Titre : Le Fil rouge du Destin
Auteur : Lysanea
Disclaimer : aucun personnage ne m'appartient sauf Simon et Achille (Archie]
Pairing et personnages pour ce chapitre : Angelo x Shura, Simon x Achille (Archie)
Rating : T
Note : Bonjour à tous ! Merci pour votre fidélité et vos messages.

Mini-chan : Hola ! Merci pour ta longue review enthousiaste, cela fait toujours très plaisir ! Je te souhaite plein de courage et de chance pour retrouver ta sœur, j'espère qu'elle va bien ! Ton propre courage et ta dévotion t'honore ! Bravo à toi ! Ce chapitre est pour toi, j'espère que tu t'es bien préparée, même si, selon moi, le plus difficile sera le prochain. Tu peux quand même en avoir gros en sachant que ce sont les deux derniers. Mais j'arrête, avant de te décourager et que tu ne veuilles plus poursuivre ta lecture ! J'espère que tu aimeras et ne sera pas déçue par ce que j'ai décidé de faire pour leurs adieux. Bonne lecture à toi, et prends soin de toi également, sois prudente dans tes actions, si je peux me permettre…

Je n'ai qu'une chose à dire : c'est difficile d'avancer ! Mais on y va quand même ! Ce chapitre n'est pas triste, tout va bien ! C'est juste moi qui anticipe trop ! Profitez bien de ces bons moments qu'Angelo et Shura nous partagent pour la dernière fois !

Bonne lecture !

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Le Fil rouge du Destin.

Chapitre Quarante-neuf : L'Adieu au Cancer I
Appelle-moi par ton nom et je t'appellerai par le tien.
(Call me by your name)

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Agrigente, Sicile
Dimanche 3 juillet 2005

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Angelo jeta un œil à sa montre et sourit, soulagé, en entrant dans la maison qu'il partageait avec Shura depuis de nombreuses années, quand ils venaient en Sicile.

Ils avaient choisi ensemble de s'installer ici, à Agrigente, pour de nombreuses raisons.

La ville côtière était très agréable et les vues sur la mer qu'offraient les maisons et villas de ses différents hameaux étaient très appréciables.
Ils en avaient trouvé une parfaite pour eux au Villiagio Pirandello, plus précisément.

Le hameau était situé non loin du parc archéologique présentant les vestiges de Temples grecs parmi les mieux conservés au monde.
La Vallée des Temples, comme ce site était nommé, avait un petit air de Sanctuaire, sans les marches, qui était familier et quelque peu réconfortant aux anciens Chevaliers du Cancer et du Capricorne.

Une autre raison de leur choix était un petit trait d'humour en lien avec Angelo.

Fondée en 582 avant Jésus-Christ par des Grecs venus de la cité voisine de Géla, d'où la présence de vestiges, la colonie avait pris le même nom que le fleuve qui longeait son site d'implantation, l'Akragas, au sud. Or, dans l'Antiquité, celui-ci était symbolisé par un crabe sur les monnaies de la ville !

Les deux hommes avaient découvert cela par hasard en flânant en ville, de sites aux petits hameaux, en discutant avec les habitants, alors qu'ils visitaient justement plusieurs lieux en quête d'une maison à acheter.

Ils voulaient passer plus de temps entre la Grèce, où Simon s'étant installé dans le Quatrième temple, Angelo vivait désormais à plein temps chez Shura au Dixième, l'Italie et l'Espagne de leurs cœurs.

Ce petit crabe d'Agrigente, Girgenti pour les locaux, les avait décidés à poser leurs bagages, ils y avaient vu un autre signe.

Il y avait enfin le fait que la ville moderne avait été fondée sur l'ancienne acropole, à plus de 300 mètres d'altitude, et qu'elle faisait plus ou moins face à ce qui était appelé la Roche d'Athéna, s'élevant à près de 354 mètres, elle aussi. L'église Notre-Dame des Grecs d'Agrigente, quant à elle, avait été construite sur les ruines d'un Temple que les archéologues avaient identifié comme étant celui dédié à Athéna.

C'était suffisant pour eux, surtout pour le pragmatique et dévoué Chevalier du Capricorne.

Celui-ci, d'ailleurs, avait une maison aussi en Espagne, à Pals, magnifique village médiéval catalan, héritée de ses parents pour qui elle avait fait office de maison de vacances et résidence secondaire. Il l'avait laissé gracieusement à sa tante et sa famille, mais étant elle-même décédée des années plus tôt et ses cousins habitant à l'étranger ou ailleurs en Espagne, Shura l'avait finalement récupérée.

Il avait d'abord songé à la vendre, mais il n'avait pu s'y résoudre.

Et puis, ses camarades lui avaient demandé de ne rien en faire.
Ainsi, elle était régulièrement empruntée par les uns ou les autres, toutes générations confondues.

Le couple aurait pu se contenter de ce bien, mais Angelo tenait aussi à avoir son pied-à-terre en Sicile, cela avait toujours été son rêve.
Alors, ils avaient pris le temps de trouver le lieu idéal et depuis quatre ans, ils y passaient tous deux beaucoup de temps.

Angelo avait été heureux de voir que Shura appréciait vraiment cette région, le calme, la beauté et l'authenticité des lieux et qu'il avait intégré, partagé son rêve, et qu'il ne s'y était pas juste conformé par amour pour lui.

Ils aimaient se promener autant parmi les ruines, en toute discrétion une fois le soir venu et le site fermé, et hors saison, que dans les environs dont les reliefs offraient de belles balades en plein nature sauvage et préservée.

Bien sûr, il y avait également la mer, la Méditerranée formant ici la Mer de Libye, qui séparait la Sicile du continent africain : de l'autre côté, par temps clair, eux pouvaient voir les côtes tunisiennes du Cap Bon et l'île de Pantelleria toute proche, selon où ils regardaient.

Ayant grandis principalement au Sanctuaire, Angelo et Shura ne pouvaient pas s'en passer, ils se devaient d'en être assez proches pour sentir ses embruns. Pouvoir se réveiller au son des vagues, même lointain, était un bonheur auquel ils n'avaient pas voulu renoncer non plus.

Et justement, en rentrant ce matin-là, Angelo savait, en avisant l'heure, qu'en ouvrant la porte du patio, il allait voir Shura revenir de la plage par le sentier privé qui reliait leur maison à la mer.

Il aimait courir, nager et parfois même, s'entraîner, pour garder la forme.

Enfin, Aphrodite lui avait interdit de donner des coups d'Excalibur dans la mer, même si Shura lui avait assuré qu'il n'y avait aucun risque pour l'écosystème et les fonds marins. Mais le Douzième gardien n'avait rien voulu savoir et lui avait arraché cette promesse.

Aussi, même s'il n'était pas là pour le surveiller, le Capricorne était un homme de parole, il gardait l'entraînement pour le Sanctuaire dont ses coups d'épée avaient refaçonné les contours au fil du temps, et se contentait de footing et de natation.

Ce fut effectivement également le cas ce matin-là, comme Angelo l'avait anticipé.

Il déposa les journaux italiens et espagnols ainsi que le petit-déjeuner sur la table, déjà dressée, puis rentra se laver les mains en vitesse pour revenir intercepter son compagnon qui tendait déjà sa main vers l'un des journaux.

Shura, en short noir et une serviette autour de ses épaules nues, quelques gouttes s'échappant de-ci, de-là, haussa un sourcil.
Angelo tendit ses lèvres, et il reçut le baiser demandé.

Il enlaça Shura pour approfondir ce qui n'avait été prévu que comme un léger appui lèvres contres lèvres, en guise de merci de la part du Capricorne, et déplaça aussi subtilement que possible leurs corps serrés, pour finalement s'asseoir de lui-même sur les journaux, sans le relâcher complètement.

- Et que me vaut cet accueil ? lui demanda Shura, les mains sur ses épaules. Non pas que je n'apprécie pas, je m'interroge, simplement.

- Tu n'as pas écouté les infos, quand je suis parti ?

- Non, je suis allé courir, puis nager, comme d'habitude. Quand on est arrivé mardi, tu as dit qu'on commencerait notre séjour par une semaine complètement déconnectés du monde, sans radio, sans télé, sans journaux, sans internet. On est censé décider ensemble d'y mettre fin, mais vu que tu as ramené la presse, j'en déduis que c'est déjà le cas, de ton côté.

- Oui, mais c'était pour la bonne cause, tout ça !

- Je m'en doute, vu ton état. Alors, que se passe-t-il qui te rende si heureux ? lui demanda-t-il en dégageant affectueusement quelques mèches rebelles de son front.

Angelo souriait vraiment de toutes ses dents, amenant inévitablement un sourire sur les lèvres de Shura.

- C'est passé, Shurizo mio !

- Qu'est-ce qui est passé ?

Angelo s'écarta pour libérer les journaux sur lesquels il s'était volontairement assis, mais alors que Shura allait en prendre un pour découvrir ce qui mettait son compagnon dans cet état de joie, les titres lui étant cachés par le sens du pliage du papier, le Cancer posa une petite boîte sur la pile, coupant son Capricorne dans son élan.

Sa main se figea et il fit aller son regard de l'objet – un écrin de velours rouge au liséré doré - à Angelo.

- Attends une minute… quel jour on est ?

- Le dimanche 3 juillet 2005, mio amore ! Retiens cette date historique !

- La loi devait être réexaminée par le Congrès après le rejet du Sénat il y a dix jours… Ce qui veut dire que…

- Oui ! s'exclama Angelo, les yeux encore plus pétillants.

Puis, il prit la main de Shura et embrassa son annulaire droit, orné du bijou qui ne l'avait jamais quitté, depuis qu'il le lui avait glissé au doigt, tant d'années en arrière.

- Nous tenons tous les deux énormément à nos chevalières, elles symbolisent plus que les mots ne pourraient jamais le dire, murmura Angelo avec une rare émotion et un grand sérieux. Mais après 16 ans à tout raconter de notre histoire, il est temps qu'elles soient replacées, ou accompagnées, à voir.

- La loi est vraiment passée, alors…

- Oui, le Congrès a levé le veto du Sénat, et l'a approuvé définitivement jeudi dernier. Elle entrera en vigueur dès demain. Le 3 juillet 2005 devient une date importante pour nous, mio amore ! Una data storica! Non, pardon, il faut se mettre à l'heure espagnole : ¡Una cita histórica!

- Pas que pour nous, pour toute la communauté !

- Rien à branler des autres !

Shura ne put résister au retour de son compagnon grognon et caractériel, alors qu'il avait fait un effort pour parler correctement. Il piqua un rapide baiser sur ses lèvres boudeuses.

- C'est vrai que c'est très important pour nous deux. Après toutes ces années, et tous ces débats politiques, ces oppositions, le rejet du Sénat, je ne pensais pas que ce serait possible. Mais toi, tu n'as jamais cessé d'y croire. Tu as même anticipé, prétextant cette semaine de déconnexion pour que je ne sache rien, pour me faire la surprise et en achetant même une bague.

