert avait tué Ariana et l'avait abandonné, avait-il ressenti le même vide sans fond ? Sans doute. Harry ne savait pas si c'était une idée réconfortante ou non. En tout, cela lui donna envie de parler à son ancien directeur. Il l'aurait compris et il lui aurait donné des conseils. Et l'idée qu'il soit mort, celle-ci, n'avait rien de réconfortant.