- Pas les années qui ont suivi, non, même si ça restait dans un coin de ma tête. Quand ça a commencé à bouger aux Pays-Bas, puis en Belgique, je me suis dit qu'il y avait des chances que ça arrive quelque part dans le coin. J'espérai que ce serait vers chez nous. Y avait pas mal d'agitation en Espagne, ces dernières années, sur ces problématiques, j'avais bon espoir.

- C'est vrai, mais l'agitation était des deux côtés, les opposants étaient aussi nombreux et déterminés que les progressistes.

- C'est sûr que ça gueulait aussi fort d'un côté que de l'autre ! Mais ils ont rien lâché. Je reconnais quand même à l'Espagne de savoir mener ses combats pour la tolérance et la liberté. C'était du bon boulot, alors, oui, ça fait quelques semaines que je me dis que ça peut vraiment passer, que ton Zapatero, là, il va réussi à tenir sa promesse de campagne. Pas comme tant d'autres charlato-politiciens de mes deux !

Bien sûr, Shura avait aussi suivi tout cela, il gardait toujours un œil sur ce qui se passait dans son pays, sur de nombreux domaines. Il participait aux élections. Mais il n'imaginait pas ce genre de possibilités s'ouvrir, les oppositions étaient féroces. La tradition catholique était profondément ancrée dans la société espagnole, le mariage autorisé pour tous n'était pas compatible avec cela. Le rejet du Sénat, où ils étaient majoritaires, aurait pu enterrer définitivement cette loi.

Et pourtant, grâce au Congrès… c'était finalement passé !
Quelle sacrée avancée !

Le Catalan ressentait une grande fierté pour son pays, à cet instant.
Et pour son compagnon, qui avait suivi et fait tous ses efforts pour eux, pour pouvoir un jour se présenter comme mariés…

Il n'avait jamais accordé tant d'importance à cela, comparé à Angelo, mais il sentit soudain une certaine euphorie le gagner à l'idée de devenir son mari.
Comment un si tout petit mot pouvait-il provoquer une émotion si forte ?

Puis, la réalité le rattrapa et doucha son excitation naissante.

- Mais, et concernant les conditions ? demanda-t-il soudain. Tu vas devoir demander la nationalité espagnole ? Est-ce que ce sera possible ? Combien de temps cela va-t-il prendre ?

Car du temps, il ne leur en restait plus beaucoup.

- Que tu sois espagnol et qu'on vive en Espagne suffit, mio amore. C'est pour ça qu'on va prévoir d'y passer beaucoup plus de temps. Enfin, si t'acceptes, ajouta-t-il en poussant l'écrin toujours fermé vers Shura. Je t'ai toujours pas entendu dire oui. Bon, la demande est pas terrible, j'avoue, j'ai privilégié l'effet de surprise. Mais t'aurais fini par être au courant, j'étais trop excité en apprenant la nouvelle, ce matin, j'aurais pas pu te le cacher.

- Je comprends. Mais t'aurais pu faire un effort, quand même, le taquina le Capricorne T'aurais pu poser ta main sur les journaux, plutôt que l'écrin, et mettre un genou à terre devant moi pour me le présenter ensuite.

Angelo grimaça, irrité contre lui-même de ne pas y avoir pensé.

- T'as toujours été le plus romantique des deux !

Shura lui pinça la joue.

- Tu oses me dire ça après avoir passé des années à me traiter de Don Juan de pacotille ?

- T'es le plus romantique de nous deux, mais ça veut pas dire que le niveau est élevé, non plus !

Ils rirent ensemble à sa remarque.

- Si je le fais maintenant, ça compte plus, reprit Angelo. Mais je te le promets, Shurizo mio amore, t'auras le droit à une demande en mariage parfaite, je l'ai prévu. Faut juste que je réfléchisse encore aux détails.

- Ce n'est pas nécessaire, je te taquinais juste, Àngel.

- Tu le mérites, répliqua le Cancer en prenant sa main posée sur son épaule pour y déposer un baiser. J'arriverai à te surprendre, tu ne verras rien venir. Et j'espère que tu accepteras.

- Bien évidemment que j'accepterai, idiota ! Mais le temps nous manque, on ne peut pas attendre que tu fasses ta demande comme tu le souhaites et que j'accepte pour s'organiser, donc je te dis oui dès à présent, ajouta-t-il en prenant et ouvrant la jolie boîte.

Son pragmatisme légendaire avait repris le dessus, mais en découvrant les alliances, si belles, si parfaites, tellement eux, alors qu'il pensait ne voir qu'une bague certes jolie et précieuse, mais juste pour patienter… il fut totalement court-circuité par cette vision concrète de leur mariage.

Les mots, encore et toujours, plus puissants et évocateurs que jamais.

Seule l'émotion l'emplissait à présent des pieds à la tête, faisant déborder son cœur et son âme d'amour et de désir pour cet homme qui avait été, était et serait, à jamais, l'autre moitié de lui-même.

Il reposa l'écrin, entoura la taille d'Angelo de ses deux bras et l'attira fermement contre lui pour l'embrasser comme si leurs deux vies en dépendaient.

Un baiser qui lui fut rendu à l'identique, mêlant passion, surprise, et fièvre, immédiatement partagées.
Les années passaient, mais ce même feu les habitait, les dévorait à la moindre étincelle qu'ils allumaient.

Ils ne s'aimaient et ne se désiraient pas comme aux premiers jours, mais bien davantage, car leurs sentiments n'avaient jamais cessé de se développer et de grandir, avec une soif de liberté dont ils avaient été privés bien trop longtemps.

Shura essayait aussi de ne pas trop y penser, mais l'échéance approchait pour Angelo.

Avec ses hauts et ses bas, il adorait sa vie avec lui autant qu'il l'aimait, lui.
Mais tout allait bientôt prendre fin.

Il avait beau s'y préparer, au final… comment pouvait-on se préparer à perdre sa seule raison de vivre ?
Eh bien, en y pensant le moins possible et en vivant intensément le moment présent.

Et c'était exactement ce qu'ils étaient en train de faire.

Parce qu'être embrassé de cette façon par un Shura torse nu, la peau encore un peu humide et pourtant chaude, n'avait bien évidemment pas laissé Angelo de marbre.

En une fraction de seconde et de télékinésie, l'écrin fut mis en sécurité à l'intérieur de la maison, et tout le petit-déjeuner vola de la même façon jusqu'à l'intérieur où les divers éléments retombèrent bruyamment, mais par miracle, sans casse, sur la table du salon.

Celle du patio, ainsi débarrassée, put accueillir Shura qui se fit soulever et reposer durement sur le meuble en bois, déjà nu et offert à son amant plus qu'affamé.

Si elle avait pu parler, la pauvre table aurait soupiré et sûrement râlé de se retrouver encore une fois détourné de son usage premier.
Et violemment secoué sur ses pieds, heureusement en acacia bien solide pour le supporter.

Après tout, ce n'était pas comme si les deux banquettes très confortables et douillettes, juste en face, n'étaient pas plus adaptées à ce genre d'activités, qu'elles avaient déjà d'ailleurs accueillis à maintes reprises…

Mais non.

L'un des deux amants passionnés, prévenant et attentionné, leur emprunta seulement un coussin qui vola et se nicha entre le bois et le corps délicieusement malmené par l'autre pour lui apporter plus de confort.

Ainsi, la pauvre table ne retrouva sa fonction initiale qu'une bonne heure passée plus tard.

Les deux hommes ayant satisfait ce premier besoin, ils étaient allés se rafraîchir et se nettoyer un peu sous la douche, s'y attardant plus que nécessaire, bien évidemment.

Ils étaient à présent enfin attablés convenablement autour du petit-déjeuner sauvé in- extrémis par Angelo.

- Ils ne donnent pas trop de détails sur les conditions, fit remarquer Shura en tournant une page du journal. Ils expliquent surtout à quel point le vote était serré.

- On en saura plus rapidement, d'une façon ou d'une autre. J'ai envoyé le P'tit Crabe sur place, il y a deux jours, pour prendre tous les renseignements qu'il faut et anticiper ce qui peut l'être.

Simon avait 24 ans, il était Chevalier d'or du Cancer, mais Angelo l'appelait toujours ainsi.

- Tu l'as envoyé en Espagne ? s'étonna Shura en repliant le journal El Païs.

- Vu que tu t'es évertué à lui apprendre l'espagnol, autant qu'il s'en serve, non ?

- C'était à sa demande. Et ce n'est pas la première fois qu'il y va.

- Sans nous, si. Mais j'ai aucune inquiétude, il va se débrouiller, c'est un champion mon p'tit gars, assura-t-il en reposant à son tour son journal, La Sicilia.

- Je n'en ai pas non plus. Il va prendre ta demande comme une mission sacrée, évidemment qu'il va faire son maximum et réussir. T'es conscient qu'il a quand même autre chose à faire ? Nos Popes lui ont donné de nouvelles responsabilités très récemment.

- Je sais bien ! Ils l'ont fait parce qu'ils savent qu'il est à la hauteur, ça va bien se passer.

- Oui, si tu lui rajoutes rien sur le dos.

- Mais c'est pas comme si je l'avais envoyé en infiltration dans un clan mafieux, non plus !

- Qu'est-ce que tu racontes, quel est le rapport ? soupira le Capricorne en tendant une brioche à son Cancer.

Ressemblant à un chignon et fourrée de granità aux amandes, la brioscia co tuppo, brioche typique de l'île, était souvent dégustée le matin au petit-déjeuner par les locaux. Ils en avaient tous les deux fait une habitude.

- Je dis seulement que c'est rien, ce que je lui ai demandé ! expliqua Angelo en l'acceptant. Ça lui prendra quelques jours, ça lui fait des vacances !

C'était donc ça.
Shura reposa sa tasse de café.

- Tu voulais l'obliger à lever le pied, parce que contrairement à ce que j'ai d'abord pensé, tu juges qu'il travaille trop.

- Je juge rien du tout, répliqua le Cancer après avoir avalé une première bouchée pâtissière. Je dis juste que ça lui fera pas de mal, cette petite pause. J'ai demandé à Saga, avant, il était d'accord.

- Encore heureux que tu lui aies demandé ! Tu ne lui as fait aucun reproche, au moins, ni à Aioros ?

Angelo alluma une cigarette.

- J'ai pas à lui dire quoi que ce soit sur la manière dont Aioros et lui gèrent le Sanctuaire, Shurizo, j'ai jamais même pensé à le faire une seule fois, depuis toutes ces années. Ils ont confié des responsabilités à Simon, qu'ils ont jugé le mieux à même de les porter, y a de quoi être fier. Mais ce petit temps en Espagne lui fera le plus grand bien, et je ne pense pas que ça impactera son travail.

- Si Saga a accepté, tu peux même en être certain.

- Voilà ! Donc pas besoin de s'inquiéter ! Puis, on est là, si au final, par la suite, il a besoin d'un coup de main. Mais j'pense vraiment pas !

- J'imagine que non. Et Archie est parti avec Simon, je suppose ?

Cigarette aux lèvres et sans la faire tomber, Angelo grimaça.

- Il l'aurait certainement pas laissé partir seul. Il est pire qu'une huître ou une moule accrochée à son rocher.

- Franchement, il a vraiment du mérite de s'être accroché, oui, fit remarquer Shura. Après toutes ces années, t'es encore aussi dur avec lui.

- Je vois pas de quoi tu parles !

- Oh allons, arrête ! Déjà qu'au départ, tu ne lui avais pas laissé sa chance très facilement...

- Il la méritait pas.

- C'est ce que tu pensais. A tort.

- Que tu dis… grommela le Cancer en recrachant une épaisse volute de fumée.

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Flash back

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Domaine sacré d'Athéna,
Arènes d'entraînement
Été 1995

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Les apprentis s'entraînaient sous la supervision d'Angelo, suivant les consignes qu'il leur avait données.

- Archie, où est-ce que tu crois mettre tes mains, là ? hurla-t-il soudain. Reprends immédiatement ta position et éloigne-toi de Simon !

L'interpellé relâcha Simon et s'écarta à peine de lui.

- C'est bon, Angelo, détends-toi !

- J'te demande pardon ? hurla encore plus le Cancer en faisant un pas vers l'aîné des apprentis.

Enfin, Achille, dit Archie, était en passe de devenir Chevalier, à présent et de quitter son statut d'apprenti.
Âgé de 16 ans, il était en pleine affirmation de soi et quelque peu rebelle et provocateur sur les bords.

C'était déjà une première bonne raison de mettre Angelo hors de lui.

La seconde était que l'Armure et la constellation qui semblaient lui être destinées étaient celles des Chiens de Chasse.

Enfin, la troisième et non des moindres, liée à la seconde, il y avait de toute évidence quelque chose entre Simon et lui.
Même si les deux intéressés n'en étaient pas encore pleinement conscients ou ne voulaient pas se l'avouer, les amourettes allaient bon train dans le groupe où la plupart avaient atteint l'âge des hormones en feu.

Simon avait tout juste 14 ans, c'était normal, et il avait déjà fricoté avec une fille, Thalie, son coup de cœur d'enfance.
Si seulement il avait pu rester avec elle, pensait souvent Angelo.

- Je te dis juste de te détendre, c'est pas la peine de t'énerver ! se défendît Archie en croisant ses bras sur son torse. J'ai rien fait de mal !

- Tu crois que je suis aveugle depuis quelques temps, et encore plus aujourd'hui ? Arrête de coller Simon, t'as rien à faire là ! Et tu me parles autrement, c'est clair ?

- Tu réagis comme un père quand un mec s'approche de sa fille, c'est n'importe quoi ! Simon n'est pas une nana et toi, t'es pas son père !

L'adolescent avait à peine fini sa phrase qu'il se retrouva suspendu à 3 mètres du sol de l'arène, une poigne invisible enserrant sa gorge.

Angelo n'avait pas fait un mouvement.

Il le regardait à présent se débattre et agiter nerveusement son mètre soixante-quatorze dans le vide, avec non pas un air satisfait, comme on aurait pu s'y attendre de sa part, mais une colère qui était montée d'un cran et qui flamboyait dans ses yeux assombris.

Shura était arrivé à ce moment précis, mais n'était pas intervenu.
Angelo avait parfois des méthodes un peu brutales, mais elles faisaient toutes sens, rien n'était gratuit.

- J'suis pas son père, non, parce qu'il a pas de père, comme aucun d'entre vous, ici ! asséna le Cancer d'une voix polaire. Il n'empêche qu'on est là pour vous et sans nous, sans Athéna, les petits orphelins que vous étiez, pour certains des petits merdeux arrachés à leurs familles pour être vendus, vous pensez que vous seriez où, aujourd'hui ? Soit crevés depuis des années, soit à vendre vos corps maigrichons et crasseux à des vieux porcs libidineux pour survivre ! Simon n'aurait pas été dans ce cas-là, il serait peut-être juste devenu fou à cause de ses pouvoirs ou se serait éclaté la cervelle contre un mur pour ne plus les subir ! Mais même si je suis pas son père, il oublie jamais ce qu'il me doit, ce qu'il doit à chacun de nous, y compris à vous qui avez su l'accueillir et lui faire une place parmi vous ! Il n'oublie pas ce qu'il doit à Athéna ! Ce que t'aurais dû faire en tant qu'aîné, Archie. Alors modère tes ardeurs, calme tes hormones et prends exemple sur lui, au lieu de penser à le prendre tout court !

Il relâcha Archie qui atterrit assez durement sur le sol.
Même en ayant anticipé la réception pour amortir la chute sur ses pieds… il finit tout d même à genoux dans la poussière de l'arène.

Simon le rejoignit immédiatement pour l'aider à se relever.

Il n'y avait pas eu d'hésitation dans son geste, mais son regard levé sur Angelo était indécis.
Il redoutait sa réaction, mais n'avait pu empêcher son corps de rejoindre son camarade.

Un véritable élan du cœur qui ne pouvait être reconnu que comme tel.

Angelo les regarda froidement tous les deux, le bras de son protégé sous les épaules de l'aîné qui soutenait son regard, malgré tout, le défiant certes, mais ans insolence, de ses yeux vert assombris.

Il fallait reconnaître qu'il en avait dans le pantalon.

- C'est terminé pour aujourd'hui, lança sèchement le Quatrième gardien avant de se détourner pour partir.

- Maître Angelo ! s'élança Simon vers lui.

Mais le Cancer ne s'arrêta pas, au contraire, il disparut rapidement en deux bonds maîtrisés.
Ce fut Shura qui s'avança pour rassurer Simon.

Il donna quelques exercices à faire aux apprentis soudain désœuvrés, même s'ils savaient qu'ils trouveraient bien quelque chose à faire.
De constructif ou non, d'ailleurs.

Il alla ensuite rejoindre son compagnon pour essayer de calmer un peu les choses.

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Fin du flash-back

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- Ils sont ensemble depuis dix ans, aujourd'hui, ça prouve que si, il le méritait, le défendit Shura.

- Justement. C'est parce que je lui ai mené la vie dure que ça marche entre eux. Il savait qu'il avait pas intérêt à merder, avec moi aux aguets. Du coup, il a fait ce qu'il fallait !

- Il l'a fait parce qu'il aime Simon. avant tout, le contra Shura.

- Et parce qu'il voulait pas mourir jeune.

Le Dixième gardien secoua la tête avec un petit rire.

- Donc, t'as fait tout ça pour eux, si je comprends bien ?

- Pour mon P'tit gars, ouais. Faut que quand on sera plus là, y ai quelqu'un qui prenne bien soin de lui, tu vois ? Les Cancers sont comme ça, Shurizo. Ils sont soit fous dans le sens machiavélique et solitaires, soit des fous dans le bon sens, inoffensifs, mais tout aussi seuls. Toujours avec ce même besoin d'être aimé pour les stabiliser. Manigoldo avait Albafica, moi je t'ai, toi, et Simon…

- Il a Achille.

- Ouais, bon... J'avais espéré un temps que ça puisse être Elrik, mais il s'est entiché tellement vite d'Uranie ! Plus personne n'a compté pour lui, après elle.

- Tu exagères, Simon et Elrik sont restés extrêmement proches, ce qui a d'ailleurs failli coûter sa relation à Elrik. Heureusement qu'Uranie a fini par se montrer compréhensive.

- C'est vrai... Mais tout de même, c'est dommage pour ces deux-là que leur amitié n'est pas évolué différemment.

- C'est très bien ainsi, au contraire. Archie est bel et bien celui qu'il fallait à Simon. Et tu le sais pertinemment.

Angelo grimaça.

- D'accord, mais... J'aurais seulement préféré que ce soit pas le Gardien des Chiens de chasse.

- J'avais cru, au départ, que c'était parce que ce n'était pas une Or; Mais ce n'était pas ton genre de raisonner ainsi.

- Évidemment, j'm'en foutais, de ça ! Il aurait pu porter une Bronze que cela ne m'aurait pas posé de problème. Enfin, s'il ne s'était pas complaît dans ce rôle, mais se serait entraîné dur pour évoluer. Comme nos Bronzes devenus des Ors. Faut qu'ils se protègent mutuellement, même si, en tant qu'aîné, Archie aurait dû être le protecteur.

- Il l'est, tu sais. Cela ne repose pas que sur la puissance et le cosmos. Il protège Simon de tout ce qui pourrait le blesser ou même simplement le contrarier.

- Je sais, oui… reconnut le Cancer. C'est pour ça que ça ne compte pas trop pour moi, son alliage. C'est juste que c'est elle. J'aurais toujours un problème avec elle.

Et il l'avait d'ailleurs bien expliqué autant à Simon qu'à Achille, ce même jour après l'entraînement écourté aux arènes.

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Flashback

Le Sanctuaire,
Maison du Cancer
Été 1995

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- Maître Angelo, je peux te parler ?

Le Maître des lieux éteignit la télé et fit signe à son élève de le rejoindre.
Simon s'approcha et prit place dans le fauteuil.

- Alors, de quoi tu veux causer, P'tit Crabe ?

- Il faut qu'on parle d'Archie.

- Il ne faut rien du tout ! le recadra-t-il immédiatement en fronçant les sourcils. Tu veux en parler, j'suis d'accord, mais y a aucune obligation, là-dedans, je pourrais te renvoyer dans tes pénates, tu saisis ?

- Oui, Maître, désolé. Merci d'accepter.

Angelo soupira.

- Il s'est plaint de ce qui s'est passé tout à l'heure, c'est ça ? grimaça-t-il.

- Non. On en a pas parlé.

- Qu'est-ce que tu veux, alors ?

- J'aimerais seulement savoir…

Il s'interrompit et se tritura nerveusement les mains.

- Quoi ? s'impatienta le Cancer en allumant une cigarette. Accouche !

Simon inspira, toussota car c'était pile au moment où Angelo recrachait sa fumée, puis se lança.

- Pourquoi tu n'aimes plus Archie ?

Le Cancer s'était levé pour ouvrir la fenêtre.
Certains apprentis fumaient, malgré l'interdiction des adultes, mais Simon en était toujours incommodé, il n'aimait vraiment pas cela.
Heureusement, car il savait que son Maître l'aurait massacré, s'il l'avait vu la clope au bec. m

- Est-ce que j'ai dit un truc pareil, à un quelconque moment ?

- Pas besoin de le dire, tu t'en prends tout le temps à lui ! T'étais pas comme ça, avant, t'étais gentil, enfin, normal, comme avec tout le monde.

- Et à ton avis, P'tit crabe futé, qu'est-ce qui a changé ? Qu'est-ce qui m'a fait intervenir, pendant l'entraînement, tout à l'heure ?

Simon serra les poings.

- Maître, on est juste des amis.

- C'est ça ! Des amis en pleine parade nuptiale ! C'est clair qu'il veut autre chose !

- Moi aussi ! laissa échapper l'adolescent.

Angelo recracha sa fumée et le regard à travers elle, un sourcil levé.

- Je… je pense que… Non, je suis sûr que je l'aime, Maître Angelo. Je sais pas lui, mais moi, c'est sûr.

Simon avait les poings et les mâchoires serrés, mais il soutenait le regard de son Maître, qui le fixait toujours depuis la fenêtre sur le bord de laquelle il s'était assis.
Avec les années, le bleu des yeux de l'enfant qui était arrivé au Sanctuaire, six ans plus tôt, étaient devenus encore plus incroyablement beaux, lumineux, envoûtants.

Ils reflétaient toujours la même pureté, la même innocence, la même authenticité., celles de l'âme d'un grand Chevalier.

Plus que jamais, Angelo voulait le protéger.
Il ne ressentait cela pour personne d'autre.

- C'est pas une bonne idée, ça, P'tit Crabe, finit-il par souffler en expulsant un nouveau nuage de fumée. N'importe qui, mais pas lui. Oublie-le.

- Non ! Archie, c'est quelqu'un de bien ! Pourquoi tu ne l'aimes pas ? redemanda Simon en se levant pour lui faire face.

- -Je t'ai déjà dit qu'il ne s'agissait pas de ça !

- Alors c'est quoi ? Pourquoi je ne pourrais pas être avec lui ?

- Parce qu'il ne t'aime pas ! ´Fin, pas réellement… nuança -t-il en se rendant compte de la brutalité de sa réponse.

Simon avait en effet l'air très peiné.

- Il te l'a dit ?

- Non ! assura immédiatement le Cancer. C'est juste que s'il s'intéresse à toi, c'est à cause de l'Armure des Chiens de chasse, cela ne fait aucun doute.

- Quoi ? s'étonna Simon, perplexe.

- Tu connais cette Armure et le lien que j'ai avec Elle, je te l'ai montré, déjà et Cancro aussi, quand tu l'as porté la première fois.

- Oui, Maître Angelo, c'était l'Armure de ton Maître et ce n'était pas quelqu'un de bien. Mais quel est le rapport ?

- Elle et obsédée par moi, elle est mue par un besoin de réparation qui pervertit tout. Y compris les liens de son porteur. Si Archie t'aime, c'est parce qu'il est influencé par les Chiens de Chasse qui lui commande de te protéger et même, de t'aimer. Parce que tu es mon héritier, Simon, et t'es mon p'tit gars, tu vois ?

- …

Angelo écrasa son mégot et vint poser une main sur l'épaule de son élève.

Il avait tellement grandi, depuis son arrivée, et pas seulement des trente centimètres qu'il avait pris en 6 ans, mais aussi en maturité. Angelo avait l'impression que c'était seulement la veille qu'il lui demandait s'il pouvait inviter Elrik à prendre le petit-déjeuner avec eux, alors qu'il avait dormi chez Shura ou chez lui.

Et à présent, il voulait qu'il l'autorisât à sortir avec un garçon.

Quand il avec fricoté avec Thalie, quelques mois seulement en arrière, Simon n'avait rien dit, comme si ce n'était pas important.
Pourtant, sans être trop poussés, leurs échanges avaient tout de même comporté des baisers et des caresses, le tout loin d'être innocents, de ce que Shura et lui avaient appris par la suite.

Heureusement, Simon s'était toujours bien comporté avec elle, ils avaient toujours veillé à lui inculquer le respect des autres et des femmes, en premier lieu, comme valeur essentielle et premier principe à appliquer à tout comportement.

Ce batifolage était normal, c'était de leur âge.

Leur génération n'avait pas vraiment pu le vivre, pas de manière aussi libre, sereine et quelque peu décomplexé, même, alors ils étaient parfois un peu perdus face à eux.
Mais ils apprenaient, évoluaient et s'adaptaient.

Seulement là, pour Simon et Achille, ce n'était pas quelque chose qu'Angelo pouvait laisser faire sans réagir.

- Je suis désolé, mais j'peux pas laisser faire ça, P'tit Crabe, tu comprends ? Tu vas souffrir pour rien dans un amour illusoire, et quand l'illusion va péter… J'veux pas te ramasser à la p'tite cuillère, tu vois ? Ce serait un vrai gâchis !

- Tu es sûr de toi, Maître ?

Simon avait une confiance absolue et aveugle en Angelo, alors il était prêt à le croire sur paroles.

Sa tristesse bouleversa le Quatrième Gardien, qui était plus conscient que jamais du pouvoir qu'il avait sur la vie de son élève.

Son cœur était entre ses mains et il pouvait le briser en un mot.
C'était terrifiant.

- Je suis sûr de rien, répondit-il sincèrement. Mais y a un grand risque, Simon. Je veux pas le prendre.

Il y eut un silence tendu, puis…

- Eh bien moi, si, je vais le prendre quand même ! décida soudain l'adolescent.

Il dégagea violemment la main qu'Angelo avait gardé sur son épaule, avant de partir en courant.
Laissant le Cancer perplexe.

Il ne se passa pas une heure que ce fût alors au tour d'Achille de frapper à la porte des appartements privés du Quatrième temple.

Angelo ouvrit sa porte depuis son salon, et attendit assis sur son canapé, sans bouger.
L'adolescent l'y retrouva et s'immobilisa devant, laissant la table basse entre eux.

Shura était également présent, dans la cuisine ouverte.
Il le salua.

- Tu veux boire quelque chose, Archie ?

- Non, merci, je suis juste venu parler à Angelo, rapidement. Si tu es d'accord, ajouta-t-il en regardant le Cancer.

- Je t'aurais ouvert, si ça avait pas été le cas ?

- J'imagine que non.

- Alors pose tes fesses et crache le morceau. Tu veux une clope pour te donner un peu de courage ?

- ´Ge… intervint Shura en fronçant les sourcils.

Angelo balança son paquet sur la table, puis son briquet, une fois sa propre cigarette allumée, et le fixa durement.

Achille ne se démonta pas.
Il serra fort les poings et mit toute sa détermination dans son regard et dans sa voix.

- Je veux être avec Simon.

- Dans tes rêves, répondit spontanément mais calmement le Cancer.

- Avec tout ce que vous nous avez enseigné comme valeurs, les principes de liberté, de tolérance, je comprends pas que tu puisses aujourd'hui me refuser le droit de l'aimer !

- J'ai jamais dit que tu pouvais pas l'aimer, monte pas sur tes grands chevaux avec tes grandes phrases dramatiques, là ! Aime-le tant que tu veux, y a aucun problème. Mais de loin.

Achille jeta un œil à Shura, qui suivait la discussion tout en poursuivant ce que l'adolescent supposait être la préparation du dîner, vu l'heure qu'il était et les délicieuses odeurs qu'ils percevaient.

Le visage du Capricorne était impassible et neutre, comme toujours, mais Achille ne pouvait pas l'imaginer partager totalement le point de vue du Cancer. Il pouvait le soutenir par amour, mais c'était un homme de conviction et de principes.

Il devait bien se rendre compte que l'opposition d'Angelo était injuste.

- T'aurais accepté, toi, qu'on te refuse d'être avec Shura ? demanda-t-il en reportant son attention sur Angelo.

- La question ne se pose pas, gamin, t'as oublié l'histoire de Deathmask ? J'ai eu l'intelligence, les couilles et assez d'amour pour lui pour me tenir à distance tout le temps où j'étais pas quelqu'un de bien et où je le méritais pas. Prends exemple et laisse Simon tranquille.

- Donc, je ne suis pas assez bien pour lui, c'est ça que tu dis ? conclut le jeune garçon avec tristesse et colère mêlées. En quoi suis-je une mauvaise personne, Angelo ? Dis-moi ce qui ne va pas, et je ferai le nécessaire !

- Ce n'est bien évidemment pas toi, le problème, Archie, finit par intervenir Shura sans quitter la cuisine. Tu n'as absolument rien à te reprocher, et nous non plus n'avons rien à redire sur toi.

- Alors, c'est quoi ? Je suis prêt à tout faire, tout surmonter pour Simon ! Dites-moi juste quoi faire !

- Y a rien à faire, répondit sèchement le Cancer.

- Ce n'est pas possible, il y a forcément quelque chose que je puisse faire, je vais pas juste renoncer comme ça ! insista Achille. Dites-moi quel est le problème, déjà ! Est-ce que c'est parce qu'il a 14 ans ? Il est déjà sorti avec Thalie, je vois pas où est le problème ! Si c'est parce que je suis aussi un mec, et plus âgé, je peux attendre ! Promis, je le toucherai pas pendant le temps que vous voudrez ! Enfin, je négocierai peut-être de l'embrasser…

- De l'embrasser en bas, comme tu lui as appris, quand il avait 8 ans ? le coupa sèchement le Cancer.

Shura retint une grimace.
C'était assez mesquin de ressortir cette vieille histoire maintenant.

- Je lui ai rien appris, je lui ai juste dit que c'était ce que faisaient les adultes quand ils étaient amoureux ! Je lui ai rien montré !

- Tu t'en souviens bien, dis donc !

- On s'est bien fait remonter les bretelles, avec Nikolaï… Mais surtout, vous nous avez donné une leçon très importante, et comme toutes celles que vous nous avez apprises, je l'ai bien retenu et je n'ai jamais oublié le contexte !

- C'est de l'histoire ancienne, Archie, ce n'est pas le problème, ici, assura Shura. Vos âges n'en posent pas spécialement non plus, on connaît votre maturité à tous les deux. Et on a entièrement confiance en toi.

Angelo ne le reprit pas, alors Archie fixa son attention sur lui, à nouveau.

- Alors dites-moi ! Je vois vraiment pas, là !

- C'est ton Armure.

- Quoi, mon Armure ? s'étonna l'adolescent.

- Tu lui expliques, 'Ge ?

Le Cancer écrasa son mégot et but une gorgée d'eau, avant de répondre, sans jamais quitter le gamin du regard.

- Les Chiens de Chasse te pousse à croire que tes sentiments pour Simon sont sincères, mais ils viennent d'elle. Elle veut seulement quelqu'un pour le protéger, parce qu'il est mon héritier, qu'il compte pour moi et qu'elle ne cessera jamais de s'en vouloir et de vouloir se racheter pour mon Maître et son ancien porteur. Et je veux pas de ça pour Simon, Archie ! Il mérite d'être aimé sincèrement pour qui il est et non pour ce qu'il représente.

Achille encaissa l'explication.

- Tu me crois donc si faible pour me laisser influencer par une Armure ?

- Hey, oh, doucement, les chevilles, gamin, tu penses vraiment être de taille à résister à leur pouvoir ? T'es Chevalier depuis hier et même pas intronisé, encore, tu crois pouvoir contrer une entité pluri millénaire qui repose le plus souvent au cœur d'un volcan actif ?

- Bien sûr que non ! Mais j'aimais Simon bien avant que l'Armure ne m'appelle !

- T'as 16 ans ! rappela Angelo avec un ricanement moqueur. Ça fait plus d'un an qu'elle te tourne autour et te renifle le…

- ´Gelo ! le coupa fermement Shura d'un ton désapprobateur.

- Tchhh…

- Et alors ? reprit Achille. T'as toujours dit que Shura et toi, vous vous aimiez depuis tout gamin ! Pourquoi ce serait pas notre cas, aussi ?

- C'est différent. On est des âmes-sœurs, on s'est reconnu même dans des corps de gamins, mais on comprenait rien, à cette époque ! Tu peux pas comparer !

- Pourquoi on en serait pas, Simon et moi, hein ? On a mis du temps à réaliser qu'on s'aimait, peut-être que si j'avais pas été aussi jaloux de Thalie, j'aurais pas compris tout de suite, mais, c'est comme vous, non ?

- Quoi, tu vas me dire que la première fois que t'as vu Simon, t'es tombé sous son charme ? Bordel, Archie me prend pas pour un con, ma patience a des limites et t'es sérieusement en train de marcher dessus en venant me faire chier directement chez moi !

- Je défends seulement mon droit d'être avec l'homme que j'aime ! répliqua courageusement Archie, même s'il n'en menait pas large.

Les colères d'Angelo étaient légendaires et craintes au possible par les plus jeunes
Fort heureusement, elles n'étaient pas si fréquentes, mais une seule pouvait ébranler le Sanctuaire. pendant des heures entières, voire plus.

- L'homme ? releva le Cancer avec un nouveau ricanement. Quel homme ? Il a 14 ans !

- Ce sera un homme, bientôt ! Mais c'est déjà celui que j'aime et avec qui je veux être... Ce que tu fais n'es pas juste, Angelo ! Je l'aime vraiment ! répéta-t-il presque avec désespoir. C'est nul !

Il en avait gros sur le cœur, c'était presque douloureux à entendre et à regarder.

- Tu crois l'aimer.

- Non, je l'aime depuis toujours ! Angelo, tu te moques, mais je t'assure qu'il s'est passé quelque chose, le jour de ma rencontre avec Simon !

- Allons bon… soupira-t-il. T'as aussi lu ça quelque part ? T'as vu quoi, la lumière tomber sur lui ?

- 'Gelo…

- Mais enfin, Shurizo, c'est n'importe quoi ! C'est des conneries, ce truc du premier regard ! Quand on s'est vu, toi et moi, la première fois sur le ponton, tu te souviens comment j'avais envie de te buter ? Et tu m'as rendu mon regard meurtrier sans ciller ! On se serait bouffer le nez, si Shion ne nous avait pas attrapé chacun par une épaule pour nous faire avancer séparément ! Et regarde-nous, aujourd'hui !

- Tu étais un petit teigneux qui regardait tout le monde de travers, je n'ai fait que me défendre et te signifier que tu n'avais pas intérêt à m'emmerder. Cela ne veut pas dire que d'autres personnes ne se retrouvent pas d'une manière différente, bien au contraire. Cela dépend des contextes.

- C'est n'importe quoi, je te dis ! Regarde encore, Kanon et Rhadamanthe se sont battus à mort, à leurs retrouvailles aux Enfers, littéralement ! Milo a mis des mois avant que Camus ne finisse par lui adresser la parole, à son arrivée ! Pareil pour Shaka et Ikki, ils ont failli crever, tous les deux, au terme de leur affrontement !

- Je t'accorde tous tes exemples, mais ne considère pas cela comme une norme pour autant. D'autres schémas peuvent exister. Alors laisse Archie parler, insista encore Shura. C'est important pour lui, mi corazon.

Forcément, Angelo ne pouvait qu'obtempérer.
Il fit un signe à Achille, qui remercia Shura d'un sourire, avant de reporter son attention sur Angelo et son sourire désabusé.

- J'ai eu une pensée, quand nos regards se sont croisés. On avait tous fait des paris sur comment serait l'enfant venu d'Autriche, blond, brun, les yeux, la taille, tout ça… J'avais dit qu'il serait blond aux yeux verts. Mais juste après l'avoir dit, j'ai été persuadé qu'il aurait les yeux bleus et je ne savais pas pourquoi c'était si évident et certain, pour moi…

- Et ça te suffit à te croire lier à lui depuis avant cette ère ? répliqua le Cancer. Tu lis quoi, comme roman à l'eau de rose, tu regardes quoi, comme séries à la con ? Il t'en faut vraiment peu, mais moi, gamin, il m'en faut bien plus ! Allez, c'est bon, le Myrmidon, t'as épuisé mon quota de patience, décréta-t-il soudain en claquant ses paumes sur ses genoux. C'est l'heure d'aller se coucher pour les gosses. Tu connais le chemin.

Dans ce contexte, appeler Achille Myrmidon n'était pas très flatteur.

Plutôt qu'un clin d'œil aux redoutables compagnons et guerriers mythiques du héros grec Achille, à qui l'adolescent devait son nom, les Myrmidons, Angelo en appelait plutôt à l'origine même de leur nom : « murmekes », le peuple fourmi.

Comme il était le plus âgé des apprentis et faisait un peu figure de leader, Kiki étant totalement à part et à un tout autre niveau, cette petite boutade était souvent revenue, et à la suite d'Angelo, le groupe était souvent appelé ainsi, Achille et ses Myrmidons, ou alors, on lui demandait aussi de rassembler ses Myrmidons, pour une raison ou une autre.

Là aussi, cela pouvait prendre le sens de « fidèles et féroces guerriers » ou « mignonnes petites fourmis » lorsqu'il s'agissait des apprentis plus jeunes.

Pourtant, dans la bouche d'Angelo, à ce moment précis, sans être une insulte, cela n'était pas très flatteur. Il le traitait vraiment comme un petit insecte nuisible dont il voulait bse débarrasser.

- J'ai pas fini ! se défendît l'adolescent avec un courage que seul l'amour pouvait inspirer. Quand on s'est regardé, j'ai eu cette pensée immédiate : ouvrir les yeux chaque matin pour croiser un regard aussi bleu que l'azur, c'est comme se réveiller sous un ciel d'été tous les jours, un bonheur sans nom.

Cette fois-ci, Angelo éclata de rire en se tapant la cuisse du plat de la main, toute irritation envolée laissant la place à l'amusement.

- Che cosa stai dicendo? C'est quoi ces conneries, Archie, te fous pas de moi, sale gosse ! T'avais quoi, dix ans ? Tu passais ton temps à jurer, à cette époque, tu débitais plus de gros mots qu'il n'y avait de pierres sur le Domaine ! T'étais intelligent, mais t'avais absolument rien d'un poète ! Oh porca miseria ! Ce qu'il faut pas entendre !

- Exactement, Angelo ! C'était pas moi, ça ! C'est ça que je voulais te dire ! C'est ce que j'ai pensé, ce jour-là ! J'ai même cru que j'étais devenu télépathe et que j'avais perçu la pensée de quelqu'un d'autre ! J'en ai parlé à Kiki et même à Mu, il avait vérifié et m'avait assuré que je n'avais aucune prédisposition télépathique ! Tu peux lui poser la question, je suis sûr qu'il se souvient !

À peu près calmé et de nouveau sérieux, Angelo croisa les bras.

- Donc, t'insinues que cette fulgurante prose qui te serait venue, ce jour-là, ce serait en fait une réminiscence de ton âme, c'est bien ça ?

- Ce ne peut être que ça ! J'ai connu et aimé Simon, comme toi avec Shura. J'ai vécu de me réveiller à ses côtés et de croiser ses yeux bleus qui sont tellement beaux... Il a gardé les mêmes, c'est obligé ! Je sais que les corps changent dans la réincarnation, sauf vous mais c'était pas pareil… Mais je sais que Simon avait ces yeux-là !

- Ecoute, gamin…

- Non, toi, écoute ! le coupa-t-il effrontément, faisant froncer les sourcils au Cancer peu habitué. Ce que je ressens, quand j'ouvre les yeux et que je regarde les siens, c'est beaucoup trop familier, c'est vraiment bizarre, Angelo, je te jure ! Je le pensais déjà quand on était plus jeune et qu'on dormait ensemble. Quand je le tenais dans mes bras pour…

- Oui, vas-y, dis-moi ce que tu faisais à tenir un gamin dans tes bras ?

- 'Ge, arrête ça tout de suite ! le réprimanda durement Shura.

- J'en étais un aussi, je te rappelle, intervint également Achille. On a que deux ans de différence. Et en tant qu'aîné, j'ai souvent consolé les autres plus jeunes, avec Kiki et Nikolaï. Tu le sais très bien, Angelo. Tu le faisais avec Aphrodite, non ?

- Évidemment qu'il le sait, répondit le Capricorne. Excuse-toi auprès d'Archie pour cette insinuation déplacée.

- Ok, désolé, c'était pas sympa et totalement gratuit de ma part, reconnut le Cancer. Tu faisais des conneries plus grosses que toi et t'emmerdais souvent les plus jeunes, mais t'as toujours été un bon grand frère dans les moments critiques. C'est ce qui compte.

- Merci de me reconnaître au moins ça, soupira le jeune garçon. J'ai vraiment l'impression d'être une crapule, depuis quelques temps, à travers ton regard, je ne sais même pas ce que j'ai fait pour mériter ça… À part juste que j'aime Simon…

Angelo soupira et s'avança pour posa sa main sur l'épaule de l'adolescent peiné.

- Archie, j'ai vraiment rien contre toi, je t'assure, je t'apprécie comme les autres. J'suis désolé que tu te sois senti comme ça à cause de moi, te dévalorise surtout pas, jamais. Je vous l'ai toujours dit, la seule personne qui peut te dire que t'es une merde, c'est toi-même, mais faut pas plus y croire que si c'était quelqu'un d'autre qui te le disait. T'es un bon p'tit gars, et tu seras un grand Chevalier, j'en suis certain.

Une partie du jeune garçon était flattée et touchée par ces mots si rares du Cancer, tandis qu'une autre était totalement abattue.
Joie, fierté et désespoir ne faisaient pas bon ménage dans son estomac et il sentit la bile remonter dans sa gorge.

- Mais ce n'est pas assez pour toi.

Sans répondre, le Quatrième gardien ôta sa main et se recula.

- Si notre Déesse et nos Popes sont d'accord avec moi et s'opposent pas à ce que je sois avec Simon, alors je pourrais me passer de ton autorisation et de ta bénédiction, même si je te respecte énormément, Angelo, poursuivit l'adolescent. Mais Simon… il ne sera pas heureux. Il pourrait même refuser d'être avec moi, si toi, tu n'es pas d'accord. Depuis le début, il a toujours dit et répété qu'il se sentait tellement heureux et chanceux d'être venu ici pour te rencontrer... On sait tous que t'aimes pas qu'on parle de ça, mais t'es comme un père, pour lui, vraiment…

- Va pas sur ce terrain, Archie, je te préviendrais une fois, pas deux, gronda le Quatrième gardien, le visage et le regard à nouveau durs.

Ce qui fit légèrement reculer le corps de l'adolescent, qui se fit violence pour ne pas faire de pas en arrière.

Les poings serrés et le regard franc, il poursuivit sur sa lancée.
S'il devait s'en prendre une, au moins, il voulait pouvoir avoir dit tout ce qu'il avait sur le cœur.

- Je veux juste que tu comprennes que t'as la clé de son bonheur. Soit, tu nous acceptes et tout va bien, soit, tu continues à t'opposer et il sera malheureux parce que ça l'éloignera de moi, ou alors parce qu'il voudra tout de même être avec moi et alors, ça l'éloignera de toi.

- Attends, je rêve, tu me fais quoi, là, du chantage ? gronda Angelo en se redressant de toute sa hauteur.

Comme ils étaient encore assez près l'un de l'autre, et que même s'il était grand pour ses 16 ans, une bonne dizaine de centimètres les séparaient encore, sans compter la largeur d'épaules, Archie ne put donc réprimer un pas en arrière, cette fois-ci.

- Non, Angelo, je te présente les faits et je sais que tu peux clairement tout voir aussi de la même façon, répliqua-t-il malgré tout. C'est logique qu'il réagisse comme ça, non ? Tu le connais !

Le Cancer le toisa longuement, puis claqua sèchement la langue sur son palais en détournant le regard et en reculant légèrement.
Archie eut l'impression de pouvoir à nouveau respirer normalement et ses épaules se détendirent légèrement.

- Vu notre conversation et surtout, la conclusion que Simon lui a donné tout à l'heure, je ne suis pas certain qu'il m'écouterait, révéla Angelo.

- Il est venu te parler ?

- Comme si t'en savais rien !

- Mais non, je savais pas ! se défendît Archie. Je l'ai pas revu après le goûter des petits… Je l'ai appelé, mais il m'a dit qu'il était chez Elrik et qu'il restait dormir là-bas. Je te jure !

- C'est bon, je te crois !

Un court silence, puis…

- Vous avez parlé de moi ?

- Non, de la météo du week-end !

- ´Ge…

- Évidement qu'on a parlé de toi ! Avec tes conneries d'aujourd'hui, tu vois ce que t'as déclenché ?

- De toute façon, ce serait arrivé à un moment ou un autre, répliqua Archie. Dès que j'approche Simon, tu me sautes à la gorge, maintenant…

- Et tu sais à présent pourquoi.

- Et tu l'as expliqué à Simon, aussi ? Il a dit quoi, lui ?

Angelo marqua un temps d'arrêt, échangea un regard avec Shura, qui veillait toujours depuis la cuisine.

- Il connaît le risque, mais il semble vouloir le prendre, finit par répondre le Quatrième gardien. Pour toi. Arrête de sourire aussi niaisement, ça me donne envie de t'en coller une bonne paire dans la tronche !

L'adolescent se pinça violemment les lèvres, alors qu'Angelo se penchait de nouveau sur lui, presque menaçant.

- Écoute-moi bien, Archie : à l'avenir, si tu lui fais le moindre mal, si une seule larme autre que de joie ou de plaisir coule sur son visage à cause de toi, je te massacre… C'est clair ?

Le jeune garçon ne put retenir un sourire plus longtemps, malgré la menace qui lui donnait aussi, paradoxalement, une sévère chair de poule.
Sous couvert d'avertissement et de menace, c'était bien une bénédiction tordue à la Angelo.

- Je prendrais soin de lui, je te le promets !

- T'as pas le choix. Je plaisante pas, Archie. Toucher aux miens peut réveiller mes pires démons et crois-moi, les rencontrer est la dernière chose que tu pourrais vouloir en ce monde, si tu tiens à ta vie et à ton intégrité, physique et psychologique.

Au fur et à mesure que les apprentis grandissaient, l'Histoire de la Chevalerie leur était peu à peu révélée, dont ses pans les plus sombres. Achille savait donc qui avait été Deathmask du Cancer et ce qu'il avait fait, dans les grandes lignes.

Il avait lui-même des vagues souvenirs de Deathmask, même s'il l'avait très peu vu.
Tout le monde avait tenu les enfants éloignés du Cancer, durant le règne du Lémure.

Mais les rumeurs et la vision qu'il leur avait offertes parfois les avaient traumatisés à vie, notamment Nikolaï et lui. Les plus jeunes ne s'en souvenaient plus, et Angelo avait rapidement remplacé le peu qu'ils se souvenaient du Cancer de l'époque.

Tout était même un peu confus, pour certains : y avait-il eu un ou deux Cancer ? Deux ou trois Popes ? Aioros avait été tué oui ou non ?
Au final, seule avait compté cette seconde vie qui avait vu toutes les générations s'épanouir.

C'était donc rare de faire mention de cette période obscure, aussi, le sourire de l'adolescent s'estompa quelque peu face à ce rappel, ainsi qu'à la lueur furieuse dans le regard du Quatrième gardien.

Il serra les poings et releva le menton fièrement, malgré ses genoux à la limite de trembler.

- Si je lui fais le moindre mal, je me massacrerais moi-même avant que tu ne sois mis au courant, Angelo.

Malgré lui et même s'il n'en montra rien, Angelo fut touché par le courage et la ténacité du gamin.

- N'en sois pas si sûr. Je vais pas te lâcher, tu piges ? Si tu regardes ailleurs, je te crève les yeux, si tu batifoles à droite à gauche, je t'écrase les berlingots à mains nues, si tu lui manques de respect, je t'envoie au Puits des Morts et je t'y suspens par les couilles avant de t'y lâcher. Hai capito?

- Si, Signore, répondit-il en déglutissant.

- Va bene. Maintenant, disparais, je t'ai assez vu.

- Mais euh…

- Che c'è ora ?

Archie ne comprenait pas vraiment l'italien, mais comme beaucoup, il y avait des mots et des expressions qu'il avait retenu à force de les entendre d'Angelo.
Son « quoi, encore ? » exaspéré, iconique, il le connaissait par cœur.

- Dans un univers parallèle où ça pourrait arriver, tu me laisserais m'expliquer avant de me bousiller n'importe quelle partie de moi, quand même ? Parce que t'as un peu trop tendance à interpréter les choses, agir et écouter ensuite les explications…

- Tu sais ce qu'il te reste à faire : veille à ne rien faire qui puisse prêter à confusion et tout ira bien pour tout le monde, tes yeux, tes couilles, ta vie.

Sur ce, il lui tapota l'épaule avec peut-être un peu plus de force que nécessaire, avant de rejoindre Shura à la cuisine, qui était resté très attentif à tout ce qui se passait entre eux, prêt, le cas échéant, à intervenir.

- Transmets aussi un message à ton Armure, pour moi, mot pour mot : Si t'interfères d'une façon ou d'une autre, je te jette dans le Puits des Morts en pièces détachées et encore sang, fusse-t-il celui d'Athéna ou même de Zeus, ne te ramènera à la vie.

- Je… lui transmettrai. Bien, je vous ai assez dérangé, je vais rentrer ! Merci de m'avoir écouté ! ajouta-t-il en inclinant le buste.

Il opéra ensuite un demi-tour gracieux pour partir.

- Attends une seconde, le stoppa Angelo. Ton histoire d'âme-sœur, les yeux bleus, tout ton laïus, là… C'était vrai ?

- Tout s'est passé comme je te l'ai dit, répondit Achille en lui refaisant face. Mais… j'ai 16 ans, Angelo. Je sais bien qu'à cet âge-là, on se jure souvent un amour éternel en pensant que ça va durer toute notre vie, puis on se sépare, on croit que c'est la fin du monde et deux jours après, on est déjà avec quelqu'un d'autre et on revit la même chose, on refait les mêmes promesses en y croyant très fort…

En effet, Angelo, Shura et une partie des Ors avaient découvert avec effarement cet incroyable fonctionnement des amours adolescents. Un phénomène qui leur était totalement étranger et qui les avait bien souvent laissés complètement perdus face à l'illogisme ou l'excès de leurs réactions.

- Et donc… ? T'es en train de me dire que t'es pas sûr de tout le baratin que tu m'as sorti ? T'as que de la gueule, c'est ça ?

- Si, justement. Je sais que ce sera différent avec Simon. Parce que c'est déjà différent. Je peux pas jurer que c'est mon âme-sœur, je peux pas dire qu'on s'aime comme vous deux, ou nos Popes, ou Kanon et Rhadamanthe. On est juste des ados. Mais y a quelque chose qu'il n'y avait pas avec les autres. Y a ce truc que je peux pas décrire... Et cette impression que je le connais depuis toute ma vie, alors que comme tu le dis, Angelo, je suis né hier. Alors je sais pas, ça ressemble beaucoup à ce que certains d'entre vous décrivez de vos liens, pour ceux qui veulent bien en parler… Mais je suppose que seul le temps donnera la réponse.

Les deux aînés échangèrent un regard entendu.
Ils l'avaient déjà, leur réponse.

Ils se reconnaissaient tellement dans les propos d'Archie, quand ils avaient à peu près son âge et qu'ils s'étaient pris la réalité de la véritable nature de leurs sentiments pour l'autre !

- Ce que j'ai dit te plaît pas, Angelo ? J'ai été trop honnête ? se demanda le jeune garçon. Est-ce que je dois m'inquiéter pour mes… euh… mes berlingots ?

- Tout va bien, Archie, ils ne risquent rien, le rassura Shura alors qu'Angelo se détournait pour ne pas se trahir et montrer combien il se retenait d'éclater de rire. Et concernant ton lien avec Simon, tu auras le temps de comprendre tout ça, poursuivit-il avec un sérieux qu'il était lui-même à deux doigts de perdre.

- Je suppose, oui. Bien, cette fois, je rentre !

- Hey, le rappela encore le Cancer brusquement remis, alors qu'il se dirigeait déjà vers la porte. Pour tout ce qui concerne le sexe, t'as pas intérêt à…

- Mais tais-toi ! le coupa Shura en lui mettant la main sur la bouche et laissant échapper un petit rire irrépressible. File, Archie, il se fait tard. Bonne soirée. Et quoi que tu fasses avec Simon, veillez à ne pas vous faire surprendre par les plus jeunes. Et protégez-vous ! Vous êtes encore trop jeunes pour que vos cosmos puissent vous immuniser complètement. On compte sur vous !

- Euh… promis... répondit-il avec une gêne soudaine. Bonne soirée ! Et merci !

Et il fila sans demander son reste.
Permettant aux deux adultes de rire et se détendre enfin.

Angelo pensait que ces discussions étaient closes, avec l'un comme avec l'autre.
Mais il fallait croire qu'ils avaient tous fait du bon travail, en éduquant les apprentis.

Deux jours plus tard, les deux adolescents revenaient ensemble frapper à la porte des appartements de Shura, cette fois, car c'était là qu'Angelo se trouvait, alors. Il avait été à l'extérieur toute la journée, il venait de rentrer.

Shura leur avait ouvert et les avait fait attendre dans le salon.

Angelo était arrivé rapidement, tout juste sorti de la douche.
Une courte serviette autour des hanches, une autre sur une épaule, il offrait aux deux adolescents son corps aux muscles puissant, couturé de cicatrices.

Un spectacle très impressionnant, même si ce n'était pas la première fois qu'ils le voyaient ainsi.
Leurs deux mains entrecroisées se serrèrent un peu plus fort, mais les regards déterminés n'avaient pas flanché.

- On est désolé de vous déranger, mais on tenait à mettre les choses au clair avec toi, Angelo, se lança Archie. Je sais bien que tu as donné ton accord, d'une certaine façon, mais maintenant qu'on a discuté avec Simon et qu'on a pris la décision ensemble, on trouvait important de venir te le dire en face.

Les deux garçons se sourirent, puis regardèrent à nouveau le Cancer, qui se tenait face à eux, un sourcil levé, les poings sur les hanches.

- Maître Angelo, on est ensemble, Archie et moi, maintenant, annonça Simon. Et on s'aime vraiment, alors le risque, on le prend.

- Et je suis prêt à me battre pour lui, si tu n'es finalement plus d'accord. Aujourd'hui ou demain, dans deux ans, peu importe. Je me battrai pour lui et pour nous, affirma bravement Archie.

Ils étaient touchants.
Mais si Shura était sensible à leur démonstration, ce n'était pas le cas d'Angelo.
Du moins, en apparence.

- Contre moi ? ricana-t-il en frottant sa tignasse hirsute pour continuer à la sécher.

- Je sais que je ne gagnerai jamais contre toi, mais si cela suffit à montrer ma détermination, je relève le défi. Je suis ton homme, Angelo !

Le rictus du Quatrième gardien s'accentua…
Et il ôta la serviette entourant ses hanches.

Archie resta bouche bée, rougissant violemment avant de fermer les yeux, tout comme Simon, qui détourna le regard en plongeant son visage dans le cou de son amoureux.
L'ainé posa sa main en plus sur sa tête comme pour s'assurer qu'il ne pouvait vraiment plus rien voir.

Shura, lui, leva les yeux au plafond.
Il l'avait senti, à l'expression d'Angelo, qu'il leur préparait un sale tour !

- Bah alors ? Ça s'prétend homme et ça rougit comme une vierge effarouchée ! se moqua allègrement Angelo. On est entre adultes, ou pas ? Vous avez le même service trois pièces, hein, même si les vôtres sont pas totalement fini, et que vous voulez quand même déjà jouer avec comme des grands ?

- ´Ge, ça suffit, habille-toi ! le rabroua Shura en lui balançant un boxer et un short qu'il était allé récupérer tellement vite que personne n avait remarqué son mouvement.

A moins que ce ne soit le choc qui n'était toujours pas passé.

Simon et Archie se firent violence pour regarder Angelo dans les yeux, alors qu'il s'habillait lentement. Mais ils ne purent dissimuler leur soupir de soulagement quand les attributs imposants du Cancer furent enfin… rangés.

Il y avait de quoi être sacrément complexé pour un adolescent…
Archie, surtout, ne se sentait vraiment pas à l'aise.

Shura les rejoignit donc et posa une main sur chacune de leurs épaules.

- Merci d'être venus, votre démarche est très louable. Je suis désolé pour le spectacle qui vous a été offert et dont vous vous seriez bien passé. Essayez d'oublier ce que vous avez vu, d'accord ?

- Merci à toi, Shura.

- Merci beaucoup, Shura, ajouta Simon à son tour. Maître Angelo… Je suis désolé d'avoir crié et d'être parti comme je l'ai fait, avant-hier. Je ne voulais pas dire que je m'en fichais de ton avis. C'est juste que…

- Hey, j'suis pas ton père, ton petit copain me l'a bien rappelé, lui dit Angelo. Je t'ai juste donné un avis, un conseil et le fond de ma pensée. Ce que tu fais en tant qu'apprenti et le futur Chevalier que tu vas devenir, ça, c'est ma responsabilité, on est d'accord. Le reste, c'est ta vie, P'tit crabe. Et accessoirement, ton cœur. Et ton c…

- ´Gelo !

- Corps, se reprit-il. Tu veux les lui donner, parfait ! J'ai été assez clair avec toi sur ce que j'en pense, et avec lui sur ce qu'il risque. Besoin d'un rappel, Archie ?

- Non, c'est bon…

- Alors, foutez-moi le camp ! Vous attendez quoi, que je vous demande de rester pour fêter vos fiançailles autour d'un joli petit dîner en famille ?

- Ça pourrait être sympa, ça sent bon, en plus, le provoqua Archie.

Ah la fameuse témérité… ou la folie ? de l'adolescence !

Mais, il n'avait pas n'importe quel adulte face à lui.

Angelo sourit de manière bien sadique…
… et glissa deux doigts sous l'élastique de son short.

- Dans ce cas, je vais me changer pour l'occasion !

Le vêtement n était pas arrivé sous le nombril que les deux jeunes hommes avaient déjà filé sans demander leur reste…

Le rire du Cancer résonna bien longtemps derrière eux.

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Fin du flash-back

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- C'est vrai que tu avais cette obsession pour les Chiens de chasse.

- C'est elle qui était obsédée par moi !

- Elle voulait seulement te protéger et veiller sur ta famille. Elle réagissait un peu comme un membre d'une meute.

- Justement, elle me foutait les jetons. Et encore aujourd'hui.

- Tu dis cela, et tu râles, mais tu es heureux pour Simon. Et soulagé qu'il ait quelqu'un de si précieux à ses côtés que ne l'est Achille pour lui.

Angelo haussa les épaules.

- C'est notre moment, pourquoi on parle autant des autres ?

Shura accepta la demande peu subtile de changer de sujet.

- Tu as raison, mi corazon. Mais ne doit-on pas attendre le retour d'informations de Simon pour pouvoir mieux nous organiser ?

- Je pense qu'il nous appellera dans la journée, ou ils passeront directement.

- « Ils passeront » ? le taquina Shura.

- Tchhh… Evidemment qu'Achille sera avec lui. Comme s'il allait le laisser partir seul au joyeux pays des gays, pile au moment même où ils seront les plus euphoriques et prompts à faire la fête dans la rue ou au plumard ! Il va sûrement recevoir une centaine de demandes en mariage rien qu'en marchant dans les rues, avec sa gueule d'ange et ses yeux ! Plus les années passent, et plus il est beau, ce p'tit con !

Shura sourit avec tendresse.
Angelo ressemblait vraiment à un père fier de son fils.

Les mots n'étaient toujours pas prononcés même après tant d'années, mais l'attitude était bien présente et sans équivoque !

- Et tu l'as quand même envoyé, sachant qu'Archie le suivrait sûrement. Ne me dis pas que tout était calculé ?

- Mais pourquoi j'aurais fait un truc aussi machiavélique ? se vexa presque le Cancer avec un air faussement innocent.

- Je te connais… C'est encore un test pour Archie. T'es diabolique, vraiment !

- S'il se comporte correctement, cela leur fera un bon petit court séjour à bien s'amuser librement ! C'est pas sympa de ma part ? Ils pourront danser et s'embrasser dans la rue ! C'est formidable, non ?

- On aurait pu tout aussi bien y aller, tous les deux.

- C'est plus un truc de jeunes, ça !

- Tu te sens vieux, mi cielo ?

- Je suis aux portes de la mort, je te rappelle.

Shura le frappa si fort sur la tête qu'elle fit un rebond.

- Mais haï ! Tu veux accélérer le processus, ou quoi ?

- Arrête ça tout de suite, je ne plaisante pas ! ordonna Shura d'un ton polaire.

- Désolé… s'excusa immédiatement Angelo en lui prenant la main pour l'embrasser plusieurs fois. Mille scuse, mio amore

Il le savait que c'était encore et toujours un sujet délicat, sans être tabou.
Mais plus l'échéance approchait et moins Shura supportait les traits d'humour à ce sujet.

- Nous sommes, pour le moment, aux portes de notre mariage, ´Ge, reprit le Capricorne quelque peu radoucit.

Les mille baisers reçus sur sa main et son poignet y aidaient beaucoup.

- T'as raison. Mais pardon de revenir dessus, mio amore, mais le temps nous est compté. Il ne va pas falloir qu'on tarde trop à faire notre demande… et choisir où la faire, d'ailleurs. Il va sûrement y avoir de l'attente…

- Évidemment. Et tant mieux. Si nous faisions partie des premiers, nous risquerions d'attirer l'attention. Il vaut mieux attendre que cela se tasse un peu et devienne quelque peu banal.

- T'as raison, Shurizo, acquiesça-t-il avant d'amener sa main sur sa joue pour l'y frotter avec tendresse. J'aimerais en profiter quand même un moment, me balader avec mon petit mari fièrement, dire que tu l'es à qui le demandera et même sans qu'on nous le demande. Aller faire des courses et demander à un vendeur s'ils ont du jus d'orange sanguine de la marque Cofrutos, parce que c'est la préférée de mon mari et que je veux faire plaisir à mon mari. Réserver un restaurant pour deux, mon mari et moi. Demander des conseils pour acheter un bouquet de fleurs à mon…

- … mari, oui, j'ai compris, Angèl, l'arrêta-t-il dans son énonciation qui pouvait prendre des heures. Mais es-tu seulement conscient que cela impliquera sûrement de passer beaucoup de temps en Espagne ? ajouta-t-il en lui caressant la joue de sa main qu'il tenait toujours contre.

- Je suis déjà en train de me préparer psychologiquement, t'en fais pas pour moi.

Shura rit à cette réponse et récupéra sa main pour prendre la sienne et la porter à ses lèvres.
Il embrassa amoureusement l'intérieur de son poignet, puis entrecroisa leurs doigts et pressa fort leurs paumes l'une contre l'autre.
Ils gardèrent leurs mains liées sur la table et terminèrent leur petit déjeuner, faisant fi de la difficulté engendrée.

Ils ne voulaient pas se lâcher.

Même leurs jambes nues, sous la table, étaient entrecroisées, leurs pieds et leurs orteils se taquinant parfois comme mus par une volonté propre.

- Il faut que Kanon soit là, aussi, poursuivit Angelo. On arrive bientôt au terme de son année aux Enfers, il va pouvoir revenir à la surface.

- Dans trois mois, oui.

- Peut-être même avant. Rhadamanthe me disait la dernière fois que le corps de Kanon avait étonnement bien réagi à la transition. Son âme aussi, malgré ce qu'elle avait vécu aux Enfers.

- Il a une explication ?

- L'âme des Gémeaux, qui autrefois n'était qu'une seule et même étoile, n'a pas suivi le cycle d'incarnation traditionnel.

Shura fronça les sourcils, puis comprit rapidement.

- Saga et Kanon ne sont pas nés d'un corps humain, aucune mère ne leur a donné naissance. Ils sont descendus, où plutôt remontés des Enfers, puis redescendus comme des étoiles filantes après avoir travers les cieux et la constellation des Gémeaux, pour atterrir enfin directement au Troisième temple.

- Exactement.

- Alors tant mieux, s'il peut revenir plus vite. Il manque vraiment, ici. Et moi, cela fait un moment que je ne l'ai pas vu. Tu m'emmèneras, à notre retour ?

Angelo plissa les yeux.

- Dis-moi, mio amore, est-ce que le plaisir violent qu'on a pris tout à l'heure t'aurait grillé quelques neurones, au passage ?

- Mais qu'est-ce que tu racontes, rit Shura, d'où ça sort ?

- Ta question était pour le moins inquiétante ! Tu sais que je peux t'emmener au Puits des Morts de n'importe où, hein, tu te souviens ?

- Bien sûr que je le sais, idiota ! Mais je préfère qu'on soit rentré au Sanctuaire et demander à Saga, avant d'y aller.

- Demander quoi, la permission ?

Shura lui donna un coup de pied sous la table.

- T'arrête, un peu ! Je veux seulement lui demander s'il veut que je lui passe un message ou que je lui donne quelque chose. Il ne peut pas y aller aussi souvent qu'il le voudrait à cause de son statut de Grand pope, tu sais bien. Mais Kanon lui manque énormément.

- Bien sûr que j'le sais. Mais il va devoir s'y faire pour le bien de Kanon. Il y a forcément un moment où il va moins remonter pour s'habituer à ne plus nous voir et être avec nous, non ?

- Ou au contraire, il pourrait décider de profiter le plus possible des moments passés en notre compagnie, avant nos disparitions progressives.

- Oui, il peut aussi faire ça.

- Cela va quand même être très difficile pour lui de nous voir partir. Je peux l'envier de pouvoir demeurer à jamais aux côtés de l'homme qui l'aime, je le plains pour le revers de la médaille. Que cela en vaille la peine ne change rien à la douleur et l'épreuve qui l'attendent.

- C'est marrant, je pensais à ça, l'autre jour, et je me disais que c'était peut-être pour ça qu'il ne se lie pas plus que ça aux autres enfants d'Elrik, fit remarquer Angelo. On en parlait avec Simon, d'ailleurs. Quand Uranie est tombée enceinte, y a quatre ans, et que Saga leur a proposé de revenir vivre au Sanctuaire le temps qu'ils finissent leurs études, Kanon était fou de joie. Et quand Linos est né, il était tellement heureux qu'on avait l'impression que c'était lui, le père ! (1)

- C'est vrai, se souvint Shura avec nostalgie. Mais cela n'a duré que deux ans. Et à la naissance de Calliopé, c'était tout autre chose. Il était très heureux, mais il s'est beaucoup moins investi.

- Il lui restait juste un an avant de descendre, ça se comprend, rappela le Cancer. Ça va être dur pour lui, t'as raison !

Shura hocha simplement la tête.

Sachant à quoi il était sûrement en train de penser – à savoir, leur propre situation quand Angelo allait partir – le Cancer changea de sujet.

- En fait, Shurizo mio, on devrait aller en Espagne, nous aussi, et faire la fête avec tout le monde.

- Quoi ?

- C'est un jour important ! On est pas si vieux que ça, après tout ! En nous voyant sur cette même table tout à l'heure, on nous aurait bien donné 20 ans de moins !

Cela fonctionna, car Shura ne put que rire.

- Tu es sérieux ? Tu veux aller « faire la fête » ? En Espagne ?

- Oui !

- En Espagne ? répéta-t-il.

- Ouais, puisque c'est là-bas qu'il faut être ! Je veux te rouler des énormes pelles au milieu de la foule comme si on avait 15 ans ! On a jamais pu le faire !

- Quoi, t'en avais envie, à l'époque ?

- Évidemment ! confirma Angelo en serrant sa main plus fort. Quand je te voyais revenir d'Espagne et que je savais très bien que t'avais pris du bon temps au passage… J'y pensais, carrément, j'me disais que je pouvais t'écraser contre un mur ou une colonne et effacer les traces de tous ceux qui avaient osé te toucher ! Quand je te savais là-bas, j'm'imaginais te retrouver, te rejoindre, t'arracher aux bras de cet autre qui n'était pas moi et te faire passer l'envie d'aller voir ailleurs... Ça me rendait dingue !

- J'entends ça ! Et je me souviens aussi combien tu étais exécrable et insupportable avec moi, dans ces périodes-là suivant mes retours. Mais c'est tellement loin, tout ça, mi cielo.

Angelo embrassa le bout des doigts de Shura, leurs deux mains toujours nouées entre elles.

- Ouais, et on s'est bien rattrapé, depuis. Je t'ai pris partout où j'avais imaginé le faire, toutes ces années ! Sauf dans le bureau des Popes. Saga a toujours réussi à me contrer ! L'enfoiré, il avait un sixième, non, un dixième sens pour ça !

- Tu sais bien que je ne t'aurais pas laissé faire, rappela le strict Capricorne.

- Evidemment ! Mais juste histoire de dire que ça aurait été possible, tu vois ? Et puis, on sait pas, j'aurais peut-être réussi à te convaincre…

Shura ne répondit rien, ils savaient tous les deux qu'Angelo avait raison.

- On parle comme si on faisait le bilan, mais on a encore le temps de continuer, Shurizo mio ! Aujourd'hui est justement l'occasion de faire encore quelque chose qu'on a jamais pu faire, avant ! A Madrid, à Barcelone, à Séville, Gérone ou même chez toi, à Pals ou à Bégur ! Ce doit être la fête partout ! Tu ne veux pas en être ?

- Si, évidemment. Mais tu dois être conscient que dans ce genre de rassemblement et de liesse, tu peux facilement te faire attraper et embrasser par n'importe qui. Ce n'est pas du tout mal vu, au contraire.

L'enthousiasme d'Angelo retomba d'un coup.

- Et c'est là-bas que j'ai envoyé mon P'tit Crabe ?

- Il est adulte, ´Ge, et Archie est avec lui. Tout ira bien. Et si on les rejoints, on pourra même s'en assurer.

- On va y aller, mais si une bouche s'approche trop près de la tienne, je garantis pas qu'elle pourra embrasser ni même parler de nouveau un jour ! Pareil pour mon P'tit gars !

Shura sourit en secouant la tête.

- Je laisserai Archie gérer la situation avec Simon. Quant à nous, on fera en sorte que cela n'arrive pas. On montrera nos bagues, cela devrait suffire, mais on échappera pas à quelques étreintes. Et je te lâcherai pas d'une semelle, de toute façon, tu pourrais provoquer un esclandre si facilement...

- Bonne idée, tiens ! Je collerai mes lèvres aux tiennes tout le long et personne pourra nous séparer. On sera des siamois de bouche ! dit-il en tendant ses lèvres vers Shura pour lui faire une démonstration.

Mais le Capricorne repoussa son visage avec sa main libre.

- Tu dis vraiment des bêtises ! Allons, finis ton énième café et allons nous préparer !

- Fais-moi un bisou, d'abord ! Besame, mi amor, exigea-t-il dans un espagnol parfait pet presque sans accent.

Shura céda et piqua un baiser sur ses lèvres tendues.

- On rigole, reprit le Cancer, satisfait, mais vu ce qui s'est passé depuis que le projet de loi a été présenté, ça risque quand même de péter entre les pro et les antis, non ? Les jeunes catho vont pas essayer de foutre le feu quelque part ?

- C'est sûr que même si la loi est passée, ils ne se tairont pas pour autant. On aura juste à faire plus de bruit qu'eux !

- Je rêve, ou tout ça t'excite ? réalisa soudain Angelo en plissant les yeux pour mieux observer Shura. T'as envie de foutre le bordel, ou quoi ?

- Pas spécialement. Mais je suis fier que mon pays ait fait ce grand pas malgré toutes les oppositions. Nous sommes le 3e pays d'Europe et même du monde à franchir ce cap symbolique, après les Pays-Bas et la Belgique. Je pensais même que le Canada le ferait avant nous, ils n'en sont pas loin.

- Ça m'étonnerait pas, ils sont sacrément actifs, là-bas aussi.

- Tu sais que je ne me suis jamais senti particulièrement investi dans une communauté, le seul groupe qui compte pour moi, c'est celui formé par les Chevalier et le Domaine sacré d'Athéna. Je ne suis pas heureux et soulagé pour la communauté homosexuelle en particulier, mais plutôt car c'est une victoire pour la tolérance et la liberté.

- Je comprends, mio amore.

- Alors oui, poursuivit Shura en se levant pour venir s'installer sur les genoux d'Angelo, j'ai envie d'être sur place et pour une fois, de me laisser porter par l'enthousiasme et la joie. Je ne sais pas ce que ça fait, en vérité. Il n'est pas encore trop tard pour expérimenter de nouvelles choses, tant que c'est avec toi.

Angelo referma ses bras autour de lui et piqua un baiser dans son cou.

- Tout ce que tu veux, mio amore.

- Mi amor, le corrigea Shura. Tu vas devoir réviser ton espagnol, mi cielo.

- Te quiero, estoy loco por ti, eres el gran, el único amor de mi vida. (2)

- Pas mal, souffla Shura contre ses lèvres. Pas mal du tout...

Il le récompensa par un long et profond baiser.

- Dis, mi amor, reprit Angelo après cet échange aussi tendre qu'intense, est-ce que ton envie de faire la fête et laisser éclater ta joie est suffisamment forte pour te faire accepter de tout laisser en plan, pour ranger plus tard, et de partir maintenant ?

Le Capricorne, qui aimait l'ordre plus que tout, jeta un œil à la table encombré du petit-déjeuner et grimaça.

- Il ne faut pas exagérer, non plus. Surtout que cela nous prendra pas plus d'une minute ou deux, si on le veut vraiment.

Le Cancer soupira, il s'attendait à cette réponse.
Il donna une petite tape sur les fesses musclées de son Capricorne pour l'inviter à se lever.

Puis, ils débarrassèrent, et entre la télékinésie d'Angelo et leur vitesse légèrement augmentée, ils ne mirent effectivement pas plus d'une minute et demie pour rendre le patio nickel.

Tout en allant se changer, Angelo contacta Simon, et il leur donna un point de rendez-vous.

Des rassemblements spontanés allaient avoir lieu un peu partout, pour célébrer ou contester, mais tous les quatre convinrent que Madrid était à la fois le lieu où il fallait être et à éviter.

Ils s'y retrouvèrent cependant sans trop de difficultés.

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A suivre...

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Notes

1 Dans la mythologie grecque, Uranie (en grec ancien Οὐρανία / Ouranía, « la Céleste », d'Οὐρανός / Ouranós, « le Ciel ») était la Muse qui présidait à l'astronomie et à l'astrologie. Elle est la mère de Linos, conçu avec Apollon, et d'Amphimaros, conçu avec Poséidon. Selon Catulle, Bacchus la rendit mère d'Hymen. Uranie est assistée par les ouranies, les nymphes célestes. Je trouvais joli d'en faire la compagne d'Elrik.

2. Je t'aime, je suis dingue de toi, tu es le grand et unique amour de ma vie. En espagnol, évidemment.

Pour info :

En février cette année (2024) le Parlement grec a adopté une loi autorisant le mariage et l'adoption pour les homosexuels, elle devrait être promulguée dans l'année. Cela ferait le 16e pays de l'UE à autoriser le mariage homosexuel, le 36e pays au monde. C'est bien, mais c'est encore trop peu. Le combat continue !

Quelque 4 500 couples homosexuels contractèrent le mariage en Espagne durant la première année d'application de la loi. Peu après que la loi fut approuvée, des doutes surgirent au sujet de la situation légale du mariage avec des personnes de pays qui n'autorisent pas le mariage entre personnes du même sexe. Sur cette question, le ministère de la Justice espagnol détermina que la loi espagnole permettrait qu'un Espagnol épouse un étranger — ou que deux étrangers résidant légalement en Espagne se marient —, même quand les lois du pays de ces étrangers ne reconnaissent pas les mariages entre personnes de même sexe.

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Merci d'avoir lu ce chapitre.
A la semaine prochaine pour la suite et fin... :'|

Bonne continuation, prenez soin de vous et de vos proches !

Lysanea

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